Après presque trois ans d’exil,
Johnny Winter sort enfin un nouvel album. Sa génération a disparu, tuée par la
fin du psychédélisme, ou victime de ses excès. Sacrifié sur l’hôtel de la
défonce rock, Hendrix , Jim Morrison , et Janis Joplin n’ont pas eu son réflexe
salutaire. Johnny peut donc l’annoncer fièrement dès le titre de son album , il
est vivant et en forme. L’époque est plus que jamais acquise à sa cause, et son
sud natal est en train de lui préparer le terrain. Tout a commencé alors qu’il
était en convalescence. Issus de Macon, les Allman Brother ont donné une
nouvelle jeunesse au blues, et l’ont remis sur le devant de la scène lors d’un
mythique concert au Fillmore. Un peu plus loin, dans ce Texas où Johnny a écrit
sa légende, un trio pas encore barbu commence à affûter son blues gras.
ZZ top fait en réalité
partie de la génération de Hendrix, qu’ils ont d’ailleurs rencontré à leurs
débuts. Mais leur musique est faite pour les années 70 et, sorti en 1971 ,
leur premier album est considéré par beaucoup comme leur chef d’œuvre absolu.
De retour au milieu d’une nouvelle vague
de blues rocker, Johnny Winter ne pouvait que défendre sa place de plus grand
bluesman vivant. Et, rien que pour le tranchant de « silver train »
et let it bleed , Still alive and well le place déjà au sommet de la nouvelle
vague heavy blues. Les Stones eux même se sont inclinés devant cette version de
Silver Train, qui n’était pourtant pas un de leurs titres les plus remarquables.
Issu de goat head soup ,
le titre est dépouillé jusqu’à l’os par les riffs cinglants de notre albinos ,
son swing se révèle ainsi dans toute sa pureté rythmique. Je n’irais pas
jusqu’à dire que sa version de Let it bleed sonne mieux que l’original, il
sonne juste comme les Stones révéraient de sonner. Quand les anglais jouent le
blues, ils ne peuvent s’empêcher de l’emmener ailleurs, sur des terres plus
proches de leurs mélodies pop. Johnny, lui, ne triche pas. Le blues est dans
ses veines , reproduire son feeling est pour lui un réflexe inscrit sans son
ADN.
De rock me baby à l’orgie sanglante de let it
bleed , Still alive and well fait table rase des emportements hard rock du
précèdent album. Tout le monde redécouvre le blues, il n’a donc plus de raison
de s’en éloigner. Sur too much seconal , il se permet même de ressusciter le
mojo acoustique des pionniers. C’est qu’à force de célébrer le blues, Johnny
est devenu le guide de cette nouvelle génération, celui qui montre la voie à suivre.
Still Alive and well représente la lumière d’un phare après une longue traversée brumeuse, la silhouette d’Ithaque qui voit enfin le retour de son roi.
Johnny Winter sort
définitivement de la compétition rock, il plane au-dessus de la mêlée, avec la
même confiance tranquille que Muddy Waters regardant une nuée de blancs becs
jouer sa musique. Johnny a ressuscité le purisme de ses débuts, mais une telle
réussite ne peut que l’obliger à chercher d’autres sonorités.
C’est ainsi que sort saint
and sinner , quelques mois seulement après son grand frère bluesy. La funk fait
alors son entrée dans l’arsenal de Johnny Winter , donnant naissance au disque
le plus original de sa brillante discographie.
Dès les premières secondes
, les claviers installent un groove futuriste, que la guitare suit dans le
boogie martien de blinded by love. Les cuivres sont encore à la fête, ils
dansent sur le groove funky de feedback highway 101, et s’enroulent autour du
slow Huttin so bad. Johnny n’oublie pas le rock pour autant , et thirty days
renoue avec le rock direct de l’album précédent. Le plus surprenant reste sa
reprise de stray cat blues , un des points d’orgue de l’album Beggar Banquet des
Stones. Le titre sert de prétexte à une orgie de solos, qui donne l’impression
que notre albinos a décidé de rivaliser avec le Hendrix du Fillmore. Johnny a
sans doute pris exemple sur l’excentricité du band of gypsys et de ses enfants
groovy. C’est comme si celui qui prit le
rôle de gardien de la tradition se libérait dans un déluge de feedback. Même le
rock apparemment épuré de riot cell block n 9 débouche sur une orgie de riffs
gras.
Après un still alive and
well très puriste, Johnny casse son image de vieux sage du blues, et affirme
ainsi que son âge d’or n’est pas encore terminé. Plus riche que n’importe
lequel de ses albums , saint and sinner est une réussite unique dans sa
discographie. La voix de l’Amérique a parlé, il est temps que son alter ego
anglophile lui réponde.
Shock treatement devait
s’inscrire dans la continuité de « they only come out at night » ,
c’est au contraire un album de fin de cycle. Le morceau ouvrant le disque
annonçait pourtant un déluge heavy glam , le groupe jouait comme les enfants de
Bowie traumatisés par la découverte du proto punk des New York dolls.Le riff
était destroy et agressif , le chant agressif , le glam se radicalisait dans
une orgie prometteuse.
Sauf que, perturbé par ses
influences diverses, Edgard est comme un gosse laissé seul dans un magasin de
bonbons. Alors, il pioche dans tous les rayons, en espérant qu’une certaine
cohésion finissent par émerger de ces expérimentations folles. La mélodie
cuivrée de Easy Street nous passe un peu la pommade, comme pour préparer le
terrain à un nouvel assaut, qui prendra de longues minutes à arriver.
A la place , on a droit à
Sundow , qui perpétue la beauté tranquille de free ride. Les cuivres sonnent
comme des lyres angéliques , et la guitare construit son escalier vers un
nouveau paradis pop. Après ce sympathique changement de décors, le groupe
renoue brutalement avec son passé progressif, et Do you Like me sonne comme
l’électro rock de Todd Rundgren.
Au lieu d’atténuer ces
changements de décors, Edgard les radicalise, faisant de son disque une
playlist agréable mais sans identité claire. Le Edgard Winter group sonne
tantôt comme une version pop de Slade , un Marc Bolan ayant découvert le synthé , où le Bowie de Pin Up, quand il ne s’emballe pas dans un hard rock un peu
lourdaud.
On voyait pourtant dans
ses titres les plus énervés un moyen de marquer une nouvelle fois l’histoire,
en entrant dans le sillon d’un rock qui se radicalise. Mais les quelques
mouvements d’humeur de ce disque sont noyés dans une série d’expérimentations mélodiques,
elles sonnent comme un coup d’épée porté à une soupe indescriptible.
Avec ce disque, Edgard
devient le nihiliste ultime, celui qui semble avoir bâti son album avec une
série de 33 tours empilés au hasard. C’est d’autant plus dommage que , pris
individuellement , ces titres sont loin d’être mauvais. Mais qui veut voir un
film fait d’extraits de classiques ? Et bien shock treatement serait sa
bande son.
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