Nous sommes en plein été à Detroit, un été caniculaire particulièrement aride. La chaleur semble encore plus étouffante dans ce désert urbain, elle exprime le martyr d’une ville en pleine agonie. En cette année 2006, alors que les Whites stripes sont à l’arrêt, Jack renoue avec ses racines. Dans une cave, il jamme avec Brenda Benson, un musicien qui a aussi vécu les grandes heures de la nouvelle scène de Détroit, sans accéder à la gloire.
Benson embarque son ami dans un rythme à la Hooker , le genre d’inspiration qui prend possession de vos
doigts sans que vous vous en rendiez compte. C’est un dialogue binaire qui se
met en place, les notes menaçantes de Jack faisant doucement décoller les « boom
boom » de son partenaire. Steady as she goes est à l’origine un titre de
Benson , c’est lui qui imprima ce rythme qui fera bientôt chavirer les stades.
Jack n’a plus qu’à faire décoller ce swing , comme à la grande époque de the
go. On se demande d’ailleurs si Benson ne s’est pas inspiré de la simplicité
des whites stripes, tant ce rythme entêtant semble rendre hommage à la
simplicité de Meg.
Dans tous les cas, cette
proximité entre les deux hommes n’est pas artificielle, c’est un des plus grands duos de compositeurs qui nait dans cette cave de Détroit. Cette première réussite
incite le groupe à convoquer d’autres vétérans de la ville , afin d’enregistrer le premier album des raconteurs. Broken
Boy Soldier est construit par morceau , lorsque les emplois du temps des
différents protagonistes leur permettent de se réunir. L’album sort donc enfin
en 2006, et la notoriété de Jack White, alliée au riff de steady as she goes,
permet à ce tout jeune groupe d’obtenir une reconnaissance mondiale.
Signe de leur ascension fulgurante,
l’Europe et les Etats Unie sont déjà conquis, et le groupe y célèbre sa
naissance, devant une foule comparable à celle qui se précipite aux concerts des
white stripes.
Brocken Boy soldier est un
disque bicéphale, il est marqué par les personnalités complémentaires de ses
auteurs. « Steady as she goes » annonçait un retour au rock de
Détroit, la renaissance du Heavy rock sulfureux que the go avait abandonné.
Avec Hand et Broken Boy Soldier , steady as she goes forme un brasier qui
rallume la flamme née au cœur de la motor city. L’énergie est la même, elle
change juste de forme, elle s’affine au contact de la power pop de Benson.
White/ Benson représente le retour de cette affrontement entre rock et pop, qui
fit les grandes heures des Beatles. La sauce prend si bien que les idées se mêlent,
et il devient difficile de deviner qui a écrit quoi.
Pour la légende, on
aimerait attribuer à Benson la parenté des mélodies les plus envoûtantes, la
splendeur douce de together et de hands, ou le refrain irrésistible d’intimate
secretary. Il représenterait ainsi la face la plus apaisée du duo, un George
Harrison développant sa musique dans l’ombre de son grand partenaire. Mais arrive toujours le moment où un riff
cinglant vient troubler la quiétude de ses ballades, où les chœurs se font plus
puissants et la douceur plus fédératrice.
Les trois derniers titres
closent le bal sur une influence anglaise plus assumée. Yellow moon flirte avec les
grandes heures des Kinks, et call it a day est un blues parcouru de chœurs pop , qui ouvre la voie au final blue vein. Ce final est un spleen mélodieux, un
rock raffiné dans la ligné de « i want you (she's so heavy) ». On en
revient encore au traumatisme d’Abbey Road , la fin d’un groupe qui
représentait l’an 0 du rock contemporain. Si les raconteurs font référence à
cette fin traumatisante, c’est pour signaler qu’ils s’inscrivent dans cette
lignée. Ils se retrouveront donc régulièrement pour célébrer la rencontre entre
la pop anglaise et le rock de Détroit. Pour l’heure, après une poignée de
concerts , le projet disparaît aussi vite qu’il est né. Les raconteurs comblaient le vide laissé par la sortie de get behind me satan , il rassasiait
un public avide d’électricité.
La batterie entre dans une
danse apache , rythme guerrier cherchant une nouvelle voie pour s’épanouir. Si
les raconteurs ont servi de hors d’œuvre à une horde de mordus de férocité électrique
, Icky thump s’apprête à les rassasier une dernière fois. Cela fait deux ans qu’ils
attendaient le prochain album du duo, qu’ils espéraient un retour aux sources.
Alors forcément, quand la batterie claque comme la hache sur le cou du
condamné à mort , quand une guitare sanguinaire explose dans un déluge crasseux
, tout le monde salue le retour du totem perdu. Cette puissance, c’est l’oasis
au milieu du désert, la vibration attendue par une foule primaire.
Jack lui donnait sa ration
de rock sauvage, sans pour autant reprendre les plans de white blood cells.
Comme sur elephant, la guitare sonne comme une secousse sismique, mais il
ne cherche plus à adoucir son tranchant. Au contraire, les mélodies faussement légères préparent le terrain , entretiennent le calme pour mieux faire résonner
les emballements du duo. Chaque riff introduit de cette manière porte un coup
destructeur à la tradition blues, l’emmène sur des chemins qui ne lui sont pas
familiers.
Cette violence est le cri
d’un groupe en pleine décomposition, la force désespérée d’un duo qui a trouvé
la mort au bout de son chemin glorieux. Cette tension secoue une culture amorphe,
elle donne un dernier coup salvateur dans la fourmilière. You don’t know what
love is propulse cette violence au sommet des ventes, en offrant aux radios les
refrains irrésistibles dont elles raffolent. Il représente le coté attrayant de
ce festival de riffs lancé sur différents tempos, ces tornades plantées dans
différents territoires. Véritable corrida blues , Conquest représente lui aussi
cette maudite bénédiction que fut le succès du groupe.
Les White Stripes résument
d’ailleurs tout dans le documentaire offert en bonus sur le live « under
great northern light ». Entre les concerts , le duo jamme librement , ses
improvisations semblent s’imprégner des terres qu’il visite. Le live s’ouvre d’ailleurs
sur une symphonie de cornemuse, avant que le riff de lets shake hand n’ouvre les
hostilités sur un boogie particulièrement puissant. Icky thump n’est pas
seulement un champs du cygne, il exprime la grandeur d’une gloire mondiale, qui
n’aura duré que quelques années. Les crises d’angoisse de Meg ne font qu’empirer,
et le groupe sombre de nouveau dans une longue période de silence.
La rumeur court déjà que
le duo est foutu , qu’il va rejoindre les libertines et les strokes au panthéon
des derniers héros disparus. L’avenir lui donnera malheureusement raison ,
faisant ainsi de Icky thump le dernier épisode d’une carrière parfaite, le
crépuscule d’un minimalisme qui régénéra la pop.
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