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lundi 26 juillet 2021

Neil Young : Sleeps with angels

 


Ils sont tous là pour rendre hommage au plus grand poète du rock. Dans les coulisses du Madison Square Garden, on croise ce qu’il reste du Band, Tom Petty , Lou Reed , Eric Clapton et autres gloires des sixties seventies. Le temps a quelques peu terni leurs légendes. Roger Mcguin ne s’est jamais remis de la fin des Byrds , alors que Clapton s’est définitivement enfermé dans son traditionalisme blues. Lou Reed a encore quelques fulgurances , comme les grandioses New York et Song for Drella , mais il n’est plus cet animal rock n roll qui fit rougir les soldats du heavy blues.

Parmi cette assemblée venue rendre hommage au grand Bob, seul Neil Young semble avoir gardé l’enthousiasme de ses jeunes années. Une bonne partie du public s’est d’ailleurs déplacé pour saluer « le père spirituel de Kurt Cobain ». Dernière grande icône du rock, Kurt Cobain n’a jamais caché son admiration pour le loner. Le blondinet est le John Lennon de la nouvelle génération, celui qui réunit toute une jeunesse autour de ses hurlements désespérés. Si Smell like teen spirit fut le titre à travers lequel toute une jeunesse exorcisa son mal être, c’est aussi le tube qui poussa son auteur vers l’abime.

Plaçant son intégrité artistique au-dessus de tout, Kurt Cobain supportait mal cette notoriété démesurée. Il tenait à sa liberté d’artiste maudit, il se sentait plus proche des Melvins que des grandes machines commerciales de son époque. Pour retrouver sa tranquillité, il enregistra le très rugueux In utero. Malheureusement pour lui, son génie permettait à certains de ces titres agressifs de devenir des tubes, et ce qui devait éloigner de lui ce grand public qu’il ne supportait plus ne fit que le rendre encore plus accro.

Alors que Cobain s’enfonçait dans une dépression de plus en plus profonde, la popularité de son groupe ruisselait sur son modèle. Les enfants du grunge ne regrettèrent pas leur passage au Madison Square Garden, Neil leur montrant d’où venait la puissance de leur musique torturée. Dans ce contexte, sa version de All Along the watchtower devint la célébration de la rencontre entre deux générations , un moment aussi historique que la reprise du grand Hendrix.

Pendant quelques mois, on crut encore que le rock venait enfin de renaitre de ses cendres, que le grunge n’était que la première vague d’une déferlante durable et mondiale. Des groupes aussi prometteurs que Stone temple pilot ou Pearl Jam s’engouffrèrent dans la brèche ouverte par Nirvana. Neil Young ne manqua pas de soutenir ce renouveau en invitant ces deux groupes à faire sa première partie, la fête fut malheureusement de courte durée. Il a suffit d’un tir de carabine pour éteindre une flamme que l’on croyait déjà immortelle. En se suicidant, Kurt Cobain mit fin au grunge, le mouvement ne pouvait survivre à la mort d’un leader aussi emblématique.

Bizarrement, ce furent d’abord les vieux briscards qui se pressèrent pour rendre hommage à l’ange blond du grunge. Iggy Pop avoua son admiration pour celui qui s’est tant inspiré de la fureur stoogieene, Patti Smith l’intégra aux fantômes habitant les titres de son excellent Gone again , alors que Neil Young immortalisa le deuil de son fils spirituel sur l’album Sleep with angel. Comme Tonight the night avant lui, Sleep with angel est un album sombre, une œuvre où la nostalgie partage le devant de la scène avec la culpabilité. Neil tenta de contacter Kurt Cobain quelques jours avant sa mort, il était persuadé de pouvoir le sauver de ses démons.

Si la tristesse se fait largement entendre à travers ses mélodies, Sleep with angel est tout de même un album moins étouffant que Tonight the night. Ce qui émerveille, sur des ballades comme my heart , c’est cet équilibre entre l’acoustique et l’électrique , la nostalgie vis-à-vis de ce qui fut et la tristesse vis-à-vis de ce qui n’est plus. Alors le loner hurle comme un vieux loup un soir de pleine lune, chuchote presque sous une pluie d’accords cristallins. Vient ensuite le superbe blues Appache dream of life , son riff tout en retenu portant un mojo à mi-chemin entre Redbones et les Stones.

Cette mélancolie tendre, ce feeling nonchalant sans être apathique, tout cela annonce les ballades engagées qu’il écrira bientôt en compagnie du groupe Promise of the real. Driveby poursuit cette promenade mélancolique sur une mélodie plus folk. Dylan fut le barde posant ses mots sur les troubles des sixties, Neil Young donne un son à cette époque de mort du rock. La guitare gémit timidement derrière un piano majestueux, les chœurs rappellent la beauté éternelle de « Déjà vu ».

Après la tristesse vient la colère contre la violence du destin , Neil ressortant sa bonne vieille old black pour raviver la puissance d’un grunge déjà condamné à mort. La batterie résonne comme le gargouillement d’une machine infernale, la guitare gronde comme un monstre en pleine agonie. Dans ce décor Dantesque, les chœurs rappellent le refrain de Smell like teen spirit, tube qui fit naître un espoir trop vite disparu. Sur Western hero , ce qui était un grondement colérique devient un gémissement au milieu d’un requiem country.

Les grands hommes comme les grandes œuvres sont souvent le produit de circonstances tragiques, c’est l’époque qui les façonne comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres. Avec Sleep with angel , Neil Young n’a pas seulement enregistré un  de ses plus grands albums , il a pansé les plaies d’une génération meurtrie.

Après la mort de Kurt Cobain, la presse ne cessera de se demander s’il fut « le dernier rocker ». Il y aura encore quelques gloires éphémères comme Jack White, Green Day ou les Libertines. Mais aucun ne parviendra à inventer un nouveau son entrainant toute une scène derrière lui , une musique fascinant toute une génération.

Neil Young ne retrouvera d’ailleurs que rarement le génie de ce Sleep with angel, le rock entre dans l’underground et il se terre progressivement dans le même trou.        

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