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mardi 23 juin 2020

Jack White 1

Chic, un nouvel album de Jack White prévu pour « très bientôt » - Jack


Depuis qu’il a atteint l’âge de raison , Jack White sait que la révolte rock a changé de nature. Detroit est une ville violente depuis des années, mais le temps que ses habitants ont passé sur les chaines de production semble avoir grignoté le cerveau de leur progéniture. Jack passe sa jeunesse dans une époque charnière, celle où les bornes d’arcades ont remplacé les guitares, et des rappeurs engloutissent les jeunes cerveaux dans leurs aboiements pompeux. Etre rock à cette époque, ce n’est plus représenter la jeunesse, c’est la rejeter.

 Au milieu de l’hystérie collective , alors que le peuple américain se transforme en populace, Jack souhaite devenir curé. La religion lui aurait au moins permis de se protéger de la folie ambiante, d’affirmer sa croyance en une valeur supérieure, dans une époque qui dit que tout ce vaut. La rébellion d’un homme suffit parfois à sauver l’humanité, c’est vrai chez les curés comme chez les rockers.

Traditionaliste jusque dans ses premiers amours musicaux, Jack tombe amoureux du rock en découvrant le blues. L’homme qui voulait donner sa vie à dieu est donc sauvé par le diable, le blues devient sa nouvelle bible.

Robert Johnson a travaillé son art dans la très pieuse Amérique d’avant-guerre. Dans les coins où ce pionnier jouait, les pasteurs le sermonnaient devant une foule acquise à leur cause. Mais Johnson prenait ses sermons comme des blagues un peu niaises, ne cessant jamais de jouer ses accords honnis, sous les yeux réprobateurs d’un public moraliste.
« C’est la musique du diable ! » lance le pasteur. Son ton est tranchant et autoritaire, comme si cette sentence ne pouvait que plier le musicien à sa volonté.  

Johnson levait alors la tête, gratifiait son interlocuteur d’un sourire arrogant, et l’envoyait dans les cordes d’un ton sarcastique. « Vous avez raison révèrent. C’est d’ailleurs lui qui me l’a enseigné. » Pour ceux qui aiment les bons mots, cette phrase est une grande saille provocatrice .Elle sera néanmoins à l’origine d’une légende Faustienne, qu’on imputera ensuite à de nombreux guitaristes.
                                 
Plus de 40 ans après cette histoire, Jack White écoute religieusement ce blues épuré. En bon musicien, le jeune homme découvre le rock en passant par le blues ,il découvre surtout que l’on peut dire beaucoup avec peu. Le blues de Johnson est nourri des échos de notes qu’il fait longuement raisonner, comme si les brusquer eut été un blasphème. Les notes sont comme les mots, il faut les laisser respirer, s’épanouir dans de grands espaces pour mieux marquer les esprits.

Quant Jack White découvre les stooges , quelques jours plus tard , alors qu’il commence à forger son jeu , ses deux modèles sont loin de s’opposer. Les stooges exprimaient le désespoir face à un futur s’annonçant sombre, la colère froide de ceux qui ne pourront que subir une ère de déclin . Ils avaient acté la fin de la génération peace and love avant tout le monde , et personne ne leur a pardonné.  Ils furent pendant des années les héros méconnus du proto punk, ceux qui avaient tout compris avant tout le monde, mais ne parvenaient pas à vendre le message.
                
Sur la méthode , les stooges font bien partie des lointains descendant du père Johnson. Ils partagent la même science de l’efficacité, leurs guitares sont violentes mais pas bavardes. Les stooges ont joué le blues de leur génération, « search and destroy » et « sweet home chicago » ne sont que deux avatars de la même énergie libératrice.

D’ailleurs, quand Iggy Pop chante no fun, les usines commençaient déjà à s’envoler. Les disciples d’Henry Ford , après s’être gavés sur le dos d’hommes détruits par un travail abrutissant, laissaient désormais la ville à sa misère. Jack White est l’enfant d’une ville morte, mais la perte des vieux repères est aussi source d’opportunités pour qui sait les saisir.
 Le jeune homme revient ainsi aux sources de la condition ouvrière, l’artisanat. Pour payer les dépenses de ses groupes aux cachets ridicules, il apprend à redonner vie aux vieux meubles.

