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samedi 5 décembre 2020

Tom Petty 5


Nous sommes en 1988 et , pour se détendre de ses séances d’écriture, George Harrison part déjeuner avec Jeff Lynne et Roy Orbinson. Pour Harrison, la fin des Beatles fut une libération, elle le délivrait du silence imposé par le génie du duo Lennon Mccartney. Il sera d’ailleurs le premier Beatles à trouver le succès en solo, et un disque comme all things must past vaut bien tous les essais de ses ex collègues.

Après quelques discussions sans intérêt, Harrison ne tarde pas à parler de ses difficultés à ses illustres convives. Il ne sait pas dans quel studio enregistrer la face B de son prochain 45 tours, le studio où il a ses habitudes étant malheureusement réservé. Jeff Lynne lui conseille alors de contacter Bob Dylan, qui pourra lui faire bénéficier de son studio à Malibu.

Après ce diner, Harrison se rend compte qu’il a laissé sa guitare chez son ami Tom Petty. En la récupérant, il lui propose de participer à l’enregistrement de son nouveau titre. Une fois en studio, Lynne, Orbinson et Dylan viennent assister aux enregistrements. Ils finissent par poser leurs instruments sur le titre de leurs collègues et , cette collaboration transformant un titre anecdotique en tube en puissance , une complicité se crée entre les musiciens. Ils décident alors de poursuivre les enregistrements , et parviennent vite à réunir de quoi produire un album commun.

C’est ainsi que fut produit travelin wilsbury volume 1, premier album d’un groupe composé de Tom Petty , Bob Dylan , George Harrison , et Roy Orbinson. Ce genre de réunion n’est pas une nouveauté, d’ex musiciens d’Emerson Lake et Palmer, de King Crimson, et de Yes , se sont déjà réunis sous le nom d’Asia (1981).

Ce qui est intéressant dans ce premier disque des traveling wilsbury , c’est qu’il annonce la renaissance de certains de ses protagonistes , alors que d’autres rajeunissent de quelques années. Sur Tweeter and the monkey man, Bob Dylan prend le ton de prédicateur blues folk , qui sera celui de son dernier âge d’or. Envoyé aux radios pour faire monter la sauce, Handle with care permet à Petty de toucher du doigt le génie des Beatles.

Sur end of the line, la légèreté d’un Dylan ressuscitant sa période country rejoint la splendeur pop perdue après le duo Lennon Mccartney. Si je voulais être sarcastique, je dirais que la présence d’un Lynne obnubilé par l’héritage Beatlesien est largement responsable du succès de ce disque. Dernier génie de la musique populaire, les Beatles sont un symbole dont on ne fera jamais réellement le deuil, et le public s’accroche à chacune de leurs évocations.

Mais la production de Lynne permet surtout à ces fortes personnalités de s’épanouir sans briser l’osmose de l’album. Et, aussi anecdotique soit-elle, cette agréable réussite a tout de même permis à ses protagonistes de trouver un nouveau souffle.

A peine un an après la sortie du disque, Dylan sort Oh Mercy, qui reste à ce jour un de ses meilleurs albums. De son coté, Petty demande à Jeff Lynne de s’occuper de la production de son premier album solo.

Full Moon fever s’ouvre sur ce qui ressemble à un portrait de l’Américain moderne.

« She’s a good girl , love her mama

Love Jesus and america too

She’s a good girl crazy about Elvis

Love Scorcese… »

 

Ces premières phrases sont aussi essentielles que celles des grands romans, elles sont le témoin d’une époque et d’une culture. Partagée entre le traditionalisme, et une culture pop diffusant son hégémonie sur le monde, l’Amérique s’est tout de suite reconnue dans ces quelques mots, et dans cette musique.

A l’image de son pays , Petty se sert de la modernité pour dépoussiérer ses vieux totems. Dans ce cadre, Jeff Lynne est une aide indispensable. Le producteur remet de l’ordre dans le bazar laissé par let me up , il offre à son ami une production d’une propreté irréprochable. Les instruments semblent flotter dans un somptueux nuage sonore, qui donne à leurs accords une profondeur impressionnante.

Sans les heartbreakers , Petty retourne dans les bras des Byrds , auquel il rend hommage à travers une reprise de « feel a whole lot better ». Le ton plus Byrdsien de ce disque est aussi en partie dû à Jeff Lynne. En incitant son ami à composer sur une guitare acoustique, il l’a obligé à se concentrer sur ses mélodies.

