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samedi 5 décembre 2020

Tom Petty 5


Nous sommes en 1988 et , pour se détendre de ses séances d’écriture, George Harrison part déjeuner avec Jeff Lynne et Roy Orbinson. Pour Harrison, la fin des Beatles fut une libération, elle le délivrait du silence imposé par le génie du duo Lennon Mccartney. Il sera d’ailleurs le premier Beatles à trouver le succès en solo, et un disque comme all things must past vaut bien tous les essais de ses ex collègues.

Après quelques discussions sans intérêt, Harrison ne tarde pas à parler de ses difficultés à ses illustres convives. Il ne sait pas dans quel studio enregistrer la face B de son prochain 45 tours, le studio où il a ses habitudes étant malheureusement réservé. Jeff Lynne lui conseille alors de contacter Bob Dylan, qui pourra lui faire bénéficier de son studio à Malibu.

Après ce diner, Harrison se rend compte qu’il a laissé sa guitare chez son ami Tom Petty. En la récupérant, il lui propose de participer à l’enregistrement de son nouveau titre. Une fois en studio, Lynne, Orbinson et Dylan viennent assister aux enregistrements. Ils finissent par poser leurs instruments sur le titre de leurs collègues et , cette collaboration transformant un titre anecdotique en tube en puissance , une complicité se crée entre les musiciens. Ils décident alors de poursuivre les enregistrements , et parviennent vite à réunir de quoi produire un album commun.

C’est ainsi que fut produit travelin wilsbury volume 1, premier album d’un groupe composé de Tom Petty , Bob Dylan , George Harrison , et Roy Orbinson. Ce genre de réunion n’est pas une nouveauté, d’ex musiciens d’Emerson Lake et Palmer, de King Crimson, et de Yes , se sont déjà réunis sous le nom d’Asia (1981).

Ce qui est intéressant dans ce premier disque des traveling wilsbury , c’est qu’il annonce la renaissance de certains de ses protagonistes , alors que d’autres rajeunissent de quelques années. Sur Tweeter and the monkey man, Bob Dylan prend le ton de prédicateur blues folk , qui sera celui de son dernier âge d’or. Envoyé aux radios pour faire monter la sauce, Handle with care permet à Petty de toucher du doigt le génie des Beatles.

Sur end of the line, la légèreté d’un Dylan ressuscitant sa période country rejoint la splendeur pop perdue après le duo Lennon Mccartney. Si je voulais être sarcastique, je dirais que la présence d’un Lynne obnubilé par l’héritage Beatlesien est largement responsable du succès de ce disque. Dernier génie de la musique populaire, les Beatles sont un symbole dont on ne fera jamais réellement le deuil, et le public s’accroche à chacune de leurs évocations.

Mais la production de Lynne permet surtout à ces fortes personnalités de s’épanouir sans briser l’osmose de l’album. Et, aussi anecdotique soit-elle, cette agréable réussite a tout de même permis à ses protagonistes de trouver un nouveau souffle.

A peine un an après la sortie du disque, Dylan sort Oh Mercy, qui reste à ce jour un de ses meilleurs albums. De son coté, Petty demande à Jeff Lynne de s’occuper de la production de son premier album solo.

Full Moon fever s’ouvre sur ce qui ressemble à un portrait de l’Américain moderne.

« She’s a good girl , love her mama

Love Jesus and america too

She’s a good girl crazy about Elvis

Love Scorcese… »

 

Ces premières phrases sont aussi essentielles que celles des grands romans, elles sont le témoin d’une époque et d’une culture. Partagée entre le traditionalisme, et une culture pop diffusant son hégémonie sur le monde, l’Amérique s’est tout de suite reconnue dans ces quelques mots, et dans cette musique.

A l’image de son pays , Petty se sert de la modernité pour dépoussiérer ses vieux totems. Dans ce cadre, Jeff Lynne est une aide indispensable. Le producteur remet de l’ordre dans le bazar laissé par let me up , il offre à son ami une production d’une propreté irréprochable. Les instruments semblent flotter dans un somptueux nuage sonore, qui donne à leurs accords une profondeur impressionnante.

Sans les heartbreakers , Petty retourne dans les bras des Byrds , auquel il rend hommage à travers une reprise de « feel a whole lot better ». Le ton plus Byrdsien de ce disque est aussi en partie dû à Jeff Lynne. En incitant son ami à composer sur une guitare acoustique, il l’a obligé à se concentrer sur ses mélodies.

Perle parmi  les perles , yer so bad sonne presque comme une chanson folk , et même son solo n’ose abandonner la splendeur d’une rythmique délicieusement douce. En le rapprochant de ses modèles , Jeff Lynne a aussi permis à Petty de faire redécouvrir la grandeur d’une pop légère.

