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dimanche 27 septembre 2020

Warren Hayne 6 bis 2 ( parenthèse album solos)



Nous sommes sur une plaine du Tennessee , en 2004 , et le soleil éclaire une scène qui semble perdue au milieu du désert. En face des quelques curieux venus assister au début de sa prestation, Warren Hayne a les traits tirés de celui qui a passé une nuit agitée.

Le cadre du Bonaroo a des airs de nouveau Woodstock, et ne l’encourage pas à balancer le blues abrasif qui fit la grandeur de son ancien groupe. On se croirait plutôt au milieu d’un camp hippie, où l’on s’attend presque à voir Country Joe se pointer sur scène, pour scander son fameux « fuck ».

Alors Hayne va tenter un exercice inédit, et débarque sur scène tel Dylan au festival de Newport, seul avec sa guitare sèche. Dès les premières notes de Lucky , la petite assemblée se fait silencieuse , comme hypnotisée par ses notes mélodieuses.

Ce son , c’est celui de la Californie avant que l’acide ne vienne déformer ses mélodies, un folk de hippie céleste. Devenu barde, Warren Hayne laisse son public suspendu à sa voix habitée. Le lyrisme a remplacé la puissance électrique, et tous semblent s’en réjouir.

La guitare se contente désormais de ponctuer le chant, lui donnant l’écrin capable de rendre ses paroles universelles. Johnny Cash lui-même n’aurait pas renié la puissance épurée de « the real thing », alors que la version acoustique de « I’ve got a dream to remember » renoue avec ce charisme musical, qu’on n'a plus entendu depuis le passage de l’homme en noir à la prison de folssom. 

 Cash avait fait de one un folk désespéré soutenu par sa voix trempée dans le blues. Hayne , lui, transforme le tube de U2 en poème folk digne des grandes heures des hootenanies. Et voilà justement la force de cette prestation, elle renoue avec la ferveur commune aux pionniers de la musique américaine. La voix plaintive flirte avec le son du Mississipi, et les arpèges sont dotés du mysticisme folk rendu célèbre par Joan Baez. 

La prestation ayant démarré à 12 h 30, le public se limite à une centaine de personnes lors des premières minutes. Mais la foule gonfle progressivement, comme si ces arpèges jouaient une homélie irrésistible. Ils sont déjà plusieurs milliers quand Hayne entame fallen down.

Fallen down creuse le sillon théâtral que Springsteen avait si bien exploré sur Nebraska, la scène donnant à cette grandeur acoustique une puissance inédite. Si la musique est surtout un moyen de communier sur autre chose que des textes rétrogrades, alors ce live at bonaroo est un des plus grands disques jamais enregistrés.

Pour clôturer la performance, Soulshine fait revivre les mélodies africaines que Paul Simon sublima sur « graceland ». Rappelant que la musique américaine trouve ses origines en Afrique , soulshine est une folk voodoo dont les dernières notes résonneront longtemps dans le cœur de la foule réunie ce soir-là.   

Warren Hayne représente la tradition musicale de son pays , dans ce qu’elle a de plus intemporelle et poignante. Et Live at bonaroo le fait passer de l’autre côté du miroir, la pochette de ce disque s’ajoutant aux symboles mythiques jalonnant l’histoire du rock.    

 Il a redonné à l’Allman brothers band un éclat qu’il avait perdu depuis le trépas de Duane Allman, avant de s’appliquer à quitter le purisme sudiste. Gov’t mule fut créé pour ça, et la transformation fut encore plus radicale après le trépas de son bassiste. A ses débuts, la mule était limitée par sa formation en power trio, qui la condamnait à reprendre le groove sudiste avec une puissance digne deCream.

Adepte des jams sans filet, la mule était une curiosité coincée entre la virtuosité des frères Allman , et le blues anglophile de Lynyrd Skynyrd. C’était aussi ce qu’il fallait au rock sudiste de cette époque, et l’urgence de poudrières tels que « gov’t mule » et « dose » ont fait autant pour la résurrection sudiste que les grands disques des Black crowes. 

Et puis le temps a passé, l’engouement s’est amenuisé, et la mule a radicalisé sa maturation. On a dit beaucoup de mal de déjà vodoo, la cicatrice laissée par le départ tragique d’Allen Woody était encore à vif. Le public rock est sentimental, et s’attache rapidement à ses formations préférées. Tout changement est alors pris comme une trahison, elle empêche l’objet de sa fascination de rester figé dans le marbre.

