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vendredi 25 décembre 2020

Tangerine Dream : Phaedra


Bonjour messieurs ! Je suis Richard Brandson, et j’aimerais vous signer sur mon label.

Edgard Froese connaissait bien sûr ce nom, tous les journaux en parlaient. Ce blond au sourire carnassier avait commencé sa carrière dans la vente de disques par correspondance. Alors que ses affaires commençaient à bien marcher, la poste anglaise entama une grève qui risquait de mettre fin à sa carrière.c

Brandson a alors ouvert ses magasins Virgin, de véritables temples pour audiophiles curieux. La spécialité de ces boutiques était de brader des disques underground, et le concept a fait un carton. Berlin, fun house, tous ces disques qui passèrent injustement sous tous les radars s’offraient ainsi aux auditeurs les plus téméraires. Fort de son succès, Branson s’est lancé sur un marché du disque en plein âge d’or, en fondant le label virgin record.

Alors inconnu au bataillon , Mike Oldfield n’a que 16 ans quand il devient le premier artiste du label. Le gamin s’enferme alors en studio, et enregistre une composition qu’il a en tête depuis quelques mois. Sûr de lui, il joue de tous les instruments , et parvient à agencer ses parties grâce aux studios modernes. Quand Richard Branson prend contact avec Tangerine Dream , Tubular Bells est dans les bacs depuis quelques mois , et a rapidement atteint le sommet des ventes.

Oldfield devint ainsi le parrain de toute une scène Canterburienne , qui profita de son succès pour s’engouffrer dans la brèche. Plus que de simples businessmen, les responsables de virgin veulent aussi participer à la gigantesque œuvre que bâtit le rock en ce début de seventies. Après que tangerine dream ait signé son contrat, Virgin l’envoie rapidement dans son studio berlinois. Là-bas, le groupe bénéficie de tout l’équipement qu’il souhaite, le label sentant bien que ce trio peut reproduire l’exploit commercial et artistique de son premier protégé.

Edgard Froese reconnaît d’ailleurs que cet équipement dernier cri a largement influencé la musique de Phaedra , mais reste persuadé qu’il aurait pu produire un aussi bon disque sans. Avec Phaedra , la machine reste au service de l’artiste , pas le contraire. D’ailleurs, les sessions d’enregistrements furent un cauchemar, une lutte douloureuse entre l’homme et une technologie encore balbutiante. Le séquenceur ne permettant pas d’enregistrer des sons, les musiciens doivent s’accorder pendant des heures, pour être dans la tonalité d’un sifflement que la machine ne pourra jouer une seconde fois.  En plus de cette préparation interminable, le séquenceur oblige le trio à structurer davantage sa musique, pour poser un cadre capable de donner forme à ses sons hypnotiques.

Ajouter à cela la fragilité de bandes d’enregistrements cassant souvent entre les prises , les fréquences trop basses, qui mettent le séquenceur hors service , et les caprices de mellotrons aux réglages hasardeux , et vous obtenez un cauchemar devant lequel de nombreux explorateurs sonores auraient abdiqué. De ce calvaire naît tout de même la première partie de Phaedra , et Tangerine dream part au manor studio (en Angleterre) pour enregistrer le reste de l’album. Dans la capitale de la pop moderne, Edgard Froese explore les possibilités du mellotron. Désormais salué comme l’instrument sacré du rock progressif, ce clavier lui permet de composer « mysterious semblance of a nightmare » , nuage fascinant qui sera finalement placé en ouverture de l’album.

Pas en reste , Peter Baumann utilise le delay de son synthétiseur pour former le rideau hypnotique qui referme l’album. Phaedra est un fleuve synthétique, un courant méditatif guidé par une syncope fascinante, un swing robotique et vaporeux. Si cette musique est plus structurée, si les battements spatiaux guident les crescendo mystiques de cette symphonie robotique, aucun groupe n’était allé aussi loin dans l’exploration des synthétiseurs modernes.

Entouré par un système de branchements complexe , les musiciens devinrent le cœur mettant en branle un instrument fabuleux, un dieu métallique chantant ses odyssées d’un autre monde. Ce qui était au départ un foisonnement de bruit, un décor qui semblait se constituer grâce à l’aide d’une force inconnue , devient une impressionnante science musicale.  C’est un véritable fleuve synthétique qui coule  entre nos oreilles comblées, un torrent dont les musiciens semblent parfaitement maitriser l’intensité et les ondulations. Les formes évoluent en une succession de sculptures aqueuses, des silhouettes mouvantes ciselées avec précisions par les battements du synthé.

Autour de ses formes, les sifflements des machines font souffler un vent planant, et l’esprit n’a plus qu’à se laisser emporter par ce mistral bienfaisant. Lors de la sortie de ce disque, beaucoup parleront de la naissance d’une école de Berlin. Cette nouvelle étiquette fut surtout pratique pour regrouper Neu ! Can , Tangerine Dream , Kraftwerk et autres musiciens teutons. Elle permet aussi à toute une critique, qui n’a jamais beaucoup aimé cette avant-garde allemande , de retourner sa veste sans trop montrer qu’elle n’y comprenait rien.  

Le succès de Phaedra arrivait bien en même temps que des classiques tels que autobahn , ou soon over babaluma , mais il y avait un monde entre chacune de ces œuvres. A la réecoute de chacun d’eux, on ne peut que constater que phaedra reste le plus futuriste. Ecouter cet album , avec nos oreilles modernes , c’est ressentir le même émerveillement que ceux qui le découvrirent en 1974. Plus qu’un épisode de l’irrésistible ascension de l’avant-garde allemande, Phaedra est un véritable ticket vers le cosmos dont on ne pourra jamais se lasser.           

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