Né en 1914 , le jeune Herman vie d’abord une enfance
paisible. Bon élève, il montre très vite des dons pour la musique. Dès l’adolescence,
il lit des partitions, et peut rejouer une musique entendue la veille. Sa vie
bascule une première fois en 1942, lorsque la folie des Japonnais fait entrer l’Amérique
dans la seconde guerre mondiale. Herman est un pacifiste convaincu, et sa foi
catholique l’incite à refuser de participer au conflit.
Réformé pour « trouble schizophrène », le jeune
homme passe quelques jours en hôpital psychiatrique. Comme le décrivait Ken
Kesey dans « vol au-dessus d’un nid de coucou », ces établissements
ne soignent souvent rien d’autre que l’anti-conformisme. Le fou est d’abord
celui qui refuse de voir la réalité de façon conventionnelle, et les hôpitaux
psychiatriques tentent de lui imposer ce conformisme. Si certains lâchent
totalement la rampe , c’est autant à cause de la pression de la bonne société,
que par la faute d’une supposée maladie. Au
milieu de ces rejetés de l’Amérique, Sun Ra entre dans un sommeil agité , une
révélation lui apparaît en songe.
Au réveil, il affirme que des martiens sont venus à lui,
pour le supplier de quitter ses études. Selon eux, Herman doit diffuser sa
musique pour sauver le monde de la décadence. A sa sortie d’hôpital , il part
pour Chicago , et commence à jouer en compagnie de quelques bebopper locaux. Le
Be bop est encore au sommet de son swing primitif, mais Sun Ra ne peut
continuer à jouer cette vieille tradition très longtemps.
Entre deux concerts , il passe son temps dans une
bibliothèque maçonnique , où il découvre l’univers mystique qui sera le sien.
Il se défait alors de son nom, qui était trop lié au passé d’esclave de sa famille,
et se renomme Sun Ra. Les concerts de bebop lui on permit de s’entourer d’un big
band qu’il nomme l’arkestra , avant de partir vers New York.
Nous sommes déjà au milieu des années 60 , les Merry
Prankers ont diffusé le LSD dans toute la ville, et les premiers freaks
découvrent le charme du rock psychédélique. Débrouillard, Sun Ra parvient déjà à
diffuser ses premières œuvres via un label qu’il vient de créer. Porté aux nues par les beatnik , Sun Ra débarque sur scène en se présentant comme un extraterrestre
envoyé sur terre. Cette affirmation surréaliste parait presque crédible quand ,
déguisé en dieu égyptien , Sun Ra lance ses premières notes.
Encore lié au Be bop , sa musique part dans des structures folles , pose les bases du free jazz, qu’il
pousse encore plus loin que ne le fera Coltrane ou Miles Davis. De 1965 à 1968
, Sun Ra et son orchestra vivent en communauté fermée , et ne sortent que pour
livrer des prestations hallucinées, devant un public qui ne comprend pas ce
qui lui arrive.
Sorti en 1968 , Magic City est le fruit de cet
enfermement mystique. A force de jams délirantes , l’arkestra est devenu le
prolongement de l’esprit formidablement tordu de son créateur. A la première écoute,
ce disque vous repousse violemment, il détruit tous vos repères musicaux. La compréhension
d’une telle musique ne peut être totale, ses notes sont comme des cerfs fuyant quand
le voyageur approche trop.
On pense pouvoir se laisser bercer par l’écho du piano,
vite rejoint par des percussions swingantes, sur fond de synthé spatial. La
mélodie est presque charmeuse, et donne l’impression
d’entrer dans un bebop martien. Puis la tension monte, les flûtes se font plus stridentes,
le synthé plus menaçant.
Magic City est un volcan aux éruptions soudaines, une
pièce dont on reconnait la cohérence sans pouvoir prévoir ses prochaines envolées.
Les notes s’approchent et s’éloignent , le rythme ralentit pour accélérer
brusquement, le décor se fait primitif puis futuriste.
Magic city embarque le jazz sur une autre planète, il a
le charme mystérieux de Brazil ou l’armée des 12 singes. Sun Ra est le Terry
Gilliam du Jazz , il emmène l’auditeur dans un monde aux règles étranges.
Gilliam semblait réinventer la narration , mélangeant les évènements dans un
chaos étonnement cohérent, Sun Ra fait la même chose avec ses notes.
Passé les premières réticences, ce disque devient une
véritable obsession. Le primitif d’un rythme tribal brise soudainement la
quiétude d’un jazz atmosphérique, nous donnant ainsi l’impression de faire un
bon de 1000 ans en quelques notes. On commence alors à se demander si ce n’est
pas notre société trop évoluée qui nous empêche de s’immerger totalement dans ce
chaos magnifique.
La grande force de Sun Ra et l’arkestra se trouve aussi là,
cette complexité semble née du hasard, comme si la musique était logiquement
partie dans ces contrées inconnues. Il suffit donc de se laisser porter par cette
folie douce pour ressentir toute la grandeur de ce chaos visionnaire.
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