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dimanche 22 novembre 2020

Tom Petty 1


 

Tom , je te présente Elvis.

Tom Petty n’a que 8 ans quand son père l’emmène sur le tournage d’un nanar du king. Il y a des rencontres qui marquent un destin, des personnages dont le charisme universel marque même les esprits juvéniles. C’est l’histoire qui se présente à Tom à travers ce jeune rocker, dont les déhanchements scandalisent les mères de familles, et font rêver leurs filles.

Dans une Amérique où votre couleur de peau détermine encore votre culture, vos chances de réussite, et les lieux que vous fréquentez, Elvis est le premier remède au poison ségrégationniste. Aussi discutables soient-ils, ses films initiaient la jeunesse blanche au mojo des grands martyrs noirs. Il parait qu’un homme nait deux fois, que l’esprit s’éveille souvent des années après que le corps ait quitté le placenta.

C’est donc sur ce plateau, lorsqu’il serra  la main du Dieu Elvis, que le petit Tom commença à devenir le grand Petty. Et aucun Michel Ange n’était là pour immortaliser cette grande page de la bible rock. Quelques années plus tard, Tom Petty forme ses premiers groupes. Sous l’influence de Bob Dylan et d’Elvis, Tom joue un rock teinté de country folk, le tout avec la verve des grands groupes de rythm n blues.

C’est en 1974 que Tom Petty rencontre Mike Cambell et Benmont Trench. Le voyant comme un sous Springsteen, la France ne peut comprendre l’importance de cette rencontre. Les compositeurs sont comme les baguettes de leur batteur, ils ne fonctionnent que par paires. John Lennon ne sera jamais aussi bon que quand il composait avec Paul Mccartney , et je ne parle pas des Jagger/ Richard , Perry/Tyler … 

Le mythe du génie solitaire est une escroquerie, même Dylan a eu besoin du clavier d’Al Kooper pour propulser la prose de like a rolling stone vers des sommets Baudelairiens. Le noyau dur de ce qui sera les heartbreakers se fait d’abord appeler Mudcrutch, et prend la route pour rejoindre la Californie. Ce pèlerinage n’est pas anodin, ces musiciens étant aussi de grands fans des Byrds.

Originaire de Californie, le groupe de Roger Mcguin était à la pointe du lien qui se créait entre l’Amérique et l’Angleterre. Fans des Beatles, les Byrds ont utilisé les trouvailles des fab four pour propulser le folk de Dylan au sommet des charts. Si le grand Bob leur grilla la priorité, profitant du retard de ses fans pour sortir un Mr Tambourine man électrique très proche de leur version, le premier album des Byrds a quasiment fait naître le rock Californien.

Mr Tambourine man et Sweatheart of the rodeo , voilà les deux albums qu’il faut avoir écouté pour réellement comprendre Tom Petty. Les heartbreakers sont des enfants du California sound , leur musique baigne dans ses influences anglaises , s’épanouit dans ses contrées country folk.

La terre promise se montre d’abord hostile, et Tom Petty devant galérer un an avant de décrocher son premier contrat. Au fil des concerts , il commence à se faire un nom , le public restant scotché face à ce rocker à la voix Dylanienne. Lorsqu’une maison de disque accepte enfin de les engager, mudcrutch devient the heartbreakers.

Un premier album est rapidement enregistré, et il ne passe pas inaperçu. Le premier album est essentiel, c’est la carte de visite qui décidera de l’avenir d’un groupe. Si rares sont ceux qui atteignirent la perfection dès le premier essai, un premier album raté est souvent fatal. Des Stooges aux Doors , de ACDC à Neil Young , les grands groupes ont souvent entamé leur carrière par des disques explosifs. Le premier disque doit être une déclaration de guerre, le coup de clairon annonçant l’assaut d’un groupe pour conquérir le bastion rock.

Lors de l’enregistrement d’un premier album, les producteurs sont souvent trop hésitants pour imposer leurs vues, certains ne savent même pas quelle musique leur groupe joue. On se souvient par exemple de ce pauvre homme qui, pensant que les mother of invention était un groupe de rythm n blues , les emmène au studio pour produire un album « dans le vent ». Lorsqu’il entend les premières notes de Freak Out , il se précipite vers le téléphone , et annonce à ses supérieurs que ce ne sera pas tout à fait du rythm n blues.