Séduit par la pureté d’une production claire comme de l’eau de roche, l’Amérique redécouvre la musique qui fit danser les hippies. Elle redécouvre aussi ce rock n roll qu’elle ne peut abandonner. Runnin down a dream ressuscite l’énergie sacrée des grands riffs, c’est Chuck Berry tentant d’imiter Fleetwood Mac, la chaleur de la Californie gommant l’agressivité de son blues urbain. 

Et, quand ce feeling enlace une mélodie acoustique, ça donne une rencontre historique entre la tradition et la modernité. Symbole de cette symbiose, won’t back down sera bientôt repris en cœur dans les stades.

Full Moon fever ravira les bons garçons, qui aiment Elvis, et les Byrds aussi. Il ravira les bons garçons fous de rock. Qui aiment les riffs, et les belles mélodies aussi.

Le succès de Full Moon Fever met son auteur dans une situation délicate. Il ne veut pas abandonner son groupe, qu’il considère encore comme le meilleur qu’il ait connu. Mais il ne peut lâcher ce son , qui transforme ses meilleurs titres en hymnes de stades.

Frustrés par son départ brutal, les Heartbreakers auraient pu commencer une carrière solo, et leurs calculs égoïstes auraient sans doute détruit le groupe. Les heartbreakers se seraient alors retrouvés dans la même situation que les stones, après la sortie des albums solos de Ron Wood , Keith Richard , et Mick Jagger.

Chacun aurait gardé ses meilleures idées pour sa propre carrière, et le collectif auraient dû accommoder les restes. Heureusement, le groupe de Mike Campbell n’est pas tombé dans ce piège, mais garde une vision artistique assez éloignée de celle de son leader. Le ratage de let me up n’a pas dissuadé les heartbreakers de partir vers une musique plus directe, ils souhaitent encore renouer avec la simplicité de leurs premières heures.

Résultat, quand Petty fait entrer Jeff Lynne dans le studio, la tension est palpable. Pour les collègues de Tom, Jeff Lynne est la source de tous leurs maux, celui dont la production a enfoncé un let me up déjà décrié. Heureusement, quand le groupe commence à jouer, la musique adoucit les mœurs.

Il faut dire que les titres d’into the great wide open leur rendent aussi hommage. Petty y exprime  la joie de jouer avec de tels mercenaires, conte son histoire sans oublier les clichés éternels. On est donc embarqué, sur le morceau titre, au côté d’un rocker luttant pour diffuser le rock n roll.

Le ventre vide, mais nourri par l’énergie du rock n roll, notre homme gravit les marches qui le mènent au succès. Après ce mythe immortel, servi par une très belle mélodie, Petty affirme à ses amis que leur histoire n’est pas finie. Les rides ont beau marquer leurs fiers visages , le temps a beau alourdir leurs mouvements , les heatbreakers apprennent encore à voler vers d’autres horizons.

Ayant trouvé un compromis avec Jeff Lynne, les Heartbreakers n’hésitent pas à « faire du bruit ». A l’image de make some noise , learning to fly montre l’entrain d’un groupe pour lequel un bon riff vaut plus qu’un long discours.

Si Full moon fever était addictif dès la première écoute, into the great wide open est plus complexe. Jeff Lynne a pris ses aises, dotant l’album d’une production plus riche. Into the great wide open tire son charme de l’affrontement qui oppose sa production, mélodieuse et raffinée, à la spontanéité de rockers intenables.

Learning to fly montre d’abord les mérites du producteur, qui transforme les arpèges en rideau cristallin. Cette grâce sublime les mélodies, donne aux ballades une résonance poignante. Quand les guitaristes décident de revenir à des riffs plus virulents, la production parvient à faire rentrer cette énergie dans le rang des mélodies Pettyennes.

Malgré cet affrontement, qui donne à into the great wide open un charme moins évident, le disque se vend par palettes. Après avoir trouvé une nouvelle voie Petty ressuscite un groupe qu’il ne quittera jamais très longtemps.

      

dimanche 29 novembre 2020

Tom Petty 4


 Cher Tom Petty,

 

Avant tout je te parle en tant qu’admirateur. Tu as su dépoussiéré le son des Byrds , et entretenir la flamme d’un rock dans lequel on me refusait d’entrer. Les journaux jugent souvent les artistes de manière caricaturale et , si ils vous considèrent comme mon fils spirituel , c’est qu’ils refusent d’accepter que je suis incapable d’écrire des tubes tels que refugee.

 

L’année prochaine, j’effectue une grande tournée avec le grateful dead , bien que le fait de devenir un vestige des sixties ne m’enchante pas. Entre temps, 1986 étant une année relativement calme, j’ai demandé à mon manager de vous inviter à ma prochaine série de concerts . L’invitation devrait vous parvenir prochainement, mais j’ai préféré prendre les devants.

