C’est l’événement
cinématographique de 2005, la sortie de « retour à cold mountain ».
Ce film manichéen et abrutissant, si il semble fait pour séduire les séniles
qui composent les jurys des grands concours , montre que l’époque moderne sera
placée sous le signe de l’hystérie collective. Construit comme un drame ,
« retour à cold mountain » ne peut que déclencher un rire gêné chez
les personnes saines d’esprits.
Jouer par des comédiens en
roue libre , les personnages sont aussi crédibles qu’Omar Sy dans le rôle
d’Arsene Lupin. Nathalie Portman effectue exactement ce que le film vous
supplie de faire, elle pleure sur commande. Quand on lui prend son bébé dans
une scène pitoyable de pathos surjouée, on prie presque pour que les clowns
achèvent aussi ses hurlements de petit goret geignard.
Seule la prestation de Jack
White relève un peu le niveau , il ressemble à un musicien de la guerre de
sécession perdu sur un plateau de tournage. Cette apparition montre surtout la
notoriété qu’il a acquise. Pour lui, 2005 est aussi le début des tournées
mondiales , marquées par des concerts où le public devient une nuée de
sauterelles animé par ses riffs. Dans les décors imposants des stades , le
groupe montre parfois ses limites. Le son n’est pas totalement maîtrisé,
certains rangs ne perçoivent qu’un gargouillis crasseux, ce qui n’empêche pas la
foule de communier devant ce garage rock tonitruant.
La musique des whites
stripes est surtout faite pour les petites salles, c’est là qu’elle peut
montrer toute sa force viscérale. Alors on cherche parfois un coupable à ces
prestations inégales , et c’est encore Meg White qui en fait les frais. Alors
que son ex mari devient un demi dieu, on se moque de la simplicité de ses
rythmes , de l’énergie enfantine de son jeu. On ne saurait dire à quel point
c’est précisément cette simplicité qui permet aux white stripes d’exister ,
mais le public aime tuer ses idoles.
Meg commence d’ailleurs à perdre pied , ces foules immenses la terrifient ,
la notoriété du groupe la met sous pression.
Enregistré en 2005 , Get
Behind Me Satan ressemble à une volonté de prendre du recul sur cette folie,
de chercher une nouvelle voie. L’auditeur est d’abord caressé dans le sens du
poil , on lui offre sa décharge électrique pour lui faire supporter le choc à
venir. La seconde déflagration ne viendra pas tout de suite, Jack a rangé sa
guitare et ne compte pas en faire un usage abusif. Le piano et le marimba
prennent donc sa place , pour souligner l’importance de la rythmique décriée de
Meg, et l’habiller de mélodies inattendues.
L’électricité n’a plus sa
place ici , elle ne ferait que troubler ces expérimentations acoustiques. Pour
entrer dans ce disque , l’auditeur doit dépasser ses préjugés , se
débarrasser de ses attentes pour comprendre cette nouvelle énergie. Bluette
exotique entretenue par un marimba mélodieux, the nurse est parcouru par des
syncopes, dont la puissance est accentuée par ses apartés apaisés.
My Dorbell sonne ensuite
comme un classique instantané, une kermesse pop où le piano donne la réplique à
une batterie festive. Le piano adoucit les emballements de la batterie, il l’empêche de partir dans une secousse
violente, et met en valeur une des meilleures prestations de Meg White. La jeune
femme délivre un jeu énergique sans être violent, elle embarque les mélodies
acoustiques dans une célébration légère, sans en brusquer la douceur enfantine.
Ses battements sont le
cœur qui nourrit ces expérimentations acoustiques, le doudou qui permet aux
fans puristes de ne pas être totalement perdus. Elle abandonnera pourtant les
fans bornés , troquant ses toms contre un tambourin timide . Rien que ce passage
aurait du permettre au groupe d’être canonisé par une armée de fans hystériques.
Les White Stripes avaient atteint une splendeur décharnée jusqu’à l’os , un blues
des grottes , une pop de sauvages. Vieux folk , pop acoustique , les adjectifs
ne manquent pas pour qualifier cette réussite. La seule chose que ces mots creux
doivent saluer, c’est l’aboutissement d’un processus démarré sur apple blossom
et hotel yorba, une simplicité qui met la pop à nue.
Certains cherchaient cette
profondeur squelettique dans les live unpluggeds de MTV , mais il ne suffit
pas de sortir une guitare sèche en miaulant comme un chat castré pour la
réveiller. Pour atteindre ce niveau, le musicien doit tordre le coup de ses ambitions,
renouer avec une spontanéité corrompue par des siècles d’évolution.
Get Behin Me Satan , c’est
un duo qui est parti se réfugier dans la grotte , et joue avec les sons comme
les premiers primates secouant les branches. Les white stripes ne voulaient pas
faire grandir le rock , mais le faire régresser , c’était la seule issue. Au
lieu de se prosterner , tous virent le disque comme une curiosité un peu repoussante.
On mettait l’origine du monde sur disque, et le public se sauvait en se
bouchant le nez.
A partir de là , le duo
aurait pu se radicaliser davantage , dégraisser encore le pachyderme pompeux
qu’est Elephant. Mais le public avait rendu son verdict , incitant Jack White
à partir sur des chemins passionnants mais plus balisés. Ce disque sonne comme
un Atlantide abandonné trop tôt, une montagne de splendeur qu’on ne peut
qu’admirer de loin.
A partir de cette base ,
ils auraient pu atteindre la folie exotique de Dr John , réinventer le cœur
voodoo de gris gris , donner des leçons de compositions perchées à Beefheart.
Tout est permis à celui qui a su détruire ce qu’il était , se suicider pour
ressusciter plus beau , plus fort , et plus con.
Le monde meurt sous les
réflexions léthargiques d’intellectuels séniles , Get Behin Me Satan leur
bottait le cul. La majorité constitue une génération d’oreilles impuissantes,
des vieux sourdingues dont les oreilles ne jouissent que sous les coups de
boutoir de l’électricité. Pourtant, imaginez un stade chantant en cœur My
Dorbell , une foule extatique prise de transe sur les convulsions exotiques de
the nurse.
Là plus que jamais, le
rock aurait pris toute son ampleur. On aurait pu organiser un concert dans les
grottes de Lascaux. Pour compléter l’œuvre des premiers hommes, les gamins
auraient dessiné le portrait du groupe à la craie, juste à coté des dessins de
chasse au mammouth. Le groupe lui-même semble ne pas s’en remettre, et sombre
dans un sommeil de plusieurs mois.
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