Nous sommes au milieu des années 1910 et, alors que le vieux continent s’engage dans une des guerres les plus meurtrières de son histoire, le Mississipi accouche du blues. C’est là que Muddy Waters pousse ses premiers cris en 1914 , quelques mois avant la naissance de Hooker et Hound Dog Taylor. Ce dernier s’initie au blues dès ses vingt ans , et prend rapidement la route pour chercher la gloire à Chicago.
Il faut avoir lu le portrait qu’en dresse Nelson Algren
pour imaginer les décors contradictoires qu’il découvre. Chicago , c’est la
ville où la grandeur de l’Amérique côtoie ses pires démons. Dans ses quartiers,
les prostituées tapinent au milieu d’une foule où se côtoient politiciens plus ou
moins respectables , notables , et ouvriers. Les pauvres essaient de vivre le
rêve américain, les riches satisfont leur cupidité dans les affaires, alors
que le racisme s’épanouit comme un abcès grignotant l’idéal américain.
C’est aussi une ville de poètes, le lieu qui inspira
Richard Wright avant qu’il ne fuit le maccartisme. A Chicago, vous pouvez
trouver la richesse ou la mort, la gloire ou la persécution. C’est une ville
cupide et violente, où les arnaqueurs détroussent de pauvres bougres, pendant
que n’importe qui peut se faire tuer pour une poignée de dollars.
Cette ambiance sulfureuse nourrit les accords de Hound
Dog , elle guide ses doigts, comme si sa musique n’en était que l’expression
fascinante. Dans les bars, le public le regarde comme un fou, ce son est trop
fort pour séduire les puristes , et trop pur pour éviter l’indignation des
beaufs racistes. Pendant des années, il prêchera dans le désert, sa guitare
rugissant comme un cri de révolte qui ne demande qu’à se propager.
Employé du label Delmar Record , Bruce Iglauer rencontre
enfin la route de Hound Dog en 1969. Le blues n’est certes plus au centre des préoccupations,
du moins dans sa forme la plus pure, mais de courageux labels continuent de
promouvoir ces racines plantées par les pionniers. Bruce est donc fasciné par
ce qu’il entend, mais son label est moins enthousiaste que lui. Comme le montra
Dylan, les puristes ont construit leurs forteresses idéologiques , et se battent
férocement contre tout ce qu’ils voient comme une insulte à la tradition.
Du coup , le label repousse toutes ses demandes , et
pousse Iglauer à claquer la porte. L’homme vient de recevoir un héritage de
2500 dollars , et il compte bien s’en servir pour faire décoller son poulain.
Bruce Iglauer fonde ainsi son propre label , Alligator record , et entame
rapidement l’enregistrement des premiers disques de Hound Dog Taylor. Alors
que les autres musiciens explorent les possibilités des studios modernes ,
Hound dog est enregistré à l’ancienne. Pendant qu’il joue devant un public attentif,
le producteur se contente d’enregistrer ses performances.
Le résultat donne naissance à deux disques , dont ce « hound
dog taylor and the houserocker » sortie en 1969. Le jeu de Taylor s’y révèle
dans toute sa puissance, il est l’expression de la violence de Chicago, que l’homme
semble avoir mis en musique depuis des années.
Le swing de Taylor gronde comme le cri de révolte des
oubliés de l’Américan Dream, ses solos lacèrent le boogie à grands coups de
notes tranchantes. Calée sur un rythme délicieusement monotone, la guitare vous
enfonce ses blues dans le crâne avec une efficacité à faire rougir le Hook.
Ce disque , c’est le bootleneck assassinant l’immobilisme
blues sur un rythme pachydermique , la fougue du rock n roll absorbée par le
mojo originel. Hound dog taylor and the houserocker est brillant, l’époque idéale,
mais la gloire reviendra à un jeune albinos doté du même tranchant rythmique.
Taylor aurait pu, lui aussi , ridiculiser led zeppelin lors d’une première
partie mémorable, mais l’histoire en a décidé autrement.
Il tient donc le rôle du looser magnifique, de l’artiste honni dont il est urgent de réhabiliter l’œuvre.
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