Si on prend déjà voodoo avec le recul que nous autorise le temps, on se rend compte qu’il ne fait qu’exacerber ce que le groupe initiait timidement auparavant. La palette de ses musiciens était, dès le départ, extrêmement large. Il la déployait sur scène, à grands coups de reprises déchaînées. Black Sabbath , Hendrix , Neil Young , Fleetwood mac , une bonne partie de la mythologie rock est passée entre leurs mains dévotes.

En studio , life before insanity montrait déjà un groupe plus appliqué , soignant ses arrangements et ménageant ses effets. Je l’ai dit au début de cette chronique, la mule était le vaisseau permettant à Hayne de revisiter son héritage , ses multiples virages étaient prévus dès le départ.

Il ne faut pas mettre de frontière entre son œuvre et celle de son groupe, les deux se complètent. C’est d’ailleurs sur « tales of ordinary madness », sorti en 1993 , que Hayne annonçait les débuts sulfureux de la mule.

Il n’y a donc pas eu, comme certains l’ont écrit, plus de dix ans de blanc entre « man in motion » et le précèdent album de Hayne. Man in motion est la suite de « shout » , « dark side of the mule » , « stone side of the mule » et « sco mule » , il s’inscrit à la suite de ces explorations sonores.

Pour Man in motion, Hayne veut atteindre les terres de la motown , et la soul irrésistible promue par le label stax.  Pour toucher son but, il s’est entouré de pointures ayant côtoyé Keith Richards au sein des X pensive winos , et de grandes figures du Jazz et du funk. On ne s’étonnera donc pas d’entendre un monstre de groove, une chaleur dansante et orgiaque digne de James Brown ou Marvin Gaye.

Warren Hayne se hisse littéralement au niveau de ces chanteurs iconiques , mesurant sa voix pour ne pas brusquer son groove cuivré. Il y’a un peu du band of gypsys dans le riff dansant d’on a real lonely night, une part de Sly and the family stones dans les chœurs enjoués qui composent cette chaleur groovy.  Mais les groovies children tel que funkadelique ne disposaient pas de ces cuivres jazzy pour réchauffer leurs fiestas.  Alors, bien sûr, sur des titres comme man in motion, les enfants du funk peuvent remuer du popotin, en pensant à leurs jeunes années, mais là n’est pas le seul charme de ce disque.

Warren Hayne reste avant tout un bluesman, et ses couleurs funk jazzy vont raviver la splendeur du spleen venu du Mississipi. Hatesburg Husle va encore plus loin, c’est la fusion parfaite de la musicalité soul et de la sensibilité blues. C’est aussi cette union qui fait la grandeur de « a friend to you » , « river gonna rise » ou « your wildest dream ». 

La guitare y oublie toute agressivité, elle se fait délicate pour se fondre dans ses mélodies venues de Memphis. Même quand Hayne revient aux rythmes enjoués qui ouvrent le disque , les interventions solistes de Hayne restent mesurées. Le guitariste attend patiemment son tour, et débarrasse la virtuosité hendrixienne de ses distorsions stridentes.

Le voyage se termine sur une gravité plus sobre, « save me » se contentant d’un orgue et d’un piano pour soutenir la ferveur de Warren Hayne. On retrouve alors la splendeur éternelle du gospel blues, une homélie musicale qui semble enregistrée au milieu d’une église.

Au final, en explorant une nouvelle parcelle de l’histoire musical américaine , Hayne produit un disque sur lequel le temps n’a pas prise. Ses mélodies cuivrées et rythmes funky forment une patine qui lui donne le charme de ces vieux meubles en bois , auxquels l’artisan semble avoir insufflé une partie de son âme.

Man In Motion aurait pu être produit il y a trente ans, et on pourra encore l’écouter dans trente ans avec le même émerveillement.

Warren Hayne semble porteur d’une certaine classe disparue. Qu’il ait régénéré le Allman Brother Band ne lui suffisait pas, il fallait qu’il trace sa voie en solo. « Eatin the note » , « shade of two word , et live at beacon theater » doivent beaucoup au toucher langoureux de celui qui fut le seul capable de reprendre le flambeau de Duane Allman.

L’arrière garde s’empressa de lui tresser des lauriers, criant à la résurrection du blues comme d’autres croient être proche de la résurrection de Jésus. Le blues dont cette arrière garde parlait, n’a existé qu’entre les mains des pionniers, et ressuscite parfois le temps de reprises plus ou moins réussies.                                                     

Les premiers disques de Hayne n’ont jamais creusé le sillon de la nostalgie , et c’est justement cette fraîcheur qui sauva sa carrière. Tonitruant pavé dans la marre , les deux premiers albums de Gov’t mule furent son cri libérateur. Ecoutez « Mullenium » et « live with a little help » , et vous comprendrez qu’à travers ses décibels , le guitariste se libérait du statut de gardien du temple qu’on lui avait collé.

