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samedi 12 septembre 2020

Warren Hayne 2

Gov't Mule: Gov'T Mule: Amazon.fr: Musique 

 « Don’t you mind people grinin in your face »
Warren Hayne déclame ses paroles avec la ferveur du premier communiant. Il est le loup hurlant qui a perdu son choral gospel, un ange mystique perdu sur terre. Toutes les grandes musiques sont mystiques, la musique n’est d’ailleurs rien d’autre qu’une religion qui crée ses dieux. Devant une telle ferveur, les musiciens restent muets , ils savent que leurs instruments ne feraient que déranger cette communion. Ce chant à capela est aussi puissant que Billy Holiday chantant le blues des victimes du KKK sur strange fruit . Cette complainte fait partie de la grande expression de l’âme humaine.
Premier album de Gov’t mule ,  cet album éponyme est un hommage à cette mère universelle, cette terre d’Amérique dont les paysages accouchèrent de tout ce que la musique compte de grandiose. Après la prière a capela de son leader, le trio développe une puissance digne des power trios légendaires. Ce qui frappe avant tout , c’est ce groove gras et rugueux , cette locomotive heavy qui semble tirer toute une partie de l’histoire musicale du sud.

La batterie apache dirige la cérémonie, les riffs dansent autour de ses incantations comme la tribu de Geronimo en pleine fête voodoo. Dans un chaos paroxystique, la guitare entre en transe , grande dévote au service des grandes icônes noires. On sent déjà, dans la mélodie et les instrumentaux rêveurs, une envie de sortir des clichés liés au rock sudiste. La tentative est encore timide, le trio battant un fer brûlant qui ne lui autorise aucun calcul.

Alors Gov’t mule donne quelques pistes permettant de deviner ses futurs coups d’éclat , il esquisse le plan du prochain voyage.  Les riffs lâchent parfois quelques bulles psychédéliques , qui éclatent avec une grâce Gilmourienne. Sur trane , le groupe cherche un peu son groove , fait un détour du coté de Macon , terre natale des frères Allman. Puis le rythme s’emballe, le déluge s’intensifie, et l’âme d’Hendrix ressuscite dans un brasier free jazz rock. Gov’t mule a retrouvé le cœur d’un puissant cratère, et joue comme si sa puissance permettait d’en entretenir la puissance flamboyante.
Ce qui s’exprime ici, c’est la terre et le ciel, la rigueur de la tradition et la recherche dévote d’une beauté mystique . C’est une force supérieure descendant sur cette terre qui a porté tant de grands hommes. Dans ce contexte, Mr Big est bien plus qu’un hommage au groupe Free, c’est le point d’orgue que le groupe de Paul Kossof n’a pu atteindre.  Même quand il rend hommage à un groupe anglais, Gov’t mule garde cette ferveur groovie que seuls les américains savent entretenir.
Gov’t mule est un premier album qui a déjà des airs d’aboutissement, un pavé issu d’une époque où la musique était un totem sacré. Ainsi naquit Gov’t mule , glorieux gardien d’une flamme céleste.
 Le premier album ayant eu un succès honorable, Gov’t mule s’embarque dans une grande tournée américaine. Conscient de la puissance qu’il déploie en concert, le trio enregistre son premier live au Roseland Balroom.

 Ouvert en 1917, cette salle était à ses débuts réservée aux blancs. Les bourgeois venaient y danser sur des airs pompeux, inconscient de la révolution culturelle qui s’apprête à envahir leur salle. Dans les années 20 , le jazz déploie ses ailes d’or , et ses noires magnifiques défoncent les barrières ségrégationnistes à grands coups de swing. De la douceur de Neil Armstrong , à la tristesse éblouissante d’Ella Fitzerald , le jazz est la force irrésistible qui permet à la musique noire d’envahir une première fois les radios et salles de concerts. La révolution en marche atteint vite le roseland balroom , où l’on vibre désormais au rythme du dixieland.

