La mort d’Allen Woody a
mis un coup d’arrêt à l’aventure Gov’t mule, le choc était trop fort pour
trouver un remplaçant au deuxième fondateur du groupe. Hayne a donc soigné son
traumatisme en se réfugiant dans l’ombre de l’Allman brother band, et on ne
verra plus son nom dans les bacs des disquaires pendant trois longues années. Les
Allman sont eux aussi dans une mauvaise passe, la mésentente entre Dickey Betts
et Gregg Allman étant arrivée au point de non-retour. Gregg finit par évincer
celui qui fut le partenaire de son frère, mais les procès intentés par Dickey
Betts paralysent le groupe. Sorti vainqueur d’une bataille qui a durée plusieurs années , l’ABB s’offre les services de Dereck Truck, qui forme vite
avec Hayne un duo grandiose.
Cette nouvelle formation
entre en studio, et hittin the note sort enfin en 2003. Plus mélodieux que
celui de Dickey Betts , le jeu de Dereck
Truck offre au groupe un son plus jazzy. Les titres s’allongent, les douceurs
jazz psychédéliques poussent comme des champignons magiques , les solos se
croisent et s’enlacent sur un rythme boogie. Si Shade of two word sonnait
parfois comme un hommage à un blues très pur, hittin the note revient à un
mojo plus libre. Le vrai purisme brille ici, dans ces divagations qui
réveillent les fantômes de Charlie Mingus et Bo Diddley. Le musicien puriste n’est
pas un homme qui ressasse toujours les mêmes plans comme un dogme inviolable. C’est
au contraire celui qui les réinvente pour entretenir la splendeur de sa
musique.
Dans ce cadre, les Allman
enrobent leurs blues dans les notes d’un clavier chaleureux comme le saxophone
de Sonny Rollins. Les racines sont plantées par une rythmique qui se nourrit de
la régularité implacable des premiers albums du gang . Là-dessus, les mélodies s’élèvent comme ces grands chênes,
qui semblent exister depuis des millénaires. Les rythmes varient les cadences ,
créent une liberté qui accouche d’une variété de sons et d’ambiances. Le
spectre sonore de ce disque va du groove funky de « firrin line » ,
au spleen champêtre de old before my time. On est embarqué dans un vieux train,
sur les rails de l’histoire musicale américaine , et les ombres de James Brown ,
Miles Davis , ou des Outlaws se laissent admirer à travers ses fenêtres.
Hittin the note impose le
duo Hayne/Truck comme l’un des plus brillants que les Allman Brother aient
connu. Sa classe est comme une plante qui aurait sa tête dans les étoiles,
tout en restant solidement enracinée dans
ses terres. Il fallait bien une réussite telle que celle-ci pour que Warren Hayne
retrouve progressivement l’envie de sortir de l’ombre.
C’est une grande fête, l’hommage
du fils du blues à un de ses parrains. Le Jazz fest de la Nouvelle Orleans a été
créé pour entretenir les liens étroits qui unissent le jazz au blues et au
rock. Régulièrement, une poignée de rockers au swing cuivré s’y réunissent pour
saluer l’âme de Charlie Parker, et de ceux qui grâce à lui se sont mis à jouer.
En cette année 2003, la
tradition des grands big bang sera totalement respectée. N’ayant pas pris le
temps de chercher un remplaçant à son bassiste, Gov’t mule joue avec les
musiciens de passage ce soir-là. Du côté de la set list, ils se font plaisir ,
en jouant les titres sur un coup de tête. La spontanéité est parfaite, elle
permet de ne mettre aucune barrière entre les musiciens et l’émotion engendrée par leur retour. C’est une vingtaine de bassiste qui se succède au côté de Gov’t
mule , des pointures telles que Roger Glover , John Enthwiste , Jack Cassady ,
pour ne citer que les plus illustres.
Dans les trois heures qui
furent immortalisés dans « the deppest end » chacun pourra retenir la
facette de la mule qu’il préfère. Dans cette grande fête, les survivants de la
formation originale expérimentent, se rapprochent de splendeurs abandonnées, redécouvrent
leur palette sonore et la profondeur de leurs mélodies.
On retrouve cette capacité
à faire groover le tranchant du hard rock anglais , comme si Lynyrd s’était mis
à jouer avec Deep Purple. Cette puissance de feu constituera une bonne partie
du premier disque de ce double live, elle explose sur le duo ravageur « blind
man in the dark » et « bad little doggie ». Les riffs de ces
titres sont de véritables sirènes apocalyptiques , qui prennent toute leur
ampleur menaçante sur scène. On est dans le même registre que « Immigrant
song » , ce titre où la guitare de Page et les hurlements de Plant
sonnaient vraiment comme l’assaut sanguinaire des terribles vikings.
Un peu plus tard , Jason
Newsted embarque le groupe dans son passage le plus violent , qui est paradoxalement
son plus faible. En plus de montrer que Metallica a perdu toute sa finesse
avec la disparition de Cliff Burton il prouve aussi que les musiciens rock et
métal sont aussi antagonistes que le rock et le métal eux mêmes. Le bassiste
sacrifie tout à la puissance sonore, suit les plans dictés par Black Sabbath
sans parvenir à se les approprier. Avec lui, « sweat leaf » et « war
pig » sonnent comme un hommage appliqué mais plat, un clin d’œil sans
intérêt. Au final, les deux reprises ressemblent à un cheveu de sorcière dans une
soupe bluesy.
Heureusement, il y a ces
moment hors du temps, où le groupe sculpte patiemment ses mélodies. C’est lors de ces moments que les genres se
rencontrent et s’enlacent, que les frontières artificielles séparant les
différentes musiques américaines s’écroulent.
Sur John the revelator ,
Warren Hayne nous refait le coup du prophète hypnotisant la foule. Introduisant
le titre seul, sans instrument pour parasiter son charisme mystique, il a l’aura
fascinante d’un Johnny Cash chantant le folk au crépuscule de sa vie. Cette
voix qui s’élève dans cette arène, c’est le cri de rage des oubliés de l’américan
dream et l’homélie saluant le courage des pionniers. C’est l’expression de l’histoire
d’un pays qui connut ses grands drames et ses gloires. Les instruments entrent
ensuite dans la danse , et le saxophone salue la mémoire de Charlie Parker ,
celui qui « permit aux autres de souffler ».
Le Jazz et le blues
reprennent alors un dialogue entamé dans les bars de Chicago, et que Gov’t mule
incarne désormais mieux que personne. On ne parle plus vraiment de Jazz , de
blues , on admire juste le résultat d’un mélange dont on ne discerne plus les
ingrédients.
Les moments les plus
marquants de ce concert sont dans les envolées chaleureuses de Sco mule , dans la
transe voodoo de John the revelator , sans oublier cette jam digne de Jethro
tull sur 32/20 blues. Avec ses collaborateurs d’un soir , Gov’t mule dessine le
chemin de son avenir.
Ce qui était prévu comme
un point final digne de l’histoire du groupe laisse entrevoir des lendemains
radieux. Ces hommes avaient foulé la scène du jazz fest en se disant qu’il
devaient écrire une fin digne de leur histoire , ils en ressortent avec la
conviction d’avoir un avenir.
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