Hayne ne copie pas , il réinvente , labourant les sentiers trop visités du classique rock, pour lui redonner une certaine fraîcheur. Voilà pourquoi je ne ferais pas de séparation entre Gov’t mule et sa carrière solo, ce ne sont que les deux actes d’un processus libérateur. La mort d’Allen Woody n’a d’ailleurs fait que souligner ce constat, Gov’t mule est le fabuleux jouet de son imposant guitariste.  Jazz , reggae , soul , et bien sûr blues , Hayne a exploré toutes ses passions.

La réussite n’étaient pas toujours au rendez-vous , shout est un peu mou , the tell star session manque de verve , mais tous ses disques montrent une certaine classe, qui les place systématiquement au-dessus de la mêlée.   

 Voilà  pourquoi « ashes and dust » représente le cœur de son charisme un peu rustique, mais toujours inventif. Notre homme était fait pour le bluesgrass, cette musique popularisée par le band, et donnant une certaine synthèse de la musique américaine.

 «  Nous nous rebellions contre la rébellion. » Voilà comment Robertson résumait cette musique, qui rendit au jeune peuple une tradition musicale détruite par le progressisme hippie. Le Band fut toujours à côté de la plaque, et c’est bien ça qui rendait ses premiers disques mythiques.

Aujourd’hui, les musiciens reconnus sont plus libres que jamais, les modes musicales ayant disparu en même temps que l’amour que les jeunes leur portaient. Le bluegrass serait donc, d’une certaine façon, dans le coup. 

C’est la musique d’un homme qui sait qu’il n’atteindra jamais la même popularité que ses modèles , mais a renoncé à courir après , pour construire son œuvre. La pochette résume d’ailleurs tout, Hayne paraissant exposé sur le mur un peu austère de la grande tradition musicale américaine. Austère, le bluegrass ne l’est que pour les non-initiés. 

Il est à l’image de l’homme sur cette pochette, sa grâce est juste assez éclairée pour attirer l’œil avide de ceux qui comprennent encore que la beauté est aussi dans la modestie. Les rythmes campagnards de Hayne prennent le temps de laisser les mélodies s’épanouir, l’exubérance électrique de Gov’t mule a fait place à une sobriété d’artisan appliqué.

It’s me or you ouvre le bal sur un violon qui semble sorti d’une grange texane, doté d’une douceur terreuse et nostalgique, blues de paysans chassés de leurs terres. Devant une telle solennité, la guitare s’incline, et se contente de souligner le décor imposé par l’instrumentation acoustique.

Hayne est un des derniers hommes à considérer le guitariste comme un messager au service de la mélodie, vision assassinée par les solos bavards des enfants d’Hendrix.

C’est pour ça que « cold tatoo » sonne comme Mellenchamp période « sad clown and hibillies », ce sont les œuvres de brillants artisans du son. Ce genre de disque n’a pas d’âge, il s’impose au-dessus des vaines préoccupations des temps modernes. C’est une fresque intemporelle, dont la grâce ne fait que monter au fil des titres, ses notes tricotant un tableau glorieux.

Si il est dur d’extraire un titre de ce monument discographique, la reprise de gold dust woman est à ashes and dust ce que sur la route est à Kerouac, un passage prodigieux plaçant la légende au-dessus de la masse bêlante.

C’est une nouvelle mystique que Hayne donne au titre de Fleetwood Mac , la beauté chaleureuse d’une soirée autour d’un feu de camp. Heureusement que Grâce Potter n’a pas tenté d’imiter la voix hypnotique de Grace Slick , lui préférant un lyrisme proche de Joan Baez au milieu de la rollin thunder revue.

Elle sublime ainsi une œuvre qui fait partie des repères définissant un genre, sans s’y conformer totalement. On appelle ça un chef d’œuvre.      

Le passé est un boulet, qui finira par entrainer ce bon vieux rock n roll dans le fossé. C’est un culte morbide qui empêche de voir la beauté quand elle dévoile ses mélodies sensuelles. Cette musique, messieurs, est progressiste, comme tous les groupes de rock devraient l’être.