Pas beaucoup plus à l’aise que devait l’être leur premier producteur, les heartbreakers se contentent de jouer ce qu’ils jouaient sur scène. Si leur énergie dépasse de loin le coté hippie des Byrds, Petty suit à la lettre leur plan d’attaque, en mêlant rock anglais et américain. La formule est la même, mais les ingrédients la composant ont radicalement changé.

1976 , c’est l’année de Patti Smith , des Ramones , et de Born To Run de Springsteen. Coté Anglais , Led Zeppelin a donné naissance au hard rock , qui ne cesse de déployer son armada électrique. 1976 est l’année de l’intensité , la grande crise de nerf d’une décennie qui sent déjà que sa fin est proche. Alors Tom Petty remet son héritage à jour, donnant une claque au Buffalo Springfield à travers un rock around with you épileptique.

L’auditeur a à peine le temps de respirer que Breakdown transporte ses enceintes dans les bayous qui virent naitre Petty. Un riff comme celui de Breakdown semble ressusciter tous les fantômes du blues , c’est un miracle qui se produit une poignée de fois par décennie. Mais les heartbreakers sont assez malins pour emballer cette force rugueuse dans un refrain irrésistible, comme si les Beatles collaient le refrain de baby you can drive my car sur le riff de Manish Boy.

Loin de cacher l’efficacité de son rock encore brut de pomme, cette capacité à créer des refrains mémorables souligne la cohésion d’un groupe affuté par des mois de galère. Après le blues, les heartbreakers saluent Lynyrd Skynyrd à travers le boogie Strangered in the night. Le blues se fait ensuite plus lascif sur fooled again , il nous transporte au temps béni du début des seventies. Mais c’est surtout quand il flirte avec un folk rock plus pur que Petty sonne le plus pop.

Placé au milieu de l’album, Mystery man annonce le son plus soft qui fera sa gloire. Cerise sur le gâteau californien, les heartbreakers achèvent ce premiers essai sur « american girl » , un hymne si proche des Byrds qu’on le croirait sorti de leurs tiroirs. Roger Mcguin ne s’y trompera pas lorsque, quelques mois plus tard, il reprend ce titre en concert. Tom Petty vient ainsi d’entrer dans l’histoire par la grande porte.

Galvanisé par le succès de leur premier album en Amérique , les heartbreakers enregistrent un second essai plus radical. Comme son prédécesseur, come and get it semble avoir été enregistré live. Particulièrement hargneuses, les guitares lancent des flèches rythm n blues dont le tranchant ne s’émousse pas au contact de la douceur du synthé. 

Et c’est bien la force des hearbreakers, leurs riffs chevauchent les mélodies pop du clavier comme des hussards perchés sur leurs chevaux somptueux. Benmont Tench n’entre pas en compétition avec le tranchant des riffs, comme peuvent le faire les bourrins influencés par John Lord. Il ne noie pas non plus ses collègues dans un grand chamalow sonore , son rôle est aussi modeste qu’essentiel et il ne dépassera pas le cadre qu’on lui a assigné. Son jeu est celui que tous les claviéristes devraient adopter, il donne au rock de ces collègues une couleur chaleureuse, les enveloppe dans des mélodies séduisantes.

Le travail de Benmonth Tench resplendit sur I need to know ,où ses quelques notes gracieuses suffisent à illuminer le refrain. Il faut dire aussi qu’un disque comme come and get it imposerait la discrétion au plus exubérant des claviéristes. Ceux qui se contentent de quelques paroles fleurs bleues pour ranger les heartbreakers dans le rang des groupes pour midinettes, sont sans doute les mêmes qui considéraient les Beatles comme un groupe de pop gentillette. Comme le groupe de John Lennon, les heartbreakers produisent des riffs fabuleux, leurs accents pop ne sont qu’une façon de vendre leur rock n roll.

