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lundi 24 août 2020

Johnny Winter 6

Johnny Winter - Still Alive And Well (1973, Vinyl) | Discogs 
Après presque trois ans d’exil, Johnny Winter sort enfin un nouvel album. Sa génération a disparu, tuée par la fin du psychédélisme, ou victime de ses excès. Sacrifié sur l’hôtel de la défonce rock, Hendrix , Jim Morrison , et Janis Joplin n’ont pas eu son réflexe salutaire. Johnny peut donc l’annoncer fièrement dès le titre de son album , il est vivant et en forme. L’époque est plus que jamais acquise à sa cause, et son sud natal est en train de lui préparer le terrain. Tout a commencé alors qu’il était en convalescence. Issus de Macon, les Allman Brother ont donné une nouvelle jeunesse au blues, et l’ont remis sur le devant de la scène lors d’un mythique concert au Fillmore. Un peu plus loin, dans ce Texas où Johnny a écrit sa légende, un trio pas encore barbu commence à affûter son blues gras. 

ZZ top fait en réalité partie de la génération de Hendrix, qu’ils ont d’ailleurs rencontré à leurs débuts. Mais leur musique est faite pour les années 70 et, sorti en 1971 , leur premier album est considéré par beaucoup comme leur chef d’œuvre absolu. De retour au milieu d’une  nouvelle vague de blues rocker, Johnny Winter ne pouvait que défendre sa place de plus grand bluesman vivant. Et, rien que pour le tranchant de « silver train » et let it bleed , Still alive and well le place déjà au sommet de la nouvelle vague heavy blues. Les Stones eux même se sont inclinés devant cette version de Silver Train, qui n’était pourtant pas un de leurs titres les plus remarquables.

Issu de goat head soup , le titre est dépouillé jusqu’à l’os par les riffs cinglants de notre albinos , son swing se révèle ainsi dans toute sa pureté rythmique. Je n’irais pas jusqu’à dire que sa version de Let it bleed sonne mieux que l’original, il sonne juste comme les Stones révéraient de sonner. Quand les anglais jouent le blues, ils ne peuvent s’empêcher de l’emmener ailleurs, sur des terres plus proches de leurs mélodies pop. Johnny, lui, ne triche pas. Le blues est dans ses veines , reproduire son feeling est pour lui un réflexe inscrit sans son ADN.

 De rock me baby à l’orgie sanglante de let it bleed , Still alive and well fait table rase des emportements hard rock du précèdent album. Tout le monde redécouvre le blues, il n’a donc plus de raison de s’en éloigner. Sur too much seconal , il se permet même de ressusciter le mojo acoustique des pionniers. C’est qu’à force de célébrer le blues, Johnny est devenu le guide de cette nouvelle génération, celui qui montre la voie à suivre. Still Alive and well représente la lumière d’un phare après une longue traversée brumeuse, la silhouette d’Ithaque qui voit enfin le retour de son roi.

Johnny Winter sort définitivement de la compétition rock, il plane au-dessus de la mêlée, avec la même confiance tranquille que Muddy Waters regardant une nuée de blancs becs jouer sa musique. Johnny a ressuscité le purisme de ses débuts, mais une telle réussite ne peut que l’obliger à chercher d’autres sonorités.

C’est ainsi que sort saint and sinner , quelques mois seulement après son grand frère bluesy. La funk fait alors son entrée dans l’arsenal de Johnny Winter , donnant naissance au disque le plus original de sa brillante discographie.

Dès les premières secondes , les claviers installent un groove futuriste, que la guitare suit dans le boogie martien de blinded by love. Les cuivres sont encore à la fête, ils dansent sur le groove funky de feedback highway 101, et s’enroulent autour du slow Huttin so bad. Johnny n’oublie pas le rock pour autant , et thirty days renoue avec le rock direct de l’album précédent. Le plus surprenant reste sa reprise de stray cat blues , un des points d’orgue de l’album Beggar Banquet des Stones. Le titre sert de prétexte à une orgie de solos, qui donne l’impression que notre albinos a décidé de rivaliser avec le Hendrix du Fillmore. Johnny a sans doute pris exemple sur l’excentricité du band of gypsys et de ses enfants groovy.  C’est comme si celui qui prit le rôle de gardien de la tradition se libérait dans un déluge de feedback. Même le rock apparemment épuré de riot cell block n 9 débouche sur une orgie de riffs gras.

Après un still alive and well très puriste, Johnny casse son image de vieux sage du blues, et affirme ainsi que son âge d’or n’est pas encore terminé. Plus riche que n’importe lequel de ses albums , saint and sinner est une réussite unique dans sa discographie. La voix de l’Amérique a parlé, il est temps que son alter ego anglophile lui réponde.

Shock treatement devait s’inscrire dans la continuité de « they only come out at night » , c’est au contraire un album de fin de cycle. Le morceau ouvrant le disque annonçait pourtant un déluge heavy glam , le groupe jouait comme les enfants de Bowie traumatisés par la découverte du proto punk des New York dolls.Le riff était destroy et agressif , le chant agressif , le glam se radicalisait dans une orgie prometteuse.  

Sauf que, perturbé par ses influences diverses, Edgard est comme un gosse laissé seul dans un magasin de bonbons. Alors, il pioche dans tous les rayons, en espérant qu’une certaine cohésion finissent par émerger de ces expérimentations folles. La mélodie cuivrée de Easy Street nous passe un peu la pommade, comme pour préparer le terrain à un nouvel assaut, qui prendra de longues minutes à arriver.

A la place , on a droit à Sundow , qui perpétue la beauté tranquille de free ride. Les cuivres sonnent comme des lyres angéliques , et la guitare construit son escalier vers un nouveau paradis pop. Après ce sympathique changement de décors, le groupe renoue brutalement avec son passé progressif, et Do you Like me sonne comme l’électro rock de Todd Rundgren.

Au lieu d’atténuer ces changements de décors, Edgard les radicalise, faisant de son disque une playlist agréable mais sans identité claire. Le Edgard Winter group sonne tantôt comme une version pop de Slade , un Marc Bolan ayant découvert le synthé , où le Bowie de Pin Up, quand il ne s’emballe pas dans un hard rock un peu lourdaud.   

On voyait pourtant dans ses titres les plus énervés un moyen de marquer une nouvelle fois l’histoire, en entrant dans le sillon d’un rock qui se radicalise. Mais les quelques mouvements d’humeur de ce disque sont noyés dans une série d’expérimentations mélodiques, elles sonnent comme un coup d’épée porté à une soupe indescriptible.

Avec ce disque, Edgard devient le nihiliste ultime, celui qui semble avoir bâti son album avec une série de 33 tours empilés au hasard. C’est d’autant plus dommage que , pris individuellement , ces titres sont loin d’être mauvais. Mais qui veut voir un film fait d’extraits de classiques ? Et bien shock treatement serait sa bande son.  

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