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samedi 27 mars 2021

JEFFERSON AIRPLANE : Surrealistic pillow (1967)


« Surrealistic pillow » est le deuxième album, le plus connu et sans doute le meilleur de Jefferson Airplane, sorti en 1967, début de l’épopée « Flower power » partie de San Francisco et dont le groupe fût l'un des principaux protagonistes (et de fait également du mouvement hippie en pleine effervescence), l'année du Summer of love, l'année de tous les possibles, de tous les espoirs, l'une des années qui a révolutionné la musique.
Pour analyser cet album, ce groupe et ce style musical il faut avoir en tête que nous avions là (en Californie), à cette époque, le fer de lance de la contre-culture politique, artistique et sociale, sorte d'avant-garde contre l’Amérique raciste, contre l’autorité, contre la guerre du Viet Nam, pour la libération sexuelle et pour l'hédonisme, une vague qui a ébranlé un temps le système tout puissant américain.

Un immense espoir qui a secoué la jeunesse américaine et le monde et qui fut relayé par les principaux groupes musicaux comme Jefferson Airplane, Scott McKenzie, Grateful dead, Quicksilver Messenger Service…
Après un premier album « Jefferson Airplane Takes Off » sorti en 1966 le groupe décide de changer de batteur et surtout il embauche une nouvelle chanteuse, Grace Slick, qui s’avérera des plus charismatiques et des plus marquantes de sa génération.

Musicalement on a un mélange de folk (que le groupe abandonne néanmoins progressivement mais qui demeure présent sur quelques titres), de pop, de blues et de psychédélique ; quelque part entre Grateful dead, les Byrds, Doors et Mamas and Papas.
"Surrealistic pillow" contient bien évidemment deux titres incontournables et cultes, largement au dessus du lot, deux hymnes ("White Rabbit" qui représente le côté plus rock psychédélique et "Somebody to love" qui lorgne plus vers la ballade hippie folk pop ), le tout emmené de main de maîtres par Grace Slick dans des registres différents, dommage qu'elle ne chante pas sur tous les morceaux car elle arrive à hypnotiser et envoûter l'auditeur par le timbre de sa voix, notamment sur « White Rabbit ».
En 1967 le groupe passe dans de célèbres émissions télévisées tels "The Ed Sullivan Show" ou "The Smothers Brothers Comedy Hour" où leur interprétation de White Rabbit avec en arrière plan des incrustations psychédéliques et des effets d'optique donnant l'impression que la chanteuse est en lévitation au dessus du clavier, reste mémorable et participe à accroître grandement la popularité des californiens, et les fait connaître de l'Amérique entière.

Citons également parmi les moments forts de l'album: « she has a funny car » où Jefferson Airplane, dans un titre où se côtoie blues, pop et folk, montre son sens inné de la mélodie, « Plastic fantastic lover » et « 3/5 of a miles in ten seconds ».
Enregistré au bon moment, au bon endroit mais avec un subtil dosage de pop/rock/folk/blues/psychédélique "Surrealistic Pillow" est donc un classique, un album incontournable, un enregistrement-témoignage magnifique et représentatif d'une époque à jamais révolue (même si je n'adhère pas forcément à tous les titres, par exemple « my best friend » assez quelconque) et dont l'influence va largement au delà du simple contenu musical.

Cet album est à classer à côté du premier Doors, du premier Pink Floyd et de Sergent Peppers des Beatles, tous ces disques étant des précurseurs d'une époque charnière où la musique évolue à vitesse grand V. 
Et puis un groupe qui a joué au festival international de musique pop de Monterey en 1967 puis à ceux de de Woodstock, de l'Isle de Wight et d’Altamount en 1969 (bon là dans des conditions très spéciales il est vrai) cela vous situe un peu le niveau et la popularité, cela vous classe définitivement un artiste et ça vous bonifie un C.V jusqu'à la fin de vos jours..

Nouvelle rock Détroit : épilogue



Le lendemain, Alain avait l’impression d’avoir passé la nuit la tête sous une enclume. La boisson de Ted était si forte, qu’il ne se rappelait plus comment il était rentré dans cet appartement. Il n’était plus revenu ici depuis la fin de la tournée des Stooges , et eut même du mal à trouver le lavabo. Après s’être plongé la tête dans l’eau froide, histoire de soigner une gueule de bois carabinée, Alain fit un tour des lieux.

En passant dans le couloir, il remarqua que la porte avait été enfoncée. Il se rappelait avoir laissé tourner le premier album des Stooges en partant. Irrités par la sauvagerie géniale de ce rock destroy, les voisins durent appeler la police pour mettre fin à ce boucan. Les types avaient sans doute frappé plusieurs fois avant d’enfoncer la porte. Ces abrutis n’ont même pas regardé si la porte était fermée à clef, ce qui n’était bien sûr pas le cas. Les flics ne sont qu’une petite milice minable, qui donne à la population une mentalité de collabo que n’aurait pas renié Vichy.

Il faut bien remarquer que, plus les états sont faibles , plus leur police en arrive à ce genre de surveillance du quotidien. Ce qu’ils appellent le citoyen est alors flatté dans ses plus bas instincts, on le caresse dans le sens du poil pour le rendre fier de sa veulerie et de sa servitude. En appelant les flics, monsieur moyen se sent important, il s’imagine en agent du bien luttant contre le manque de civisme de la société. Le type qui dénonce ses voisins pour des motifs aussi bas qu’un disque joué un peu trop fort ne vaut pas mieux qu’un agent stalinien. Et puis, si gardien de la paix était une tache aussi sacrée,  si ce métier était si essentiel à la société, on ne le réserverait pas systématiquement aux personnes les plus stupides.                                                                                             

Alain n’était pas au bout de ses surprises. Sur le tourne disque, quelques feuilles étaient posées négligemment. La première lui annonçait que son album des Stooges était gardé comme « pièce à conviction »… Il se rappelait encore que son départ s’était fait à 11 h, donc en pleine journée, et que le « crime » dont on l’accuse n’a dû durer que 15 minutes. Avec cette première déclaration, les forces du désordre avaient laissé trois amendes. La première était justifiée par des « cris enragés troublant la quiétude du voisinage » , la seconde pour « martèlement portant atteintes à la santé mentale du voisinage » et la troisième pour « pollution sonore provoquée par un bruit amplifié ». Ce n’était pas une amende mais une chronique d’album ! Et tout ça pour coller trois prunes pour le même motif !  