 Quand on sait que Gov’t mule doit son nom à un décret qui promettait à tout esclave libéré une terre et une mule pour la cultiver, enregistrer son premier concert ici sonne comme une évidence. Le rock est le prolongement du jazz et du blues, l’achèvement d’un combat culturel entamé dans les années 20. Après avoir lutté pour imposer leur culture, les dieux du jazz et du blues donnaient naissance à des enfants blancs , caucasiens et noirs se lançaient dans un groove métisse.
 Quand Gov’t Mule découvre le roseland Balroom , il voit d’abord une de ces façades grisâtres qui forment le décor des vieux films américains. Sur le fronton,  le nom de la salle s’affiche en grandes lettres rouges , seule couleur sur un mur sinistre. Le groupe s’installe, la salle commence déjà son grondement dévot, et le rideau s’ouvre. En lançant les première notes, Warren Hayne est impressionné par la disposition des spectateurs. Devant lui, le public forme un gigantesque entonnoir qui semble prêt à l’engloutir. Un étage supérieur est placé sur les côtés de la salle enfermant le trio dans une avalanche de clameurs.

 Une foule pareille ne se maîtrise pas avec des berceuses, et la présentation du groupe laisse rapidement place à une rythmique de plomb. Gov’t mule prend alors le temps de construire son groove sismique, et les instruments hurlent sous la torture de musiciens déchaînés. Ce déchaînement n’est pas dénué d’une certaine finesse et, porté par la puissance de sa section rythmique, Warren Hayne décolle vers des sommets qui n’étaient plus explorés depuis la mort de Duane Allman. Gov’t mule déchire le blues , et Hayne se charge de lui passer la pommade , la grâce de sa guitare sort le groupe du bourbier assourdissant dans lequel trop de ses contemporains se complaisent. Longue improvisation de 16 minutes , Trane met le public à genoux dès les premières notes. Comme une grande apothéose céleste , cette longue divagation s’éteint sur le riff de St Stephen.

 Le San Francisco sound est ainsi repris à la sauce redneck , la cote hippie se réconcilie avec le sud sur un boogie lumineux. Ce soir-là, Gov’t mule redonne un avenir au rock, il défend son héritage sans l’ériger en monument intouchable.

Pour clore la fête, Voodoo child ressemble à l’incantation assourdissante d’une secte antique face au kraken. Cette fois, la force réveillée par cette incantation est le rock dans ce qu’il a de plus virulent. Les amplis tremblent encore lorsque les dernières notes de Voodoo Child s’éteignent, le rideau se refermant ainsi sur les débuts glorieux de Gov’t mule.

mardi 8 septembre 2020

Warren Hayne 1

Tales of Ordinary Madness: Warren Haynes: Amazon.fr: Musique

Ca y’est c’est fini ! Cette cochonnerie de pop a fini par avoir sa peau !
Ils étaient pourtant nombreux derrière Lynyrd Skynyrd , armée incorruptible au service d’une terre sacrée. Une bonne partie de la musique américaine est née ou a grandi dans le sud, cette terre est chargée d’une histoire que ses musiciens étaient prêts à défendre jusqu’au bout. Lynyrd fut le premier gardien du temple , celui qui n’hésitait pas à en venir aux mains pour préserver sa musique des calculs sinistres des producteurs. Les hommes se battent bien pour leur boulot , leur famille , leur patrie , ils doivent désormais se battre pour la musique.

 Une fois sa guerre gagné, Lynyrd a ouvert la voie à une armée de rednecks grandioses , le soleil du sud venait réchauffer un rock sortant de quelques années de psychédélisme pompeux. Point Blank , Molly Hatchet , Blackfoot , la liste des combattants sudistes est trop longue pour être résumé. Cette valeureuse armée a survécu au rock progressif , aux glaviots punk , mais elle ne pouvait résister aux années 80.
 Les années 80 voient l’émergence d’une nouvelle vision de la musique, plus uniforme et artificielle. C’est sans doute à cette époque que la musique a commencé à être perçue comme un divertissement, les clips confortant l’auditeur dans une niaiserie terne. Les synthés ont ensuite pris une importance démesurée, et les sifflements de ces infâmes serpents robotiques ont tué la grandeur du rock . Mélodie plate, chant grandiloquent et production proprette sont devenus la norme .Ce n’était plus de la musique que l’on produisait, mais un bruit de fond assez agréable pour isoler l’homme moderne d’un monde déprimant.

