Dans l’Amérique de la fin
des années 40 le jazz est encore la musique la plus populaire, celle qui
illumine les bars et enchante les passants égarés. Il y’a des années, le be bop
a inventé le swing , et il réinvente cette découverte à chaque improvisation scénique.
Pourtant, en ces années d’après-guerre, un gamin fait beaucoup parler de lui.
Les anciens l’ayant croisé parlent avec dégoût de ce « crétin », tout juste capables d’enchaîner trois accords correctement. Les vieux bluesmen
étaient aussi attardés que ce Chuck Berry, mais en se mettant à l’électrique
ils ont créé un son qui menace leur bastion.
C’est ainsi que démarre un
affrontement entre la tradition établie, et l’expression d’un vent de liberté
qui souffle sur la jeunesse américaine. Considéré comme un jeune plein de promesse,
Miles Davis veut croire à la survie du be bop. Pour lui, sa voie est toute tracée,
il lui suffit de caler ses pas dans les traces des grands pionniers. Il
deviendra ainsi le prochain maître du swing originel, le nouveau maestro d’un
art ancestral.
C’est dans cet esprit qu’il
monte son premier big bang, le Miles Davis Quartet, et commence à inonder le
monde de son jazz raffiné. Tout allait bien, les mélodies somptueuses s’écoulaient
comme l’eau bénite d’un torrent merveilleux, mais une telle alchimie ne pouvait
durer. Accro à l’héroïne et alcoolique notoire , John Coltrane met en péril ce
précieux équilibre , et Miles n’hésite pas à le virer sans ménagement.
Livré à lui-même, Coltrane
retourne chez sa mère, où les textes religieux l’aident à se débarrasser de la « cold
turkey ». De cette aventure naît « a love supreme » , que l’on
peut considérer comme la renaissance de sa période symphonique. La spiritualité de
Coltrane illumine les mélodies enivrantes de « love supreme » , elle
représente pourtant les dernières merveilles d’une tradition qui se meurt.
Honnie par les maîtres de
Miles Davis , la popularité du rock ne cesse de croître , incitant les
meilleurs critiques musicaux à se recycler dans ce courant en pleine explosion.
Englué dans sa tradition, le jazz devient un totem du passé, une vieille beauté
honorable mais qui a perdu toute sa fraîcheur. C’est dans ce contexte que
Coltrane commence à développer sa personnalité musicale. Invité à jouer avec Thelonious
Monk , il pose les bases de ses cascades de notes , son jeu déchaîné rivalisant
avec l’excentricité du pianiste.
C’est à ce moment que
Miles Davis le rappelle pour faire partie de son nouveau projet. Conscient que le
jazz doit se réinventer, Miles crée des partitions sobres et épurées , oblige
ses musiciens à se limiter à un jeu primaire, pour régénérer l’excitation du
jazz. Si cette sobriété frustre un Coltrane qui s’épanouissait dans ses délires
excentriques, elle lui montre paradoxalement qu’il est sur la bonne voie. Avec « kind
of blue » Miles dotait le jazz de la simplicité du rock, initiant ainsi
une fusion qui pouvait être vue autrement.
Davis ramenait le jazz à
plus de sobriété, Coltrane va au contraire le rendre plus excentrique. Dans le
studio où il enregistre blue train , le batteur imprime un rythme binaire ,
swing hybride aux frontières des musiques afro américaines. On entrevoit d’abord un blues cuivré, un
torrent de notes où copulent jazz et blues rock . C’est aussi un free jazz funky,
les notes dansant parfois sur un rythme de fête, que Sly and the familie stones
ne manquera pas d’accentuer.
Blue Train est un de ces disques
dont la créativité déborde sur tout ce qui le suivra. Zappa s’en nourrira pour
faire renaître ce jazz qui « a une drôle d’odeur » , les anglais y
calqueront leurs rêves psychédéliques , et le blues y trouvera une nouvelle
splendeur chaleureuse.
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