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samedi 12 septembre 2020

Warren Hayne 4

 Deja Voodoo de Gov't Mule sur Amazon Music - Amazon.fr

La mort d’Allen Woody a mis un coup d’arrêt à l’aventure Gov’t mule, le choc était trop fort pour trouver un remplaçant au deuxième fondateur du groupe. Hayne a donc soigné son traumatisme en se réfugiant dans l’ombre de l’Allman brother band, et on ne verra plus son nom dans les bacs des disquaires pendant trois longues années. Les Allman sont eux aussi dans une mauvaise passe, la mésentente entre Dickey Betts et Gregg Allman étant arrivée au point de non-retour. Gregg finit par évincer celui qui fut le partenaire de son frère, mais les procès intentés par Dickey Betts paralysent le groupe. Sorti vainqueur d’une bataille qui a durée plusieurs années , l’ABB s’offre les services de Dereck Truck, qui forme vite avec Hayne un duo grandiose.

Cette nouvelle formation entre en studio, et hittin the note sort enfin en 2003. Plus mélodieux que celui de Dickey Betts ,  le jeu de Dereck Truck offre au groupe un son plus jazzy. Les titres s’allongent, les douceurs jazz psychédéliques poussent comme des champignons magiques , les solos se croisent et s’enlacent sur un rythme boogie. Si Shade of two word sonnait parfois comme un hommage à un blues très pur, hittin the note revient à un mojo plus libre. Le vrai purisme brille ici, dans ces divagations qui réveillent les fantômes de Charlie Mingus et Bo Diddley. Le musicien puriste n’est pas un homme qui ressasse toujours les mêmes plans comme un dogme inviolable. C’est au contraire celui qui les réinvente pour entretenir la splendeur de sa musique.  

Dans ce cadre, les Allman enrobent leurs blues dans les notes d’un clavier chaleureux comme le saxophone de Sonny Rollins. Les racines sont plantées par une rythmique qui se nourrit de la régularité implacable des premiers albums du gang . Là-dessus,  les mélodies s’élèvent comme ces grands chênes, qui semblent exister depuis des millénaires. Les rythmes varient les cadences , créent une liberté qui accouche d’une variété de sons et d’ambiances. Le spectre sonore de ce disque va du groove funky de « firrin line » , au spleen champêtre de old before my time. On est embarqué dans un vieux train, sur les rails de l’histoire musicale américaine , et les ombres de James Brown , Miles Davis , ou des Outlaws se laissent admirer à travers ses fenêtres.

Hittin the note impose le duo Hayne/Truck comme l’un des plus brillants que les Allman Brother aient connu. Sa classe est comme une plante qui aurait sa tête dans les étoiles, tout en restant solidement enracinée  dans ses terres. Il fallait bien une réussite telle que celle-ci pour que Warren Hayne retrouve progressivement l’envie de sortir de l’ombre.

C’est une grande fête, l’hommage du fils du blues à un de ses parrains. Le Jazz fest de la Nouvelle Orleans a été créé pour entretenir les liens étroits qui unissent le jazz au blues et au rock. Régulièrement, une poignée de rockers au swing cuivré s’y réunissent pour saluer l’âme de Charlie Parker, et de ceux qui grâce à lui se sont mis à jouer.  

En cette année 2003, la tradition des grands big bang sera totalement respectée. N’ayant pas pris le temps de chercher un remplaçant à son bassiste, Gov’t mule joue avec les musiciens de passage ce soir-là. Du côté de la set list, ils se font plaisir , en jouant les titres sur un coup de tête. La spontanéité est parfaite, elle permet de ne mettre aucune barrière entre les musiciens et l’émotion engendrée par leur retour. C’est une vingtaine de bassiste qui se succède au côté de Gov’t mule , des pointures telles que Roger Glover , John Enthwiste , Jack Cassady , pour ne citer que les plus illustres.
Dans les trois heures qui furent immortalisés dans « the deppest end » chacun pourra retenir la facette de la mule qu’il préfère. Dans cette grande fête, les survivants de la formation originale expérimentent, se rapprochent de splendeurs abandonnées, redécouvrent leur palette sonore et la profondeur de leurs mélodies.

On retrouve cette capacité à faire groover le tranchant du hard rock anglais , comme si Lynyrd s’était mis à jouer avec Deep Purple. Cette puissance de feu constituera une bonne partie du premier disque de ce double live, elle explose sur le duo ravageur « blind man in the dark » et « bad little doggie ». Les riffs de ces titres sont de véritables sirènes apocalyptiques , qui prennent toute leur ampleur menaçante sur scène. On est dans le même registre que « Immigrant song » , ce titre où la guitare de Page et les hurlements de Plant sonnaient vraiment comme l’assaut sanguinaire des terribles vikings.

Un peu plus tard , Jason Newsted embarque le groupe dans son passage le plus violent , qui est paradoxalement son plus faible. En plus de montrer que Metallica a perdu toute sa finesse avec la disparition de Cliff Burton il prouve aussi que les musiciens rock et métal sont aussi antagonistes que le rock et le métal eux mêmes. Le bassiste sacrifie tout à la puissance sonore, suit les plans dictés par Black Sabbath sans parvenir à se les approprier. Avec lui, « sweat leaf » et « war pig » sonnent comme un hommage appliqué mais plat, un clin d’œil sans intérêt. Au final, les deux reprises ressemblent à un cheveu de sorcière dans une soupe bluesy.

Heureusement, il y a ces moment hors du temps, où le groupe sculpte patiemment ses mélodies.  C’est lors de ces moments que les genres se rencontrent et s’enlacent, que les frontières artificielles séparant les différentes musiques américaines s’écroulent.

Sur John the revelator , Warren Hayne nous refait le coup du prophète hypnotisant la foule. Introduisant le titre seul, sans instrument pour parasiter son charisme mystique, il a l’aura fascinante d’un Johnny Cash chantant le folk au crépuscule de sa vie. Cette voix qui s’élève dans cette arène, c’est le cri de rage des oubliés de l’américan dream et l’homélie saluant le courage des pionniers. C’est l’expression de l’histoire d’un pays qui connut ses grands drames et ses gloires. Les instruments entrent ensuite dans la danse , et le saxophone salue la mémoire de Charlie Parker , celui qui « permit aux autres de souffler ».

Le Jazz et le blues reprennent alors un dialogue entamé dans les bars de Chicago, et que Gov’t mule incarne désormais mieux que personne. On ne parle plus vraiment de Jazz , de blues , on admire juste le résultat d’un mélange dont on ne discerne plus les ingrédients.

Les moments les plus marquants de ce concert sont dans les envolées chaleureuses de Sco mule , dans la transe voodoo de John the revelator , sans oublier cette jam digne de Jethro tull sur 32/20 blues. Avec ses collaborateurs d’un soir , Gov’t mule dessine le chemin de son avenir.

Ce qui était prévu comme un point final digne de l’histoire du groupe laisse entrevoir des lendemains radieux. Ces hommes avaient foulé la scène du jazz fest en se disant qu’il devaient écrire une fin digne de leur histoire , ils en ressortent avec la conviction d’avoir un avenir.    

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