 

Je serais réellement honoré de vous compter parmi nous lors de cette tournée , dont Roger Mcguin effectuera l’ouverture.

 

A bientôt j’espère

 

Bob Dylan.

 

Tom Petty n’en croyait pas ses yeux, et courut demander à son manager de confirmer sa présence à ce concert. Il est vrai que Dylan n’est plus en état de grâce, mais il ne l’a jamais réellement été. Déifié dans les années 60, ses ventes n’ont jamais atteint les mêmes sommets que celles des beatles ou des stones. Le barde s’était mis au rock trop tard, et les quatre garçons dans le vent avaient déjà conquis le monde.

 

En plus de ne pas obtenir le succès promis aux rockstars , Dylan a dû subir le puritanisme de son public folk. Cet échec restera un des fils rouge de sa carrière, et il ne cessera jamais réellement de chercher à être accepter en tant que rocker. Du band à Mark Knopfer , en passant par Mike Bloomfield , Dylan a croisé le fer avec les plus fines lames de son époque. Je ne parle même pas de Ronnie Wood , dont la rigueur rythmique illumine le rock mystique de shot of love.

 

Vomie par la critique, sa période born again lui a permis de former un des plus grands groupes de scène de l’histoire du rock. Je conseille d’ailleurs à ceux qui douteraient encore de la valeur de cette période de réécouter cette trilogie, et de jeter une oreille au live trouble no more.

 

Quelques mois avant d’envoyer sa demande à Petty, Dylan avait rendu hommage à Elvis, en emmenant ses musiciens jouer à Budokan. En entendant le résultat, la critique ne sut que se moquer de cet has been rendant hommage à la dépouille encore chaude du roi d’un rock , qu’elle trouvait daté. Pour elle, il fallait vite achever ces icones mourantes, faire disparaitre toute trace du passé. Le rock dépérissait depuis la seconde partie des seventies, et ces vieilles statues représentaient le bouc émissaire idéal.

 

Après avoir jeté des disques aussi réussis que sa trilogie mystique et son dernier live, la critique voulut l’achever en s’attaquant à empire burlesque. Elle avait enfin de quoi râler, ce disque-là était le premier qu’elle pouvait démonter sans faire preuve de mauvaise foi. Avec cet album , Dylan devenait la caricature que ses détracteurs avait dessiné , un vieux rocker fatigué tentant de se mettre à la page.

 

Après avoir sorti un tel étron synthétique, le Zim avait besoin de retrouver le plaisir de jouer. C’est ainsi que, alors que leur leader venait tout juste de se remettre de sa blessure à la main, les heartbreakers devinrent le nouveau band de Dylan.

 

Si aucun live officiel ne fut enregistré, le coffret bootleg Dylan and friends retrace bien cette magnifique tournée. On observe alors que, postés derrière son illustre leader, les heartbreakers donnent aux classiques de Dylan l’énergie rock qui leur a parfois manquée. Loin de chercher à rivaliser avec Hendrix, les heartbreakers parviennent tout de même à rendre « all along the watchtower » à son père légitime. La simplicité d’un rock rythmique et mélodieux a remplacé les salves psychédéliques du voodoo child , donnant ainsi à ce classique sa version définitive.

 

Petty et Dylan partagent les mêmes influences et, si master of war semble reproduire le country rock des premiers titres de Petty, c’est parce que ce classique est issu du même moule campagnard. Les deux hommes partagent les mêmes références , perpétuent la même tradition. Pendant les instrumentaux, Dylan et Petty s’échangent les regards complices de deux hommes réunis par une admiration réciproque.

 

Et , quand Dylan laisse la scène à ses fils spirituels , son public redécouvre ce qu’est le rock n roll. Une reprise de Chuck Berry donne le ton d’une prestation particulièrement nerveuse, les refrains pop deviennent les petits-fils des tubes immortels des années 50.

 

Après cette prestation, Dylan touchera le fond sur l’album down in the groove, avant de revenir à une musique plus vivante. La tournée Dylan/Petty fut une somptueuse éclaircie pour deux carrières qui semblaient se ternir. Les heartbreakers ont sorti la tête de l’eau quelques instants, avant de se noyer dans l’ambiance austère de leur studio.

 

Pour conserver l’énergie accumulée lors de leur dernière tournée, les heartbreakers ont décidé d’enregistrer dans les conditions du live. Cette technique est pernicieuse, des groupes comme les who s’y cassèrent les dents pendant des années. Reproduire l’énergie d’un concert sans public, c’est comme essayer de faire démarrer un moteur sans carburant. Dans les conditions du live, si l’énergie brute est le seul but des musiciens, la spontanéité mène souvent au fiasco.