Dans leur logique, Alain serait venu hurler à la porte de ses voisins, aurait envoyé un disque encore plus violent, bref il aurait justifié l’existence des farces de l’ordre par quelques enfantillages ridicules. Les flics ne prospèrent que de ce genre de petites bêtises, elle leur permet de se sentir utile à quelque chose. Ce n’est pas pour rien que l’on a envoyé l’armée réprimer la grande révolte de Détroit, en plus de manquer de réflexion les flics ne se risqueront jamais à réellement faire leur travail. C’est tellement plus facile de se pointer dans un quartier à peu près tranquille , de constater un délit imaginaire , et de maintenir les derniers hommes libres et droits dans la peur de la répression.

Pour flatter les flics il suffit de s’avilir , de montrer sa peur de la sanction et d’insister sur sa souffrance de pauvre homme moyen frustré par la preuve de vie de son voisin. La plupart des conflits de voisinage sont d’une laideur écœurante, on appelle jamais les cognes pour rétablir la justice mais pour soulager sa jalousie.

Le voisin a une plus grosse voiture, s’habille bizarrement, ou aime juste écouter de la musique le week end, tous les prétextes sont bons pour justifier la médiocrité du délateur moyen. De leur côté, les miliciens modernes adorent ce genre de délateur, qui les accueillent souvent avec un respect qui va jusqu’à la flatterie outrancière. Les policiers n’existent que pour ce genre de cirque lamentable, leur existence ne peut qu’engendrer la révolte des derniers hommes libres. A l’heure actuelle, les hommes libres sont assez nombreux pour leur faire avaler leurs képis lors de révoltes aussi grandioses que celle de Détroit. Mais viendra bientôt le jour où monsieur moyen imposera sa bassesse à tous… Quand on parvient à des méthodes pareilles on peut imaginer que ces milices en viennent à empêcher les gens de sortir , de travailler , de vivre. On rassurera monsieur moyen en lui disant, si c’est à cause d’une maladie, qu’il sauve des vies. Cette phrase, ressassée comme un mantra par des médias aussi pourris que leur gouvernement, sera comme la caresse donnée à un chien obéissant.

Et puis l’état subventionnera la soumission de monsieur moyen, débloquant des indemnisations pour réaliser son rêve de vivre dans l’oisiveté la plus totale. Dans ce système, les policiers auront un rôle essentiel, maintenir les gens dans la prison qu’est devenue leur logement. Oh ces minables ne ce pointeront pas dans les coins chauds ! On inventera bien une justification pour les en dispenser, à moins que la télé n’en parle tout simplement pas. Le flic ne fera peur qu’à monsieur moyen, il le remettra à sa place quand celui-ci essaiera de sortir de son confinement. Alain imaginait déjà les amendes de 130 dollars … 6 fois plus que pour un trafiquant de drogues !  Mais ces divagations n’étaient sans doute que le résultat d’une colère légitime provoquée par une bavure insupportable. Le jour où un pays libre en arrivera à de telles extrémités, on pourra vraiment dire que l’humanité a touché le fond.

Pour oublier tout ça, notre chroniqueur courut vers le concert de Ted Nugent. Arrivé là-bas, il ne fut pas surpris par le public. La plupart de ces hommes étaient des ouvriers, certains n’avaient même pas pris le temps de retirer leur bleu de travail. Pour Alain cette assistance était de bon augure, elle allait dans le sens d’un rock ayant pris le relais du blues. Musique des noirs américains par excellence, le blues était l’expression de la vie du peuple noir, le mojo représentait ses peines, ses joie , son génie. Le rock lui, devenait désormais le blues du prolétariat blanc, celui qui se tue 8  heures par jour à l’usine pour sortir un salaire qui lui permet à peine de vivre.

Nugent arrivait enfin sur scène, sa gibson ayant l’air énorme devant son corps rachitique. Le concert démarre par un motor city madhouse qui semble vouloir faire exploser les usines de la ville. Ted est à la guitare ce qu’Iggy Pop est au chant, un gladiateur sauvage et indomptable. Aussi imposante soit elle, sa guitare est martelée, griffée, secouée avec une violence sans nom. Quand il joue, Ted Nugent donne l’impression de refroidir un ours à main nue, chaque accord est un hurlement qu’il arrache à sa guitare aux prix d’efforts surhumains. Et puis il y’a ce feeling, cette série de détonations d’autant plus impressionnantes qu’elles ne s’égarent pas dans des gimmicks pompeux.

Ted a juste décuplé la violence du rock n roll originel, ses accords sont une mitraille tuant Hendrix pour la seconde fois. Chaque concert de rock devrait être un meurtre, le meurtre de tout ce qui existe et  à existé, le premier accord doit être le génocide de tous les autres. A ce jeu , Nugent fait table rase du guitar hero hendrixien , il montre une voie plus primitive et violente. Ce jeu rythmique en diable, ces solos assez courts pour rattraper le train infernal de la rythmique, c’est tout ce que le hard blues devrait toujours être. Nous pouvons refermer le périple d’Alain sur cette prestation incendiaire, elle constitue un dernier point d’orgue à sa quête. Malgré leur fin brutale , le MC5 et les Stooges ont enclenché un incendie qui allait bientôt s’étendre en dehors de Détroit. Du spectacle macabre d’Alice Cooper au punk de New york , la rage des groupes croisés dans le parcours de notre chroniqueur va vite revitaliser le rock américain. Mais c’est encore une autre histoire, que nous ne manquerons pas d’explorer bientôt.                                                                                                                                                         

Nouvelle rock Détroit 7


 

« Lève tes mains ou je t’allume ! »

Alain venait à peine de sortir de son bus qu’un type hurlait ces mots derrière lui. Il n’était pas seul à cet arrêt, il ne pouvait donc être sûr que ces hurlements lui étaient adressés. Dans le doute, il leva ses mains, et continua d’avancer assez lentement pour ne pas faire penser qu’il fuyait. Il reçut soudain une béquille si violente, qu’il était étalé sur le ventre avant d’avoir pu voir le visage de son agresseur.

