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dimanche 16 août 2020

Johnny Winter 3

Johnny winter/pochette cartonnee - Johnny Winter - CD album ...

Sobrement appelé Johnny Winter , le second album de notre albinos fait partie des joyaux définissant le blues rock. On retrouve ici la lutte entre le moderne et la tradition , qui faisait déjà la beauté de « the progressive blues experiment ». Mais la modernité a changé de visage , les échos hypnotiques ont fait place à des solos rapides et tranchants. Le tempo du rock a changé, des guitaristes comme Alvin Lee ou Hendrix ont remplacé les contemporains de Jerry Garcia, et la force et la vitesse sont devenues des principes sacrés. Pour être entendu, il faut désormais aligner un maximum d’accords , avec le maximum de puissance.


Johnny a donc aiguisé son jeu, mais n’allez pas croire qu’il a laissé tomber le feeling de ses modèles. C’est même tous le contraire, « Johnny Winter » est un pur album de blues , il atteint la frontière qui le sépare du barnum rock , sans jamais la dépasser. Mean Mistreater a d’ailleurs toute la puissance menaçante que Led zeppelin et Cactus reproduiront quelques mois plus tard. Contrairement à eux, Johnny ne tente pas d’embarquer cette puissance dans de longs délires sauvages. Il sait qu’il a atteint une limite indépassable, que toute fioriture sonnerait comme une trahison de son identité artistique.

Si il avait parsemé des titres comme I m yours and I’m her de solos interminables, nous le saluerions aujourd’hui comme le père du hard rock. Mais il ne veut pas de ce titre, et balance ses solos dans l’urgence, s’empresse de raccrocher son  riff à la rythmique pour préserver son swing. Une trop grande incartade à ses principes puristes aurait donné à « good morning little schoolgirl » , When I got a friend , ou « I’ll drown my own tears » des airs de symboles du passé.

Tout le charme de cet album est contenu dans cet équilibre fragile entre la violence de son époque, et la somptuosité de ses balades bluesy cuivrées. « Johnny Winter » est un album unique dans la carrière du texan, il ne retrouvera jamais cette sensibilité, cette classe dans la violence comme dans la douceur. « I’ll drown my own tears » donne d’ailleurs l’impression que Johnny rend hommage à cette Ella Fitzgerald qui fut à l’origine de sa vocation musicale.

Sur la pochette , son visage apparait d’ailleurs dans un décor lugubre , comme le visage d’Ella chantant le blues de Pete Kelly. Ce second album, c’est le blues d’un gamin qui a réalisé son rêve, et jette un dernier regard attendri sur le rétroviseur. Quelques mois avant la sortie de l’album, Columbia annonce à son poulain qu’il est à l’affiche du festival de Woodstock.

Arrivé sur le site, Johnny marche sur les décombres de ce qui devait être un guichet. Le festival devait être payant mais, débordés par la foule, les organisateurs n’ont pas pu faire payer les spectateurs. Quant au cachet des musiciens présents ce soir-là , il est si dérisoire que Johnny préfère penser à autre chose. L’enthousiasme de sa direction pour ce festival l’avait intrigué, et il avait décalé ses concerts pour assister aux premières performances.

Tout était fou à Woodstock , la foule , le manque totale de sanitaire, de nourriture , de boisson , l’organisation anarchique. Malgré la chaleur , il faudra attendre le deuxième jour pour que le site soit ravitaillé en eau et nourriture , et les concerts ne sont pas mieux organisés. Placé en ouverture, le pauvre Ritchie Haven fut renvoyé sur scène plusieurs fois pour occuper les spectateurs en attendant le groupe suivant. Heureusement, sa prestation fut grandiose , trois heures de folk mystique fascinante. Quand il acheva sa prestation sur « freedom » , il reçut une ovation unanime d’un public qui n’était pas encore descendu de ses sommets mélodieux. La suite fut un peu moins passionnante, les délires mystiques de ravi shankar ouvrant la voie aux miaulements prétentieux de Joan Baez. Le lendemain, country Joe dut tenir la scène équipée d’une simple guitare sèche, le chanteur de country joe and the fish redevint ainsi un chanteur folk moyennement convaincant. Heureusement, la provocation puérile de son « Fuck » repris par la foule sauva les apparences.

Le clown mexicain Santana vint ensuite plaquer ses solos interminables sur des rythmes cubains, et fut acclamé par les hippies, pour qui la moindre note exotique est signe de génie musical. On saura par la suite que, totalement sous l’emprise du LSD , le type n’a fait que délirer au milieu de percussions qu’il ne semblait pas entendre. Le salut vint enfin de Canned Heat , qui ramena tout le monde sur les rives magnifiques du boogie blues. Canned heat était le nouveau Butterfield blues band, il jouait le blues avec une justesse qui devenait de plus en plus rare.

Ce n’était décidément pas la soirée de la génération psychédélique et, après Santana et Country joe , ce fut au tour du Grateful dead de se perdre dans ses improvisations. Le groupe ne parvint pas à trouver son rythme, chacun moulinait dans le vide, et son rock planant devenait une sous folk soporifique. Il fallut toute la puissance du rock direct de Creedence cleawater revival pour réveiller des spectateurs assommés par les accords ronflant du dead.

