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dimanche 28 juin 2020

Jack White 3





« Dead leaves and the dirty ground

When I know you're not around »


C’est sur cette déclaration d’amour que la guitare rugit comme elle n’a jamais rugi. Ce n’est plus une marche d’éléphant , mais une véritable charge de pachyderme, que l’auditeur reçoit en plein visage. Le riff est surpuissant sans perdre en précision, il atteint une perfection dépouillée que Dr Feelgood a défendu toute sa vie. Tout est plus puissant sur White Blood Cells, les mélodies sont des secousses et les rock des séismes. La frappe de Meg n’a jamais été aussi puissante, elle ressuscite la puissance animale de John Bonham.

Ici plus qu’ailleurs , sa simplicité est une force , débarrasser des préoccupations techniques que les autres portent comme des boulets, elle atteint des sommets de sauvagerie pure. Les solos sont presque absents , les riffs sont envoyés sur un rythme infernal, grondement gras d’une foudre prête à marquer l’histoire. Sur « feel in love for a girl » les white stripes atteignent le sommet de leur destruction créatrice. Le rock y est massacré sur un rythme ébouriffant, pour en ressortir régénéré.

C’est le premier grand riff post « smell like teen spirit » , celui qui fait enfin oublier la débandade grunge. Dans les rues , il ne se passe pas une journée sans que sa puissance ne résonne à travers les murs des fast food ou magasins. Le troisième album est une étape majeure , celle qui différencie les grands groupes des looser plus ou moins respectables. Alors les White Stripes jouent avec plus d’agressivité , de puissance , et d’énergie qu’il n’ont jamais joué, leur heure est venue et ils comptent bien la saisir.

Entre ces déferlements assourdissants, la mélodie est elle aussi mise à nue, le duo part dans un mysticisme aux allures cauchemardesques. Représentée sur Dead leaves and the dirty ground , hotel yorba , et we’re going to be friend , sans oublier le sombre union forever, cette variété ne fera que s’accentuer au fil du temps.

White blood cells nous fait changer de décor à une vitesse ahurissante , mais il est le dernier à le faire avec une telle simplicité. Ce disque , c’est un double blanc pour mordu de beat primaire , une mine rustique que le groupe ne cessera de récurer. White blood cells est le sommet de la première période des whites stripes, celui où ils s’autorisent tout sans prendre de gants.

Les white stripes ont atteint leur but , toucher à l’essence de ce que créa Bo Diddley. Ils ont apporté au rock ce que Robert Johnson apporta au blues, cette profondeur, ces notes violentes dont on ressent longtemps les échos.


L’amérique est déjà à genoux , le monde est prêt à se prosterner devant cette puissance viscérale. Aujourd’hui oublié au profit de son successeur , White blood cells est le disque qui a tout enclenché, le groupe n’avait plus qu’à achever un public déjà assommé par ses rythmes caverneux. C’est aussi le dernier disque parcouru par cette violence sans compromis , le dernier représentant de la rage simple d’un groupe venu conquérir le monde. En un mot comme en mille , c’est une première page qui se tourne après la sortie de ce disque.

White Blood cells a comblé des désirs depuis longtemps frustrés , les rockers voulaient retrouver cette violence sans calcul , cette énergie simple et positive. Le grunge était trop sombre , et sa mort a engendré l’excès inverse. Green Day a décroché la timbale avec un nihilisme festif , un punk commercial sensé sortir le monde de sa gueule de bois grunge. Dookie était aussi superficiel que nevermind the bollock , c’est d’ailleurs là que réside sa grandeur. Coté anglais , Oasis réadapte l’héritage beatlsien, et les radios se régalent de ses tubes pop.

Definitely maybe et dookie sont des classiques, mais ils laissent les derniers sauvages sur leur faim. Leur superficialité laisse un espace dans lequel les white stripes se sont engouffrés bruyamment, et le monde est encore en train de s’en remettre quand le duo enfonce le clou.

Ce n’est pas un riff qui pointe son nez sur les radios du monde entier , c’est un tsunami. Les grands guitaristes sont des mages qui titillent le coté le plus bestial de l’homme. Ce qui fait frémir vos poils , quand le grondement grave de « seven nation army » se fait entendre , c’est le réveil de votre cerveau reptilien, ce grand héritage de l’âge de pierre.

Cette bête endormie est régulièrement réveillée par le rock , pour déferler sur les radios et scène du monde entier. Satisfaction , Sweet child o mine , seven nation army , ce ne sont que les étapes successives du même rite tribal. Ce n’est d’ailleurs pas pour rien que le dernier tube des Whites Stripes est devenu l’hymne des supporters de foot.

Quand un homme entre au parc des princes , ou un autre temple du ballon rond , ce sont ses lointains ancêtres qui prennent possession de son corps. Homo plus très sapiens, il atteint un état qui lui permet de ressentir toute la force de cet hymne sauvage. Jack White a encore augmenté l’ampleur de ses riffs, qui sont autant d’obélisques déclenchant des hochements de têtes fanatiques. Les métalleux n’ont fait que caricaturer cette force primaire , avec Elephant le rock en prenait de nouveau possession. Sorti en 2003 , Elephant est plus soigné que le titre qui l’a introduit.

Avec ce disque , la guitare rock reprend de l’allure , elle s’habillait de quelques accessoires discrets mais élégants. Elephant sonne la fin d’une certaine innocence, faite de riffs gras et de folk si dépouillé qu’elle semblait inventé en direct. A la place on a droit à des mélodies charmeuses, des chœurs beaucoup plus soignés, qui sonnent comme les beach boys chantant des comptines pop.

A ce titre « cold cold night » et « well that true that we love on another » vous restent dans la tête plus fixement que le générique de Casimir. Quand le rock reprend ses droits , la guitare n’a jamais résonné avec autant de force. Ce son ne vous secoue plus , il vous percute de plein fouet pour exploser dans votre cervelle. Pour imposer sa puissance caverneuse, les whites stripes en adoucissent le tranchant , la lame sanguinaire se fait boule de bulldozer. Quand les riffs de Jack se font trop menaçant , on leur oppose un clavier enjoué , on l’immerge dans une mélodie légère.

Elephant , c’est une superproduction réalisée avec les moyens de l’underground , un peu comme si on avait choisi Jodorowski pour produire le dernier volet des X men. Et c’est justement toute la force de cet album , cette finesse sans fioriture fait de chaque titre un tube ramenant le rock au berceau.

En dehors de seven nation army , seul Balls and Biscuit sort de ce nouveau moule power pop. Ce blues syncopé est une des plus grandes réussites de Jack White, le titre qui sert de pont entre les trois premiers album et ce qui est en train de se construire ici.

Avec White Blood Cells , Jack White avait conquis le monde , Elephant lui permet de le plier à sa volonté.

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