« Retourne-toi que je dégomme ton groin de porc gauchiste. »

Alain se retourna en tremblant, et fut surpris de découvrir le gabarit de son agresseur. L’homme était maigre comme un épouvantail, seule sa longue tignasse bouclée donnait un peu d’épaisseur à ce corps sans épaisseur. Le visage de cet homme arborait une épaisse moustache à la gauloise, qui faisait un peu penser à un lointain descendant du général Custer. L’agresseur avait armé le percuteur de son colt, ce qui donna à Alain un réflexe salutaire. Dans un geste de défense ridicule, notre chroniqueur tendit ses mains devant son visage, ce qui lui donnait la posture d’un enfant effrayé par la colère paternelle. Toujours est-il que ce geste fit de l’ombre à un visage ébloui par le soleil , ce qui permit à l’agresseur de se rendre compte de son erreur.  

« Mais tu ne pouvais pas le dire que tu n’étais pas John Sinclair ! J’ai bien failli te faire sauter la cervelle ! ».

Alain ne prit pas le risque de lui expliquer qu’il ne pouvait pas deviner l’objet de sa fureur. Et puis, il connaissait quelques guitaristes qui lui auraient volontiers fait la peau. Il osa encore moins préciser qu’il avait rencontré Sinclair, le type aurait été capable de le torturer pour savoir où l’activiste gauchiste se cachait. Il était plus sage pour lui de se taire, et de laisser son agresseur poursuivre ses éructations.

Alain ne put toutefois s’empêcher de sursauter quand le type l’aida à se relever. Comment un corps aussi mince pouvait-il avoir une telle poigne ! L’agresseur s’appelait Ted Nugent et Sinclair distribuait régulièrement des tracts pour faire fuir son public. Alain écoutait ses explication plus par contrainte que par envie, Ted était armé et partir aurait pu lui valoir une balle dans le dos. Arrivé devant un bar, Ted proposa de lui « payer une boisson d’homme pour se faire pardonner ». Inutile de préciser que notre chroniqueur n’osa pas refuser.

Le bar … Qu’on aurait presque pu nommer saloon tant l’on s’attendait en rentrant à rencontrer John Wayne arborant son étoile de shérif, était digne des meilleurs westerns hollywoodiens (pléonasme ?). Ted sauta littéralement sur une chaise placée face au comptoir, qu’il cogna en hurlant « Mister envoie la réserve du mexicain ! ».

Le taulier fut le seul à ne pas sursauter sous l’effet de ce hurlement sauvage, comme si ce dingue venait lui hurler cet ordre à l’oreille tous les jours depuis des années. Le patron apporta donc, avec une nonchalance assez charismatique, deux verres d’un liquide dont l’odeur pouvait suffire à vous rendre ivre mort. En posant les verres sur le comptoir, il regarda Ted avec un visage trahissant une colère enfouie prête à s’exprimer.

«  Tu sais Ted , je ne sers pas des alcools ici mais des spiritueux ! La différence peut paraître abstraite à un sauvage de ton espèce, mais elle devrait t’inciter à être plus discret. Je tiens donc à te signaler que mes clients ne sont pas des ivrognes, soulards , alcooliques et autres déchets de la société, mais des hommes spirituels. Boire un verre ici c’est un peu comme aller à la messe et, sans vouloir te vexer, tes hurlements d’Orang-outan gâchent un peu la solennité du lieu. Je sais que je te demande de te civiliser depuis seulement dix ans, ce qui est assez peu quand on sait que le singe ne devint un homme qu’après des siècles d’évolution. Mais je te préviens que le prochain débordement m’obligera à exploser ta cervelle de brute ! »

Vexé par cette diatribe, Ted n’eut pas le temps de bouger un doigt avant que le barman ne braque une carabine à double canon sur son visage d’excité.

«  Si tu me files pas ton biniou je vais enfin pouvoir mettre un peu de plomb dans ta tête vide ! Et au sens propre en plus ! »

Techniquement, Alain aurait pu profiter de cette altercation pour se sauver, mais le fait que Ted était musicien lui donnait envie de le connaître un peu mieux. Il vida donc son verre en même temps que son interlocuteur, et eut bien du mal à se retenir de tousser comme un silicosé en phase terminale.

T : Toi t’es un homme ! le dernier mec à qui j’ai proposé ma boisson a fait un malaise … Y’en a même un qui est devenu aveugle.

Ted dit ça en vidant tranquillement son chargeur sur le comptoir, avant d’y poser l’arme devant le barman, qui le prit avant de reprendre tranquillement son service.

A : Faut avouer que c’est plutôt une boisson d’homme.

T : Je connais une polonaise qui en prenait au petit déjeuner.

A : Sinon ils font jouer que des ploucs campagnards ici ? 

Sur la petite scène installée au fond de la salle, un groupe jouait une country soporifique. Un pack de bière trônait aux pieds des musiciens, qui semblaient ralentir le tempo à chaque canette vidée. Quand Alain fit sa réflexion, les country rockers  en étaient à leur dixième bière , ce qui leur donnait un tempo capable de faire passer le Buffalo Springfield pour un groupe de hard rock.

T : C’est vrai qu’ils sont bien entamés … D’un autre coté je les comprends.

