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vendredi 16 avril 2021

Patti Smith 7

 


Dans le rock , les adieux ne sont jamais définitifs , ceux de Patti Smith ne feront pas exception à la règle. Le retour est d’abord discret, et commence par une courte reformation du Patti Smith group. Patti souhaitait profiter de la popularité de son groupe pour aider l’orchestre symphonique de Détroit, en lui reversant tous les bénéfices de la soirée. L’opération est un succès, qui montre que la papesse punk se considère toujours comme une ambassadrice de l’art. Elle sent aussi que ses musiciens espèrent une reformation plus longue, chose qu’elle refuse radicalement. Sa dernière déclaration publique sera donc l’annonce de la fin, définitive cette fois, du Patti Smith group.

De retour à Détroit , elle finit par travailler sur un album en duo avec Fred Smith. Le couple se voit alors comme les John Lennon et Yoko Ono de Détroit, ceux qui viendront rallumer une flamme que le MC5 n’a pu préserver. Mais la musique n’est plus la préoccupation principale du duo, qui laisse les sessions s’éterniser pour donner la priorité à sa famille. Cloitrés dans une ex motor city devenue une ville fantôme, Patti Smith et Fred Smith disparaissent totalement des radars médiatiques. Le meurtre de John Lennon par un sombre inconnu ne fera que renforcer son choix. A l’heure où les musiciens de leur génération se cachent derrière leur garde du corps,  le couple vit une vie de famille des plus banales.

La stabilité n’étant jamais bénéfique aux artistes, les sessions de leur album ne donnent rien de concluant,  et Jimmy Lovine est appelé à la rescousse. L’idée de duo est alors abandonnée, Dream of life sera juste le grand retour de Patti Smith. L’album sort enfin en 1988, et exprime autant l’assagissement de son auteur que la profondeur des changements intervenus durant son exil. Les années 80 ont vu le rock abdiquer face à une pop triomphante, les guitares ronronnent désormais pour s’attirer les faveurs de médias de plus en plus puissants.

MTV vient de naitre, amplifiant un culte de la superficialité qui ne fait que s’accentuer. Sur la jeune chaine, on peut voir Bowie chanter son hymne de foire produit par Neil Rodgers, Springsteen danser de manière ridicule en compagnie de Courtney Cox, ou Dire Straight réclamer « son MTV ». Pour accéder au succès, les rockers doivent sonner plus propre, moins violent.. En un mot comme en mille : Moins rock !

Si on ne peut que s’incliner quand ce procédé dévitalisant accouche de disques aussi sompteux que « brother in arms » ou joshua tree, il faut reconnaitre que cette standardisation de la musique nuit gravement à l’inventivité des rockers. Produit par la même personne que l’irrésistible Ester , Dream of life est malheureusement un symbole de cette mort lente du rock. On ne peut pas reprocher à Patti, alors qu’elle vient de dépasser la quarantaine, de ne plus hurler comme un communard mystique sur sa barricade. En revanche, on peut regretter que sa fougue utopiste ait laissé place à un mélange de moralisme démagogique et de sentimentalisme gluant.

Symbole de cet idéalisme émasculé, people have the power se traine comme l’idéalisme hippie agonisant à Altamont. La batterie est robotique et froide comme une boite à rythme, les synthés dégoulinent de solennité surfaite, pendant que la guitare ne peut que balbutier un riff amorphe. Résultat, quand Patti chante « people have the power » ce qui se voulait une affirmation sonne comme une demande désespérée. Des slows comme « goin under » jouent ensuite la carte de la variété rock. Ce piano ultra clean, ces chœurs suintant de bons sentiments, et une guitare se lançant dans un solo sans énergie, on retrouvait déjà tout ça sur quelques albums de Renaud.  

Le rock n’a pas réussi à se débarrasser de ce que la majorité nomme la beauté. Pour cela, il aurait fallu passer en boucle des disques comme « trout mask replica » , rendre le peuple fou à grands coups de « absolutely free » , inonder le monde de mélodies loufoques , de riffs délirants et autres folies avant gardistes. Gavée de cette pop exigeante, la masse aurait compris que c’est à elle de se mettre au niveau des artistes, et que cette hiérarchie doit toujours rester immuable.

Quand le grand public devient le roi fainéant de la pop, cela donne des disques comme dream of life, qui lui sert la soupe avec une soumission vulgaire. Alors on cherche dans cette production indigeste quelques traces de sincérité artistique, on attend cet oasis comme un bédouin perdu en plein désert.