 Paradoxalement, l’avènement de la pop moderne fut plus un coup de grâce qu’un véritable génocide du groove sudiste. Déjà en 1977, la mort brutale de plusieurs membres de Lynyrd Skynyrd avait entamé l’assurance de ses combattants privés de chef. Alors ils ont durci le son, pactisant avec les forces du hard rock pour survivre à la mort de leur emblème. « Beatin the odd » de Molly Hatchet sonnait presque comme du AC/DC, Blackfoot se transformait en Status Quo américain, et cette stratégie permit en effet à ces groupes de sortir des disques brillants . Mais le ver était dans le fruit et , si le rock sudiste s’était plié une première fois aux exigences de son époque , c’est qu’il était prêt à recommencer.
 1983 fut donc l’année de la grande capitulation, les sudistes produisant les mêmes mélodies niaises que les autres, pour ne pas être jetés aux oubliettes. La traversée du désert va durer 7 ans , et sera largement incarnée par la fameuse voiture rouge de ZZ Top. Cette génération était morte, détruite par les exigences de producteurs à qui elle a fini par céder trop facilement.

 Leur salut, les sudistes le trouveront dans leur passé, grâce au groupe qui a tout inventé. Les frères Allman étaient mort avec Duane , et les quelques bons disques qu’ils sortirent juste après sa mort n’étaient que les tremblements d’une formation à l’agonie. Il mirent des années à trouver celui qui, coincé au milieu de la scène locale, avait le charisme et la virtuosité capable de ressusciter la grandeur que les Allman avait atteint lors de leurs concerts au Fillmore. Après une série de formations dont l’histoire n’a pas retenu le nom, Warren Hayne a atterri dans le groupe de Dickey Betts , un des membres fondateur de l’Allman brother band.

Impressionné par son jeu fin et puissant , Betts réussit à l’imposer à Gregg Allman , et les pionniers du rock sudiste enregistrent ensuite shade of two word. Avec ce disque, les frères allman retournent le pâturage sudiste pour lui rendre sa fertilité , ils redonnent de l’air à une terre qu’ils furent les premiers à cultiver.
 End of the line est l’équivalent moderne de whippin post , le premier remet tout le monde sur les rails tracés par le second. Lynyrd et ses disciples n’ont jamais réellement atteint ce groove terreux, ils étaient trop attachés au rock anglais pour parvenir à ce niveau de pureté.  La génération de Lynyrd s’extasiait devant Cream et Free , alors que les Allman ne juraient que par les grands du blues.
Pour imposer son appropriation du blues, les Allman l’ont étendu lors de grandes improvisations inspirés de la virtuosité du jazz. Au fil des instrumentaux, leur mojo se faisait plus hypnotique , leur blues rock se colorait de psychédélisme séduisant les rockers de San Francisco. Shade of two word reprend à la lettre cette formule qui fit la légende des frères Allman.

 Boogie apocalyptique sur nobody knows , délire de mangeur de champignon magique sur midnight man , shade of two word part de sommets vertigineux, pour s’éteindre sur les notes chères au peuple du blues. Il fallait redonner forme à un modèle déformé, et Warren Hayne est le phare qui permet aux Allman d’y parvenir. Sa guitare slide flirte avec la chaleur des premiers blues , ses solos mènent une danse hypnotique et majestueuse , ses riffs redonnent au Allman brother la fougue des jeunes loups.
 Le signal est lancé, et il s’achève sur un blues qui flirte avec le « you gotta move » des Stones. Il ne faudra pas longtemps pour que ce signal soit entendu, et un autre groupe naît de ce groove quelques mois seulement après la sortie de shade of two word. Sortis en 1989 et 1991 , shake your money maker et  The Southern Harmony and Musical Companion placent les Black crowes en tête d’une nouvelle vague qui va déjà ramener les Allman au second plan. Avec ses deux disques , les jeunes texans n’ont pourtant rien inventé, ils se sont contentés de ressusciter le rock anglophile qui s’est étiolé après la disparition de la première formation de Lynyrd. Ils avaient un feeling stonien et une puissance digne de led zeppelin , le tout mâtiné de gospel  et porté par un groove sudiste irrésistible.