C’est bien la première fois qu’un regard pensif s’imprime sur le visage tendu de Ted Nugent, et Alain n’allait certainement pas perturber ce moment rare. 

T : Tu sais, je tourne depuis que j’ai 17 ans, j’ai connu une bonne partie des querelles qui ont agités le rock ces dernières années. 

Ted s’interrompit quelques secondes dans son discours pour avaler un autre verre. Son breuvage, qui aurait rendu n’importe quel homme normal ivre mort, ne faisait que le plonger dans une réflexion passionnée. L’alcool a cet effet sur les hommes intelligents, il libère l’esprit et laisse la pensée s’épanouir. A ceux qui voient l’alcool comme un poison menant aux pires bassesses, Ted prouvait que boire n’avilissait que les esprits vils, les intellects au raz des pâquerettes , les hommes au cerveau de musaraigne , bref ces nuisibles à qui l’on trouve toujours une excuse.   

T : Tu sais que j’ai sauté de joie en apprenant ce qui s’était passé à Altamont, les hippies hypocrites voyaient enfin les limites de leur religion. Combien de fois j’ai vu ces pacifistes enragés hurler sur des groupes country rock ou rock n roll traditionnel. Un soir, j’étais dans un bar de Californie après un concert , je cherchais un endroit où l’on pouvait entendre des musiciens dignes de ce nom. Tu sais que,  dans certains coins , la seule chose que tu peux entendre c’est un pouilleux crado miaulant « the time they are changin »… Bref, les types ont pris place sur scène , ils s’appelaient Creedence Clearwater Revival. Les gamins envoyaient le bois, ça swinguait comme à Memphis, mais la police de la pensée s’en est mêlée .

Les fachos peace and love se sont mis à hurler « fachos ! fachos ! », si fort qu’on entendait plus le swing grandiose de Creedence.

A : Comment peut-on traiter un groupe de rock n roll de fasciste.  

T : La jeunesse a sombré dans le gauchisme le plus écœurant. Pour eux, le rock trop pur n’est qu’une country accélérée. Et la country est pour eux la musique des prolos blancs racistes.

A : C’est vrai que j’ai déjà lu ce genre de bêtises quand Dylan a viré country.

T : Je n’aime pas sa musique mais je dois avouer que sur ce coup le petit Bob en a eu une sacrée paire ! Tu imagines un peu le choc quand les types qui chantaient « the time they are changin » l’ont vu rejouer girl from the north country avec Johnny Cash ?

A : Il ne faut pas exagérer non plus , aujourd’hui ceux qui vomissaient ces albums country à leur sortie les considèrent comme des tournants historiques.

T : Parce que le psychédélisme hédoniste s’est cassé la figure . Tu ne peux plus chanter somebody to love quand un taré a massacré une femme enceinte pour déclencher des émeutes raciales. Du coup les clochards célestes sont revenus sur terre pour jouer la musique des « prolos blancs racistes ».

A : Ca se tient , et ça explique surtout le virage des Byrds , du Grateful dead , ou plus récemment que quelques membres du Jefferson airplane aient formé le groupe country rock Hot tuna.

Cette remarque menait Alain à la conclusion que le rock de Détroit était une des conséquences de la fin du rêve hippie. Mis face à des atrocités du calibre d’Altamont ou des meurtres de la famille Manson, l’utopie hippie s’était radicalisée. Les black panthers menaçant Hendrix ou tirant sur Miles Davis, pour la seule raison que ces deux musiciens ne soutenaient pas assez leur cause, la radicalité de hippies menaçant des musiciens au nom de leur pacifisme, les amateurs de paradis artificiels se noyant dans l’héroïne, toutes ces horreurs étaient la conséquence de la fin du rêve peace and love.

En niant la violence de la nature humaine, les partisans du flower power n’ont fait qu’engendrer une société plus violente et plus sectaire qu’elle ne l’a jamais été. Louis Ferdinand Céline disait, dans les années 50, que la victoire du communisme démasquerait l’homme. Selon lui, débarrassé de toute oppression l’homme apparaitrait tel qu’il est vraiment. C’est-à-dire une ordure.

La fin du rêve hippie a eu le même effet sur la jeunesse, ses instincts primaires refoulés par cette religion athée se libéraient dans une débauche de violence culturelle. La violence de certaines critiques de Dylan ou de Creedence clearwater revival correspondait à un idéalisme qui voulait conquérir le monde par la culture. L’incarnation la plus flagrante de cet assaut gauchiste fut bien sûr le fameux kick out the jams du MC5. Avec ce disque, le rock de Détroit se nourrissait de la rage post peace and love , qui s’exprimait ensuite même à travers les groupes les moins politisés.

John Sinclair et Ted Nugent étaient les symboles de deux visions du monde qui ne feront que se radicaliser dans les années à venir. Malgré le fait que sa musique n’exprimait aucune idée politique, Ted Nugent représentait ce prolétariat blanc qui ne supportait plus les absurdités de la jeunesse gauchiste. Les excès d’un camp nourrissaient ceux de l’autre, et la gauche la plus niaise semblait affronter les délires d’une droite des plus chauvine et autoritaire. Le combat de coqs virait vite au diner de cons, et seul le rock ressortait grandi de cette bataille ubuesque. La violence de l’époque nourrissait les riffs sanguinaire de la motor city , ce carburant explosif provoquait son bombardement rock.

Quand Alain eut fini ses réflexions , son interlocuteur posa un ticket de concert sur la table.

