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samedi 15 août 2020

Johnny Winter 2

Live at Bill Graham's Fillmore West 1969: Bloomfield, Gravenites ...


«  A une époque où tout fout le camp, dans un enfer où les gosses délirent sur des mélodies gluantes, Johnny Winter crée un oasis pour les derniers hommes sensés. Le rock n roll est comme les héros de ces saloperies de comics. Il peut se faire massacrer, torturer par des psychopathes meurtriers, recouvrir des pires immondices imaginables, il se relèvera toujours pour botter les fesses de ceux qui l’ont outragés. Le premier album de Johnny Winter ne représente rien d’autre que ce retour salutaire. C’est bien simple , depuis que Mike Bloomfield s’est mis à délirer sur east west , Johnny Winter est le dernier homme qui permet au rock de garder un peu de dignité. »

L’intéressé jubilait, un tel éloge réussit presque à faire rougir sa peau d’albinos. Il partageait en partie l’avis de son admirateur, mais aurait aimé pouvoir nuancer sa critique de Bloomfield. Le premier album du Butterfield blues band réussissait l’exploit d’apporter le Chicago blues aux masses.  Bloomfield et Paul Butterfield avaient jammé avec les grands prophètes du blues, et les avaient tant impressionnés qu’Howlin Wolf leur légua son groupe. On ne mesure pas l’ampleur du séisme déclenché par ce premier disque, le nombre de petits frères qu’il eut ensuite au pays et en Angleterre. Clapton, Canned Heat , et même Creedence clearwater revival , tous perpétuaient le swing électrique de ce premier disque.

Ce swing , Le Butterfield blues band l’a dans le sang , et il n’a pas disparu avec les expérimentations d’east west. La première face de l’album était d’ailleurs trempée dans le même mojo sacré que le premier album. Si la seconde face était plus aventureuse, le message donné aux autres musiciens restait clair : « Emmenez le truc où vous voulez mais n’oubliez pas votre swing en route ! »

Et ce swing , Bloomfield ne l’a jamais perdu , ses fils spirituels étaient d’ailleurs là pour le prouver. Un peu plus tôt , dans un disquaire du coin , Johnny avait pu écouter Happy trail de quicksilver messenger service , et le premier grateful dead. Ces deux disques étaient dans la droite lignée de ce que Bloomfield a engagé sur east west. Ce mojo là était plus mystique, ses échos devenaient hypnotiques, mais on était loin du saccage décrit par certains. Il s’agissait juste d’une génération se réappropriant le blues, pour remplacer le spleen des grands bluesmen par les rêves d’évasion de la jeunesse hippie. Si il défendait une vision beaucoup plus pure du blues, Johnny trouvait cette réappropriation saine.

Alors qu’il était dans ses pensées , un roadie vint enfin lui annoncer qu’il était temps de monter sur scène. Perdu dans ce bar, après que ses insomnies lui ait imposé une nouvelle nuit blanche, Mike Bloomfield n’en croyait pas ses yeux. Le guitariste au teint livide enchaînait les riffs à une vitesse folle, tout en réussissant à entretenir ces fameux échos, qui font la grandeur du blues. Se convulsant au rythme de ses accords, il criait ses refrains à contretemps, avec la conviction du grand Wolf au sommet de sa grandeur. Ses doigts émaciés parcouraient le manche de sa guitare avec une précision telle, qu’on avait l’impression que ses doigts étaient attirés par des aimants incrustés dans le manche.

Reprenant la tradition des grands troubadours noirs, il annonçait ses titres comme si l’idée lui était venue sur le moment. Bloomfield eu droit à un dépoussiérage du patrimoine blues, « back door man », « Hoochie coochie man » et « the hunter » retrouvant toute leur vitalité originelle entre les mains de ce virtuose au teint livide.

Après le concert, Bloomfield monte sur scène et demande une guitare. Spontanément, Johnny lui prête sa gibson , et sort de son étui une guitare blanche, qui sera immortalisée sur la pochette de captured live. Bloomfield entame spontanément le riff de catfish blues, et un dialogue s’installe entre les deux guitaristes. Après avoir rallongé ce boogie blues lors de longues minutes , Bloomfield dit simplement à Johnny de venir faire sa première partie au Fillmore le lendemain. Johnny n’eut pas besoin de répondre, les deux hommes s’étaient tout dit lors de leur passe d’armes bluesy.

Johnny Winter ne put fermer l’œil de la nuit, la pression liée à cette invitation lui interdisait tout repos. Le fillmore n’est pas une simple salle de concert , c’est un temple. A sa tête , Bill Graham annonce la musique de l’aire moderne. Par la seule force de son caractère légendaire, ce survivant de la shoah avait bâti un véritable empire , inventant ainsi le rock business. Les hippies le détestaient, et le décrivaient régulièrement comme un businessman venu profiter de la popularité du rock. Mais un homme uniquement attiré par le business n’aurait pas pu ouvrir sa salle en invitant un panel de musiciens inconnus. Les mother of invention, les allman Brother , et une bonne partie de la scène de San Francisco n’était rien avant de jouer dans sa salle. Bill leur a donné la chance qui leur permit de conquérir le monde, et les labels ont fait de sa salle un de leur terrain de chasse préféré.

