Où sont partis les chanteurs de la trempe de Johnny Cash ?
Sa mort semble avoir sonné la fin d’une certaine
catégorie de musiciens, ceux qui incarnaient tant leurs musiques, qu’elles
semblaient couler dans leurs veines. C’est le dénominateur commun des grands du
blues, de la folk, et bien sûr du rock. Le moule s’est cassé, quelque part entre les sixties et les seventies. Pour le blues, le mojo a perdu de sa
mystique si particulière quand les grands pionniers sont sortis de leur âge d’or.
Les anglais en font toujours autre chose, ils le soumettent
aux canons de la pop, ou le joue à une puissance, qui ne peut que restreindre l’écho
de ses notes. Du coup , les jeunes Américains s’adaptent, et , si leur formule
est moins diluée , elle ne fait que diminuer en pureté au fil du temps. Du côté
de la country , Hollywood a fait le boulot , imposant ses playboys propres sur
eux et ses BO insipides. Le countryman devenait un bucheron du dakota cherchant
la gueuse depuis des années, une lavette niaise pour des films aussi bêtes qu’une
série sentimentale.
Les phénomènes anthropologiques étaient encore vivaces ,
mais le talent d’hommes comme Steave Earl n’est qu’un diamant dans un amas de
fumier. Le constat est le même de tout côté. La folk est morte avec Dylan, le
rock n roll a perdu son âme après Chuck Berry, et le blues appartient pour
toujours à la génération de BB King.
Les années 60/70 furent merveilleuses car elles s’émancipèrent
des vieux repères , pour écrire leur propre histoire, mais le côté puriste qui
vivait dans son ombre se fait de plus en plus mourant. Les responsables de cette
déchéance le regrettaient parfois , Lennon a publié un disque de vieux rock n
roll , et les stones ressemblent de plus en plus à de vieux bluesmen.
De temps en temps , un jeune sorti des âges primaires vient nous gratifier de la vieille chaleur de ses modèles. Bonamassa y parvient
parfois, Warren Hayne s’y réfère souvent, mais il se passe des années avant qu’ils
retrouvent cette patine enivrante. Leurs disques sont des anomalies du temps ,
le cri de révolte d’une splendeur qui refuse de mourir.
White Buffalo est tout de même l’enfant d’une culture qui
gagne en importance, l’ombre des années 80 s’efface, et l’image de la musique
est libérée de son filtre déformant. La country mûrit dans cet homme comme le
bon vin dans ses fûts et , après avoir inscrit ses mélodies aux génériques de
sons of anarchy , le voilà qui nous livre son grand disque.
Ce qu’il appelle « the widow’s walk » , ce sont
les balcons sur lesquels les femmes de marins tentent d’apercevoir le retour de
leur mari. L’image aurait pu être pompeuse , mais l’homme sait ménager ce
romantisme poignant , qui fit la grandeur de Springsteen sur Born to Run. On
pense d’ailleurs largement au boss quand cette voix vous secoue l’âme, comme le
cri rageur de l’homme face à l’histoire.
Le charisme de White Buffalo est tout de même plus
introspectif que le romantisme grandiloquent de Bruce. Il donne le même
sentiment que celui du voyageur regardant le paysage défiler par la fenêtre. A
travers cette route, c’est son propre chemin qu’il revisite, ressassant intérieurement
ses regrets , et des triomphes dont le temps a trop rapidement éparpillé les
bénéfices.
De la douceur country rock d’about love , et autres
bluettes introspectives , on passe à la rage punk folk de no history. L’humanité
de ces berceuses pop côtoie la force de rock rageurs , portés par une voix de
guerrier habitée par la sagesse de ses ancêtres. Cette force, c’est l’humanité
et la rage féroce se côtoyant dans les films de Peckinpah , le désespoir et la
rage de réussir des héros Steinbeckiens.
C’est une musique cinématographique, qui vous propose un décor
sur lequel calquer votre propre histoire. Springsteen était « la
conscience de l’Amérique » , White Buffalo sera son cœur. Cette force nous
ramène une nouvelle fois dans la prison de folssom , quand Johnny Cash
transformait les détenus en gosses émerveillés en parlant leur langage , notre
langage, le langage universel.
Ce charisme-là ne naît que dans ces moments si particuliers,
où l’humanité semble s’exprimer à travers la musique. Et c’est précisément le
cas ici.
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