« Soit à l’heure demain si tu veux voir le rock botter le cul de cette époque pourrie. »

Et la mince silhouette quitta le bar avec le charisme mystérieux de Charles Bronson dans Il était une fois dans l’ouest.                   

nouvelle rock detroit 6

 


Après le ravageur chant du cygne stoogien , Bowie vint rejoindre Iggy backstage. Les deux hommes s’étaient déjà rencontrés lors d’une soirée historique , où Iggy se fit photographier en compagnie de Bowie et Lou Reed. Si cette photo ressemble aujourd’hui à une icône représentant l’âge d’or de l’avant-garde seventies, Iggy et Lou ne jouissait pas d’un niveau de popularité comparable à celle de leur ami anglais. Après le succès de Ziggy Stardust , tout ce que touchait Bowie semblait se changer en or. Alors il se mit à rembourser ce qu’il devait à celui qui l’a tant inspiré. Son travail de production sur « transformer » permit à Lou Reed d’obtenir un succès dont il ne pouvait même pas rêver avec le Velvet.

Les chœurs glam de David , alliés au jeu étincelant de Mick Ronson , firent si bien leur travail, que walk on the wilde side tournait en boucle sur toutes les radios. Cet hymne à la débauche, cette description crue du bas fond new yorkais, devenait ainsi aussi populaire qu’une bluette des Beach boys. Bowie réussit avec Transformer à imposer la prose la plus subversive de Lou , sa production était le calice obligeant l’Amérique puritaine à avaler le rock toxique de Lou Reed jusqu’à la lie.

Quelques jours plus tard , Bowie était devenu fan d’un groupe de rythm n blues en pleine descente aux enfers. La sauvagerie de Mott the hoople n’avait rien à envier à celle des Stooges , mais elle était livrée avec plus de finesse. Dirigé par un poète rock fan de Dylan , le Mott était un wagon rock incapable de s’accrocher à une quelconque locomotive. Leur premier album laissait entendre un groupe de hard blues dans la lignée des swingin' sixties , mais cette époque était déjà mourante. Rendu inaudible par le hard rock, le premier essai du Mott atterri presque immédiatement dans les bacs à solde. Ne voyant dans cet échec qu’un coup du sort , le gang enfonce le clou avec mad shadow , sorte de rythm n blues proche des Who réarrangé  à la sauce américaine. 

Alors que le label island commençait à sérieusement se lasser de ces rockers inadaptés à leur époque, Mott the hopple décide enfin de changer de direction. C’est ainsi que, sous l’influence d’un psychédélisme se transformant en country rock , le Mott produit le bucolique wildlife. L’album est un chef d’œuvre, mais ne parvient pas à profiter du succès d’american beauty , sweatheart of the rodeo , et autres monuments terreux produit par d’ex hippie repentis.

Après un dernier album anecdotique, island décide finalement de laisser tomber cette cause perdue. Bowie refusant de laisser disparaître un tel groupe, il produit leur prochain album. Suivant à la lettre le schéma qu’il a lui-même inventé sur Ziggy Stardust , il aseptise un peu la violence rythm n blues du gang , met en avant le chant fascinant de Ian Hunter , et laisse Mick Ronson poser sa guitare sur ce nouveau classique. Pour porter l’album, il offre au groupe « all the young dudes », hymne ultime du glam, qui propulse Mott the hoople au niveau de Slade et autres superstars glam rock.

Il est donc évident que, si David se retrouve dans la salle où les Stooges effectuent ce qui doit être leur dernier concert , ce n’est pas par hasard. Lorsqu’il apprend que les Stooges viennent de se faire lâcher par Elektra , il donne rendez-vous aux musiciens au studio MCA, où ils pourront enregistrer un nouvel album. L’affaire commence mal, Iggy vient de virer les frères Asheton , et les auditions organisées pour leur trouver un remplaçant sont un désastre. Finalement, l’iguane rappelle les frères terribles de Détroit, avec qui il enregistre Raw Power en quelques jours. Cette rapidité est surtout due au fait qu’Iggy a réussi à obtenir une liberté de création totale. Les dirigeants de CBS ne savent donc pas ce qui s’enregistre dans leurs studios.

Le jour de l’avant première , le responsable de CBS poussa un cri terrifiant , à mi-chemin entre un coq brulé au troisième degré et un chat castré à vif. Il se mit à hurler « Ces abrutis vont couler ma boite ! » , « CBS ne survivra pas à une telle horreur ! » Alain  avait beau essayer de lui expliquer l’importance de cette hargne brute, l’influence qu’aurait une telle bombe électrique, l’entrepreneur ne put que hurler un dernier appel à l’aide « Bowie sauve nous ! »

Le golden boy anglais accepta donc de remixer Raw Power, mais il n’avait pas assez de marge de manœuvre pour réellement transformer ce déchainement de haine en succès pop. Iggy refusait de réenregistrer la moindre partie  d’un album qu’il considérait, à juste titre , comme son chef d’œuvre. Bowie dut donc se contenter de mettre le chant très en avant, celui-ci était toutefois si violent, que ça n’adoucissait en rien la puissance de l’album. Comme prévu , le troisième monument stoogien fit un four , CBS lâcha donc le groupe , et Iggy partit se désintoxiquer dans un hôpital psychiatrique.

De son coté, Alain retourna à Detroit, où il écrivait quelques articles pour des magazines locaux. Les Stooges lui avaient redonné la foi, et il était convaincu que Détroit n’avait pas poussé ses derniers cris.   

dimanche 14 mars 2021

Nouvelle rock détroit 5

 


Les premiers concerts furent monumentaux, les Stooges balançant des ogives free rock d’une puissance destructrice. Iggy n’était plus un homme, la scène le transformait en demi dieu ne connaissant ni la peur ni la douleur. Un soir, il avait bondi dans le public, qui tendit ses bras pour lui permettre de traverser cet océan de ferveur. Cette scène mythique, où Iggy se dressait au-dessus de la foule, n’était absolument pas calculée . L’iguane a juste senti que son charisme reptilien lui permettait de chevaucher cette bête folle qu’est la foule, le doigt pointé vers l’horizon, tel un général emmenant ses troupes au combat.