Quelques mirages rassurant se dessinent alors, comme ce up down there , dont la fougue sonne comme un lointain cousin de rock n roll nigger. Si le titre reste trop tiède pour provoquer des cris d’extase, il montre au moins que Patti peut accoucher d’un rock mature sans se noyer dans un populisme stérile. Du coté des ballades par contre, la grandiloquence de la production détruit tout début de lyrisme authentique.

Pour la plupart des auditeurs, dream of life sera un disque agréable , le genre de musique qu’on écoute avec plaisir , avant de l’oublier dès que l’album se termine. C’est malheureusement aussi le genre de musique d’ambiance dont l’époque raffole. De ce point de vue, même si son travail est artistiquement honteux, Jimmy Lovine a fait ce que l’on attendait d’un producteur moderne. En noyant totalement son lyrisme solennel, il a fait de Patti Smith une pop star. A une époque qui considère que plus rien n’est sacré, la papesse du punk produisait son born in the Usa.

Si l’on constate aujourd’hui que ce dream of life n’a pas trop mal vieilli, c’est avant tout grâce au vide de sa musique. Une œuvre ne peut vieillir que si son propos est rendu caduc par l’inexorable marche du changement. Dream of life chuchote trop faiblement pour perturber les codes d’une quelconque époque, c’est un souffle si timide que l’on finit vite par ne plus l’entendre.

Et c’est bien là que se situe le comble de l’ironie :

Patti Smith a produit une œuvre sans âme !          

Patti Simth 6

 


Waves est le dernier chapitre de l’aventure du Patti Smith group. Les musiciens sentaient bien que quelque chose était en train de disparaître, mais ils refusaient d’y croire. A peine les derniers concerts de la tournée Easter terminés, Patti partit s’isoler à Détroit. Là, Fred Smith la garde comme un trésor inaccessible, allant jusqu’à empêcher ses amis de la voir. Il n’est pas impossible que cet isolement soit voulu par une chanteuse pour qui le rock devient une obligation. Patti Smith est un personnage excessif, elle connaît le prix à payer pour vivre comme elle l’entend. Elle a toujours agi sur le coup d’une révélation, et celle-ci se nomme désormais Fred Smith.

Rêvant d’une vie de famille apaisée, celle qui se disait « général du rock n roll » parle désormais de « laisser la place aux jeunes générations ». La seule nouvelle qu’elle reçoit du monde du rock ne fait rien pour arranger son abdication. Un soir au CBGB, Sid Vicious s’est montré particulièrement agressif envers la petite amie de son frère, l’obligeant à s’interposer pour tenter de calmer les choses. Sid n’est pas du genre à faire des phrases, il a plutôt l’habitude d’assommer ses contradicteurs d’un coup de cannette de bières. Le frangin s’en titre donc avec quelques points de sutures, mais l’accident confirme une décision que Patti semblait préparer depuis quelques jours.

Elle programme donc l’enregistrement de ce qui doit être son dernier album, qui sera produit par Todd Rundgren. Après s’être fait connaitre grâce à un tube de the Nazz , Todd a produit des disques pour des groupes tels  que les New york dolls ou Grand funk railroad. Mais il s’est surtout révélé en solo, lorsqu’il sortit « sometin / anything » et le lumineux «  A wizard a true star ». En plein âge d’or progressif, Todd Rundgren prouva que l’on pouvait créer une œuvre ambitieuse sans tomber dans l’intellectualisme abscons de certains prog rockers anglais. Ses disques charmaient immédiatement l’oreille, avant de dévoiler toute leur richesse au fil des écoutes. Et puis il y a leur production flamboyante, du grand spectacle, où l’extravagance de Todd atteint des sommets pyrotechniques.

Quand Patti rejoint le producteur, elle lui annonce d’emblée que ce disque sera son dernier. Pour ce chant du cygne, Todd déploie toute la splendeur de son excentricité sonore. Pour donner plus d’impact à la déclaration ouvrant l’album, il fait sonner la batterie comme un cœur en pleine transe amoureuse. Ce « Frederick » , c’est bien sûr Fred Sonic Smith , à qui elle crie son amour devant une chorale grandiloquente. Waves marque l’avènement d’un mysticisme plus apaisé, la chanteuse ne part plus en transe, elle médite.

Cette pop est toujours faite pour conquérir les charts , dancing barefoot s’élevant dans un refrain que n’aurait pas renié le Tom Petty de Damn the torpedoes. Plus mélodieuse, la guitare semble chasser sur les terres des Heartbreakers. La reprise de « So you want to be rock n roll star » enfonce le clou , tant elle semble calquée sur la version qu’en fit le grand Tom.