 

Comme souvent, let me up commençait bien, le riff de jamin me rappelant les grands moments de come and get it. Mais runaway train montre déjà vite que la sobriété revendiquée par le groupe cache mal son manque d’inspiration. Sympathique lors des premières secondes , la mélodie de cette ballade part vite dans une répétition insupportable.

 

Pris dans les sifflements de clavier, qui avait déjà pourri l’album précèdent, les arpèges s’endorment dans un slow monotone. Noyées dans une production trop brouillonne, les mélodies retombent comme de mauvais soufflets pop. Privée d’écho , et surjouant sa nostalgie entre deux riffs incohérents ,  la voix de Petty finit aussi par agacer.

 

Et ce n’est pas l’air oriental de It all work out , qui va faire oublier l’ennui mortel que provoque let me up. Cet album est aussi celui où Tom Petty a le plus écrit avec Mike Campbell, ce qui ne fait que confirmer l’impression d’essoufflement que donne let me up. Le duo de compositeurs frôle d’ailleurs l’impardonnable avec l’insipide rythmique disco de my life your word.

 

Les heartbreakers sont pour Tom Petty ce que le E street band est pour Springsteen. Leur présence inspire leur leader, leur jeu donne une certaine couleur à sa musique, mais ils ne peuvent palier à un manque d’inspiration de leur figure de proue. On ne peut s’empêcher, en entendant le désastreux let me up, de penser que Mike Campbell a voulu enfiler un costume trop grand pour lui.

 

C’est la seule explication plausible à ce désastre, jusqu’à ce que la guimauve all mixed up sorte de nos enceintes. A côté de ce titre, le clavier de southern accent faisait preuve d’une discrétion exemplaire. Il faut donc se rendre à l’évidence, les Heartbreakers sont lessivés, leur pop rock n’inspire plus leur égérie blonde. Il était temps pour Tom Petty de changer d’air, de quitter ce groupe qui avait déjà tant donné.                       

jeudi 26 novembre 2020

LIVRE : James Young : Nico - the end


Une fois n'est pas coutume sur Rock In Progress une chronique bouquin et plus précisément sur Nico.

Le livre sorti en 1993 n’a été traduit en français qu’il y a seulement 2 ou 3 ans. 
Peut-être que le nom de Nico ne signifie t-il plus grand-chose même aux amateurs de musique pop, surtout aux plus jeunes ; en tout cas elle ne fait plus recette, comme tombée dans l’oubli. 
« Nico – the end » a donc été écrit en 1993 par James Young le pianiste du groupe qui a accompagné Nico lors de sa longue et même interminable dernière tournée, tournée qui est le véritable fil rouge du livre. 


Et James Young montre indéniablement un talent d’écrivain assez incroyable, maniant l’humour et l’autodérision avec brio. 
Nico (de son vrai nom Christa Päffgen) est, pour ceux qui ne le saurait pas, une ex actrice, mannequin, égérie et muse de la Factory d’Andy Warhol, chanteuse du Velvet Underground (notamment sur le premier album – celui à la banane – où elle participe à quelques titres), un mythe des années 60/70. Mais Nico à l’orée des années 80 est tout simplement devenu has been, une icône déchue car tombée dans la drogue et la déchéance, une artiste qui ne fait plus recette à l’aube des eighties. 
Un bouquin à la fois triste (la déchéance, la came), et drôle (la façon dont l’auteur parle de ce groupe de « bras cassés » qui semble plus proche des pieds nickelés que d’un vrai groupe de rock professionnel). Une bande de zonards/marginaux /junkies, accompagnant l’ancienne diva ne pensant plus qu’à se payer sa dose. Une descente aux enfers très rock’n’roll. 
Le récit de l’intérieur d’une tournée chaotique d’une ex star de la pop. 


Cette biographie se concentre sur les dernières années de Nico, mais plus qu’une véritable biographie c’est davantage d’un document ou d’un livre témoignage qu’il faudrait parler. 
Tout débute à Manchester au début des années 80 lorsqu’ un manager plus que bizarre, « Docteur Demetrius » (faux docteur mais vrai filou, personnage tellement haut en couleur, loufoque et extravagant, comme il y en avait tant dans les années 70, qu’il vole presque la vedette à Nico) décide de s’occuper de la chanteuse allemande et d’organiser une tournée pour elle avec des musiciens qu’il connaît et qui sont loin d’être des pointures, plutôt des losers, 

tous plus ou moins toxico eux aussi, une tournée de plusieurs années, des concerts souvent minables dans des petites salles, devant une poignée de spectateurs, dont certains ne connaissant rien de la chanteuse, les concerts se présentant en général en deux parties, la première avec le groupe et la seconde avec Nico seule avec son harmonium.
On y côtoie ainsi tout un univers interlope, de paumés, véritable mosaïque de l’underground, monde peuplé de gens tous aussi « bizarres » les uns que les autres, chacun à leur façon, dans leur style. 
Et bien sûr Nico, junkie notoire, vaporeuse, insondable, mystérieuse, sombre, énigmatique, qui accepte ce groupe et ses concerts minables pour pouvoir se payer ses doses mais qui malgré tout possède toujours une voix sublime, grave, envoûtante comme venant d’outre-tombe. 