Perle parmi  les perles , yer so bad sonne presque comme une chanson folk , et même son solo n’ose abandonner la splendeur d’une rythmique délicieusement douce. En le rapprochant de ses modèles , Jeff Lynne a aussi permis à Petty de faire redécouvrir la grandeur d’une pop légère.

Séduit par la pureté d’une production claire comme de l’eau de roche, l’Amérique redécouvre la musique qui fit danser les hippies. Elle redécouvre aussi ce rock n roll qu’elle ne peut abandonner. Runnin down a dream ressuscite l’énergie sacrée des grands riffs, c’est Chuck Berry tentant d’imiter Fleetwood Mac, la chaleur de la Californie gommant l’agressivité de son blues urbain. 

Et, quand ce feeling enlace une mélodie acoustique, ça donne une rencontre historique entre la tradition et la modernité. Symbole de cette symbiose, won’t back down sera bientôt repris en cœur dans les stades.

Full Moon fever ravira les bons garçons, qui aiment Elvis, et les Byrds aussi. Il ravira les bons garçons fous de rock. Qui aiment les riffs, et les belles mélodies aussi.

Le succès de Full Moon Fever met son auteur dans une situation délicate. Il ne veut pas abandonner son groupe, qu’il considère encore comme le meilleur qu’il ait connu. Mais il ne peut lâcher ce son , qui transforme ses meilleurs titres en hymnes de stades.

Frustrés par son départ brutal, les Heartbreakers auraient pu commencer une carrière solo, et leurs calculs égoïstes auraient sans doute détruit le groupe. Les heartbreakers se seraient alors retrouvés dans la même situation que les stones, après la sortie des albums solos de Ron Wood , Keith Richard , et Mick Jagger.

Chacun aurait gardé ses meilleures idées pour sa propre carrière, et le collectif auraient dû accommoder les restes. Heureusement, le groupe de Mike Campbell n’est pas tombé dans ce piège, mais garde une vision artistique assez éloignée de celle de son leader. Le ratage de let me up n’a pas dissuadé les heartbreakers de partir vers une musique plus directe, ils souhaitent encore renouer avec la simplicité de leurs premières heures.

Résultat, quand Petty fait entrer Jeff Lynne dans le studio, la tension est palpable. Pour les collègues de Tom, Jeff Lynne est la source de tous leurs maux, celui dont la production a enfoncé un let me up déjà décrié. Heureusement, quand le groupe commence à jouer, la musique adoucit les mœurs.

Il faut dire que les titres d’into the great wide open leur rendent aussi hommage. Petty y exprime  la joie de jouer avec de tels mercenaires, conte son histoire sans oublier les clichés éternels. On est donc embarqué, sur le morceau titre, au côté d’un rocker luttant pour diffuser le rock n roll.

Le ventre vide, mais nourri par l’énergie du rock n roll, notre homme gravit les marches qui le mènent au succès. Après ce mythe immortel, servi par une très belle mélodie, Petty affirme à ses amis que leur histoire n’est pas finie. Les rides ont beau marquer leurs fiers visages , le temps a beau alourdir leurs mouvements , les heatbreakers apprennent encore à voler vers d’autres horizons.

Ayant trouvé un compromis avec Jeff Lynne, les Heartbreakers n’hésitent pas à « faire du bruit ». A l’image de make some noise , learning to fly montre l’entrain d’un groupe pour lequel un bon riff vaut plus qu’un long discours.

Si Full moon fever était addictif dès la première écoute, into the great wide open est plus complexe. Jeff Lynne a pris ses aises, dotant l’album d’une production plus riche. Into the great wide open tire son charme de l’affrontement qui oppose sa production, mélodieuse et raffinée, à la spontanéité de rockers intenables.

Learning to fly montre d’abord les mérites du producteur, qui transforme les arpèges en rideau cristallin. Cette grâce sublime les mélodies, donne aux ballades une résonance poignante. Quand les guitaristes décident de revenir à des riffs plus virulents, la production parvient à faire rentrer cette énergie dans le rang des mélodies Pettyennes.

Malgré cet affrontement, qui donne à into the great wide open un charme moins évident, le disque se vend par palettes. Après avoir trouvé une nouvelle voie Petty ressuscite un groupe qu’il ne quittera jamais très longtemps.

      

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