Arrive ensuite la Patti Smith plus expérimentale, celle qui se fit connaitre en faisant du rock un temple, une religion, une secte. Hymn est une déclamation telle que Jim Morrison aurait rêvé d’en produire, la voix de Patti Smith se mariant parfaitement à la mélodie d’une harpe antique, dans une déclamation que l’on croirait sortie de la grande Athènes. Revenge prend la suite sur un blues méditatif, mojo de moine tibétain atteignant le nirvana. Les chorus de six cordes ne sont plus des détonations, mais des apothéoses, ils brillent telles des cierges flamboyant au fond d’une imposante cathédrale. On retrouve ensuite le clavier délirant de « A wizard a true star » en ouverture de « Citizen ship » , avant que le titre ne se pose sur une alternance solennelle de slows monacaux et de fièvre heavy blues. Dans ses moments les plus intenses, le titre sonne comme du Led Zeppelin illuminé, comme Jimmy Page propulsé par un orgue monacal.

Waves est l’album de la démesure, ses titres offrent à la pop une dimension qu’elle n’a jamais eu, qu’elle n’aura plus jamais. Seven way to goin est lancé sur une introduction qui semble rendre hommage aux grands pharaons, avant que le groupe ne construise sa grande pyramide à grands coups de free jazz grandiloquent. Ce titre, c’est Coltrane rencontrant la grandiloquence illuminée d’un Patti Smith group en pleine agonie. Patti clôt ensuite l’épopée de sa troupe sur une grandiloquente bluette pop , qui restera sans doute un de ses plus beaux titres. La mélodie de Broken flag a encore l’air de monter au ciel, la sobre introduction au piano s’achevant dans une symphonie de chœurs célestes sur fond de percussions solennelles. Avec cette procession, c’est les seventies que Patti enterre, décennie superbe où elle sut donner un peu de grandeur aux grognements nihilistes du mouvement punk.

Et qu’importe si Waves semble ensuite en faire un peu trop, son auteur se prenant ensuite pour un membre du Vatican en pleine conversation avec le pape. Cet égo trip ne dure que quelques minutes , ce n’est pas ça qui va détruire la grandeur d’un album globalement fascinant. Le public ne s’y trompera pas, Waves dépassant rapidement les ventes de Easter, emportant ainsi Patti Smith dans un cercle infernal. Pressée par ses managers, elle enchaine les concerts, les interviews sans intérêt, subit la pression d’un public de plus en plus hystérique.

Après avoir failli être kidnappée après un concert en Italie, Patti ouvre le concert suivant en transformant sa phrase la plus connue :

« Jesus die for somebody sins why not mine. »

Le symbole de l’anarchisme punk devenait ainsi la phrase la plus anti rock qui soit, elle exprimait le virage d’une femme voulant désormais se consacrer à autre chose qu’à la vie égoïste de rockstar. Après le concert, elle largue une nouvelle fois son groupe pour partir fonder une famille avec Fred Smith.

L’histoire musicale de Patti Smith s’arrête donc là … Pour l’instant.             

    

Patti Smith 5

 


C’est une vague, c’est un torrent, que dis-je , c’est un tsunami ! Les premières secousses vinrent de deux disques merveilleusement minimalistes , deux hurlements juvéniles faisant taire la prétention hard / prog. Qu’on se le dise tout de suite, l’âge d’or du hard rock et du prog est désormais enterré, et ce n’est pas avec les honneurs. En 1975, la bête gesticulait encore un peu, quelques somptueuses pièces montées faisant croire à certains que l’époque était encore vouée à cette pâtisserie indigeste. Sauf que le rock n’en peux plus de tout ce faste, il est malade de s’être gavé de toutes ces sucreries, le punk lui permet enfin de les vomir copieusement.

Nevermind the bollocks et Ramones instaurent une nouvelle ère, celle de la débrouille minimaliste, de la colère en trois accords, et des cris de révolte sur fond de musique directe. Pour les anglais, la révolte sera aussi politique que musicale, Johnny Rotten risquant sa peau en crachant copieusement sur la reine d’Angleterre, avant que Clash ne réinvente le rock gauchiste. Coté yankee, on vénère la défonce, on fait de la stupidité profonde le modèle à atteindre. Les Ramones représentaient parfaitement leur musique, sur laquelle personne n’aurait misé un clou. Qui aurait pu imaginer que ces quatre paumés au regard vide deviendraient les sauveurs d’un rock en pleine perdition ?