Un personnage unique, pas très causante (un « glaçon allemand » comme la surnomme un excellent chroniqueur de Rock In Progress). 
Il faut dire Nico est décrite par James Young comme ayant beaucoup de talent, « un talent inné » mais qu’elle « est une grande feignasse », parfois insupportable mais entière et attachante ; et aussi pleine de talent et qui avec sa voix et son harmonium est capable des plus grands miracles lors des concerts (les jours où elle est en forme) et nombre d’entre eux, pitoyables et pathétiques, sont parfois sauvés du désastre par le charisme de Nico (enfin c’est la façon dont l’auteur nous les présente le plus souvent). 
Plutôt que de raconter cela de façon triste ou façon reporter journalistique l’auteur préfère l’humour noir, l’(auto)dérision qu’il manie à merveille tel un romancier chevronné. 
C’est drôle, caustique, mordant déjanté, délirant et toujours magnifiquement raconté, avec plein d’anecdotes loufoques, désopilantes, tristes, nostalgiques, croustillantes, grinçantes et parfois trash. 


Mais que les situations racontées soient drôles, surréalistes ou tristes c’est toujours rédigé avec un humour mordant 
A travers quelques chapitres dont certains sont mémorables (celui de la tournée italienne par exemple) on y croise quelques personnages connus tels Allen Ginsberg, le poète beatnick et John Cale ancien musicien du Velvet Underground. 
Celui de l’enregistrement (chaotique) de l’album « Camera obscura » (1985) avec John Cale aux manettes est particulièrement réussi et hilarant. 

Et John Cale, celui du milieu des années 80, d’en prendre pour son grade et que James Young égratigne sans retenue à plusieurs reprises. 
Le livre s’achève en 1988 à Ibiza lorsque Nico meurt d’une hémorragie cérébrale suite à une chute de vélo. Puis son enterrement à Berlin (Nico allemande et berlinoise d'adoption n'aimait pas du tout cette ville et le livre explique pourquoi...je ne peux pas tout dévoiler). 


Le plus et le moins du livre sont en fait le même point : c’est écrit comme un roman, dans un très bon style, vif, rapide, actuel, plein d’humour et de dérision mais du coup ce style romancé nuit à l’aspect purement documentaire de l’ouvrage qui passe presque au second plan. 
Car il s’agit plus d’un livre racontant l’épopée d’un groupe rock formé de branleurs, de déjantés et de camés qu’un livre sur Nico elle-même. 
Elle est à la fois présente en tant que personnage central (avec le manager le fameux Dr Démétrius, l’auteur se mettant lui en retrait) tout en étant la plupart du temps en toile de fond du livre. Présente et absente à la fois !! 


« Nico – the end » est donc somptueux, irrésistible et assez grandiose : un véritable road-trip drôle, glaçant...et hallucinant… à lire absolument même sans être fan de Nico. 
Un des meilleurs livres « rock » jamais écrit. 
Et je laisse la conclusion à Danny Fields ancien manager des Stooges et des Ramones (excusez du peu) : 
« étourdissant, peut-être la meilleure odyssée rock jamais écrite ! On retrouve Nico en chair et en os dans ce récit génial ; je l’ai reconnue au premier coup d’oeil. James Young tenait les claviers dans la bande très à part de musiciens déjantés qui l’a accompagnée lors de son ultime tournée, et c’est un écrivain spectaculaire. Laissez-le vous transporter dans la cour vagabonde de celle qui restera à jamais la divinité de l’underground musical »
 

Tom Petty 3



 1985 commençait pourtant bien, le succès ayant permis à Petty de monter son propre studio. Cette tradition, instaurée par Hendrix, permet surtout aux gros groupes de ne plus se préoccuper des disponibilités des studios. Galvanisé par cette acquisition, Petty voulait produire son album concept. Popularisé avec le grandiose sergent Pepper , l’album concept a connu son âge d’or dans les années 70, grâce aux Who , aux Pretty Things , à Lou Reed etc…

Le concept permet surtout au groupe de centrer ses compositions autour d’une trame narrative, elle lui impose de trouver une méthode capable de relier ses compositions. Les Who avaient suivi l’exemple de l’opéra, en composant une ouverture, un entracte , et une fin. Les Beatles, eux, préférèrent ouvrir et fermer leur album culte sur la fanfare du sergent poivre. Ce qui rend l’exercice du concept album compliqué, c’est que la musique doit être aussi cohérente que l’idée qui préside à sa création.

