Porté par la force du dieu swing , White thrash envahit deux des plus grandes salles américaines , pour y enregistrer un live historique.
Le whiskey à gogo est un de ces lieux qui attire toutes les révolutions , il a
été le théâtre de l’ascension du Buffalo Springfield , le point de départ de l’épopée
subversive des Mother , le temple où naquit le rock baroque de Love , et j’en
passe. L’appolo , lui, fut longtemps un haut lieu du jazz , Count Basie et Duke
Ellinghton y ont effectué des prestations sublimes. Quelques années après le
passage de Edgard Winter White Trash, James Brown viendra d’ailleurs
enregistrer un live explosif dans ce haut lieu de l’histoire du jazz.
Encore une fois , Edgard est à la croisée des genres , il trône
au carrefour des mythes et crée sa légende à la frontière des genres musicaux.
Ce soir-là, c’est pourtant le rock n roll qui aura le premier rôle. Prenez un
môme fou de funk, jazz et blues, mettez le devant une foule déchaînée, et il accélère
les rythmes, durcit ses riffs , bref il rock mieux que quiconque. Cette
ambiance de fête mystique, ce rock puriste nappé de cuivre soul, c’est le E
street band jouant avec une puissance inédite.
La comparaison peut paraître osée au premier abord, mais
je vous certifie que, quand le saxophone s’embarque dans un solos brûlants, c’est
l’image de Clarence Clemons qui vient immédiatement à l’esprit. Le soul rock de
White trash est certes plus agressif, ses riffs sont plus tranchants que ceux du
boss, mais sur le fond son énergie est très proche.
Quand les chœurs gospels de save the planet ouvrent la performance,
on a vraiment l’impression que ces types sont venus célébrer la fin de l’humanité.
Tous les live devraient donner cette impression , tout groupe devrait voir la
scène comme un tribunal où il doit défendre sa peau, et jouer avec toute l’intensité
de ceux qui savent qu’ils n’auront pas de seconde chance. L’heure du jugement
dernier est arrivée, et ce soir le rock n roll vient sauver nos esprits.
Alors le ton se durcit encore, la force du riff explose
sur le refrain revanchard de still alive and well , danse autour du blues
cuivré de back in the USA. Ce dernier ressemble à ZZ top qui se serait mis à
groover comme funkadelic , ou à James Brown singeant BB King.
Attiré par l’intensité de la célébration, Johnny Winter
sort une première fois de son isolement forcé. Son Rock n roll hoochie koo
sonne toujours comme du Stones accéléré, un boogie blues ponctué de solos tranchants.
Il faut l’entendre dialoguer avec White Trash , répondant à son swing dansant
par des chorus minimalistes, dans la grande tradition d’un John Lee Hooker.
Johnny annonce que l’heure du blues a sonné, le mojo du cadet répond à celui de l’aîné.
Galvanisé par cette visite, Edgard suit ensuite la
science de la nonchalance libidineuse de Howlin Wolf. Grand coït musical digne
de spoonfull , tobacco road voit les cuivres suivre les coups de boutoir d’un
riff délicieusement gras. Do yourself a favor rallonge un peu ce groove bluesy
, puis la prestation s’achève comme elle a commencé , sur un gospel
apocalyptique.
Roadwork est le summum d’une flamme que personne ne
parviendra à raviver .Une réunion de White trash aura bien lieu quelques années plus tard, sans atteindre ce niveau de puissance.
Alors que roadwork vient de sortir , le premier disque de
l’Edgard Winter group débarque en cette même année 1972. Nommé « they only
come out at night », l’album montre de nouveau l’anglophilie de son
auteur. Mais on ne parle déjà plus de l’Angleterre progressiste de King
crimson, son heure de gloire semble déjà derrière elle. A la place, Marc Bolan a
lancé le glam rock avec deux albums somptueux (electric warrior et the slider).
Le succès monumental de T rex a permis à toute une vague d’artistes de s’engouffrer
dans la brèche, et fit naître le personnage androgyne le plus connu de Bowie.
Même Lou Reed a cédé aux sirènes du glam, et transformer
permet à Bowie de calquer ses chœurs excentriques sur ses récits décadents. Une
génération au look androgyne, prônant un rock léger et classieux se lève , et
Edgard s’y conforme dès la pochette de son album. Du côté de la musique, les
claviers soulignent un swing plus pop, et les chœurs entrent dans le rang des
enfants de Marc Bolan.
Free Ride fait penser à du Slade , alors que les solos
qui le ponctuent flirtent avec la puissance hard glam de Mick Ronson. Mais
chassez le naturel et il revient chanter le country blues, comme le montre
round and round. Sur ce titre les chœurs se font plus solennels, la mélodie
bucolique développe une beauté campagnarde que n’aurait pas renié les Outlaws.
Cette parenthèse fermée, le Edgard Winter Group prédit comment sonnera Bowie ,
quand Aladin sane prendra d’assaut l’Amérique. Rock n roll boogie woogie blues
sonne comme sa reprise de let spend the night together , avec une énergie mieux
maîtrisée. La bluette autumn est plus dispensable, mais sa durée est assez
courte pour en faire une respiration agréable avant d’atteindre le clou du
spectacle.
Frankeinstein
restera le titre culte d’Edgard Winter , celui dont les riffs chromés annoncent
les futurs exploits du duo Wagner/ Hunter. Au final, « they only come out
at night » est encore un disque nourri par ses contradictions. La beauté
artificielle du glam y côtoie la beauté rêveuse d’une mélodie country , la
violence chromée du hard rock sort des splendeurs énergiques de la pop
anglophile.
Porté par le succès du tube Frankenstein, « they
only come out at night » est le plus grand succès commercial de son
auteur. Pour les anglais, il devait sonner comme le portrait d’une époque,
celle où la jeunesse était partagée entre la puissance d’un hard rock encore fringuant,
et la beauté d’un glam rock en plein âge d’or.
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