Et pourtant, la sauce commence à prendre, et les fanzines saluent les exploits des maitres de la décadence. Cette époque traverse Patti Smith comme un fil haute tension relié à son cerveau en surchauffe. Ses transes deviennent de plus en plus violentes , elle se cogne la tête contre les claviers ou assomme son guitariste à coup de six cordes. Le public de ces prestations déchaînées en redemande, la presse compare ces excentricités à celles d’un Iggy Pop en pleine fureur stoogienne. Le public croit à un simple gimmick, mais la prêtresse exprime juste sa rage de s’être faite dévalisée par une bande de faux frères New Yorkais. Cette fureur, c’est la hargne d’une papesse se faisant ayatollah, ce genre d’excès ne peut que mal finir.

D’autant que l’époque semble s’acharner sur les rockstars . Johnny Rotten fut poignardé, Zappa fut jeté au sol par un mari jaloux, sans compter les départs tragiques de Jim Morrison , Jimi Hendrix et Janis Joplin. C’est bien simple, quand un rocker de cette génération n’a pas frôlé la mort, c’est qu’il manque de finir ses jours en prison. A ce titre on peut citer Keith Richard, éternel hors la loi qui ne dut sa liberté qu’à la persévérance de Mick Jagger. Le constat que l’on peut faire aujourd’hui, c’est que les rockers les plus adulés sont tous mort de mort tragique. Le public charge ces musiciens de vivre tout ce que son manque de talent lui interdit de vivre , si il meurt dans ce combat la masse lui offre la postérité en guise de panthéon.

Patti passe à deux doigts d’entrer dans ce mausolée morbide lorsque, oubliant totalement la réalité, elle tombe d’une scène de plusieurs mètres de haut. La chanteuse se blesse grièvement à la tête, mais s’en sort après quelques jours d’hospitalisation. A son retour, elle refuse de rejouer Gloria sur scène, comme si cet accident avait tourné une page de sa vie. Après quelques concerts, elle plaque de nouveau son groupe pour rejoindre Fred Sonic Smith à Détroit. Là-bas, pendant que son mari enregistre des bandes qui ne seront pas publiées, elle écrit un nouveau recueil de poèmes. Ce voyage marque un tournant pour elle, qui sent sa fureur s’éteindre sous une certaine quiétude. Elle sait qu’elle a trouvé l’homme de sa vie, ce qui l’oblige à renier un peu la jeune femme hargneuse qu’elle fut.

Elle rêve aussi de gloire et ne rejette plus une pop qu’elle souhaite conquérir. De retour à New York , elle choisit Jimmy Lovine comme producteur de son prochain album. Ce choix n’est pas innocent, le producteur étant surtout connu pour avoir participé au « rock n roll » de John Lennon et au « born to run » de Springsteen. Easter sera l’occasion pour le producteur de créer un son qui fera les grandes heures de Tom Petty. Il est un des rares hommes de sa profession capable de changer le son de ses protégés sans le dénaturer, il construit un bolide rutilant avant d’en offrir les clefs au groupe.

Dans cet écrin, une déclaration de guerre telle que « till victory » devient un hymne de stade, because the night flirte avec le romantisme de born to run. En lui écrivant ce titre, Bruce Springsteen a montré que les deux artistes partageaient le même lyrisme enragé. Patti se voulait la fille de Rimbaud, Bruce s’est toujours considéré comme la voix des prolos, la voix du peuple et celle du rêve se rejoignaient le temps de trois trop courtes minutes.

A une époque où tout semblait encore l’inciter à se rapprocher d’une vague punk qu’elle initia, Patti à fait le choix de prendre le train de la pop en marche. C’est sans doute pour cela que, alors que les Sex pistols sont sur le point de vivre une déroute fatale, que les Ramones ne parviennent pas à obtenir autre chose qu’un succès d’estime, Patti Smith atteint le sommet des charts.

Seule ombre au tableau, « rock n roll nigger » est taxé de racisme par certains journalistes imbéciles. Seul titre à renouer avec une violence plus crue, rock n roll nigger est aussi le titre le plus fort de l’album. Dans un rugissement anarchiste, la chanteuse fait d’une injure ignoble le cri de ralliement de tous les hommes libres. Le « nègre rock n roll » devient celui qui « veut être en dehors de la société » , le rebelle sans autre cause que sa propre liberté. En hurlant qu’elle veut en être, en répétant le terme « nègre » comme un cri de guerre, elle le vide de sa connotation raciale. « Baby is a rock n roll nigger » veut juste dire que blanc, noir , jaune , toute l’humanité devrait hurler son refrain comme une déclaration de guerre à la connerie. En plus d’un des meilleurs textes anti raciste de la pop , Patti signe ici l’un des plus grands morceaux de rock n roll de tous les temps.