Or, les Heartbreakers n’y parviennent pas, et se perdent dans leurs tentatives narratives. Certains titres sont bons, la plupart semblent accrocheurs, mais ils semblent partir dans tous les sens. Pour supporter la pression des tournées incessantes, Petty s’est mis à la cocaïne, ce qui ne l’aide pas à mettre de l’ordre dans son puzzle conceptuel. Pousser à bout par ses échecs successifs, le chanteur frappe le mur avec une telle rage , que l’on entend ses os prendre la forme de la poudre qu’il se met dans le nez.

A l’hôpital , ses médecins se montrent pessimistes , il ne pourra sans doute plus jamais jouer de la guitare. Pressés par les délais, les Heartbreakers décident de compiler les titres précédemment enregistrés, et d’en faire l’album southern accent. Nous sommes alors en 1985 et, si southern accent n’est pas un concept album, il s’inscrit tout de même dans une série d’œuvres témoignant du marasme de l’époque.

Le rock est mort l’année précédente, en 1984, quand Springsteen a sorti l’insupportable Born in the U.S.A. Sa plume était pourtant toujours à son meilleurs niveau, le texte du morceau titre était d’ailleurs là pour en témoigner. Réduit à un simple hymne patriotique par un vieux cow boy Tatcherophile , born in the USA pointait le sort pitoyable que l’Amérique réservait à ses soldats envoyés, et revenus, du Vietnam. Mais le boss aurait dû se douter qu’enrober dans un tel soufflet pop , sa protest song ne pouvait que passer pour une vieille ganache réac.

La forme influence malheureusement la compréhension du fond , et cette musique aurait pu illustrer la connerie guerrière d’un Rambo. Ajoutez à cela le clip de De Palma, où l’ex grand rocker danse ridiculement en compagnie de Courtney Cox, et vous assistez à la transformation du rock en produit de consommation. Et bien southern accent est le born in the usa de Tom Petty.

Les choses commençaient pourtant bien , rebel renouant avec le lyrisme rock de damn the torpedoes. Puis le clavier s’est mis à la page , ses sifflements agaçants flirtant parfois avec la beauferie tapageuse d’un Van Halen. Autrefois présent sans être envahissant, le synthé noie désormais des guitares qui, de toute façon n’ont pas l’air très enthousiasmés par ce qu’elles jouent. Sorte de relique d’une ambition abandonnée, les cuivres de the best of everything semblent porteurs d’une trame musicale prometteuse , d’une mélodie qui aurait pu donner un peu de cohésion à cet album sans tête. Finalement, il est placé en fin d’album, comme l’aveu d’impuissance d’un groupe qui n’a pas su être à la hauteur de son ambition.

Si il se vend bien aux Etats Unis, southern accent marque déjà la fin de l’âge d’or des heartbreakers, grands rockers étouffés par la superficialité de leur époque.

 Alors que Tom Petty commence une rééducation qui durera plusieurs mois, MCA comble le vide en sortant son premier album live. Paru la même année que southern accent (1985), et composé de prestations récentes, pack up the plantation est un live historique. Tels les Rolling stones , les Heartbreakers compensèrent leur panne créative par une énergie scénique décuplée. Il faut dire que, en 10 ans, le groupe s'est créé un répertoire truffé de perles, qu’il regroupe dans un grand best of scénique. Seul gimmick dans un show assez sobre, le drapeau sudiste rappelle les origines que notre rocker revendique sur son dernier album. A la droite de ce drapeau, deux choristes sont prêtes à enrober les mélodies de Petty dans un écho gospel. De l’autre côté du symbole sudiste, des cuivres discrets ajoutent un peu de chaleur au rock des Heartbreakers. 

Sur Breakdown , les choristes n’oseront tenir leur rôle d’échos fervents , intimidés par la formidable symphonie vocale à laquelle ils assistent. Le riff se dandinait comme Keith Richard sur le riff de Brown Sugar , la voix angélique de Petty entamait les premiers vers de son blues sentimental. Alors que le chanteur venait à peine de finir le premier couplet de son blues, la foule se met à chanter dans un chœur si parfait , que les musiciens se contentèrent de l’accompagner.

A la fin du premier couplet, Tom gratifie la foule d’un «  vous allez me faire perdre mon boulot» admiratif. Le public donne ensuite à la voix de Petty l’écho formidable qui marque les grandes communions musicales. A la fin d’une grande improvisation, les chœurs finissent par reprendre le contrôle, et guide la mélodie vers une coda finale, qui fait progressivement retomber la pression. Le moment que je viens de décrire est aussi important que Hendrix brûlant sa guitare à la fin du star splanged banner, c’est le genre d’événement qui donne au rock des allures de force sacrée.