Un autre soir, sa témérité faillit avoir des conséquences dramatiques. Les Stooges étaient en train de jouer TV eyes , le magma sonore agitant Iggy comme une bête folle , qui se retourna soudain sur la foule. Tel un fauve enragé, le chanteur bondit sur son public avec une rage impressionnante, déclenchant la fuite des spectateurs situés sur sa trajectoire. S’écartant comme les parois d’une trappe scélérate, les spectateurs laissèrent la bête sauvage s’empaler sur un morceau de verre. Le gros éclat pénétra profondément dans le torse d’Iggy, qui ne semblait même pas s’en rendre compte. La blessure saignait abondamment, les convulsions rageuses du chanteur repeignant les murs de gouttes sanglantes. Ce soir-là, le rock était redevenu une énergie dangereuse, une force qu’on ne maitrise qu’au péril de sa vie.

Pourtant, Alain voyait bien que quelque chose clochait, que même la plus forte dose d’adrénaline ne pouvait déclencher une telle insensibilité. La suite des événements ne fit que renforcer ce pressentiment, le charisme sauvage de l’iguane s’apparentant de plus en plus à de la folie suicidaire. Iggy portait le manque de succès des Stooges comme une croix, et il semblait demander à son public de l’immoler dessus tel un Jésus destroy. Son martyr , le chanteur faillit l’obtenir lorsqu’il s’en prit à une bande de motards. Ce jour-là, il cessa soudain de chanter pour déverser les pires injures sur une bande de sous hells angels , qui paraissaient jusque-là plus intéressés par la boisson que par ses gesticulations.        

Ces brutes sont, au fond, de grands sensibles. Ne trouvant les mots pour répondre à une telle débauche de haine, ces ploucs à bécanes tabassèrent le chanteur à 10 pour prouver qu’ils n’étaient pas «  une bande de pédales chassant en meute »… Désigné un seul d’entre eux aurait sans doute rendue la démonstration plus efficace , mais l’émotion a dû prendre le pas sur la réflexion. C’est ainsi que dix bourrins massacrèrent la tête d’un chanteur qui, lui , n’avait pas de reptilien que le cerveau. Heureusement pour notre hurleur suicidaire , ses agresseurs se montrèrent aussi limités physiquement qu’intellectuellement, ce qui permit à Iggy de s’en sortir avec quelques bleus.

Après cet événement, les musiciens ne cachaient même plus leur déchéance. On commençait à voir le trio se shooter en coulisse, ou sur scène juste avant de plaquer ses premiers accords. Ce qui, au départ, leur donnait une énergie formidable, les plongeait désormais dans une catatonie lamentable. Certains soirs, les musiciens semblaient littéralement dormir debout, la déesse héroïne leur faisait payer le prix de l’énergie qu’elle leur avait auparavant donnée.

Et ce ne sont pas les ventes de leurs albums qui allaient inciter le label à être indulgent. Les deux premiers disques du groupes furent une catastrophe commerciale, le public n’était pas encore prêt à quitter un rêve psychédélique que les Stooges voulait assassiner. Résultat, avant de monter une nouvelle fois sur scène, un cadre d’Elektra vint annoncer aux Stooges que la suite de leur lamentable périple se fera « sans eux ». Au lieu d’achever un groupe au bord du précipice, cette nouvelle sembla réveiller le trio. Ce soir-là , ces héros maudits jouèrent comme ils n’ont jamais joué, comme ils ne joueront jamais plus. C’était plus que leur vie qui était en jeu, c’était leur honneur. Il fallait que l’histoire retienne que, lâchés par leur label, les Stooges avaient jeté leurs dernières forces dans une prestation démentielle. Si l’histoire s’était achevée ce soir-là , Iggy serait devenu le Che Guevara du rock , mais Alain crut reconnaître un homme dans la foule. 

Ce visage de travelo homo maquillé comme une prostituée russe, ça ne pouvait être qu’un Bowie jouant encore son rôle de pédé de l’espace (Michou Stardust pour les intimes !). Aussi brillante que soit sa musique, Alain trouvait le barnum obscène de Ziggy pathétique. Il n’empêche que, si le salut des Stooges pouvait venir d’un génie anglais déguisé en tante de l’espace, Alain était prêt à lui pardonner ses fausses outrances d’homo (sapiens ?) british.             

jeudi 11 mars 2021

Nouvelle rock détroit 4

 

Arrivé au studio Elektra , Alain fut accueilli par John Cale . L’homme avait un air maussade, et lui expliqua rapidement que le responsable du label était parti après avoir entendu l’album des Stooges. Alain n’était pas étonné de cette réaction, la puissance sonore des Stooges devait autant l’effrayer que la révolte anarchiste du MC5.

A : Je peux tout de même écouter le disque ?

JC : Bien sur. Les Stooges le réécoute en ce moment. Je ne sais pas si c’est « ce qui se vend » , mais je suis convaincu qu’on a réussi de grandes choses sur ce disque.

Les deux hommes arrivèrent alors à une salle d’où sortait un bruit assourdissant. En entrant dans la pièce, Alain vit les trois stooges , assis sur un tapis oriental ,  écoutant leur disque avec un grand sourire. Il comprit vite pourquoi le producteur avait fui les lieux, sa déception était plus due à John Cale qu’à son trio de sauvages. Pour Holzman, Cale était le véritable musicien du velvet, celui qui mettait les poèmes décadents de Lou Reed en musique. C’était aussi stupide que de penser que, dans les Beatles , McCartney était le chanteur pop et Lennon le rocker. Sauf qu’Holzman y croyait dur comme fer, pour lui Cale était le responsable de la beauté subversive du premier velvet.

Il ne pouvait croire que le Velvet se nourrissait de l’opposition entre John Cale, qui était au contraire l’expérimentateur, et Lou Reed. Il suffit d’écouter le troisième album du Velvet, sorti en cette année 1969, pour se rendre compte que Lou était plus pop que son ex partenaire. Après avoir viré Cale, Lou lance le velvet sur la route d’une folk aux mélodies pop , et pale blue eyes était en quelque sorte son Penny Lane.