Les chiens peuvent aboyer, la caravane de Patti passe en grande pompe. Propulsé au sommet des ventes par le single because the night , Easter lui permet d’accéder aux joies d’une richesse bien méritée . L’ayant croisé en manteau de fourrure, Andy Warhol dira tout le mal qu’il pense de celle qui est enfin sortie de la misère de l’artiste maudit. Le publicitaire n’a sans doute pas apprécié que quelqu’un puisse avoir un égo comparable au sien, sans être passé par son usine bidon. Qu’importe ces réflexions et scandales, elles sont le lot de tout véritable artiste sorti de son égout.

Avec Easter , Patti Smith quittait déjà les fantômes des seventies , elle annonçait la grandiloquence de la décennie suivante. Easter est aussi un album pop accessible sans être trop aseptisé , c’est le symbole d’une culture populaire exigeante qui va progressivement dégénérer ensuite.                    

lundi 12 avril 2021

VARIATIONS : Nador


Dans les années 60 le rock en France c’est le quasi néant : quelques artistes rock’n’roll qui la plupart du temps font des reprises des standards US du genre (Dick Rivers, Eddy Mitchell, Johnny Halliday) ou d’autres davantage yéyé que rock (Antoine et ses problèmes, Jacques Dutronc et encore Johnny qui rentre, lui, dans les deux catégories !).
Et alors que le rock est denrée rare dans l’hexagone voici qu’en 1970, quasiment à la même période que Magma, débarque dans les bacs le premier album de Variations (selon certaines sources l’album est sorti en 1969 ! Difficile de trancher !).
Formé par Jo Leb (chant), Marc Tobaly (guitare), Jacky Bitoun (batterie) et Jacques "p'tit pois" Grande (basse) , tous d'origine juive marocaine, fans de rock et notamment des Rolling Stones, Variations a déjà plusieurs 45 tours à son actif et une flopée de concerts (notamment en première partie de Johnny et de Led Zeppelin en 1969) depuis sa création en 1966 ; il faut dire que c’est avant tout un groupe de scène, inspiré par MC5 et les Stooges.
« Nador » montre un groupe qui évolue d’emblée entre blues rock et hard blues (avec des ingrédients soul et psychédélique sur certains morceaux) et si ce n’est ni Cream, ni Led Zeppelin, ni Ten Years After, ni Humble Pie, ou encore Grand Funk Railroad (ces trois derniers s’avérant être musicalement les plus proches de Variations), le groupe, sans complexe, n’a pas à rougir et l’album tient parfaitement la route, démontrant que Variations est non seulement le précurseur du genre en France mais un groupe de qualité musicale indéniable.
Dès « What a mess again » qui ouvre le disque on découvre une voix blues/soul vraiment de haut niveau et un guitariste pas manchot du tout et pour tout dire vraiment très bon ; ça explose, ça crie, ça arrache, ça vibre, du très bon blues hard.
Le groupe alterne brûlots hard (« What a mess again » et « Waiting for the pope », d’autres blues rock (« Generations » exceptionnellement chanté en français, « Free me »), ballades (la très hippie blues « We gonna find the way » qui se rapproche assez de Jefferson Airplane), instrumental blues psychédélique « Nador » qui n’est pas sans rappeler le « Black Mountain Side » de Led zeppelin et boogie rock (« Mississipi Women »).
Le tout sonnant très anglo-saxon certes et très typique d'un hard blues des années 69-70 mais Variations sait apporter sa petite touche personnelle.
Tout cela était sans doute trop beau pour être vrai car le public français ne suivra pas entièrement et le groupe devra se contenter d'une popularité réduite mais néanmoins pas totalement inexistante. Trop clivant peut-être les Variations en ces années-là. Certains chroniqueurs rock pensent que le look et le côté frimeur du groupe les ont desservi, d'autres pensent que le groupe aurait dû chanter en français - éternel débat ; quant à Patrick Eudeline dans le livre de Philippe Manoeuvre "Rock français : de Johnny à BB Brunes / 123 albums essentiels" il estime que Variations était à la fois le groupe le plus populaire et le plus détesté du rock français. Mais Variations aura ouvert la voie à d’autres groupes bien qu’il faudra encore attendre quelques années pour voir apparaître Ganafoul puis Silvertrain, Shakin’street, Océan et dix ans plus tard Trust. Signalons qu’ensuite Variations mettra, notamment avec l'album "Moroccan roll" (1973), sur certains titres des ingrédients de musique arabe dans son rock et si ces albums sont plus inégaux ils contiennent quelques petits bijoux assez remarquables et là encore le groupe, dans un style différent, sera un précurseur des Carte de Séjour ou Dazibao qui reprendront la formule dans les années 80.
Et Variations fut non seulement un bon groupe mais un groupe précurseur, qu’il convient de ne pas oublier quand on évoque les formations françaises qui ont apporté leur pièce à l'édifice dans un pays où le rock n'a jamais eu la même exposition que dans d'autres pays.
Car après sa séparation en 1975 le groupe disparaîtra quasiment des radars.

