Ces derniers temps, je reviens
souvent à l’idée selon laquelle les frontières entre le blues, le jazz, et le
rock sont bien minces. Chuck Berry était un fan des grands jazzmen, qui lui
mirent un coup de couteau dans le dos historique, sur le film « jazz on a
summer day ». Au début les musiciens défendaient leur chapelle, autant
pour préserver leurs gagne-pains que par conviction. En perte de vitesse dès
la seconde partie des années 50, les jazzmen ne tenaient pas à être enterrer
par des manchots toit juste capables d’aligner trois accords.
Mais il y’avait, dans ces
éructations libidineuses , une énergie increvable. Plus opportunistes et rationnels,
les grands bluesmen reconnaitront leurs héritiers, et profiteront largement de
l’explosion du rock. Salués comme les inventeurs de cette puissance libératrice
, Muddy Water , John Lee Hokeer, et autres vieux routards, connaissent un
second âge d’or dans les sixties.
Le blues ne sera pas le
seul à être récupéré par des anglophones en pleine boulimie d’innovation sonore.
Le Jazz , lui aussi , ressuscite via les mélodies délirantes de soft machine ,
la folie sauvage des stooges trouve ses fondement dans le free jazz, et Zappa
part dans des improvisations interminables , suivant ainsi les enseignements de
Miles Davis et Coltrane.
La conquête est totale, l’harmonie
entre les genres parfaite, et c’est au tour du grand Miles de se frotter à sa
descendance. En pleine enregistrement de Bitches Brew , il affirme solennellement
avoir réuni le meilleur groupe de rock de tous les temps.
A l’origine de ce flirt
jazz rock, on en revient encore au sud-américain. Lieu béni où tout a commencé,
la terre natale de Muddy Water et Elvis accouche ensuite de l’allman brother
band.
Sorti en 1969, le premier
album du groupe est l’annonciateur d’une virtuosité qui s’épanouit
glorieusement sur « live at fillmore ». Là, sur la scène d’une salle
qui annonce la musique de demain, l’allman brother band se livre sans filet. Le
groupe est un vaisseau rutilant, qui démarre sur un blues rock carré , avant
que Duane ne fasse décoller sa carcasse à grand coup de solos vaporeux.
Si les Allman Brother sont
les jazzmen du blues , alors Duane est leur Miles Davis , celui qui
transcende le tout en plaçant ses notes au moment clef. Cette grâce virtuose,
cette union solenelle de musiciens connectés à la perfection dans un groove
blues jazz, le groupe va la perdre avec son soliste.
Lynyrd prend alors la
suite quelques années plus tard, mais la formule n’est plus la même. Tout évolue
très vite, et le groupe de Vand Zant est déjà le fruit d’une autre époque.
Fasciné par le blues boom anglais , Lynyrd part dans une direction plus pop.
Pour lutter à armes égales avec led zeppelin ou les who , les guitares sont plus
incisives , les improvisations plus tonitruantes, le jazz se fait la malle.
Loin de moi l’idée de
dénigrer un groupe aussi essentiel, ou de relativiser l’importance de la vague
qu’il a entrainé. Je souligne juste qu’il mettait fin à une certaine vision de
la musique sudiste. Les Allman Brother n’ont absolument pas été régénérés par leur
descendance, bien au contraire. Mené par un Gregg Allman ayant trouvé refuge
dans la boisson, le groupe décline progressivement. Même l’excellent « brother
and sister » n’a pas intéressé grand monde , et rares sont ceux qui
écoutent les albums suivant.
Et puis le groupe va trouver
un nouveau moteur en la personne de Warren Hayne. Aussi doué en soliste qu’a la
slide , Hayne entraine l’ABB vers un retour aux sources. Régénéré , l’ABB sort
d’abord « shade of two word » , qui renoue avec la beauté chaleureuse
de leurs débuts. Mais Hayne est aussi un improvisateur inventif, autant friand
de blues binaire que d’épanchement jazzy, et le live au beacon theater fait
renaître la flamme perdue depuis la sortie du live at fillmore.
En parallèle, l’Amérique s’est
lassée des mélodies mielleuses des années 80, et l’authenticité revient à la
mode. C’est d’abord le sud post Allman qui en profite avec le succès des black
crowes. Les riffs à mi-chemin entre les stones et led zeppelin montrent un
groupe faisant renaitre l’héritage de Lynyrd Skynyrd. L’histoire bégaie, mais la
musique portée par l’ABB n’en sera pas une nouvelle fois victime.
Warren Hayne est plein de
projets , et profite de ce contexte favorable pour les réaliser. Sorti en 1993, son premier album solo ne s’est pas vendu autant que les premiers succès des
black crowes, mais l’essentiel n’est pas là. Tout en puissance groove , le
disque posait les bases du projet qu’il réalise ensuite avec Allen Woody.
Les deux hommes partagent le
même amour du blues virtuose, amour qui nourrit la puissance du premier album
de gov’t mule. A une époque vouée à la puissance sonore, on se pâme sur cette
violence crue , qui fait dire à beaucoup que le jimi hendrix experience a
trouvé un nouveau descendant. Comme l’Allman Brother Band , gov’t Mule
privilégie l’efficacité sur ses disques , qui paraissent presque pâles à coté de
ses prestations sur scène. C’est d’ailleurs le groupe des frères Allman qui lui
met le pied à l’étrier, en l’invitant à faire sa première partie.
Les premières minutes que
le groupe passe face à son public sont capitales, elle conditionne ce que
sera le reste de sa carrière. Et c’est précisément ces premières minutes que l’on
découvre sur « the georgia bootlegs box ». Pour marquer le coup, le
riff de blind man in the dark sonne comme une sirène annonçant le règne de nouveaux
conquérants. On pourrait rapprocher cette puissance menaçante avec l’immigrant
song de led zeppelin , le groove en plus. On découvre d’emblée à la face la
plus direct de la mule, celle qui pointait si bien son nez sur le premier
album. Cette force, gov’t mule la revendique clairement lorsqu’il reprend le
pachydermique « don’t step in the grass sam », le brûlot proto hard rock de Steppenwolf.
Mais la Mule ne partage
pas la précipitation fulgurante du groupe de John Kay. Sa puissance, il lutte
pour la perpétuer dans de longues improvisations, où il salut Zappa , pink foyd
et grateful dead au détour d’instrumentaux plus apaisés. On passe du Mississipi
à la Californie, de la hargne hard blues à la folie psyché prog.
Et puis l’envie de faire
parler la poudre se fait de nouveau sentir, et le groupe entérine sa conquête
sur un young man blues à faire rougir Towshend , avant de saluer la puissance irrésistible
de Billie Gibons sur « just got paid ».
En cette année 96 , Gov’t
mule achevait de réhabiliter cette vieille virtuosité sudiste. Le Jazz et le
blues flirtait de nouveau sous le regard bienveillant de la fée électricité, et
Duane Allman aurait sans doute regardé ça avec un sourire plein de
satisfaction.
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