Voué au départ à une carrière de prêtre, Jack White n’aura pas les mêmes hésitations que Little Richard et Eddie Cochran. Le rock balaie ainsi ses projet de vie religieuse, et tout est fait pour entretenir ses rêves de gloire.  

Une dernière révélation va façonner notre personnage, celle de citizen kane. Chef d’œuvre d’Orson Wells , le film est une ode à l’enfance perdue. Comme si cette histoire devait le marquer à vie, Jack White ne cessera de développer une image faussement puérile, une légèreté enfantine. Ce film va aussi lui apprendre que l’Amérique reste le pays où n’importe qui, par la seule force de son travail acharné, peut bâtir un empire.
                                     
Alors il trime, et si les cachets restent ridicules , l’époque finit par devenir favorable. Dans les bars de Détroit, toute une scène réinvente le chaos stoogien. Les guitaristes s’affrontent et se succèdent dans une éruption qui fait trembler les murs, c’est la rivalité de musiciens jouant toujours plus fort pour se faire entendre.  
                                                                 
Nouveau groupe de notre guitariste tonitruant, the go joue ce soir le concert de sa vie. Parmi le public, les dirigeants de Sub pop cherchent le gang capable de faire oublier la débâcle grunge. Star du label, Kurt Cobain n’était pas le précurseur du grunge , il en était l’incarnation. Cette scène ne vivait que parce que les maisons de disques rêvaient de lancer un raz de marée comparable à nevermind.

Quand la figure médiatique a disparu, les espoirs se sont envolés avec elle. Toute une génération a été traumatisée par cette fin abrupte, le grunge devenait un drame que personne ne souhaitait revivre. Les deux dirigeants de sub pop sont donc au milieu de ce public comme deux hommes nageant après le naufrage, et leur bouée ne tarde pas à se présenter.  

The go partage avec le grunge cette violence agressive, cette puissance qui vous secoue sauvagement. Mais cette force n’est plus dépressive, elle est révoltée, c’est le retour du rock n roll dans ce qu’il a de plus brute. Les deux managers flairent un gros coup, et emmènent rapidement le gang dans le studio le plus proche.

The go (l’album) est enregistré comme tout premier disque devrait l’être , live et sans retouche. Quand le disque sort, les libertines n’ont pas encore rencontré Mick Jones , les Strokes ne sont que des fils à papa, et même oasis ne s’est pas encore formé.

On tient donc là le premier manifeste post grunge, et il est brillant. De « Watcha doin » à « meet me at the movie », ce disque est plus puissant que Kick out the jam , plus remuant que le jungle beat de Hooker. Ces titres auraient presque pu figurer sur back in the USA , le classique que MC5 dédia à la gloire éternelle du rock originel. Ces jeunes loups ont juste poussé les potards un peu plus fort, et l’époque ne va pas tarder à être secouée de façon irréversible.

On signalera au passage que ce disque est un de ceux qui rendent le plus justice au jeu éruptif de Jack White, mais son parcours avec le groupe touche déjà à sa fin. Conscient de son potentiel, sub pop lui a fait signer une clause l’empêchant d’aller voir ailleurs. Mais Jack place l’honneur avant tout, les seuls musiciens ayant osé le provoquer peuvent en témoigner. Il n’hésite donc pas à quitter le groupe pour se libérer de ses chaînes contractuelles.

Il tue ainsi un groupe qui n’aura pas vécu assez longtemps pour récolter les fruits de sa fureur. Mais Jack n’est pas fait pour être le simple guitariste d’un groupe, son orgueil ne le supporterait pas. Alors il forme sa femme à la batterie, en lui donnant juste assez de bases pour imprimer un rythme des plus primaires.

On a beaucoup décrié le jeu de Meg White , mais elle a permis à son mari d’atteindre son graal artistique , la profondeur rugueuse des enregistrements de Johnson. Le rock n’est qu’un rythme vicieux, sur lequel la guitare hurle ses trois accords libérateurs. Cette musique n’a besoin de rien d’autre, et il est bon que quelques brutes le rappellent.

En ce début de second millénaire, les brutes seront un couple faussement enfantin, jouant sur l’ambiguïté de sa relation pour braquer les projecteurs sur leur musique. The go est mort ! Vive les White Stripes.    
        
                                                                                                                                                   

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