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mardi 12 janvier 2021

Tangerine Dream : Ricochet


Nous sommes en 1975, et Tangerine dream sort enfin son premier album live. Ce constat peut paraître paradoxal, surtout quand on sait que cette musique était improvisée. Chaque disque du groupe est une sorte de live sans public, et la matière qui compose chacun d’eux fut mise au point lors de longues expérimentations scéniques. Un enregistrement de Tangerine dream est une lutte impitoyable contre les défaillances de la machine , et cette grande lutte a largement soudé les trois musiciens. Le trio s’étant stabilisé, on aurait pu s’attendre à ce que ricochet soit un instrumental totalement improvisé sous les yeux du public.
 

Malgré la symbiose créée par plusieurs années de lutte, le trio ne pouvait tout maitriser, et ce n’était d’ailleurs pas son souhait. L’improvisation est justement faite pour sortir ces virtuoses de leur zone de confort, elle les obliges à effectuer des manœuvre plus hasardeuses, qui se révèlent parfois géniales. Le hasard est donc l’étincelle donnant toute sa puissance fascinante à sa musique. Cette rencontre féconde entre le hasard et la sagesse de ces trois musiciens ne pouvaient donc qu’être favoriser par la scène. Le matériel est déjà prêt, le groupe sortant tout juste d’une tournée triomphale en Europe, mais Edgard Froese refuse de publier ces bandes en l’état. Cette matière, il veut la retravailler, pour donner naissance à une nouvelle œuvre.

Dans son studio anglais , Tangerine Dream crée un premier instrumental , qui est placé en ouverture d’album. Grâce aux moyens des studios modernes, Edgard Froese sélectionne quelques passages de sa précédente tournée. A plusieurs endroits, il ajoute des nappes de mellotron , accentuant une mélodie qui assemble les pièces issues de différentes prestations. Bien aidé par ce matériau brut de décoffrage, Tangerine dream développe une musique plus énervée, qui s’approche des trips électriques du rock atmosphérique. Plus virulente, la batterie incite le synthé à hausser le ton, pendant que la guitare flirte avec les univers des plus grands rockers cosmiques.

Robert Fripp a d’ailleurs dû penser à ces tourbillons de guitare nuageuse, quand Bowie lui demanda de travailler sur ce qui deviendra heroes. Cette guitare changeant de voie , ce riff se transformant en cor céleste , Edgard Froese le maitrisait bien avant que Bowie n’en fasse un tube.

Si Ricochet est moins pop que ne le sera heroes , c’est uniquement dû à la longueur de cette grande pièce instrumentale. Le grand public ne peut maintenir son attention aussi longtemps, il lui faut des mots, des envolées bien marquées , des refrains faciles à retenir. Ricochet était trop sombre, même si cette noirceur n’était pas comparable au monde torturé de Zeit. En suivant le chemin mélodique tracé par rubycon , tangerine dream a produit un des disques les plus accessibles , rock , et finalement optimiste de sa remarquable carrière.

Ricochet donne la même impression qu’un retour de voyage, quand on regarde le ciel  par la fenêtre, et que nos souvenirs brillent comme des étoiles illuminant notre nostalgie. Ricochet ne veut pas nous noyer sous son fleuve mélodique, il prend au contraire soin de nous laisser des repères auxquels s’accrocher. Sur l’introduction une mélodie binaire nous prend par la main, pour nous guider dans ce grand espace électronique. La musique décolle ensuite progressivement, mais la batterie et la six cordes de Froese nous envoie assez de bouées pour éviter de nous noyer dans ces eaux fabuleuses.

Nous avons alors l’impression d’être un naufragé protégé par une force divine, et admirant le déchainement des éléments, avec la tranquillité de celui qui sait qu’il ne risque rien.  Le paysage s’agite et s’apaise, s’illumine et s’assombrit au fil des notes. Toujours chargé de coordonner ces mouvements, le séquenceur déchaine le rythme, ou l’asphyxie dans un nuage hypnotique. C’est encore le séquenceur qui décide quand deux notes atmosphériques sautillent comme des lapins hypnotiques , avant de retourner ramper comme un varan sous un soleil de plomb.

Si les prises live donnent plus de vie à ces mélodies spatiales, elles ne brisent pas l’harmonie d’une œuvre encore plus cohérente que la précédente. Quand l’ovation du public viendra saluer une prestation qui n’a jamais eu lieu sous cette forme, certains pourraient croire que Tangerine dream se moque d’eux. Viendra alors l’inévitable question : jusqu’où peut-on retravailler un live sans être accusé d’escroquerie ?

Pour Tangerine Dream , le débat parait absurde. On ne peut accuser un groupe jouant avec des machines aux réglages si hasardeux de manquer de sincérité artistique. Sa notoriété, Tangerine dream risque de la détruire à chaque fois qu’il démarre ses machines erratiques. Alors, si les studios modernes lui permettent de transformer ses expérimentations scéniques en œuvre, il n’a aucune raison de se gêner.

Ricochet est un des disques les plus équilibrés de ses auteurs , et son mélange de simplicité et d’expérimentations fait honneur au rock moderne. Depuis des années, le rock n’a cessé de mener son public vers de nouveaux territoires , de lui ouvrir les yeux sur des mondes inconnus. Dans ce cadre, ricochet est l’aboutissement d’expérimentations que la plupart de ses contemporains n’oseraient même pas imaginer.

A sa sortie, plusieurs magazines anglais parlent du « plus bel album de l’année » , il s’agit même d’un des plus beaux albums d’une décennie féconde.         

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