Doublé par ces jeunes à qui il a pourtant montré la voie, Warren Hayne profite d’une pause dans la carrière des frères Allman pour enregistrer « tales of ordinary madness ». Ce disque pourrait à lui seul définir cette « grandeur de l’échec » vénérée par Marc Edouard Nabe. Hayne avait coché toutes les cases , durcissant son jeu et flirtant avec ce hard rock que les crowes vénéraient. Les synthés étaient agressifs et puissants comme ceux de John Lord , les solos avaient la grandiloquence d’un Jimmy Page construisant son escalier vers le paradis. 

 Mais Warren Hayne restait plus fin, plus mélodieux, plus mature que ses rivaux juvéniles. Comparer ce disque à ceux des Crowes , c’est rejouer l’éternel combat entre la maturité et l’énergie , la finesse et la puissance viscérale. Hayne ne s’inspire pas de Lynyrd , il a cette musique dans le sang , cette époque fut autant la sienne que celle de Steven Van Zandt. Oublié au milieu des terres où tout a commencé, l’imposant guitariste représente le réveil d’une génération qui n’est pas encore prête à mourir. L’anonymat a conservé la fraîcheur de son jeu, son rôle de second couteau lui a permis de mûrir sans vieillir.

 Plusieurs des solos présents ici sonnent comme des échos de free birds , Hayne salut les glorieux contemporains qu’il va désormais remplacer. Tale of ordinary madness était trop mélodieux, trop travaillé pour séduire les adeptes des Black crowes. Il reste tout de même un classique trop peu salué, un disque qui se nourrit de l’énergie de son époque sans oublier d’où il vient.
 Après ce coup d’éclat sorti dans l’indifférence générale, Warren Hayne fait la connaissance d’Allen Woody. Les deux hommes partagent la même vision de la musique, et décident rapidement de former le power trio qui va révolutionner une nouvelle fois la musique sudiste.      

samedi 25 avril 2020

Warren Hayne : Man In Motion


Man In Motion de Warren Haynes sur Amazon Music - Amazon.fr

Il a redonné à l’allman brothers band un éclat qu’il avait perdu depuis le trépas de Duane Allman, avant de s’appliquer à quitter le purisme sudiste. Gov’t mule fut créé pour ça, et la transformation fut encore plus radicale après le trépas de son bassiste. A ses débuts, la mule était limitée par sa formation en power trio, qui la condamnait à reprendre le groove sudiste avec une puissance digne de cream.

Adepte des jams sans filet, la mule était une curiosité coincée entre la virtuosité des frères Allman , et le blues anglophile de Lynyrd Skynyrd. C’était aussi ce qu’il fallait au rock sudiste de cette époque, et l’urgence de poudrières tels que « gov’t mule » et « dose » ont fait autant pour la résurrection sudiste que les grands disques des black crowes.  

Et puis le temps a passé, l’engouement s’est amenuisé, et la mule a radicalisé sa maturation. On a dit beaucoup de mal de déjà vodoo, la cicatrice laissée par le départ tragique d’Allen Woody était encore à vif. Le public rock est sentimental, et s’attache rapidement à ses formations préférées. Tout changement est alors pris comme une trahison, elle empêche l’objet de sa fascination de rester figé dans le marbre.