Bref , en voulant arrondir les angles , le patron d’Elektra avait mis ses sauvages entre les mains d’un savant fou, qui ne pouvait qu’abuser de la liberté qu’il lui offrait. Fasciné par la puissance de ce trio, qui semblait accentuer sur un album ce que son ex groupe avait initié sur « white light/ white heat », Cale s’était appliqué à lui offrir la production la plus crue possible. Au lieu de diminuer le tranchant de ses musiciens, Cale avait tout fait pour le renforcer. Dans la grotte hostile qu’est sa production, la guitare de Ron Asheton lance des rugissements qui font trembler les murs du studio.

Comme pour passer le relais à ces nouveaux rebelles, John Cale pose son violon sur la transe chamanique we will fall. Loin d’être un simple caprice expérimental du producteur, ce titre permet à John Cale de placer les Stooges dans la lignée du plus grand album du Velvet, le déchirant white light white heat. La voix cynique et désespérée de Lou Reed laissait ainsi place à la colère froide d’Iggy. A l’écoute de ce brulot, il paraissait évident que cette révolte allait se propager en dehors des murs de Détroit, le passé ne pouvait survivre à une telle charge avant gardiste.

Une fois les dernières notes de ce premier manifeste stoogien éteintes, Alain vint se présenter aux héros du jour.                                                            

« Bonjour… Je suis celui que va écrire votre histoire. ».

Iggy , qui l’avait d’abord regardé avec l’œil torve d’un crocodile faisant le mort pour attirer sa proie, ce leva soudain d’un bon. Tel un alligator attrapant la jambe d’une gazelle, l’iguane lui sera la main avec une rapidité qui le fit sursauter. A partir de là Alain découvrit un homme au regard vif et pétillant d’intelligence. Si sa révolte était sincère, Iggy était loin de se résumer au nihilisme qu’exprimaient ses textes. Fils de professeur, Iggy profitât de se retrouver face à un journaliste pour parler de littérature.

L’homme venait de lire l’idiot, et lui tint tout un discours sur le génie télépathique de Dostoïevski. Il était impressionné par le réalisme avec lequel l’épileptique russe décrivait l’état d’esprit de ses personnages , donnant ainsi l’impression au lecteur de lire dans leurs âmes. La bêtise supposée du personnage principal était un révélateur, il abolissait la méfiance de ses interlocuteurs. Placé face à un interlocuteur d’apparence si faible , chacun effeuillait son âme comme un artichaut , laissant apparaître les morceaux les moins glorieux de sa personnalité.

Alain lui répliquait que, selon lui , crime et châtiment allait encore plus loin. Le livre nous montrait la torture d’un assassin vivant dans la peur de la sanction. Progressivement, la souffrance provoquée par cette épée de Damoclès devient si insupportable, que le personnage principal semble désirer son châtiment. Les deux hommes voyaient le géant russe comme un peintre des esprits , un homme pour qui la conscience humaine semblait être un livre ouvert. De cette conversation, Alain devait aussi retenir qu’Iggy lui avait dit que son premier album se nommerait l’idiot. Il admettait que ce titre collait plus au rock n roll qu’il voulait défendre que « crime et châtiment ».

A la fin de cette discussion, alors qu’Alain s’apprêtait à rentrer dans son appartement pourri, les Stooges lui donnèrent rendez-vous dans une semaine. Iggy voulait qu’il les suive sur leur tournée.

Nous passerons rapidement sur les 7 jours qui séparèrent la scène à laquelle nous venons d’assister et le départ en tournée, en reproduisant simplement le « journal rock » de notre chroniqueur.

Lundi 28 février : Je reviens de l’usine que Sinclair m’avait fait quitter, je pensais gagner quelques dollars en travaillant pendant quelques jours. Arrivé là-bas, on m’apprit que je n’étais plus le bienvenue et un DRH obèse me tendit le chèque de départ.

J’avais complétement oublié que c’était aujourd’hui que ces esclavagistes payaient le labeur du mois …

Passage chez un disquaire local, où je dilapidais déjà la moitié de ma paie. Au programme Kick out the jams , le premier Stooges , et le dernier velvet.

J’écoute en boucle kick out the jams , les murs tremblent comme le tsar Nicolas II voyant arriver la libération bolchevique. N’en pouvant plus, les voisins appellent les cognes … Bande de social traitre !

Mardi 01 mars : relecture du dernier Rolling Stones, Lester Bang a vraiment déconné. Son article est une bavure digne d’un flic paumé dans un quartier noir de Détroit. Au bout du compte, utiliser sa prose pour attaquer le MC5 revient à tuer un moustique au lance flamme. Ils ne s’en relèveront malheureusement pas. 

Je passe le reste de la journée à écouter le premier Stooges sous les tambourinements rageurs d’esclaves trop domestiqués.

Mercredi 02 mars : Alice Cooper fait la une de tous les magazines … Cette sorcière pathétique aurait lancé un poulet dans son public hystérique. Une fois dans la fosse le pauvre animal s’est fait désosser par cette tribu lamentable. Pour une fois que j’éprouvais de la compassion pour un poulet….

Jeudi 03 mars : « un autre jour sans rien à faire » comme dirait l’autre.                                                      

Vendredi 4 mars : Bang s’excuse déjà de sa chronique sur le MC5 … Il n’avait sans doute pas eu le temps d’écouter l’album correctement. Sa repentance ne sert à rien tant sa prose n’est jamais aussi bonne que quand il plante sa plume dans le cœur de ses cibles. Le voilà qui se retrouve dans la position du pauvre assassin du prince Ferdinand d’Autriche… Malheureusement, aucune foule ne viendra le lyncher.

Samedi 5 mars : Iggy a laissé une lettre sous ma porte , le groupe décolle dans une heure. Les voisins vont être contents , je suis sorti en laissant tournée le premier album des Stooges !.     