dimanche 11 avril 2021

 Rock In Progress 16 Avril 2021



Charles Mingus 

Nouvelle Rock les Possédés de Détroit 

Jerry Lee Lewis

Little Richard 

Jefferson Airplane



samedi 10 avril 2021

Dossier Patti Smith 4


La sortie de Horses montre cette éternelle incompatibilité entre l’art véritable et le capitalisme moderne. Si Horses obtint un succès honorable, ce ne fut pas le raz de marée que déclenchera plus tard nervermind the bollocks et autres pavés punk. Suivant comme à son habitude le troupeau, la critique préfère ne pas se mouiller. Blasphème ultime, la plupart de ces plumitifs refusent de prendre réellement position, se contentant d’une tiédeur censée protéger leur crédibilité. De toute façon, le monde du rock ne semble pas avoir besoin d’une telle illuminée. Les critiques américains sont encore trop occupés à vomir un hard rock qu’ils n’ont jamais supporté, alors que les anglais sont trop fascinés par le bouillonnement musical de leur pays pour se aller voir ce qui ce passe chez leur voisins. Cachée derrière le paravent de son insignifiance, la critique enfonce le clou de sa médiocrité par une phrase publiée dans un magazine dont je me garderais de citer le nom :

« Ce disque en ennuiera certains et passionnera les autres. »

Reste donc les concerts, sanctuaires sacrés permettant aux avant-gardistes en mal de reconnaissance de ne pas mourir de faim. Là, le Patti Smith group est une horde de communards défendant chèrement sa peau, Patti lançant ses déclamations comme un général ordonnant l’assaut. Cette métaphore guerrière, la papesse rock ne cesse de l’employer à longueur d’interview. Toute grande armée a besoin d’une cavalerie fulgurante, celle du Patti Smith groupe se nomme John Cale. A chaque fin de concert, celui-ci vient faire hurler son violon dans une reprise sauvage de my generation.

Dylan non plus n’a pas laissé tomber la révolutionnaire mystique, et il lui propose de rejoindre sa rollin thunder revue. N’ayant duré que quelques mois, la rollin thunder revue est l'un des plus beaux actes de rébellion contre la grandiloquence du show business. Voir Bob Dylan et Joan Baez quitter la routine confortable de la gloire, pour parcourir les routes dans un van miteux est un symbole grandiose. Au cours de son périple, la troupe jouait où elle le pouvait, souvent en compagnie de musiciens locaux plus ou moins connus. Malheureusement, Patti ne peut accepter cette invitation, le Horses tour n’est pas fini et elle refuse de laisser ses troupes en rase campagne.

Entre temps, sa relation avec Tom Verlaine s’est tendue , et le couple se sépare quelques jours après le début de la tournée. Quelques semaines plus tard, Patti reporte son affection sur Fred Sonic Smith , le guitariste le plus remarquable de Détroit. Quand ils se rencontrent, le MC5 a fini par se séparer à cause de leur début sulfureux. John Sinclair a fait naitre le groupe autant qu’il l’a tué, son ombre est la malédiction qui a condamné le gang. Si la révolte du hippie rouge a contribué à façonner le son du five , ses idées politiques ont attiré la censure de l’establishment américain. Lâchés trop rapidement par ses maisons de disques , privés de passages en radio et de proposition de carrière solo , ses musiciens maudits ne se sont jamais remis de leur débuts sulfureux. On ne diffuse pas impunément des idées gauchistes dans un pays où le communiste est plus haï que le pire des criminels, une nation où les rouges sont encore plus détestés et méprisés que les noirs.

Si je m’attarde ainsi sur les différents amants de notre poétesse, ce n’est pas seulement pour parler une nouvelle fois du MC5. Patti est aussi artiste que muse, elle rêvait autant de devenir femme d’artiste qu’artiste elle-même. Dans ce cadre, ses amants étaient autant des guides que des partenaires. Faites le test, écoutez Marquee Moon et Horses l’un après l’autre, vous remarquerez alors que leur lyrisme free jazz ont un air de famille.