Si on prend déjà voodoo avec le recul que nous autorise le temps, on se rend compte qu’il ne fait qu’exacerber ce que le groupe initiait timidement auparavant. La palette de ses musiciens était, dès le départ, extrêmement large. Il la déployait sur scène, à grands coups de reprises déchainées. Black Sabbath , Hendrix , Neil Young , Fleetwood mac , une bonne partie de la mythologie rock est passée entre leurs mains dévotes. 

En studio , life before insanity montrait déjà un groupe plus appliqué , soignant ses arrangements et ménageant ses effets. Je l’ai dit au début de cette chronique, la mule était le vaisseau permettant à Hayne de revistier son héritage , ses multiples virages étaient prévues dès le départ.

Il ne faut pas mettre de frontière entre son œuvre et celle de son groupe, les deux se complètent. C’est d’ailleurs sur « tales of ordinary madness », sorti en 1993 , que Hayne annonçait les débuts sulfureux de la mule.

Il n’y a donc pas eu, comme certains l’ont écrit, plus de dix ans de blanc entre « man in motion » et le précèdent album de Hayne. Man in motion est la suite de « shout » , « dark side of the mule » , « stone side of the mule » et « sco mule » , il s’inscrit à la suite de ces explorations sonores.

Pour Man in motion, Hayne veut atteindre les terres de la motown , et la soul irrésistible promue par le label stax.  Pour toucher son but, il s’est entouré de pointures ayant côtoyé Keith Richards au sein des X pensive winos , et de grandes figures du Jazz et du funk. On ne s’étonnera donc pas d’entendre un monstre de groove, une chaleur dansante et orgiaque digne de James Brown ou Marvin Gaye. 

Warren Hayne se hisse littéralement au niveau de ces chanteurs iconiques , mesurant sa voix pour ne pas brusquer son groove cuivré. Il y’a un peu du band of gypsys dans le riff dansant d’on a real lonely night, une part de Sly and the family stones dans les chœurs enjoués qui composent cette chaleur groovy.  Mais les groovies children tel que funkadelique ne disposaient pas de ces cuivres jazzy pour réchauffer leurs fiestas.  Alors, bien sûr, sur des titres comme man in motion, les enfants du funk peuvent remuer du popotin, en pensant à leurs jeunes années, mais là n’est pas le seul charme de ce disque. 

Warren Hayne reste avant tout un bluesman, et ses couleurs funk jazzy vont raviver la splendeur du spleen venu du Mississipi. Hatesburg Husle va encore plus loin, c’est la fusion parfait de la musicalité soul et de la sensibilité blues. C’est aussi cette union qui fait la grandeur de « a friend to you » , « river gonna rise » ou « your wildest dream ».

La guitare y oublie toute agressivité, elle se fait délicate pour se fondre dans ses mélodies venues de Memphis. Même quand Hayne revient aux rythmes enjoués qui ouvrent le disque , les interventions solistes de Hayne restent mesurées. Le guitariste attend patiemment son tour, et débarrasse la virtuosité hendrixienne de ses distorsions stridentes. 

Le voyage se termine sur une gravité plus sobre, « save me » se contentant d’un orgue et d’un piano pour soutenir la ferveur de Warren Hayne. On retrouve alors la splendeur éternelle du gospel blues, une homélie musicale qui semble enregistrée au milieu d’une église.

Au final, en explorant une nouvelle parcelle de l’histoire musical américaine , Hayne produit un disque sur lequel le temps n’a pas prise. Ses mélodies cuivrées et rythmes funky forment une patine qui lui donne le charme de ces vieux meubles en bois , auxquels l’artisan semble avoir insufflé une partie de son âme.

Man In Motion aurait pu être produit il y’a trente ans, et on pourra encore l’écouter dans trente ans avec le même émerveillement.

    

jeudi 5 mars 2020

Warren Hayne : Live at Bonaroo


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Nous sommes sur une plaine du Tennessee , en 2004 , et le soleil éclaire une scène qui semble perdue au milieu du désert. En face des quelques curieux venus assister au début de sa prestation, Warren Hayne a les traits tirés de celui qui a passé une nuit agitée.

