Dans le studio où ils enregistrent second Winter, John et
Edgar sentent qu’ils sont en train de réussir un gros coup. Les deux hommes
récoltent les fruits d’un parcours initiatique qui les mena au cœur du blues.
Edgard se souvient encore de son arrivée à Jewtown , refuge des esclaves libérés
de leur servitude, et qui est devenu la nouvelle place forte du blues. C’est
là que d’ex musiciens d’Howlin Wolf croisèrent la route du Paul Butterfield
Blues Band. Avec l’arrivée de jeunes blanc becs fascinés par la musique afro
américaine , Jewtown était devenu le second coup porté à la ségrégation
raciale.
Accompagné par les ex musiciens d’Howlin Wolf ,
Butterfield crée un blues métisse , fruit de la rencontre entre la pop et le
blues. Avec second Winter , les frères terribles du blues moderne produisaient
l’aboutissement de cette démarche , le blues électrique le plus puissant et
pur. Les hard rockers commençaient à conquérir le monde , mais ils
représentaient déjà une sorte de post blues, une musique qui déformait ses
références jusqu’à les rendre méconnaissables. Les Winter étaient d’une autre trempe,
il jouaient le blues avec l’énergie du rock
, savaient être véloce sans détruire la tradition.
C’est d’ailleurs ce que le public salua, lorsque Johnny
Winter vola la vedette à led Zeppelin, lors d’une performance impressionnante. Cet
albinos virevoltant incarnait le rock dur , énergique , mais n’entrait
pas dans les gimmicks pompeux du groupe de Jimmy Page. Les riffs étaient rapides , secs comme un coup de trique , et tranchants comme ceux de Johnny Be Good ou
Roll over Beethoven. Cantonné derrière son clavier, Edgar sent qu’il est temps
qu’il sorte de l’ombre de son flamboyant frère.
Multi instrumentiste talentueux , le cadet de la fratrie
enregistre seul son premier album. Nous sommes alors en 1970 et, ramolli par les rêveries de King Crimson, le
jazz rock est devenu un édredon magnifiquement alambiqué. De soft machine à
Caravan , en passant par Camel et Zappa , le free jazz est désormais un jouet pour virtuose avant gardiste. Entrance remet le jazz au pas , ravive son swing
et le met de nouveau au service du blues rock.
Le loup entre sournoisement dans la bergerie, Edgar flatte les oreilles élitistes pour mieux les détourner. Le titre d’ouverture
donnera d’ailleurs des idées à Todd Rundgren , qui s’inspirera de cette mélodie
pour créer la soul martienne de « a wizard a true star ». A partir de
cette introduction délicate, Edgar hausse progressivement le ton, le rythme s’accélère
doucement jusqu’à l’explosion finale. On a progressivement l’impression de voir
Coltrane danser avec BB king sur des rythmes dignes de Bo Diddley.
Avec ce disque, Edgar fait au rock progressif ce que son frère fit au hard rock , il le
ramène sur terre. Entrance, c’est la proposition d’une voie qui est novatrice
sans être élitiste, traditionaliste sans verser dans le fondamentalisme
stérile. Le Jazz et le rock montraient une nouvelle fois qu’ils dépendaient du rythme,
cette force mystique capable de faire naître le mojo.
Servie comme une longue suite de 23 minutes , la première
face montre un musicien luttant sans relâche pour maintenir son énergie de
moins en moins contenue. Ce premier acte, c’est l’anti prog par excellence, le
renversement des principes établis par Robert Fripp. Ici , on part de loin pour
revenir au bercail , on développe ses délires pop jazz avant de démontrer qu’ils n’étaient qu’une nouvelle version de totems vénérés.
C’est un peu comme Soft Machine devenant progressivement
un groupe de néo Jazz , mais il leur fallut 5 albums pour effectuer cette
mutation. Le rock était pour Edgar ce que le jazz fut pour soft machine. Il
était déjà dans l’ADN des premières minutes de entrance , il suffisait à Edgar de libérer sa fougue progressivement.
Entrance est un disque unique dans sa discographie, il se
tournera ensuite vers un cocktail plus conventionnel de rock , jazz et soul. Sa
vraie nature ne pouvait sans doute pas être contenue plus longtemps, tout était
de toute façon dit ici.
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