Patti a une trop haute idée d’elle-même pour que cette proximité soit un hasard, sa vie irrigue son œuvre et immortalise son parcours. En s’inspirant ainsi de Tom Verlaine, elle faisait sonner Marquee Moon et Horses comme deux jumeaux nés de son amour pour l’art. Si l’on part de ce principe, on comprend mieux le virage pris sur radio éthiopia.

Son destin étant désormais lié au plus grand des libertaires prépunks, elle exige une liberté de création totale. Elle accepte tout de même d’engager le producteur Jack Douglas , à condition que celui-ci ne s’occupe que du son du disque. Douglas ne fut pas choisi au hasard, son travail pour Aerosmith ou Alice Cooper en fit le producteur idéal pour un disque qui se veut plus dur que le précédent. Avant d’entrer en studio, Patti a pris quelques leçons de guitare auprès de Fred Sonic Smith, qui lui donne un peu de ce feeling abrasif qui fit les grandes heures du MC5. La compagnie du guitariste a aussi amplifié une contradiction qui s’exprimait déjà sur Horses. C’est l’époque où elle crie son athéisme, tout en citant des passages de la bible entre un riff et une lecture de Rimbaud. Devant elle, la génération des Ramones se demande comment on peut prétendre défendre leur barricade en citant de pareilles bondieuseries.

La chanteuse sent l’antipathie que provoque ses grands prêches, mais elle ne parviendra jamais à séparer totalement son œuvre de la bible. Sans doute juge t-elle, comme Leon Bloy avant elle, que toute œuvre n’a de valeur que si elle se nourrit des récits bibliques. Bloy voyait l’art comme un hommage à dieu, Patti donne l’impression de vouloir le dépasser. Ce qui est bien plus blasphématoire que les gesticulations nihiliste de sa descendance à crêtes. Pour faire comprendre son message, elle va débarrasser son groupe de ses échos grandiloquents, jeter aux oubliettes son swing de cathédrale. La musique redescend sur terre , mais ce n’est que pour mieux souligner la transe d’une femme qui ne peut que rugir comme un croisé en pleine guerre sainte.

Radio éthiopia est un superbe paradoxe, la réussite d’une artiste qui ne peut plus être une groupie. Si Fred Smith a inspiré radio éthiopia , c’est de manière beaucoup plus marginale que Tom Verlaine avec Horses. Patti a mûri , son époque a désormais plus d’influence sur sa musique que ses histoires personnelles. Ce que radio ethiopia évoque dès les premières notes de ask the angel , c’est la puissance spectaculaire des grands barons du hard blues. Patti fait de la dévotion un blasphème, se sert de l’énergie la plus populaire pour écrire son disque le plus complexe.

La justesse est pour elle dans la contradiction, elle sait qu’il n’y’a rien de plus blasphématoire qu’une groupie de dieu devenue rockstar , ses harangues sont des flèches déchirant le dogme. Alors que le son de radio ethiopia semble flirter avec les blockbusters led zeppien , la musique crache sur leur virtuosité grandiloquente. Patti n’a jamais voulu apprendre le moindre riff, elle ne sait pas accorder sa guitare. Cette femme est la Jackson Pollock du rock, une Ornett Coleman de la guitare, elle envoie des sons rageurs qui semblent s’unir miraculeusement.

Là encore, cette inspiration sera très mal comprise, Lester Bang étant le premier à tirer sur son ex collègue. Par respect pour son amie, il ne publiera jamais sa chronique, qui tombera tout de même entre les mains d’une Patti qui en sera profondément blessée. La déception est malheureusement partagée par une grande partie du public qui, comble de l’ironie , l’accuse d’avoir cédé au pire des péchés capitaux : l’orgueil.

Subissant les leçons de moral de curés minimalistes, Patti a au bout du compte sorti un disque qui transcende ses contradictions sans les gommer. Une œuvre plus brute mais aussi riche que son premier album. Et c’est déjà un exploit que l’on peut saluer.                

jeudi 8 avril 2021

Dossier Patti Smith 3

 


Horse est d’abord l’affrontement de deux égos surdimensionnés. Dès les premières minutes, John Cale a vite compris que sa protégée était plus poète que chanteuse. Sa première décision sera d’offrir du « matériel décent » à une bande de sauvages jouant jusque-là sur des instruments obsolètes. Mais ce dénuement volontaire est surtout le signe d’un anarchisme revendiqué par le groupe. En studio, les musiciens se perdent dans des improvisations guidées par les délires rimbaldiens de leur leader. Ils improvisent ainsi pendant des heures, supportant ce rythme infernal grâce à l’aide de diverses substances. N’ayant rien écrit à l’avance, le Patti Smith group se retrouve vite avec un matériel aussi disparate qu’indigeste, c’est là que Cale joue un rôle essentiel.

