Rubriques

samedi 5 décembre 2020

Tom Petty 6


 

Novembre 1994.

Quelques semaines plus tôt , Rick Rubin a donné refuge à un Johnny Cash en exil , et vient de sortir le premier volume de ses american recording. Une figure telle que Cash est essentiel, elle est le phare qui permet au rock de ne pas se perdre dans ses périples expérimentaux. Les American recording permettent à une nouvelle génération de découvrir ce rock , de vénérer ce dernier mohican , qui a la country dans le sang et le blues dans le cœur.

Si le premier album des american recording est le sweetheart of the rodeo (des byrds) des nineties, wildflowers est son harvest. Sans doute influencé par la réussite de Cash, Petty a lui aussi confié son retour à la terre à Rick Rubin. Après s’être fait une réputation en surfant sur le succès du heavy metal , Rubin devient le maitre d’œuvre d’un rock qui rêve d’authenticité. Conscient que son rôle demande une certaine modestie, il ne surcharge pas la fresque de son protégé. Il a vite compris que cette musique a besoin de respirer, que des bluettes telles que wildflowers sont de gracieux canaris, qui ne supporteraient aucune cage. Une telle musique a besoin d’espaces, les riffs de you wreck me ou cabin down bellow galopent comme des chevaux sauvages.

L’album en lui-même ressemble à une chevauchée dans l’histoire de la musique américaine, on y croise les ombres des grands voyageurs qui ont fertilisé son sol. Servi par des guitares bourdonnant comme une armée de frelons, honey bee ressuscite le blues libidineux des grands bluesmen campagnards. Petty revient alors sur ses terres natales , celles des bayous de Floride , où le grand Dr John façonna son mojo surréaliste.  

Plongés dans ce bain de jouvence, les solos réveillent le fantôme des seventies, époque où le blues pouvait se durcir sans se renier. Les ballades, elles, revisitent l’ambiance bucolique de broken arrow , la grange où Neil Young produisit son best-seller country. Le morceau titre flirte d’ailleurs avec les mélodies désespérées du loner, pendant que fade on my rappelle les comptines de after the gold rush.

Comme harvest avant lui , Wildflowers éblouit surtout quand le country rock devient une grande symphonie paysanne. Placés à la fin de l’album, crawling back to you et wake up time sonnent un peu comme son « a day in the life ». Si la fresque pop de sergent pepper ouvrait la voie à une nouvelle ère musicale, la patine des deux symphonies Pettyenne redonne vie aux vieux meubles de la pop.

Si wildfolwers est officiellement un album solo, Benmont Tench et Mike Campbell viennent défendre le rock flamboyant des heartbreakers. Des titres comme a higher place ressuscitent d’ailleurs l’énergie tubesque de hard promise, alors que les guitares saluent le crazy horse sur fade on me. Attiré par ces mélodies lyriques, Ringo Starr pose ses beats de batteur le plus sous-estimé du monde sur hard to find a friend.

Contrairement à l’époque où ce cher Ringo faisait partie de l’orchestre des cœurs solitaires, le rock n’est plus un jeune homme plein de projet. Assis sur le banc de ses souvenirs, c’est un vieux dévoilant ses secrets avec nostalgie. A défaut de briller par leur avant gardisme , les œuvres telles que wildflowers atteignent une certaine forme de perfection traditionnelle, elles représentent le champ du cygne d’une grandeur qui se raréfie.

L’éclectisme de wildflower est rendu cohérent par l’authenticité de ses mélodies , c’est un grand travail d’artisanat musical. Pendant ces 60 minutes, Petty passe en revue ses coups de foudre musicaux, retrace le chemin de ses inspirations, tel un vieillard retraçant le parcours de sa vie. Si Petty a encore de beaux jours devant lui, wildflower restera sa plus grande œuvre, l’aboutissement d’un parcours exemplaire.

« Mickey est jeune chauffeur de taxi New Yorkais. Il rencontre la séduisante Hape et tombe immédiatement amoureux. Francis , son frère , a une aventure avec Heather , l’ex fiancée de Mickey . Les deux frères entrent alors en compétition. »

La plupart des gens ne grandissent jamais. Leur corps s’allongent et expriment de nouveaux besoins, mais leur culture ne murit pas. Ce que vous avez lu entre guillemets, et qui est le scénario du film she’s the one, en est la preuve flagrante. C’est une intrigue de film Disney , auquel on ajoute une espèce de voyeurisme malsain. Les comédies romantiques ne sont d’ailleurs que des films Disney pour adulte, auxquels on ajoute le faux réalisme abrutissant de la télé réalité.

She’s the one fait partie de ces films au manichéisme écœurant, ces ganaches indigestes qui nourrissent la frustration des spectateurs. Avec eux, le cinéma ne cherche plus à émouvoir, faire rêver ou réfléchir, il montre au spectateur une fausse réalité qu’il présente comme un modèle. Comme beaucoup de films commerciaux américains, she’s the one est plus proche de la réalité par la bassesse de ses personnages , que par l’ennui mortel de son monde fantasmé.

Mais les responsables de cette pantalonnade eurent au moins la bonne idée de demander à Petty d’en faire la bande son. L’amuuuur , Petty connait , cela fait plus de dix ans qu’il le chante , sans tomber dans la niaiserie que vendent les producteurs qui demandent son aide. Sans être un chef d’œuvre, la bande son de she’s the one contient assez de beauté pour donner un peu d’éclat à un film si terne.               

Alors bien sûr , en se basant sur un tel modèle , Tom Petty et ses Heartbreakers tombent parfois dans le tas de guimauve. Certains titres acoustiques sont plombés par la nostalgie soporifique, qui fait parait-il le sel de ces comédies romantiques. Le bien nommé « asshole » imite d’ailleurs les harmonies vocales de Crosby Still and Nash , sans parvenir à faire décoller sa chorale amorphe. On pourrait aussi être agacé par les rimes cucul, et le rythme mielleux de walls.

Mais , quand les guitares électriques se lâchent, sur des titres comme supernatural radio , les heartbreakers rajeunissent de quinze ans. Revenant à ses mélodies électro acoustiques, California et angel dreams reprennent les choses là où full moon fever les a laissées. Ce miracle n’est pas dû au film que cette musique colore,  elle montre au contraire que Petty dépasse de loin son modèle. Disque moyen, la bande son de she’s the one contient assez de perles pour décupler la popularité de son auteur.

Il faut désormais accepter que le rock ne soit plus la préoccupation majeure des années 90. Alors, si les poubelles de la culture pop sont friandes de rock , il ne faut hésiter à les gaver. Après tout, le rock marquera bien plus les spectateurs que les histoires cucul d’un quelconque Mickey pour adulte.              

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