Je ne parle pas ici du progressisme mondain des critiques rock embourgeoisés, qui achètent leurs vinyles numériques à la Fnac. Non, ceux-là voudraient une révolution à la mai 68. Une jacquerie musicale balayant tout sur son passage. Ils voient la musique comme une série d’explosions, un serpent qui se mord la queue, et pensent qu’aujourd’hui le reptile c’est suicidé.

 Il ne parlèrent du King que pour saluer sa mort, le rocker devant selon eux passer de la gloire au trépas, sans rien laisser derrière lui. Et bien non, le rock ce n’est pas cela, c’est une culture qui s’est érigée par étapes, le passé nourrissant les exploits futurs. Réadapter le blues, voilà la seule chose que firent les rockers, et ce peu importe leur proximité avec la source originelle.

 Alors , maintenant que la chaîne est cassée , que le monument s’est tellement éloigné du socle qu’il semble branlant, le blues revient sur le devant de la scène. Je ne suis pas en train de dire que le hard rock, le psyché, le prog , n’ont servi à rien , au contraire. Ils ont mené à une impasse, nourris de classiques en apparence indépassables, et qui ont engendrés une sève plus pure.  

Régulièrement, certains ont vu le cul de sac venir, et donnèrent naissance au nihilisme punk , au purisme cartoonesque de ZZ top , ou à la pop de prolos de Creedence. 3 minutes , quelques riffs , et un retour à la simplicité de Cochran ou Muddy Waters. Chassez le rock n roll et il revient flirter avec le blues.

Aujourd’hui plus qu’hier, ce virage est éclatant. Gary Clark Jr a gagné un grammy , et Bonamassa , Joanne Shaw Taylord et Keannie Wayne Shepperd se bousculent pour lui ravir sa couronne. Warren Hayne lui, est encore au-dessus de tout ça, c’est un monument historique.

Avec Gov’t Mule , il a participé à la dernière charge glorieuse des sudistes, et l’a un peu prolongé quand les Black crowes ont commencé à lâcher la rampe,  en 1996. Le problème, c’est que cet homme révélé par les frères Allman était bien trop fin pour se laisser enfermer dans un genre.

Alors , au décès d’Allen Woody , la mule est devenue son jouet , qu’il emportait dans des expérimentations plus jazz. A ce titre , « sco mule » renoue avec une somptuosité cool qu’on croyait morte depuis la fin du Mashavishnu orchestra. Par la suite , la mule a navigué sur les chemins tortueux du reggae , et des autres fétiches musicaux de son leader. 

Les ingrédients étaient là, épars, et ils donnèrent leurs premiers savoureux fruits sur son premier disque solo « tales of ordinnary madness ». L’enfant est le père de l’homme, et chaque musicien reste toujours ce gosse écoutant religieusement ses disques de rythm n blues , et de soul.

C’est en tous cas cet enfant qui a influencé man in motion, disque foisonnant et gracieux, que Hayne vient promouvoir sur la scène du Moody theater.  Les cuivres reprennent une place qu’ils n’ont plus eu depuis les belles heures de Sly et sa famille stone, groupe dont «  take a bullet » ressuscite les cuivres dansant autours de solos sensuels.

Sur les ballades comme « sick of my shadow » , ces cuivres soulignent la mélodie , créent un spleen somptueux de vieux baroudeur mystique. Le rythm n blues est à la fête, et copule joyeusement avec ses glorieux contemporains soul et funk. Warren Hayne a ça dans le sang , c’est un Johnny Cash qui aurait troqué son country blues pour un rythm n blues d’une richesse impressionnante.

Contrairement à la plupart de ses contemporains, il ne cherche pas à prendre toute la place, sa guitare est très présente sans être bavarde. Ne s’étiolant pas dans des solos superflus, son phrasé ponctue, sublime, et fait décoller une instrumentation d’une finesse rare.

Hayne est de la vieille école, celle qui voyait la guitare comme un instrument au service d’un groove qui la dépasse, et pas comme le monument autour duquel tout doit tourner. Si il reprend Hendrix sur un « soulshine » tout en finesse , ce n’est que pour saluer cette force mystique qui lui inspira ses débuts en trio.

Hayne fait partie d’une race de musiciens en voie d’extinction, celle qui savait que la beauté de leur jeu dépendait autant des notes qu’ils jouaient que des silences qu’ils entretenaient. A ce titre, « live at moody theatre » mérite bien sa place à coté de «  get yer ya ya’s out » des stones, « live at regal » de BB Kings , et autres monuments vénérés.

Cette bonne vieille tradition vient encore de se réinventer pour un nouveau public.


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