Le producteur est alors en pleine période Beach boys , et parvient à réduire la plupart de ces transes mystiques à un format pop de 3 à 5 minutes. L’ex Velvet voudrait que Horses soit son « Pet sound », mais les musiciens refusent catégoriquement les cordes qu’il souhaite ajouter. Le conflit qui nourrit la splendide tension de Horses est parfaitement résumé par cette anecdote. Cale ne rêvait que d’une chose, gommer un amateurisme dont son groupe était fier, transformer les sauvages du punk en maestro de la pop. De son coté, si elle n’est pas musicienne, Patti Smith a vite compris que le rock est avant tout une question d’intensité. Ce que son producteur voit comme de l’amateurisme, la jeune femme le considère comme une façon de prendre d’assaut la forteresse rock.

Patti n’était pas Paul Mccartney et n’avait aucune envie de le devenir. D’autre part, son groupe n’avait certainement pas réservé l’Electric ladyland pour y enregistrer des berceuses. La tension ambiante ne fait qu’augmenter l’intensité des huit titres que le groupe finit par mettre en boite. Il n’aura fallu que deux mois , deux mois de souffrance et de lutte , de travail acharné et de déchainement mystico rock, pour que Horses soit enregistré.

On entre dans Horses comme on entre en religion, c’est un univers qui abolit toute nuance, interdit tout jugement tiède. Avec ce disque, il faut choisir son camp, rejoindre le rang des dévots ou celui des incrédules. Horses , c’est l’idéalisme hippie gémissant sous les coups de poignard de la Manson family, ce sont les martyres tibétains priant désespérément pour la fin du despotisme chinois, c’est le Christ gémissant sous le soleil du golgotha. Horses est un dogme, une secte, une force instaurant un nouveau mysticisme qui différencie les incrédules des grandes âmes. Horses est aussi la frontière entre ce que le rock fut et ce qu’il sera, il lance une révolte sur cette simple phrase :

« Jesus die for somebody sins but not mine ! »

Et voilà ! Le baptême des gamins à crête est fait, libre à eux de diffuser ce nihilisme. Autant le dire tout de suite, aucun ne dépassera la phrase prophétique qui les fit naitre, « I am an anarchist » « white riot » et « all I want is to sniff some glue » n’étant que de bien bas glaviots lancés sur les chevilles de l’establishment. Avec cette première phrase, Patti attaque un dogme dont elle fut elle-même dévote, un dieu devant lequel tous les présidents américains s’agenouillent.

Et puis il y a ce groupe, Yardbirds destroy en pleine croisade d’illuminés anarchistes. Sur des courses folles comme Gloria ou Horses , le groupe tricote un boogie explosé , mojo sous speed joué par de formidables Jean foutre. Horses , c’est l’église de ceux qui pensent que le dogme caricature tout mysticisme , c’est la cathédrale construite par John Cale pour canoniser sa sainte prêtresse. Restreint par le désir de simplicité de ses protégés, Cale bâtit un temple à la truelle, fabrique quelque chose d’énorme avec des moyens ridicules. Le son qu’il concocte ici est une formidable chambre d’échos , qui donne à son armée de rustres des airs de troupe conquérante. Il nappe Free money d’une couche de lyrisme, transforme Kimberly en mantra hypnotique.

Il ponctue les ballades les plus mélodieuses de son piano aux allures d’orgue céleste, offre son violon comme une lyre sublimant l’odyssée de son alter ego féminin. John Cale et Patti Smith se ressemblait trop pour s’entendre, la tension générée par l’affrontement de leur égo s’est chargé de réunir leurs talents. Cale est un poète dont les sons forment les vers, Patti est une prêtresse écrivant les tables de la loi de la révolte à venir.

Horses est-il le meilleur album de Patti Smith ?

Je me garderais bien d’apporter une réponse péremptoire à cette question, même si il s’agit sans doute de son disque le plus important. Les plus grandes œuvres ne sont pas celles qui rassemblent mais celles qui divisent , celui qui satisfait tout le monde est souvent celui qui en dit le moins. A ce titre, Horses est une grande œuvre, le genre de disque que l’on défendra farouchement toute sa vie où qu’on haïra violemment. C’est sans doute pour cela qu’il n’a jamais été copié, que son influence sur le punk fut aussi essentielle que marginale. Les contemporains  de Johnny Rotten se sont contentés de reprendre sa hargne tout en oubliant son mysticisme. A partir de là , ils ne pouvaient pas provoquer une fascination comparable à leur modèle.