Les interventions de cuivres, plus mesurées que sur southern accent , enrichissent les vieux classiques et réhabilitent les derniers ratés. Sur american girl , ils enlacent le riff sur un mojo stonien en diable. Le blues funky de nothin to me est ensuite rehaussé par un riff plus hargneux, qui part dans une sorte de réadaptation bluesy du groove de Sly Stone.

Lors de leur passage en Californie , les Heartbreakers reçurent la visite de Stevie Nicks , qui vient poser sa voix sur insider et needles and pins. La Grace Slick moderne participe à une version de insider , qui ferait pâlir les plus belles mélodies de Rumour. Il faut l’entendre, portée par un piano mélancolique, et montant dans un crescendo digne des Mamas and the papas. Quand elle accompagne ensuite Petty dans une lumineuse reprise du tube sixties Needles and Pins , on comprend que Insider fut écrit pour sa voix de cantatrice hippie. Avec ces deux titres, Petty a rapproché sa muse de ce « rêve Californien », dans lequel son lyrisme s’épanouit.

Du rock mal dégrossi des premiers disques, aux réhabilitations du désastre southern accent , pack up the plantation déploie l’intensité des live historiques. Plus qu’un simple bouche trou sensé faire patienter les fans, pack up the plantation est LE live des années 80.                       

 

Tom Petty 2




Que se passe t-il ici ?!

Le responsable de MCA prononça cette phrase sur le ton désespéré d’un chef d’entreprise qui voit s’envoler ses bénéfices. La location d’un studio est payante, et ce même si le groupe qui l’occupe refuse d’enregistrer le moindre accord.

Amusé par la panique de ce cochon capitaliste, Petty a le sourire narquois de celui qui sait que son interlocuteur ne peut que céder.

J’en ai assez que vous m’exploitiez, assez que mes disques soient vendus à des prix indécents à des gosses dont les parents travaillent à l’usine. Mon père travaillait dans les mêmes usines, et je sais ce que c’est de devoir économiser des mois pour obtenir un disque. Le succès de Damn the torpedoes doit désormais changer les choses, et j’exige que mon contrat soit révisé, et le prix de mes albums diminué. 

Le responsable semble presque se rassurer , il a déjà réussi à raisonner ce genre de rockers rouges. Pas plus tard qu’en 1979 , une bande de punks anglais avait demandé à ce que leur double album soit vendu  au prix du simple. Et bien Columbia avait simplement baissé les royalties de ces utopistes , et avait ainsi limité les pertes. Quant à Neil Young , qui avait produit un album de rockabilly pour dégoûter sa maison de disque , celle-ci l’a attaqué en justice pour « non-respect de la marque Neil Young ».

Le loner en a encore pour quelques jours avant de se remettre de cette bravade. Les maisons de disques ont toujours traité les artistes comme des salariés et , si les contrats qu’il signe restent plus libres que la plupart des cdi , notre responsable est convaincu qu’on pourra un jour soumettre les musiciens à la même servitude que les autres salariés.  

Notre responsable, comme ses semblables , rêve du jour où les goûts musicaux seront standardisés , où les musiciens seront les travailleurs à la chaine d’une musique sans âme. Que l’on puisse attaquer Neil Young pour non-respect de la « marque » qui porterait son nom est d’ailleurs symptomatique de ce corporatisme sordide. Regonflé par ces malsaines pensées , notre bureaucrate bedonnant lance sa diatribe de sous Machiavel bouffi. 

Écoute-moi bien petit prétentieux ! Ce n’est pas avec ton petit succès que tu deviendras le roi de cette boite ! Tu crois être le seul à savoir écrire des chansons ? A l’époque où Bowie, et Springsteen sont au sommet ! Mais tu vas couler si tu ne te bouges pas pauvre fou !

Là, voyant que son discours ne produit aucun effet sur un musicien qui le regarde avec un mélange d’amusement et de pitié, notre responsable prend un ton hystérique.

Tu sais comment les européens te considèrent ? Comme un sous Springsteen ! Et ce statut c’est encore à nous que tu le dois. Sinon tu trainerais encore dans les bars crasseux avec ta bande de bras cassés. Tu ne vas pas te retourner contre le label qui t’a tout donné ? Contre ceux qui t’on fait connaitre le meilleur producteur de l’époque ? Ne gâche pas tes chances gamin. 

Tom Petty connaissait trop ce discours pour y céder, son père avait suffisamment subi ce mélange de paternalisme et de dévalorisation.

