Ca y’est c’est fini ! Cette cochonnerie de pop
a fini par avoir sa peau !
Ils étaient pourtant nombreux derrière Lynyrd Skynyrd ,
armée incorruptible au service d’une terre sacrée. Une bonne partie de la
musique américaine est née ou a grandi dans le sud, cette terre est chargée d’une
histoire que ses musiciens étaient prêts à défendre jusqu’au bout. Lynyrd fut le
premier gardien du temple , celui qui n’hésitait pas à en venir aux mains pour
préserver sa musique des calculs sinistres des producteurs. Les hommes se
battent bien pour leur boulot , leur famille , leur patrie , ils doivent
désormais se battre pour la musique.
Une fois sa guerre gagné, Lynyrd a ouvert la voie à une
armée de rednecks grandioses , le soleil du sud venait réchauffer un rock sortant
de quelques années de psychédélisme pompeux. Point Blank , Molly Hatchet ,
Blackfoot , la liste des combattants sudistes est trop longue pour être résumé.
Cette valeureuse armée a survécu au rock progressif , aux glaviots punk , mais
elle ne pouvait résister aux années 80.
Les années 80 voient l’émergence d’une nouvelle vision de
la musique, plus uniforme et artificielle. C’est sans doute à cette époque que
la musique a commencé à être perçue comme un divertissement, les clips
confortant l’auditeur dans une niaiserie terne. Les synthés ont ensuite pris une
importance démesurée, et les sifflements de ces infâmes serpents robotiques ont
tué la grandeur du rock . Mélodie plate, chant grandiloquent et production proprette
sont devenus la norme .Ce n’était plus de la musique que l’on produisait, mais
un bruit de fond assez agréable pour isoler l’homme moderne d’un monde
déprimant.
Paradoxalement, l’avènement de la pop moderne fut plus un
coup de grâce qu’un véritable génocide du groove sudiste. Déjà en 1977, la
mort brutale de plusieurs membres de Lynyrd Skynyrd avait entamé l’assurance de
ses combattants privés de chef. Alors ils ont durci le son, pactisant avec les
forces du hard rock pour survivre à la mort de leur emblème. « Beatin the
odd » de Molly Hatchet sonnait presque comme du AC/DC, Blackfoot se
transformait en Status Quo américain, et cette stratégie permit en effet à ces
groupes de sortir des disques brillants . Mais le ver était dans le fruit et ,
si le rock sudiste s’était plié une première fois aux exigences de son époque ,
c’est qu’il était prêt à recommencer.
1983 fut donc l’année de la grande capitulation, les
sudistes produisant les mêmes mélodies niaises que les autres, pour ne pas être
jetés aux oubliettes. La traversée du désert va durer 7 ans , et sera largement
incarnée par la fameuse voiture rouge de ZZ Top. Cette génération était morte,
détruite par les exigences de producteurs à qui elle a fini par céder trop
facilement.
Leur salut, les sudistes le trouveront dans leur passé,
grâce au groupe qui a tout inventé. Les frères Allman étaient mort avec Duane ,
et les quelques bons disques qu’ils sortirent juste après sa mort n’étaient que
les tremblements d’une formation à l’agonie. Il mirent des années à trouver
celui qui, coincé au milieu de la scène locale, avait le charisme et la virtuosité
capable de ressusciter la grandeur que les Allman avait atteint lors de leurs
concerts au Fillmore. Après une série de formations dont l’histoire n’a pas
retenu le nom, Warren Hayne a atterri dans le groupe de Dickey Betts , un des
membres fondateur de l’Allman brother band.
Impressionné par son jeu fin et puissant , Betts réussit
à l’imposer à Gregg Allman , et les pionniers du rock sudiste enregistrent
ensuite shade of two word. Avec ce disque, les frères allman retournent le pâturage
sudiste pour lui rendre sa fertilité , ils redonnent de l’air à une terre qu’ils
furent les premiers à cultiver.
