Nous sommes à l’aube des années 60, et deux musiciens
paient le prix de leurs rêves dans un entrepôt de Londres. L’Angleterre offre
encore toute une série de métiers assommant, à ceux pour qui devenir patron d’entreprise
n’est pas le but ultime de l’existence. C’est là , dans ces usines où souffrirent une bonne partie des futures rock stars , que John Frederick Field
et Anthony Christopher Duhig se rencontrent. Nous sommes à l’aube des sixties
et les deux hommes sont accros au jazz et aux musiques traditionnelles
asiatiques.
Ils ont ainsi les mêmes passions pour le jazz et le
mysticisme oriental que les grands écrivains beat, et ressemblent à deux hippies perdus au milieu de la perfide albion. Entre deux improvisations exotiques,
les musiciens fréquentent assidûment les bars de la capitale. La ville commence
alors à être secouée par un raz de marée sans précèdent. Stones , Who , Kinks,
toute une série de groupes biberonnés au rythm n blues commencent à faire
swinguer la capitale. Symbole de cette prise de pouvoir, des graffitis « Clapton
is god » proclament fièrement l’avènement de cette nouvelle pop.
Nourri par ce rythm n blues rageur, le duo commence à
électrifier ses compositions tribales. Pour entrer dans le moule d’une époque en
ébullition, il finit par former un groupe de rythm n blues. Privé d’avenir dans
son pays, la formation s’expatrie en Espagne, où elle sort une poignée de
singles anecdotiques. Le groupe rentre ensuite dans une capitale qu’il retrouve
transformée. Nous sommes alors en 1966 , et Revolver a fait basculer la pop
dans un magnifique délire.
Le chef d’œuvre des Beatles ouvrait la voie à une musique
hypnotique, des mélodies métamorphosées en portes ouvertes sur un nouvel
univers. Ce nouvel univers ne cessait de croître, prolongé par les premières
innovations de Pink Floyd , des Kinks , et autres Moves. Dans ce contexte,
Anthony Christopher Duhig et John Frederick Field mettent fin à leur groupe de rythm n blues.
Ils forment ensuite Jade Warrior , la formation chargée de
porter des ambitions artistiques qu’ils peuvent désormais assumer. A une époque
où la pop part dans les délires les plus improbables, le groupe est vite signé
par le label Vertigo. Un premier album sort rapidement, et semble encore trop
fou, même pour cette époque fantastique.
Jade Warrior ressemble pourtant au portrait de son
époque, c’est un autre manifeste d’un rock en quête de nouvelles terres. Les
passages les plus feutrés sonnent comme King Crimson perdu au milieu des
forêts japonaises. La flûte se joint parfois à la danse, et dresse des décors merveilleux,
que les grands du néo prog ne manqueront pas de prolonger. Puis la guitare
déchire la mélodie avec un son plus tranchant qu’une lame de katana.
Le rythm n blues entre alors dans une folie digne de
Jethro Tull. Sundial song aurait d’ailleurs pu faire partie d’aqualung, tant ce
blues de troubadour rappelle le charisme ancestral du groupe de Ian Anderson. La
guitare s’embarque ensuite dans une nouvelle chevauchée sanglante, sur un rythme
qui s’apparente à la chute de têtes fraîchement coupées.
Jade Warrior est fascinant grâce à ses contrastes, la
beauté de ses décors antiques y côtoie la violence d’envolées heavy rock. Même pour
le rock progressif, ce disque allait trop loin. Personne ne réussit à
comprendre ces percussions caverneuses, ce jazz rock teinté de mysticisme venu
du pays du soleil levant.
Jade Warrior développe ici une ambiance unique, une
beauté qui refuse de choisir entre la verve du heavy rock et la splendeur du rock
progressif. Jade warrior s’est servi du prog pour entretenir la splendeur de
ses décors sonores, alors que la violence heavy leur donnait plus de relief.
L’échec commercial de ce disque incitera le groupe à
sortir un second opus plus conventionnel , avant de partir dans une musique
encore plus alambiquée. Le groupe ne retrouvera plus jamais cet équilibre chatoyant,
cette beauté immédiate qui fait de ce jade warrior un grand disque oublié.
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