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jeudi 30 juillet 2020

nouvelle rock Hippie 2

Top 10 tracks Rock Psyché - Dynam'Hit Webradio & Magazine

Il est bien plus facile d'être un enfant, un fou, qu'un homme adulte harmonieux. 
Aldous Huxley ; Contrepoint (1926)

Dans le véhicule , entre deux descentes d’acide , on parle plus de littérature que de musique. Huxley lisait les bonnes pages de son prochain livre, un essai à la gloire de l’acide. Pour lui, le progrès est en train de créer une humanité hystérique, enfermée dans un monde artificiel.

« La création de bébés sous cloches de verre dans le meilleur des monde n’est pas totalement une invention. Je n’ai fait que suivre la logique des événements récents. En créant une pilule contraceptive, l’homme a mis le doigt dans un engrenage dangereux. Séparer l’acte procréateur du plaisir sexuel ne peut que mener à créer des bébés dans les laboratoires. L’homme s’est radicalement coupé de la nature, il réinvente les lois biologiques.

Libérée de son rôle de procréateur, la femme pourra elle aussi passer 8 heures par jour à s’abrutir dans un bureau. Il faudra alors permettre à toutes ces femmes d’obtenir une descendance quand elles le souhaiteront, et ce peu importe les lois de la fertilité. L’enfant deviendra ainsi un produit, que l’on fabriquera selon l’idée que la plupart se font de la perfection humaine. »

Huxley eu alors un petit rire nerveux, comme si cette perspective l’amusait autant qu’elle l’effrayait.

« Le LSD est peut être notre dernier espoir de ne pas devenir une société où l’homme devient un produit standardisé. Sous l’influence de l’acide, l’esprit humain retrouve sa spontanéité, il renoue avec le monde. »

Sur cette leçon, Clint gobe un nouvel acide, alors que le précédent n’a pas fini d’agir. La dernière chose que notre héros entend, c’est le cri de Ken Kesey annonçant l’arrêt du véhicule à Austin. Il se réveille après un sommeil qui lui parait avoir duré une éternité. Transporté dans une salle aux couleurs flashy, Clint est scruté avec admiration par un homme à l’allure bizarre.

Avec sa barbe de Mariashi et son regard agité, Rocky Ericson ressemble à un freak perdu dans le désert un soir de mauvais trip. Le voilà qui se met enfin à parler après une période d’observation gênante.

« Mec tu as eu un de ces trip ! Tu nous a parlé toute la nuit d’un monde horrible, où les hommes naissent sous des cloches de verres, et où les pauvres sont condamnés à mourir sous terre. »

Là-dessus, Rocky tend ses bras dans une posture mystique, la lumière entoure son corps comme une auréole divine.

« Il faut te libérer de tes mauvaises ondes, sinon l’acide ne fera que révéler tes tourments. Avec le 13th floor elevator , on a créé la musique capable de libérer les âmes contrariées comme la tienne. »

Rocky emmène ensuite Clint dans une cave humide et lugubre, une pièce si peu entretenue qu’elle ressemble à une grotte souterraine.  Autour du groupe, des cruches en terre cuite sont disposées dans un cercle qui semble suivre le procédé d’un rituel voodoo. Rocky prend place au milieu de ses musiciens, le batteur imprime un rythme répétitif , vite rejoint par les boucles fascinantes créées par la guitare.

Placés dans les jarres, les micros restituent des sons défigurés par les échos , un magma déformant les sons comme l’acide brouille les formes. Cette musique berce Clint comme une onde purificatrice, c’est la création du trip musical parfait. Ne pouvant se retenir plus longtemps, il court vers le chanteur en hurlant.

« Il faut immortaliser ça sur disque ! Cette musique va réveiller le monde ! C’est l’incarnation du trip parfait ! » 

Sur ces mot , Ericson se dirige tranquillement vers l’image trônant au fond de la pièce. Clint avait d’abord pris cette peinture entourée de cierges pour une icône païenne, il s’agissait en réalité du premier disque du groupe.

« Garde le en souvenir de ton passage chez nous. »

Après lui avoir tendu l’album, Rocky regarde une nouvelle fois dans le vague, et commence à raconter la genèse de son groupe.

R.E :  La sortie de ce disque nous a créé tout un tas de problèmes avec les flics , on nous trouvait trop subversif , notre promotion du LSD menaçait une Amérique qu’ils croient parfaite. » 

C : Il faut dire que les Beatles eux même eurent des problèmes après que Lennon ait dit qu’ils étaient plus populaires que le christ. Alors je n’ose imaginer ce qu’a pu subir un groupe comme le tien, dont la musique est si proche d’un trip sous acide. 