Le cadre du Bonaroo a des airs de nouveau woodstock, et ne l’encourage pas à balancer le blues abrasif qui fit la grandeur de son ancien groupe. On se croirait plutôt au milieu d’un camp hippie, où l’on s’attend presque à voir Country Joe se pointer sur scène, pour scander son fameux « fuck ».

Alors Hayne va tenter un exercice inédit, et débarque sur scène tel Dylan au festival de Newport, seul avec sa guitare sèche. Dès les premières notes de Lucky , la petite assemblée se fait silencieuse , comme hypnotisée par ses notes mélodieuses.

Ce son , c’est celui de la Californie avant que l’acide ne vienne déformer ses mélodies, un folk de hippie céleste. Devenu barde, Warren Hayne laisse son public suspendu à sa voix habitée. Le lyrisme a remplacé la puissance électrique, et tous semblent s’en réjouir.

La guitare se contente désormais de ponctuer le chant, lui donnant l’écrin capable de rendre ses paroles universelles. Johnny Cash lui-même n’aurait pas renié la puissance épurée de « the real thing », alors que la version acoustique de « I’ve got a dream to remember » renoue avec ce charisme musical, qu’on n'a plus entendu depuis le passage de l’homme en noir à la prison de folssom. 

Cash avait fait de one un folk désespéré soutenu par sa voix trempée dans le blues. Hayne , lui, transforme le tube de U2 en poème folk digne des grandes heures des hootenanies. Et voilà justement la force de cette prestation, elle renoue avec la ferveur commune aux pionniers de la musique américaine. La voix plaintive flirte avec le son du Mississipi, et les arpèges sont dotés du mysticisme folk rendu célèbre par Joan Baez. 

La prestation ayant démarré à 12 h 30, le public se limite à une centaine de personnes lors des premières minutes. Mais la foule gonfle progressivement, comme si ces arpèges jouaient une homélie irrésistible. Ils sont déjà plusieurs milliers quand Hayne entame fallen down.

Fallen down creuse le sillon théatral que Springsteen avait si bien exploré sur nebraska, la scène donnant à cette grandeur acoustique une puissance inédite. Si la musique est surtout un moyen de communier sur autre chose que des textes rétrogrades, alors ce live at bonaroo est un des plus grands disques jamais enregistrés.

Pour clôturer la performance, Soulshine fait revivre les mélodies africaines que Paul Simon sublima sur « graceland ». Rappelant que la musique américaine trouve ses origines en afrique , soulshine est une folk voodoo dont les dernières notes résonneront longtemps dans le cœur de la foule réunie ce soir-là.   

Warren Hayne représente la tradition musicale de son pays , dans ce qu’elle a de plus intemporelle et poignante. Et Live at bonaroo le fait passer de l’autre côté du miroir, la pochette de ce disque s’ajoutant aux symboles mythique jalonnant l’histoire du rock.     

jeudi 13 février 2020

Warren Hayne : Live at moody theater


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Le passé est un boulet, qui finira par entrainer ce bon vieux rock n roll dans le fossé. C’est un culte morbide qui empêche de voir la beauté quand elle dévoile ses mélodies sensuelles. Cette musique, messieurs, est progressiste, comme tous les groupes de rock devraient l’être.

Je ne parle pas ici du progressisme mondain des critiques rock embourgeoisés, qui achètent leurs vinyles numériques à la fnac. Non, ceux-là voudraient une révolution à la mai 68. Une jacquerie musicale balayant tout sur son passage. Ils voient la musique comme une série d’explosions, un serpent qui se mord la queue, et pensent qu’aujourd’hui le reptile c’est suicidé.

Il ne parlèrent du king que pour saluer sa mort, le rocker devant selon eux passer de la gloire au trépas, sans rien laisser derrière lui. Et bien non, le rock ce n’est pas cela, c’est une culture qui s’est érigé par étapes, le passé nourrissant les exploits futurs. Réadapter le blues, voilà la seule chose que firent les rockers, et ce peu importe leur proximité avec la source originelle.