Alain embarquait donc avec le plus grand groupe de Détroit, horde barbare prenant d’assaut New York. Il lisait encore le dernier Rolling stones , où un sombre inconnu annonçait déjà la mort du MC5. Kick out the jams ne se vendait pas et le groupe était largué en pleine campagne par un John Sinclair envoyé en prison pour un motif ridicule. Drogué et miné par le manque de succès, le five fut tout de même récupéré par Atlantic, et prépare un album de rockabilly. En apprenant la nouvelle John Sinclair aurait affirmé « Je pensais qu’ils étaient les nouveaux Mao, mais ce sont juste les fils d’Elvis ». L’histoire du MC5 semblait s’achever sur cette phrase, et leur futur album ne changerait rien au calvaire de ce groupe condamné.

Iggy interrompit notre journaliste en pleine lecture, en lui tendant une cassette et un walkman. Il lui expliqua que les Stooges avaient profité de leur semaine de repos pour enregistrer le second album souhaité par le label. Ils avaient produit le disque seuls, John Cale étant parti enregistrer le dernier étron glacé de Nico en Angleterre. Le chanteur était si enthousiaste, qu’Alain n’osa lui expliquer que les maisons de disques mettaient souvent la pression aux groupes dont elles souhaitaient se débarrasser, pour qu’ils enregistrent rapidement les trois disques prévus par leur contrat.

Il mit en route la cassette, et se prit un cri de guerre d’une violence inédite.

LOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOOORD !

Le premier mot de Tv Eyes ressemblait au hurlement rageur d’un kamikaze lancé à toute vitesse sur un navire de guerre yankee. Iggy ne chantait plus, il hurlait sous la chaleur du free rock de son groupe. Le parallèle entre le rock de Détroit et le free jazz n’a jamais été aussi évident que sur fun house. Le free était lui aussi une fureur mettant fin à une ère déclinante, celle des géants du bop. Archie Sheep , Albert Ayler , Ornett Coleman , ces titans étranglaient le souvenir des contemporains de Lester Young avec leurs étaux cuivrés. La victime de la rage électrique de fun house était encore la légèreté sixties, Babylone poussiéreuse ensevelie par son éruption incandescente.

Les Stooges étaient meilleurs que le MC5 car leur rage n’était pas au service d’une quelconque cause, leur seul parti était le chaos. Fun house était le cratère engloutissant les traces d’un passé révolu, un big bang qui commence à accoucher d’un mouvement dont on ne connaît pas encore le nom.           

mardi 9 mars 2021

 The Beatles : 


Un cadeau 
Chronique littéraire

C'était un p'tit gars tout ce qu'il y a de plus sympa. Il habitait un joli petit immeuble dans un quartier assez calme c'est à dire loin des barres, des périphéries où sont concentrés ceux que son père avait pour habitude de qualifier de gueux. Il faut dire qu'il n'y a pas si longtemps c'était là qu'ils vivaient. Pour le dab ce nouveau quartier, cet appartement sonnaient un peu comme une revanche une première marche dans une ascension en cours. Pour la maman impossible de bien savoir, de bien comprendre, elle semblait subir. C'est plaisant de vivre dans une petite ville de province non loin des montagnes. Phil avait de la chance, l'été brillait dans le ciel, dans son cœur et dans quelques jours il aurait quinze ans. Installé sur le balcon il rêvait quand un bruit venant du bas de l'immeuble attira son attention.
- Hey Sandrine, tu vas où ?
- Salut Phil, ah ça je peux pas te le dire, c'est un secret !
- Ah bon, mais...qu'est-ce que tu racontes ?
La jeune fille ne lui laissa pas le temps d'en dire plus. Elle enfila son casque grimpa sur la petite Chappy garée à côté de la Renault5 de sa mère, un coup de kick et ciao, à la r'voyure mon pote !
Alors le ciel perdit son éclat, la lumière pourtant chatoyante devint triste car aussi vrai qu'un paysage gris et terne peut être beau, le même sous une lumière éclatante peut être déprimant. Ce sont le cœur et l'esprit qui décident des beautés environnantes tout le reste n'est que littérature. Frustré de voir celle qu'il aimait en secret lui faire faux bond sans même un mot gentil ou une promesse de retour Phil s'enferma dans une grisaille intérieure que l'ambiance familiale délétère n'améliorerait certainement pas.

L'anniversaire avait été tellement réussi une parenthèse de bonheur. Jamais il n'aurait pensé avoir de si beaux cadeaux. Un teppaz flambant neuf synonyme de liberté d'écouter de la musique seul dans sa chambre mais surtout le sourire de Sandrine quand elle lui avait remis pour présent un album des Beatles "Magical Mystery Tour" :
- Tu vois le secret c'était ça, l'autre jour je partais t'acheter ton cadeau ! 
Et plus tard dans l'après midi au milieu des rires des copains cette vague promesse, ce oui si faible à sa demande.
Le lendemain Phil écouta cet album qui résonnait déjà en lui avec force. Une fois, deux fois...
Il se surpris à remettre "The fool on the hill" et "Your Mother should know" au moins dix fois. Cette ambiance triste et nostalgique, ces mélodies simples, cet air de flute, ce dadadada l'emmenaient au cœur d'un océan de douceur ou flottait un sourire. "I am the walrus" lui parlait de quelque chose qu'il ne comprenait pas, "Hello Goodbye" et "All you need is love" le faisaient chanter en douceur alors que "Blue jay way" et "Strawberry fields forever" le transportaient dans un monde étrange onirique et nauséeux. Ce disque était comme une prise de conscience inconsciente, un regard sur le monde par les yeux d'une musique dont il n'avait pas l'habitude comme un sixième sens : un cadeau !
L'après midi passa bien vite et le samedi suivant il reçut une décharge de bonheur, comme un choc électrique, un souffle de vie quand il sentit les bras de Sandrine serrer sa taille sur la mobylette qui les emmenait loin, si loin...vers une terre où les champs de fraises s'étalaient à perte de vue.