La suite fut heureusement un feu d’artifice, qui atteignit son apogée lors du passage du Band. Ce soir-là, le groupe de Bob Dylan a atteint le sommet de sa splendeur bluegrass rock. Johnny passait juste après eux, ce qui était plus facile que de réveiller une foule assommée par les catastrophes psychédéliques précédentes. Arrivé sur scène, Johnny put étaler toute la puissance de son blues joué avec l’énergie du rock. Très bluesy , la première partie culmine sur un « be careful with the fool » qui atteint des sommets de groove nonchalant.

Puis Johnny se recula , laissant son frère Edgard prendre la direction d’une seconde partie de concert plus rock. Quand les dernière notes de « Johnny Be Good » s’éteignent, Martin Scorcese vient de filmer la naissance d’une des plus grandes fratries de l’histoire du rock.

L’album Johnny Winter sort quelques mois après ce triomphe, et son succès permet à Johnny de jouer dans la cour des grands. C’est ainsi que les tous jeunes musiciens de Led Zeppelin ont la mauvaise idée d’inviter le texan à effectuer la première partie de leur concert, dans sa ville natale. Une bonne partie de la ville était venue célébrer le retour de son fils prodigue. Sachant pour qui il ouvrait , Johnny gratifia les spectateurs d’une prestation très rock , tendue et puissante. Cet épisode trop peu raconté est un des grands moments de l’histoire du rock, une rencontre aussi historique que le passage de Hendrix en première partie d’Eric Clapton.

Ce soir là au Texas , le progrès musical changeait de visage , il renouait avec une certaine retenue , se focalisait de nouveau sur le rythme. Quand Johnny acheva sa prestation sur une version de highway 61 revisited boostée aux hormones , ses hôtes durent regretter de l’avoir invité.

La plus grande férocité de sa prestation n’était pas un simple calcul , elle correspondait à un virage musical profond. Ce virage, c’est second Winter qui allait l’incarner. Sorti en 1969, la même année que le premier Led zeppelin , second Winter représente tout ce que les descendants de Jimmy Page détruiront. Ce n’est pas pour rien que le disque fait cohabiter « highway 61 revisited 61 » et « Johnny be good » , il se place dans la lignée de cette légèreté irrésistible. En compagnie de son frère Edgard et d’un groupe plus fourni, Johnny combat le hard rock sur son propre terrain, sans reproduire ses travers.

Les solos sont rapides et courts , comme si la guitare se dépêchait de renouer avec le rythme qui fait l’essence de son mojo. C’est que Uncle John Turner est particulièrement en forme, il ressemble à un John Bonham ayant troqué sa folie bestiale pour une rigueur métronomique. Huste down in texas annonce d’ailleurs les déchainements heavy de Deep purple , tout en atteignant une efficacité rugueuse dont le groupe de Ritchie Blackmore ne pourrait même pas rêver

Le hard rock a pourtant déjà gagné la bataille , les mômes sont devenus accros à ses effets de manche dès que Jimmy Page a commencé à balancer ses solos pachydermiques. Mais toute une arrière garde a décidé de défendre le bastion du heavy blues jusqu’à la fin. Cette fin d’années soixante voit ainsi débarquer dans les bacs crickelwood green et sssh de ten years after , le premier album de taste, et bien sûr let it bleed des Stones. Second Winter est un des plus grands épisodes de cette résistance désespérée. Si ce disque avait éclipsé le premier album de Led zeppelin, le heavy metal n’aurait sans doute jamais existé, et le hard blues n’aurait pas servi à désigner tout et n’importe quoi.

Malgré le fait qu’il représente déjà la fin d’une époque, second Winter obtient un grand succès , mais son auteur  veut ralentir le rythme infernal de ses tournées. La pause qu’il s’autorise lui permet de monter un nouveau groupe , et de préparer la suite de sa brillante discographie. Mis au chômage technique, son frère Edgard en profite pour enregistrer son premier album solo.

Plus progressiste que son frère, Edgard a le regard tournée vers l’Angleterre , il s’émerveille devant ces groupes tentant de créer un rock « adulte ». Les anglais ont déjà abandonné le blues puriste , ils se servent désormais de la musique symphonique et jazz pour élargir le spectre musical du rock. Dans sa progression, la première face d’entrance s’inscrit dans le sillon de la génération de Yes.

Cet enchaînement de titres sublimés par des chœurs mélodieux et les larmoiements de violons et de piano rappelle d’ailleurs la somptuosité rêveuse du groupe de Steve Howe. Cette grande fresque pop sera d’ailleurs largement pillée par Todd Rundgren, qui en tirera la splendeur de son album Todd.
                                                                   
La cohérence des premiers titres est irréprochable, et pourrait donner des leçons aux plus grands virtuoses anglais. N’allez toutefois pas croire que les deux parties du disque sont comme deux pièces clairement délimitées. Progressivement, la symphonie se durcit, s’épure, jusqu’à exploser dans le brasier funk blues de « back in the blues. La seconde partie arrive ensuite comme une apothéose déchirante, le rock revenu à ses instincts primaires.

Alors que son frère semble se battre pour préserver un rock sobre et épuré, son frère signe un premier album aventureux et moderne. Johnny et Edgard deviennent alors les symboles du combat qui déchire les rockers en cette fin sixties début seventies.    
              
                                                                                                                                                                 

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