Johnny a donc aiguisé son jeu,
mais n’allez pas croire qu’il a laissé tomber le feeling de ses modèles. C’est
même tous le contraire, « Johnny Winter » est un pur album de blues
, il atteint la frontière qui le sépare du barnum rock , sans jamais la
dépasser. Mean Mistreater a d’ailleurs toute la puissance menaçante que Led
zeppelin et Cactus reproduiront quelques mois plus tard. Contrairement à eux,
Johnny ne tente pas d’embarquer cette puissance dans de longs délires sauvages.
Il sait qu’il a atteint une limite indépassable, que toute fioriture sonnerait
comme une trahison de son identité artistique.
Si il avait parsemé des
titres comme I m yours and I’m her de solos interminables, nous le saluerions
aujourd’hui comme le père du hard rock. Mais il ne veut pas de ce titre, et
balance ses solos dans l’urgence, s’empresse de raccrocher son riff à la rythmique pour préserver son swing.
Une trop grande incartade à ses principes puristes aurait donné à « good
morning little schoolgirl » , When I got a friend , ou « I’ll drown
my own tears » des airs de symboles du passé.
Tout le charme de cet
album est contenu dans cet équilibre fragile entre la violence de son époque,
et la somptuosité de ses balades bluesy cuivrées. « Johnny Winter »
est un album unique dans la carrière du texan, il ne retrouvera jamais cette sensibilité,
cette classe dans la violence comme dans la douceur. « I’ll drown my own
tears » donne d’ailleurs l’impression que Johnny rend hommage à cette Ella Fitzgerald qui fut à l’origine de sa vocation musicale.
Sur la pochette , son
visage apparait d’ailleurs dans un décor lugubre , comme le visage d’Ella chantant
le blues de Pete Kelly. Ce second album, c’est le blues d’un gamin qui a
réalisé son rêve, et jette un dernier regard attendri sur le rétroviseur. Quelques mois avant la sortie de l’album, Columbia annonce à son poulain qu’il est à l’affiche
du festival de Woodstock.
Arrivé sur le site, Johnny
marche sur les décombres de ce qui devait être un guichet. Le festival devait
être payant mais, débordés par la foule, les organisateurs n’ont pas pu faire
payer les spectateurs. Quant au cachet des musiciens présents ce soir-là , il
est si dérisoire que Johnny préfère penser à autre chose. L’enthousiasme de sa
direction pour ce festival l’avait intrigué, et il avait décalé ses concerts pour
assister aux premières performances.
Tout était fou à Woodstock
, la foule , le manque totale de sanitaire, de nourriture , de boisson , l’organisation
anarchique. Malgré la chaleur , il faudra attendre le deuxième jour pour que
le site soit ravitaillé en eau et nourriture , et les concerts ne sont pas
mieux organisés. Placé en ouverture, le pauvre Ritchie Haven fut renvoyé sur scène
plusieurs fois pour occuper les spectateurs en attendant le groupe suivant.
Heureusement, sa prestation fut grandiose , trois heures de folk mystique
fascinante. Quand il acheva sa prestation sur « freedom » , il reçut une ovation unanime d’un public qui n’était pas encore descendu de ses sommets
mélodieux. La suite fut un peu moins passionnante, les délires mystiques de ravi
shankar ouvrant la voie aux miaulements prétentieux de Joan Baez. Le lendemain,
country Joe dut tenir la scène équipée d’une simple guitare sèche, le chanteur
de country joe and the fish redevint ainsi un chanteur folk moyennement
convaincant. Heureusement, la provocation puérile de son « Fuck »
repris par la foule sauva les apparences.
Le clown mexicain Santana
vint ensuite plaquer ses solos interminables sur des rythmes cubains, et fut
acclamé par les hippies, pour qui la moindre note exotique est signe de génie
musical. On saura par la suite que, totalement sous l’emprise du LSD , le type
n’a fait que délirer au milieu de percussions qu’il ne semblait pas entendre. Le
salut vint enfin de Canned Heat , qui ramena tout le monde sur les rives
magnifiques du boogie blues. Canned heat était le nouveau Butterfield blues
band, il jouait le blues avec une justesse qui devenait de plus en plus rare.
Ce n’était décidément pas
la soirée de la génération psychédélique et, après Santana et Country joe , ce
fut au tour du Grateful dead de se perdre dans ses improvisations. Le groupe ne
parvint pas à trouver son rythme, chacun moulinait dans le vide, et son rock
planant devenait une sous folk soporifique. Il fallut toute la puissance du
rock direct de Creedence cleawater revival pour réveiller des spectateurs
assommés par les accords ronflant du dead.
La suite fut heureusement
un feu d’artifice, qui atteignit son apogée lors du passage du Band. Ce soir-là,
le groupe de Bob Dylan a atteint le sommet de sa splendeur bluegrass rock.
Johnny passait juste après eux, ce qui était plus facile que de réveiller une
foule assommée par les catastrophes psychédéliques précédentes. Arrivé sur scène,
Johnny put étaler toute la puissance de son blues joué avec l’énergie du rock. Très
bluesy , la première partie culmine sur un « be careful with the fool »
qui atteint des sommets de groove nonchalant.
