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jeudi 7 mai 2020

Gov't Mule : The Georgia Box Bootleg

The Georgia Bootleg Box: Gov't Mule: Amazon.fr: Musique

Ces derniers temps, je reviens souvent à l’idée selon laquelle les frontières entre le blues, le jazz, et le rock sont bien minces. Chuck Berry était un fan des grands jazzmen, qui lui mirent un coup de couteau dans le dos historique, sur le film « jazz on a summer day ». Au début les musiciens défendaient leur chapelle, autant pour préserver leurs gagne-pains que par conviction. En perte de vitesse dès la seconde partie des années 50, les jazzmen ne tenaient pas à être enterrer par des manchots toit juste capables d’aligner trois accords.

Mais il y’avait, dans ces éructations libidineuses , une énergie increvable. Plus opportunistes et rationnels, les grands bluesmen reconnaitront leurs héritiers, et profiteront largement de l’explosion du rock. Salués comme les inventeurs de cette puissance libératrice , Muddy Water , John Lee Hokeer, et autres vieux routards, connaissent un second âge d’or dans les sixties.

Le blues ne sera pas le seul à être récupéré par des anglophones en pleine boulimie d’innovation sonore. Le Jazz , lui aussi , ressuscite via les mélodies délirantes de soft machine , la folie sauvage des stooges trouve ses fondement dans le free jazz, et Zappa part dans des improvisations interminables , suivant ainsi les enseignements de Miles Davis et Coltrane.

La conquête est totale, l’harmonie entre les genres parfaite, et c’est au tour du grand Miles de se frotter à sa descendance. En pleine enregistrement de Bitches Brew , il affirme solennellement avoir réuni le meilleur groupe de rock de tous les temps. 

A l’origine de ce flirt jazz rock, on en revient encore au sud-américain. Lieu béni où tout a commencé, la terre natale de Muddy Water et Elvis accouche ensuite de l’allman brother band.   

Sorti en 1969, le premier album du groupe est l’annonciateur d’une virtuosité qui s’épanouit glorieusement sur « live at fillmore ». Là, sur la scène d’une salle qui annonce la musique de demain, l’allman brother band se livre sans filet. Le groupe est un vaisseau rutilant, qui démarre sur un blues rock carré , avant que Duane ne fasse décoller sa carcasse à grand coup de solos vaporeux. 

Si les Allman Brother sont les jazzmen du blues , alors Duane est leur Miles Davis , celui qui transcende le tout en plaçant ses notes au moment clef. Cette grâce virtuose, cette union solenelle de musiciens connectés à la perfection dans un groove blues jazz, le groupe va la perdre avec son soliste.

Lynyrd prend alors la suite quelques années plus tard, mais la formule n’est plus la même. Tout évolue très vite, et le groupe de Vand Zant est déjà le fruit d’une autre époque. Fasciné par le blues boom anglais , Lynyrd part dans une direction plus pop. Pour lutter à armes égales avec led zeppelin ou les who , les guitares sont plus incisives , les improvisations plus tonitruantes, le jazz se fait la malle. 

Loin de moi l’idée de dénigrer un groupe aussi essentiel, ou de relativiser l’importance de la vague qu’il a entrainé. Je souligne juste qu’il mettait fin à une certaine vision de la musique sudiste. Les Allman Brother n’ont absolument pas été régénérés par leur descendance, bien au contraire. Mené par un Gregg Allman ayant trouvé refuge dans la boisson, le groupe décline progressivement. Même l’excellent « brother and sister » n’a pas intéressé grand monde , et rares sont ceux qui écoutent les albums suivant.
                                          
Et puis le groupe va trouver un nouveau moteur en la personne de Warren Hayne. Aussi doué en soliste qu’a la slide , Hayne entraine l’ABB vers un retour aux sources. Régénéré , l’ABB sort d’abord « shade of two word » , qui renoue avec la beauté chaleureuse de leurs débuts. Mais Hayne est aussi un improvisateur inventif, autant friand de blues binaire que d’épanchement jazzy, et le live au beacon theater fait renaître la flamme perdue depuis la sortie du live at fillmore. 

En parallèle, l’Amérique s’est lassée des mélodies mielleuses des années 80, et l’authenticité revient à la mode. C’est d’abord le sud post Allman qui en profite avec le succès des black crowes. Les riffs à mi-chemin entre les stones et led zeppelin montrent un groupe faisant renaitre l’héritage de Lynyrd Skynyrd. L’histoire bégaie, mais la musique portée par l’ABB n’en sera pas une nouvelle fois victime. 

Warren Hayne est plein de projets , et profite de ce contexte favorable pour les réaliser. Sorti en 1993, son premier album solo ne s’est pas vendu autant que les premiers succès des black crowes, mais l’essentiel n’est pas là. Tout en puissance groove , le disque posait les bases du projet qu’il réalise ensuite avec Allen Woody. 

Les deux hommes partagent le même amour du blues virtuose, amour qui nourrit la puissance du premier album de gov’t mule. A une époque vouée à la puissance sonore, on se pâme sur cette violence crue , qui fait dire à beaucoup que le jimi hendrix experience a trouvé un nouveau descendant. Comme l’Allman Brother Band , gov’t Mule privilégie l’efficacité sur ses disques , qui paraissent presque pâles à coté de ses prestations sur scène. C’est d’ailleurs le groupe des frères Allman qui lui met le pied à l’étrier, en l’invitant à faire sa première partie.    

Les premières minutes que le groupe passe face à son public sont capitales, elle conditionne ce que sera le reste de sa carrière. Et c’est précisément ces premières minutes que l’on découvre sur « the georgia bootlegs box ». Pour marquer le coup, le riff de blind man in the dark sonne comme une sirène annonçant le règne de nouveaux conquérants. On pourrait rapprocher cette puissance menaçante avec l’immigrant song de led zeppelin , le groove en plus. On découvre d’emblée à la face la plus direct de la mule, celle qui pointait si bien son nez sur le premier album. Cette force, gov’t mule la revendique clairement lorsqu’il reprend le pachydermique « don’t step in the grass sam »,  le brûlot proto hard rock de Steppenwolf.   

Mais la Mule ne partage pas la précipitation fulgurante du groupe de John Kay. Sa puissance, il lutte pour la perpétuer dans de longues improvisations, où il salut Zappa , pink foyd et grateful dead au détour d’instrumentaux plus apaisés. On passe du Mississipi à la Californie, de la hargne hard blues à la folie psyché prog.

Et puis l’envie de faire parler la poudre se fait de nouveau sentir, et le groupe entérine sa conquête sur un young man blues à faire rougir Towshend , avant de saluer la puissance irrésistible de Billie Gibons sur « just got paid ».
En cette année 96 , Gov’t mule achevait de réhabiliter cette vieille virtuosité sudiste. Le Jazz et le blues flirtait de nouveau sous le regard bienveillant de la fée électricité, et Duane Allman aurait sans doute regardé ça avec un sourire plein de satisfaction. 


  

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