Alors qu’entrance fait une entrée discrète dans les bacs
des disquaires, Johnny Winter And le rejoint. Ce disque est sans doute le moins
connu de la carrière de l’ainé des frères albinos, c’est aussi une de ses plus
grandes réussites. Au fil de ses productions, Johnny n’a cessé de se
radicaliser , augmentant la puissance de son blues pour l’imposer à un public avide de grondements électriques. Après avoir lutté avec panache contre l’invasion
du hard rock, Johnny Winter a fini par absorber sa violence, sans réellement s’y
conformer. Johnny Winter And est le
disque le plus virulent du texan , et ce virage doit beaucoup à Rick Derringer.
Ce dernier est l’enfant du heavy rock , et ses riffs sont
imprégnés de la puissance plombée de purple haze , le brûlot hendrixien que tous
les contemporains de Jimmy Page tentent d’égaler. « Guess I’ll go away »
montre tout de suite l’apport de son jeu virulent, il transforme la rythmique
toujours métronomique de Winter en enclume venant pilonner vos tympans.
Ponctuant les assauts de ce swing sauvage , les distorsions deviennent des
lames de fond venues déchirer les poses pompeuses du gang de Blackmore , Page et
autres Tony Iommy.
Si Johnny consent enfin à jouer un rock plus radical, il
n’est pas encore prêt à céder aux clichés tapageurs qui font la légende des
nouveaux guitar hero. Quand il se laisse aller à de petites improvisations , c’est
toujours avec le soutien d’un groupe compact comme un bloc de béton. Prodigal
son montre bien cette discipline. Johnny ne se sert pas de ses musiciens comme
d’une rampe de lancement pour le propulser dans de grands délires solistes, ses
solos se fondent dans la masse, comme une puissance virtuose faisant décoller
son groupe vers des sommets rythmiques. Johnny est , avec Keith Richard , un
des derniers à considérer la guitare comme un instrument au service du swing.
En refusant d’en faire un totem devant lequel tout groupe
doit s’incliner pendant de longues minutes, il préserve le groove de ses
modèles. Si cet album doit être intégré à ce que certains appellent le « hard
rock » , il faudra le ranger au côté de AC/DC, Ted Nugent , ou Foghat, et
de tous ces groupes qui n’avaient de « hard » que la puissance
sonore. On pense aussi un peu au boogie excentrique d’Alice Cooper , qui ne
tardera d’ailleurs pas à récupérer Rick Derringer pour enregistrer « Killer ».
Johnny Winter And est le disque d’un musicien qui a
accepté la mutation du blues, et a pioché dans ses gimmicks pour poursuivre sa
légende. Ecoutez l’instrumental déchirant qui sert de point d’orgue à rock n
roll hoochie koo, et la grande envolée achevant rock n roll music , et vous
comprendrez pourquoi ce disque est un indispensable des seventies. Johnny s’applique
à rétablir le dialogue sacré entre les musiciens, cette symbiose qui fait la
grandeur du rock, et dont certains croyaient pouvoir se passer. Avec Johnny
Winter And , Johnny leur montre les sommets qu’ils ne pourront jamais
atteindre, leur réapprend l’humilité dans une grande fête heavy.
La tension qui parcourt ce disque est aussi liée à la
mauvaise passe que traverse Johnny lors de son enregistrement. Pour supporter
le rythme infernal des tournées, le guitariste a consommé toute une série de
drogues qui commence sérieusement à le miner. Si il ne réagit pas rapidement,
il risque de rejoindre les fantômes de Janis Joplin et Jimi Hendrix, il doit
donc commencer une longue cure de désintoxication. Pour promouvoir son dernier
disque, il n’aura eu le temps de jouer que deux concerts au Fillmore, qui sont
d’ailleurs sortis par sa maison de disque pour combler son absence.
Le procédé n’est pas nouveau, la plupart des groupes se
servent des live pour combler une période de vide créatif, mais celui-ci va s’avérer
grandiose. Nommé sobrement « Johnny Winter And » , le disque commence
sur la douceur blues cuivré de « good morning little schoolgirl » et « It’s
my own fault ». Issus de ses premiers disques , ces titres permettent à son
nouveau groupe de se réapproprier le patrimoine de son leader. Doucement , « It’s
my own fault » monte dans des envolées heavy , montrant que ses musiciens
sont déjà en pleine symbiose.
Les choses sérieuses commencent vraiment à partir de
Jumping Jack Flash, une des meilleurs reprises des Stones à ce jour. Je l’ai déjà
dit, Johnny Winter et Keith Richard parlent le même langage, ils ont la même obsession
pour la rythmique, même si celle de Johnny est plus tranchante. Et c'est justement
ce jeu virevoltant qui lui permet de transcender ce totem du mythe stonien , il
parvient à caler sur ce matériel une poignée de solos mélodiques que ce bon
vieux Keith n’aurait jamais tenté.
Chauffé à blanc par ce tour de force, le groupe s’embarque
dans un medley passant en revue great balls on fire/ long tall sally/ et whole
lotta shakin going on. Le groupe semble parcouru par une énergie démentielle,
comme si les fantômes qu’il convoquait prenaient possession de leurs
improvisations. La prestation se clôt ensuite sur mean town blues et Johnny be
good , qui sont envoyés avec la même force électrique.
Ces deux soir là au Fillmore , Johnny a jeté ses dernières forces dans la bataille , donnant ainsi au rock un de ses plus grands
enregistrements live.
Condamné à évoluer dans l’ombre de son glorieux aîné , Edgard Winter monte un nouveau groupe , Edgard Winter White Trash , dont le
premier album sort le même mois et la même année que Johnny Winter And.
Il est intéressant de mettre en parallèle ces deux
productions. Comme je le disais pour Entrance, Edgard est plus ouvert que son
frère, ses talents de multi instrumentiste le poussent à expérimenter. Johnny
ne vénère qu’un swing , celui du blues , Edgard porte plutôt un culte à tous
les avatars de ce même swing. Edgard Winter White trash est d’ailleurs un
monument à la gloire des trois corps du dieux swing , le jazz , le funk , et le
blues. Les cuivres mélodieux illuminent la mélodie bluesy de fly away , enrobent les rythmes funky de where would I be.
Le gospel n’est pas en reste, et save the planet sonne
comme Don Nix donnant un concert dans une église avec les Stones comme
backin band. Le swing est dans chaque riff , chaque battement, chaque mélodie
de ce disque brulant. I’ve got a news for you donne même l’impression d’entendre
Muddy Waters jouer en compagnie du big bang de Miles Davis. A sa façon, Edgard
Winter est aussi un disque traditionnaliste, mais il voit la tradition dans
toute sa diversité triomphante.
Edgard Winter White trash est plus puissant que Sly and
the family stones, plus groovy que le chaos blues de son frère, c’est une
réussite qui brille grâce à ses contradictions. Si les ventes n’imposent pas ce
constat au grand public , Edgard Winter White Trash montre aux initiés qu’il
est bien plus que le faire valoir de son frère.
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