Ne m’appelez plus jamais gamin. Je vous connais assez pour savoir que c’est vous qui avez besoin de ceux que vous essayez de soumettre, et pas le contraire. Si vous pensez que ma musique vaut si peu, que votre maison de disque peut se passer de mes ventes, libre à vous de me virer. Mais je ne rejouerais pas avant d’avoir eu gain de cause.

« Soyez résolu à ne plus servir et vous voilà libre. »

Cette phrase de Bossuet résume bien la victoire que Petty obtint ce soir-là, et le label finit par céder sans diminuer ses royalties. Sorti à un prix plus abordable que ses prédécesseurs, hard promise fait un carton aux États-Unis Unis, mais ses ventes restent relativement modestes en Europe. Qu’importe , au pays du rock n roll les Heartbreakers sont désormais les rois, et hard promise acte cette prise de pouvoir.

Devenue la nouvelle égérie du rock Californien après le succès de Rumour , Stevie Nicks vient poser sa voix de « gold dust woman » sur the insider. Dans la tradition des grandes cantatrices pop , elle est le miel qui soigne le cœur de ses plus cruelles blessures.

Mais les Heartbreakers restent avant tout d’indécrottables rockers, comme le montre the waiting et king’s road. Alors que ses refrains se font de plus en plus prenants, Petty semble restreindre ses effets. Si sa voix baigne toujours dans un léger écho , qui lui permet de se poser avec une grâce angélique sur ses riffs mélodieux , les effets sonores ont disparu. 

Plus à l’aise au second plan, le claviériste abandonne aussi l’exubérance de damn the torpedoes. Arrondis par une productions très propre, les riffs redeviennent le nerf de la guerre, la guitare devient la lyre électrique donnant de la force aux refrains pop. Légèrement funky sur nightwatchman , carillonnant comme un tube de Springsteen sur the waiting , les six cordes renvoient les tacherons new wave à leurs expérimentations pompeuses.

Presque ignoré par un vieux continent qui ne comprend plus grand-chose au rock, hard promise est un disque admirable. Après avoir imposé ses conditions à sa maison de disque , Petty lui livre son disque le plus brut depuis come and get it.

Il serait temps d’expliquer à certains que l’homme qui figure sur cette pochette est , pour le rock américain , aussi important que Springsteen.

Sorti moins d’un an après hard promise , long after dark est la plus grande réussite de James Lovine. Dans sa quête de perfection sonore, le producteur a atteint une profondeur et une pureté qu’aucun de ses contemporains ne saura reproduire. Tom Petty a besoin de cette profondeur , c’est un miel qui gomme les accords trop gras , sans anesthésier ses riffs. On peut juste regretter que le très contemporain « you got lucky » soit devenu le tube du disque. 

Ces sifflements d’orgue flattaient les oreilles des amateurs de Supertramp, mais paraissent aujourd’hui terriblement datés. La production sauve tout de même les meubles, en permettant aux guitares de donner un peu de vie à cette bluette romantique. On peut se consoler en considérant que ce titre est le cheval de Troie, qui permet aux Heartbreakers d’imposer d’autres titres beaucoup plus remuants.

Ce rock énergique et mélodieux, ce folk rock Byrdsien dépoussiéré par une énergie post punk, c’est la grande histoire du rock se transformant pour survivre aux sordides eighties. Petty n’est pas à classer dans l’étagère de la new wave , mais n’est pas non plus à enterrer à côté des fossiles d’un rock dit classique.

Sa musique est contemporaine sans suivre les diktats d’une quelconque mode musicale, elle s’insère à la suite d’une histoire qu’elle ne copie pas. Ecoutez cette batterie martelant obsessionnellement son beat binaire, le boogie lancinant de stand the chance, et même les mélodies post beatles de staight into darkness et change of heart , et osez me dire que ce groupe s’inscrit dans le sillon de la new wave ou du post rock.

Et le clavier cristallin du morceau titre ne rappelle-t-il pas les grands moments de the rivers ou darkness on the edge of town ? Il n’y a pas de barrière entre long after dark et les glorieuses seventies , il représente le nouveau chapitre d’une histoire qui se perpétue. Oui les solos graisseux et les distorsions psychédéliques ont disparu, mais les Beatles , les Kinks et les Beach boys les boudaient déjà dans les sixties. Long after dark aurait dû regrouper toute sa génération derrière son panache rouge, you got lucky faisait d’ailleurs du pied aux plus modernistes de ses contemporains.

Imaginez l’effet formidable qu’aurait produit des dizaines d’albums tels que celui-ci, le rock aurait été sauvé pour au moins trente ans. Les mélodies de Tom Petty sont malheureusement les derniers morceaux de bravoure restaurant la dignité d’un rock exsangue.

Avec ce disque , James Lovine devient aux années 80 ce que George Martin était pour les sixties , un producteur construisant un modèle indépassable.