Alvin Lee , comme
beaucoups d’enfants des sixties , a commencé sa carrière dans le blues. La
vision « traditionnelle » de cette musique ne convenait pas à son jeu,
et ses premiers groupes furent des échecs cuisants.
Le blues , le vrai , exige
de la retenue et de l’abnégation , chaque note doit s’épanouir dans de grands
silences. Lee était trop agressif, sa guitare trop bavarde. Le blues boom
anglais a construit sa grandeur sur des musiciens comme lui, de piètres bluesmen
obligés de trouver un chemin neuf. Incarné par Clapton, qui reviendra à un son
plus pur par la suite, ce foisonnement a donné naissance au psychédélisme et à
un rock plus puissant.
L’amérique , elle , aura
Hendrix , le fils voodoo venu imposer le culte du guitar hero. Enfin non , le
mythe du guitare hero fut en réalité initié par lui , Clapton , et Alvin Lee,
et célébré de manière grandiloquente à woodstock. C’est là que, juste après la
chappe de plomb que constitue la musique lourde de mountain, Alvin Lee impose
son image de guitariste le plus rapide du monde.
Ten years after était
surtout un groupe de scène, et ses premiers disques visaient simplement à
reproduire la puissance qu’il déployait sur scène. Et puis ils ont affiné leur jeu, qui culmine une première fois sur la fresque musicale ssssh.
Plus traditionnel que
celui de Hendrix, le jeu d’Alvin Lee transcendait la vitesse des rock de
Cochran et Chuck Berry, montrant ainsi la voie à Humble pie et aux faces. Cette
violence entrait aussi en résonance avec une époque placée sous le signe de la
fureur électrique.
Nourris aux mêmes mamelles
bluesy , les marmots hurlant du hard rock revendiquent le trône de roi du rock
assourdissant. Alors les mordus de traditions s’adaptent, Johnny Winter
parvient même à voler le show à led zeppelin lors d’un concert mythique. Les
stones , eux , se contentent de retrouver leurs racines musicales , la classe
de « beggars banquet » et « let it bleed » suffisant à
mettre les jeunots à genoux.
Ten years after , à l’image
de Johnny Winter, va radicaliser sa musique, laissant ainsi le jeu fulgurant d’Alvin
Lee s’exprimer sans retenue. Les huit titres de « crickelwood green »
font partie des derniers sommets d’une époque mourante, le brûlot d’un groupe
écartelé entre deux époques.
Ten years after se place d’abord
dans le rang du psychédélisme paranoïaque porté par the gun , blue cheers , et
autres pink fairies. Requiem du rêve hippie, ce son-là est celui de groupes qui
ne se sont pas encore soumis à la férocité qui vient. Ils ont gardé l’inventivité
et la recherche propres aux sixties, mais s’en servent désormais pour défoncer
le mur du son.
Puis le blues reprend ses
droits , un blues accéléré, poussé dans ses dernières limites, et qui donne des
leçon de grooves aux tacherons de deep purple sur un titre comme « working
on the road ». Les riffs sont un Vésuve sonore, et l’éruption arrive
bientôt à son zénith dévastateur.
« 50000 miles beneth
my brain » semble sorti de la même fosse infernale que « sympathy for the devil », le brûlot dantesque des stones. Le riff ultra rapide de
Lee transforme la samba rock de Keith Richard en avalanche, dont la puissance
monte crescendo jusqu’au déluge final.
C’est mountain qui
tenterait de copier la classe bluesy des glimmer twins, led zeppelin parti en
voyage en Amérique. A part « race with the devil » de the gun , on a
rarement entendu une telle ascension électrique , et les gun n’avaient pas
cette classe si anglaise.
La pression redescend
ensuite un peu, et laisse le temps au groupe de retrouver les chemins d’un rock
plus rythmique. « Taj Mahal » n’aurait d’ailleurs pas renié la
puissance simple de « me and my baby », un des titres les plus sobres et carrés de l’album.
La pression remonte tout de même rapidement, « love like a man » développant un son plus
lourd, qui ne fait que monter en puissance. Pour ce titre, le voyage commence
sur un riff flirtant avec le charisme minimaliste de John Lee Hooker, avant de
décoller vers des sommets inconnus des hardos les plus féroces.
Car, pour atteindre le
sommet de leur violence, deep purple et autres black sabbath ont souvent
tendance à abandonner le feeling contraignant du blues. Ten Years After , lui ,
l’emmène dans ses dernières limites , accentuant sa violence sans en perdre le
feeling.
Derniers clous plantés dans
le cercueil des sixties, crickelwood green botte le cul du blues avec une force
que même les groupes suivant peineront à égaler.
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