La finesse est une puce qui irrite les beaufs, ceux qui refusent de voir ce qui se cache derrière les apparences. Ils ne comprendront pas que derrière le mince filet pop de ses refrains tubesques , Petty cache ce qui restera son disque le plus rythm n blues. Grandiose final d’un festival de riffs cinglants , my baby is a rocken roller  a un arrière-gout de satisfaction. A l’image de ce clin d’œil aux stones, come and get it montre une bande d’excités fans des Byrds s’encanaillant en flirtant avec le rythm n blues anglais.

Sorti en 1978 , come and get it devient vite disque d’or aux Etat Unis. A travers lui, le rock semble avoir choisi son avenir. Alors que les dinosaures de stades commencent à se fossiliser, alors que les gloires américaines des sixties disparaissent, Tom Petty est un des premiers représentants d’une nouvelle génération de rocker.

Ce ne sont pas les grands hommes qui font l’époque, mais l’époque qui fait les grands hommes. Alors que les vieilles gloires n’en finissent plus de mourir, alors que le rythm n blues se débat dans un dernier râle d’agonie, Petty annonce l’armistice. A bas les torpilles affirme-t-il en couverture de son troisième album, ne souillez pas la belle histoire des seventies avec des débâcles aussi lamentables que Who are you ou back and blue. Cette génération est en coma artificiel, et ce sont les hearbreakers qui vont débrancher la machine. Après un tel meurtre, Tom Petty ne pouvait que devenir le symbole des eighties naissantes.

Damn the torpedoes est d’abord le fruit de la rencontre entre les heartbreakers et James Lovine. Le producteur a commencé sa carrière en participant à l’enregistrement de born to run, le plus grand album de Springsteen. Il est ensuite devenu le fossoyeur des seventies, en contribuant largement à la naissance de ce que certains nomment le post rock. Après la séparation des Beatles, c’est avec lui que Lennon enregistre ses trois premiers albums solos. Le Beatles demandera d’ailleurs à Lovine de participer à « fame » , le tube plastique soul de David Bowie.

Sa carrière rencontre l’histoire quand il produit easter , le disque pop de Patti Smith. Grâce à lui, la prêtresse punk devient une pop star, le symbole d’une rébellion punk prenant d’assaut les radios. Fort de ce succès, Lovine coule le rock des Heartbreakers dans son moule grandiloquent. Le chant est mis en avant, les légers échos donnant à Petty le titre de Dylan des seventies.

La filiation n’a d’ailleurs jamais été aussi flagrante qu'à l’heure où le grand Bob vient de sortir Street Legal, où il vampirise le son de ses fils spirituels. Du coté des heartbreakers , le fossé séparant damn the torpedoes des deux albums précédents est vertigineux. Finis les riffs un peu gras, le grand défouloir où le rythm n blues rencontre le folk des Byrds.

Autrefois discret, le synthé ouvre l’album sur un sifflement mélodieux. Pris dans cet emballage lumineux, la guitare place ses arpèges chaleureux, ses solos décollant avec grâce à la fin des refrains. Si les heartbreakers furent un symbole des années 80, c’est qu’ils étaient plus malins que la plupart de leurs contemporains. Ici, la rythmique n’est pas laissé à un automate sans âme, l’énergie n’est pas sacrifiée sur l’autel des charts.

La batterie est plus véloce que jamais, elle est le battement qui permet aux autres de ne pas s’assoupir sur les refrains les plus pop. Chaque titre de cet album est un tube, un parfait compromis entre douceur pop et énergie rock. Avec damn the torpedoes , Tom Petty sort de l’impasse dans laquelle le rock s’était empêtré depuis la seconde moitié des seventies.

Refusant de s’enfoncer dans la même gadoue passéiste que ses ainés, Tom Petty tue le père à coup de mélodies pop rock. En plus d’annoncer officiellement le début des années 80 , damn the torpedoes place Tom Petty dans un sillon qu’il creusera seul. Alors que le pop rock va devenir plus pop que rock, que les guitares étoufferont dans une guimauve synthétique, Petty sera le seul à garder cette fraicheur. Les morts gouvernent les vivants, et l’énergie du vrai rock n roll continue de s’épanouir dans ses mélodies nostalgiques. En voulant séduire son époque, Tom Petty a produit une œuvre intemporelle.          

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