Alors , maintenant que la chaine est cassée , que le monument s’est tellement éloigné du socle qu’il semble branlant, le blues revient sur le devant de la scène. Je ne suis pas en train de dire que le hard rock, le psyché, le prog , n’ont servi à rien , au contraire. Ils ont mené à une impasse, nourris de classiques en apparence indépassables, et qui ont engendrés une sève plus pure.  

Régulièrement, certains ont vu le cul de sac venir, et donnèrent naissance au nihilisme punk , au purisme cartoonesque de ZZ top , ou à la pop de prolos de creedence. 3 minutes , quelques riffs , et un retour à la simplicité de Cochran ou Muddy Water. Chassez le rock n roll et il revient flirter avec le blues.

Aujourd’hui plus qu’hier, ce virage est éclatant. Gary Clark Jr a gagné un grammy , et Bonamassa , Joanne Shaw Taylord et Keannie Wayne Shepperd se bousculent pour lui ravir sa couronne. Warren Hayne lui, est encore au-dessus de tout ça, c’est un monument historique.

Avec gov’t Mule , il a participé à la dernière charge glorieuse des sudistes, et l’a un peu prolongé quand les black crowes ont commencé à lâcher la rampe,  en 1996. Le problème, c’est que cet homme révélé par les frères allman était bien trop fin pour se laisser enfermer dans un genre.

Alors , au déces d’Allen Woody , la mule est devenue son jouet , qu’il emportait dans des expérimentations plus jazz. A ce titre , « sco mule » renoue avec une somptuosité cool qu’on croyait morte depuis la fin du mashavishnu orchestra. Par la suite , la mule a navigué sur les chemins tortueux du reggae , et des autres fétiches musicaux de son leader. 

Les ingrédients étaient là, épars, et ils donnèrent leurs premiers savoureux fruits sur son premier disque solo « tales of ordinnary madness ». L’enfant est le père de l’homme, et chaque musicien reste toujours ce gosse écoutant religieusement ses disques de rythm n blues , et de soul.

C’est en tous cas cet enfant qui a influencé man in motion, disque foisonnant et gracieux, que Hayne vient promouvoir sur la scène du Moody theater.  Les cuivres reprennent une place qu’ils n’ont plus eu depuis les belles heures de Sly et sa famille stone, groupe dont «  take a bullet » ressuscite les cuivres dansant autours de solos sensuels.

Sur les ballades comme « sick of my shadow » , ces cuivres soulignent la mélodie , créent un spleen somptueux de vieux baroudeur mystique. Le rythm n blues est à la fête, et copule joyeusement avec ses glorieux contemporains soul et funk. Warren Hayne a ça dans le sang , c’est un Johnny Cash qui aurait troqué son country blues pour un rythm n blues d’une richesse impressionnante.

Contrairement à la plupart de ses contemporains, il ne cherche pas à prendre toute la place, sa guitare est très présente sans être bavarde. Ne s’étiolant pas dans des solos superflues, son phrasé ponctue, sublime, et fait décoller une instrumentation d’une finesse rare.

Hayne est de la vieille école, celle qui voyait la guitare comme un instrument au service d’un groove qui la dépasse, et pas comme le monument autour duquel tout doit tourner. Si il reprend Hendrix sur un « soulshine » tout en finesse , ce n’est que pour saluer cette force mystique qui lui inspira ses débuts en trio.

Hayne fait partie d’une race de musiciens en voie d’extinction, celle qui savait que la beauté de leur jeu dépendait autant des notes qu’ils jouaient que des silences qu’ils entretenaient. A ce titre, « live at moody theatre » mérite bien sa place à coté de «  get yer ya ya’s out » des stones, « live at regal » de BB Kings , et autres monuments vénérés.

Cette bonne vieille tradition vient encore de se réinventer pour un nouveau public.