RE :  Ils nous ont fait la totale , harcèlement pour des motifs douteux , garde à vue pour des motifs ridicules… Mais là n’est pas le plus grave. 

C :  Que veut tu dire par là ? 

R.E : Qu’on vit dans un pays où un type peut se faire tabasser en pleine rue sans que les flics qui l’ont amoché ne soient inquiétés par la justice , alors qu’un artiste allant trop loin risque presque sa peau. On vit dans une fédération bâtie sur des principes hypocrites. Ces principes sont surtout la pommade que l’on passe aux pauvres, pour leur faire accepter ce qu’on leur inflige. Pour le Vietnam on parle de la beauté du sacrifice pour la patrie, l’héroïsme de ces hommes luttant pour les valeurs universelles. Tout ce que l’on voit en réalité, c’est des pauvres massacrant des pauvres. Les riches ont les relations qui leur permettent d’éviter de subir les horreurs vécues par les soldats. 

C : Parce que tu crois que leur situation ici est plus enviable ? On leur promet une reconnaissance qu’ils n’auraient jamais autrement, alors les types courent. 

R.E : Mais justement ! On les habitue à cette fatalité. La télévision est une nouvelle étape dans cet abrutissement des masses laborieuses. La caméra ne montre pas la réalité, elle permet de construire une vision de cette réalité. On te montrera toujours le brave flic, défenseur de l’ordre public , luttant au péril de sa vie contre une foule haineuse. Si le type était passé quelques jours plus tôt, il aurait vu la cause de ces émeutes, il aurait filmé ces ghettos moisis et sans opportunités. 

C : Pourtant votre musique n’est pas politique. 

« Tu rigoles ? Que peut-on faire de plus politique que ça ? On éveille le grand cinéma intérieur que devrait être chaque cerveau humain, on l’encourage à se libérer des conventions. Alors oui, on n'impose pas de voies , on ne dessine même pas de doctrine , mais on montre que la réalité actuelle n’est pas une fatalité. Il faut inventer des choses folles , des trucs qui semblent sortir d’une autre planète , ça transporte les gens sur les hauteurs où l’establishment ne pourra pas les récupérer. Le quotidien est l’opium du peuple autant que la religion, sort le peuple de ses habitudes morbides et tu lui montres déjà une voie vers sa libération. »

Après avoir prononcé ces mots , Rocky Ericson se lève , et tend à Clint l’affiche d’un concert du Paul Butterfield blues band.

«  C’est leur premier passage à San Francisco. Tu as déjà croisé les groupes de ce coin ? »

« J’ai entendu jouer le Grateful Dead lors des acides test , mais leur musique n’a rien à voir avec la votre. »

« Et bien tu vois , Jerry Garcia est le portrait type de ces folkeux crasseux. Je l’ai croisé une fois il y’a quelques jours , il ne sait parler que de Dylan. »

« Dylan est quand même le guide de notre génération, parler de lui c’est parler de la révolution en marche. »

« Il l’a toujours nié, il sait mieux que quiconque que cette admiration est contre-productive. Oui Dylan est important, mais ses mots n’ont fait qu’entamer un processus de libération qu’il faut poursuivre. »

Là-dessus , Rocky se lève une nouvelle fois , et met délicatement en marche le tourne disque poussiéreux qui trône au fond de la cave. Aussitôt, un blues exotique sort de ses enceintes , la complainte se lance dans une fresque délirante.

« Tu vois, c’est la musique du futur. Si les folkeux entendent ça, on va assister à un vrai raz de marée.  Bloomfield a goûté à l’acide, il s’en est servi pour réinventer le mysticisme blues. Finies les lamentations de ramasseurs de coton ! Le blues va devenir la base d’un chant révolutionnaire ! L’hymne d’une génération qui va sauver l’humanité de la folie. »

Cette déclaration n’empêchera pas les deux hommes de passer la soirée à alterner entre les classiques d’howlin wolf , et le dernier album du Paul Butterfield blues band. Les deux artistes se complétaient magnifiquement, comme si le vieux Wolf avait consciemment écrit l’intro du blues psychédélique de ses descendants.

Ce soir-là, Clint compris que ce n’était pas seulement le blues qui s’apprêtait à changer de visage, mais la pop toute entière.      

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