Puis Johnny se recula ,
laissant son frère Edgard prendre la direction d’une seconde partie de concert
plus rock. Quand les dernière notes de « Johnny Be Good » s’éteignent,
Martin Scorcese vient de filmer la naissance d’une des plus grandes fratries de l’histoire
du rock.
L’album Johnny Winter sort
quelques mois après ce triomphe, et son succès permet à Johnny de jouer dans la
cour des grands. C’est ainsi que les tous jeunes musiciens de Led Zeppelin ont
la mauvaise idée d’inviter le texan à effectuer la première partie de leur
concert, dans sa ville natale. Une bonne partie de la ville était venue
célébrer le retour de son fils prodigue. Sachant pour qui il ouvrait , Johnny
gratifia les spectateurs d’une prestation très rock , tendue et puissante. Cet
épisode trop peu raconté est un des grands moments de l’histoire du rock, une
rencontre aussi historique que le passage de Hendrix en première partie d’Eric
Clapton.
Ce soir là au Texas , le
progrès musical changeait de visage , il renouait avec une certaine retenue ,
se focalisait de nouveau sur le rythme. Quand Johnny acheva sa prestation sur
une version de highway 61 revisited boostée aux hormones , ses hôtes durent
regretter de l’avoir invité.
La plus grande férocité de
sa prestation n’était pas un simple calcul , elle correspondait à un virage
musical profond. Ce virage, c’est second Winter qui allait l’incarner. Sorti en
1969, la même année que le premier Led zeppelin , second Winter représente tout ce que les descendants de Jimmy Page détruiront. Ce n’est pas pour rien que le
disque fait cohabiter « highway 61 revisited 61 » et « Johnny be
good » , il se place dans la lignée de cette légèreté irrésistible. En
compagnie de son frère Edgard et d’un groupe plus fourni, Johnny combat le
hard rock sur son propre terrain, sans reproduire ses travers.
Les solos sont rapides et
courts , comme si la guitare se dépêchait de renouer avec le rythme qui fait l’essence
de son mojo. C’est que Uncle John Turner est particulièrement en forme, il
ressemble à un John Bonham ayant troqué sa folie bestiale pour une rigueur
métronomique. Huste down in texas annonce d’ailleurs les déchainements heavy de Deep purple , tout en atteignant une efficacité rugueuse dont le groupe de
Ritchie Blackmore ne pourrait même pas rêver
Le hard rock a pourtant déjà
gagné la bataille , les mômes sont devenus accros à ses effets de manche dès
que Jimmy Page a commencé à balancer ses solos pachydermiques. Mais toute une
arrière garde a décidé de défendre le bastion du heavy blues jusqu’à la fin. Cette
fin d’années soixante voit ainsi débarquer dans les bacs crickelwood green et
sssh de ten years after , le premier album de taste, et bien sûr let it bleed
des Stones. Second Winter est un des plus grands épisodes de cette résistance désespérée.
Si ce disque avait éclipsé le premier album de Led zeppelin, le heavy metal n’aurait
sans doute jamais existé, et le hard blues n’aurait pas servi à désigner tout
et n’importe quoi.
Malgré le fait qu’il
représente déjà la fin d’une époque, second Winter obtient un grand succès ,
mais son auteur veut ralentir le rythme
infernal de ses tournées. La pause qu’il s’autorise lui permet de monter un
nouveau groupe , et de préparer la suite de sa brillante discographie. Mis au chômage
technique, son frère Edgard en profite pour enregistrer son premier album solo.
Plus progressiste que son frère,
Edgard a le regard tournée vers l’Angleterre , il s’émerveille devant ces
groupes tentant de créer un rock « adulte ». Les anglais ont déjà abandonné
le blues puriste , ils se servent désormais de la musique symphonique et jazz
pour élargir le spectre musical du rock. Dans sa progression, la première face
d’entrance s’inscrit dans le sillon de la génération de Yes.
Cet enchaînement de
titres sublimés par des chœurs mélodieux et les larmoiements de violons et de
piano rappelle d’ailleurs la somptuosité rêveuse du groupe de Steve Howe. Cette
grande fresque pop sera d’ailleurs largement pillée par Todd Rundgren, qui en
tirera la splendeur de son album Todd.
La cohérence des premiers titres est irréprochable, et pourrait donner des leçons aux plus grands virtuoses
anglais. N’allez toutefois pas croire que les deux parties du disque sont comme
deux pièces clairement délimitées. Progressivement, la symphonie se durcit, s’épure,
jusqu’à exploser dans le brasier funk blues de « back in the blues. La
seconde partie arrive ensuite comme une apothéose déchirante, le rock revenu à
ses instincts primaires.
Alors que son frère semble
se battre pour préserver un rock sobre et épuré, son frère signe un premier
album aventureux et moderne. Johnny et Edgard deviennent alors les symboles du
combat qui déchire les rockers en cette fin sixties début seventies.
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