Bref, c’était l’endroit où un groupe américain devait réussir, si il ne voulait pas finir sa vie dans les bars miteux. En plus, le concert que Johnny devait ouvrir promettait de devenir le plus grandiose de Bloomfield. Après quelques jours d’absence , le guitariste du Butterfield blues band avait invité Nick Gravenite. Le petit homme rondouillard était déjà une sommité dans le monde du blues , où on vantait sa voix envoutante et ses talents de songwritter. Des rumeurs annoncent d’ailleurs qu’il travaille sur des morceaux qui seront chantés par Janis Joplin.

Bref , il allait servir d’introduction au grand retour du plus grand bluesman de son temps. Il passa ainsi la nuit et la journée du lendemain à jouer le blues, jusqu’à atteindre la perfection. De cette manière, l’heure fatidique arriva vite et, en entrant dans la salle, il se sentit écrasé par l’immensité du bâtiment . Bill Graham l’accueillit en personne, lui montra comment brancher sa guitare à l’incroyable mur d’enceintes placé au fond de la scène , et essaya de le rassurer.

« Ne t’inquiète pas , tu joues sur la meilleure sonorisation de tout le pays . La seule chose que je te demande, c’est de faire au moins un rappel. Le seul qui ait essayé de refuser quand il est passé ici, c’est Mick Jagger. Je peux te dire que j’ai renvoyé ce con sur scène ! Stones ou pas , quand le public demande un rappel on lui donne ! »

Il n’osa préciser que sa position de première partie ne lui donnait pas forcément la liberté de prolonger sa prestation, et fut rassuré par l’ovation qui accueillit l’entrée de ses deux musiciens. Le groupe qui jouait sur « the progressive blues experiment » n’existait déjà plus, Johnny l’avait viré pour coller à la mode du power trio.

Comme souvent, cette tendance était venue d’Angleterre, où Cream dépassait les frontières de l’acid blues lors d’improvisations interminables. Féru de Jazz , Ginger Baker était le moteur de ces explorations sans filets, et son inventivité rythmique ne tardera pas à influencer une nouvelle génération de batteur.

Et puis il y’avait eu l’experience , le trio le plus emblématique de cette fin de sixties. Johnny avait été ébloui par « are you experience » , mais il savait que cette virtuosité unique ne pourrait qu’être caricaturée. Avec ses distorsions grandiloquentes, Hendrix avait initié une vision du guitar hero bien loin de sa finesse. Tous les magazines vantaient ainsi cette puissance déchirante, et une vitesse d’exécution à faire pâlir Alvin Lee.  On commençait déjà à voir débouler des groupes comme Blue cheers , Pink fairies , dont les guitaristes avaient pris les délires des journaux un peu trop au sérieux. Hendrix parvenait à donner à chacune de ses notes un écho passionné, comme si sa guitare n’était que le moyen d’expression de son âme voodoo, et cette virtuosité ne peut que disparaître avec lui.  

Dans cette époque, il y’avait une place à prendre pour un bluesmen comme Johnny Winter , et il comptait bien en profiter. A la batterie, John Turner imprime le rythme de « I’m yours and I’m her » , premier titre d’un second album que le trio espère enregistrer au plus vite. C’est un rock réduit à l’essentiel, un riff qui suit la tradition binaire de Chuck Berry, et dont Johnny ne s’éloigne jamais longtemps. C’est le début d’un round où Johnny travaille la foule au corps , lui réapprend à apprécier l’efficacité d’un rythme simple amplifié par un riff tranchant.  
Là où les autres ne font qu’accélérer au fur et à mesure de leurs prestation, Johnny semble au contraire ralentir le tempo, il laisse progressivement plus de place au groove originel.  Long Tall sally, summertime blues , back door man, tous ces titres sont joués avec le charisme nonchalant des grands du Missisipi. Ce soir, le blues reprend le contrôle de son enfant terrible, et copule avec lui dans une grand-messe vouée au mojo. Quand il achève sa prestation sur « I ‘ll drown in my tears » , il ressemble tout à fait à ses maîtres exploités.

Après une telle prestation, alors qu’il range sa guitare, un homme rondouillard s’approche de lui backstage.

-          Je me présente, Bruce Houghton, manageur et chercheur de talent pour Columbia.
-          Vous allez enregistrer mon second disque ?
-          Tu es direct gamin ! J’aime ça. Justement, pendant que tu jouais j’ai contacté les studios d’enregistrement. Ta place est réservée, tu signeras ton contrat là-bas.
-          Vous m’emmenez ?

Après avoir rameuté son trio, Johnny partit directement en studio. L’énergie de son concert n’était pas encore retombée, et il fallait capturer ça tant que le fer était encore chaud.          

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