End of the line est l’équivalent moderne de whippin post
, le premier remet tout le monde sur les rails tracés par le second. Lynyrd et ses
disciples n’ont jamais réellement atteint ce groove terreux, ils étaient trop attachés
au rock anglais pour parvenir à ce niveau de pureté. La génération de Lynyrd s’extasiait devant Cream et Free , alors que les Allman ne juraient que par les grands du blues.
Pour imposer son appropriation du blues, les Allman l’ont étendu lors de grandes improvisations inspirés de la virtuosité du jazz. Au
fil des instrumentaux, leur mojo se faisait plus hypnotique , leur blues rock
se colorait de psychédélisme séduisant les rockers de San Francisco. Shade of
two word reprend à la lettre cette formule qui fit la légende des frères
Allman.
Boogie apocalyptique sur nobody knows , délire de mangeur
de champignon magique sur midnight man , shade of two word part de sommets vertigineux,
pour s’éteindre sur les notes chères au peuple du blues. Il fallait redonner
forme à un modèle déformé, et Warren Hayne est le phare qui permet aux Allman d’y parvenir. Sa guitare slide flirte avec la chaleur des premiers blues , ses
solos mènent une danse hypnotique et majestueuse , ses riffs redonnent au Allman brother la fougue des jeunes loups.
Le signal est lancé, et il s’achève sur un blues qui flirte avec le « you gotta move » des Stones. Il ne faudra pas longtemps
pour que ce signal soit entendu, et un autre groupe naît de ce groove quelques
mois seulement après la sortie de shade of two word. Sortis en 1989 et 1991 ,
shake your money maker et The Southern
Harmony and Musical Companion placent les Black crowes en tête d’une nouvelle
vague qui va déjà ramener les Allman au second plan. Avec ses deux disques ,
les jeunes texans n’ont pourtant rien inventé, ils se sont contentés de ressusciter le rock anglophile qui s’est étiolé après la disparition de la première
formation de Lynyrd. Ils avaient un feeling stonien et une puissance digne de
led zeppelin , le tout mâtiné de gospel et
porté par un groove sudiste irrésistible.
Doublé par ces jeunes à qui il a pourtant montré la voie,
Warren Hayne profite d’une pause dans la carrière des frères Allman pour
enregistrer « tales of ordinary madness ». Ce disque pourrait à lui
seul définir cette « grandeur de l’échec » vénérée par Marc Edouard
Nabe. Hayne avait coché toutes les cases , durcissant son jeu et flirtant avec
ce hard rock que les crowes vénéraient. Les synthés étaient agressifs et
puissants comme ceux de John Lord , les solos avaient la grandiloquence d’un Jimmy
Page construisant son escalier vers le paradis.
Mais Warren Hayne restait plus fin, plus mélodieux, plus
mature que ses rivaux juvéniles. Comparer ce disque à ceux des Crowes , c’est
rejouer l’éternel combat entre la maturité et l’énergie , la finesse et la
puissance viscérale. Hayne ne s’inspire pas de Lynyrd , il a cette musique dans
le sang , cette époque fut autant la sienne que celle de Steven Van Zandt.
Oublié au milieu des terres où tout a commencé, l’imposant guitariste
représente le réveil d’une génération qui n’est pas encore prête à mourir. L’anonymat
a conservé la fraîcheur de son jeu, son rôle de second couteau lui a permis de mûrir
sans vieillir.
Plusieurs des solos présents ici sonnent comme des échos
de free birds , Hayne salut les glorieux contemporains qu’il va désormais
remplacer. Tale of ordinary madness était trop mélodieux, trop travaillé pour
séduire les adeptes des Black crowes. Il reste tout de même un classique trop
peu salué, un disque qui se nourrit de l’énergie de son époque sans oublier d’où
il vient.
Après ce coup d’éclat sorti dans l’indifférence générale,
Warren Hayne fait la connaissance d’Allen Woody. Les deux hommes partagent la
même vision de la musique, et décident rapidement de former le power trio qui
va révolutionner une nouvelle fois la musique sudiste.