Mais Lou Reed ne veut pas devenir un chanteur pop, il a conservé l’ambition artistique que le Velvet a perdue après son départ. Bénéficiant d’une totale liberté suite au succès de transformer, il pense qu’il est temps d’enregistrer sa grande œuvre.
Sa notoriété lui permet de
réunir une équipe d’élite composée de Steve Winwood de traffic , Jack Bruce de
cream , et Aynley Dubar du grand wazoo de Zappa. Pour les guitares, il dégotte
une paire de fines lames qui fera les beaux jours d’Alice Cooper , Steve Hunter
et Dick Wagner.
Le projet Berlin est
largement inspiré de la vie chaotique de Lou. En plein milieu des enregistrements,
il apprend que sa première femme a fait une tentative de suicide . Quelques
jours plus tard, quand un journaliste évoque l’événement, il lâche d’un ton
méprisant :
« Pendant l’enregistrement,
ma nana- qui était un vrai trou du cul, mais j’avais besoin d’un trou du cul de
femme pour me donner la pêche, j’avais besoin d’une flagorneuse de femme dont
je puisse abuser, et elle répondait à ces critères.- Elle a essayé de se
suicider dans le bain de l’hotel. Elle s’est tailladée les poignets. Elle a survécu. »
Sa femme n’est pas la seule
à subir la pression destructrice de Lou. Dans le studio, tous les musiciens
sont accros à l’héroïne, et Erzin se souviendra longtemps du tempérament insupportable
de l’ex velvet.
Ce qui rend Berlin si poignant,
c’est que l’histoire de couple en plein naufrage contée dans ce « film pour
les oreilles » est celle de son auteur. Quand RCA entend ce qui devait
être un double album, elle ordonne à Erzin d’en faire un simple pour limiter
les dégâts.
Heureusement, le producteur sera assez respectueux du matériel originel pour que le disque ne
perde rien de sa fascinante cohérence. Ce qui frappe d’abord, c’est la beauté
glaciale de ces mélodies. Placé en ouverture, le morceau titre annonce le début
de la chute.
Déjà présent sur le
premier disque, « berlin » exprimait à l’époque le souvenir
nostalgique d’un couple en pleine harmonie. Sur cette dernière version, les
arrangements font vite comprendre que le rêve a tourné au cauchemar, et le
titre a des allures de lendemain de cuite.
Vient ensuite « lady day »
, qui trouvera sa version définitive sur le live rock n roll animal. Plus apaisée,
la version studio montre déjà la finesse du duo Hunter/ Wagner. Folk cynique,
glam rock baroque, la musique illustre à merveille l’insensibilité effrayante
du narrateur.
Celui-ci développe une
lucidité dénuée de sentiment, résumée à merveille dans les paroles de « men
of good fortune ».
« Men of good fortune , often cause empire to
fall
While men of poor beginnings , often can do anything
at all
The rich wait for his father to die
The poor just drink and cry
And me , I just don’t care at all »
Le superbe riff monte progressivement,
comme pour montrer la violence de ce constat social, puis retombe sur la
conclusion désabusée qui en découle. Tout le disque se déroulera dans ce
registre glacial. Le personnage joué par Lou Reed s’approche ainsi de l’étranger
de Camus, le cynisme en plus.
Berlin dépasse le cadre de
la pop, il dépasse même les plus grandes œuvres du Velvet. Mais ce requiem était
bien trop sombre pour le grand public. Celui-ci attendait un disque proche de
la légèreté apparente de transformer, et voilà qu’on lui offrait le contraire. Si
la critique fut aussi agressive lors de la sortie du disque, c’est qu’elle ne
comprenait pas cette noirceur étouffante.
Elu « disque le plus
déprimant de l’année » par Lester Bang, Berlin est unanimement rejeté.
Celui qui avait, au terme d’une lutte acharnée, atteint les sommets des ventes,
tombait en disgrâce à cause de son œuvre la plus ambitieuse.
Affolé par ses ventes ridicules,
RCA l’oblige à enregistrer un live censé renflouer ses caisses. Heureusement,
le Berlin tour fait un tabac. Inspiré des discours d’Hitler, les éclairages
blancs sur fond noir accentuent le teint blafard du chanteur. *
Pourtant, Lou ne vient pas
pour répéter les mêmes airs dépressifs que sur son dernier disque. Si les
débuts de concert sont parfois pathétiques , le rock n roll animal devant être
soutenu par ses musiciens pour atteindre la scène, la suite est fulgurante.
Les riffs du duo
Wagner/Hunter sont de véritables éclairs animant le frankenstein rock qui
leur sert de chanteur. Les guitaristes s’en donnent à cœur joie, transformant
le déprimant lady day en hymne de stade. Ces riffs semblent fait pour trucider
les poseurs du hard rock, ils sont l’union parfaite de la violence des enfants de led zeppelin et de la classe lumineuse des glam rockers.
Les amateurs de Deep
Purple et autres Rainbow ne s’y trompèrent pas, et propulsèrent « rock n
roll animal » au sommet des ventes. Lou était remis en selle jusqu’au
prochain suicide commercial.
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