Chicago : Chicago Transit Authority (1969)
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mercredi 28 avril 2021
mardi 27 avril 2021
Albert King : Born Under a Bad Sign (1967)
Philibert va au concert avec son papa !Pau, la ville du bon Roi Henri IV et du boulevard des Pyrénées où l'on peut contempler tout l'Ouest de la chaîne et surtout le splendide Pic du Midi d'Ossau fierté des palois. Philibert tombé de la marmite mi sixties a une dizaine d'années et ce soir là il est au « spektak » avec son papa pour voir un des rois du Blues ALberT kiNg ! Le concert est organisé par le Hot Club de Pau actif depuis 1945 et le gratin du blues américain passe souvent par la région Midi-Pyrénées grâce à Jacques Morgantini, bras droit d’Hughes Panassié, fondateur et figure du Hot Club de France. Philibert ne connait rien à la musique et ne sait pas quel sera son futur ni que son papa déjà violent quand il ne ramène pas de bons bulletins scolaires de l'école primaire deviendra une vraie brute stupide mais ceci est une autre histoire. Elle illustre parfaitement un certain adage nietzschéen très souvent utilisé en matière de résilience. Born under a bad sign ?
**Born under a bad sign
Been down since I begin to crawl
If it wasn't for bad luck
You know I wouldn't have no luck at all
Hard luck and trouble is my only friend
I've been on my own ever since I was ten**
L'attente est grande pour le petit garçon qui vit "un bon souvenir". Un brouhaha diffus règne dans la salle encore éclairée. Les spectateurs tous assis devisent calmement en attendant l'arrivée des musiciens et l'enfant est si content de pouvoir veiller tard, d'aller au concert avec son papa. Soudain sans prévenir les lumières s'éteignent, le groupe s'installe et une espèce de grand et gros gaillard noir arrive avec sa guitare en bandoulière. Philibert ne sait pas encore qu'il jouera de la guitare quand il sera grand mais pour l'heure il est intrigué par cet espèce d'instrument en V. « Lucy » tel est le nom de la compagne musicale d’Albert King. C'est une Gibson Flying V assez peu utilisée à l'époque. Suprême raffinement ALBERT KING étincelle en grosses lettres d'argent tout au long de la touche ébène du manche si petit dans les grosses paluches du roi. L'homme est vraiment impressionnant presque deux mètres de haut et pas loin de 120 kg mais surtout le costume. Albert arbore un splendide costard "maffieux" gris bleu à fines rayures blanches, chemise crème et surtout lavallière rouge qui déborde ce cou impressionnant. Assurément le type est plutôt taillé comme un seconde ligne de rugby de ce cher sud ouest et la guitare semble un jouet dans ses bras puissants. Phillibert contemple étonné et émerveillé le "Velvet Bulldozer" (physique de géant et doigté musical de velours) quand les premières notes fusent. La marque d'un grand guitariste c'est tout d'abord le son puis vient le phrasé. Quand vous connaissez les deux vous pouvez reconnaitre "la patte" du gars dans n'importe quel morceau à l'égal d'un Dire Staits, John Scofield, BB King... Albert King possède les deux ! Tout d’abord ce son aigu, claquant si caractéristique mais aussi ces "gros" bends majestueux, ce phrasé incisif liés en partie aux accordages peu courants qu'il utilise et certainement à la technique personnelle sans médiator (juste le pouce) qu'il a du développer en inversant une guitare de droitier pour la jouer en gaucher sans changer la position des cordes ! Quelle personnalité !
Et puis il a quelque chose d'autres que bien peu de musiciens ont : il est capable de faire chialer sa guitare. Beaucoup jouent des notes mais chez les grands bluesmen parfois la guitare pleure comme un enfant triste, une femme abandonnée ou un homme désespéré.
Les grands musiciens de RocK qui lui succèderont seront grandement influencés par le velours de son jeu. Keith Richards, Jimi Hendrix, Clapton, Jeff Beck, Robert Cray, Gary Moore, Ron Wood, Buddy Guy, Paul Personne, Johnny Winter et Angus Young, tous l'écouteront, puiseront dans ses phrases et lui rendront ainsi hommage. Eric Clapton dans « Strange Brew »
https://www.youtube.com/watch?v=r0FFTd3bS_8
reprend quasiment note à note le phrasé de « Oh pretty woman » de l’album "Born under a bad sign".
https://www.youtube.com/watch?v=CuzC_3ai1ek
Stevie Ray Vaughan qui l'admirait beaucoup a enregistré en 1989 avec lui l'album "In session" cela peu avant leur mort (SRV 1990 35 ans / AK 1992 69 ans). Même s’il apparait moins connu du grand public que certains, AK demeure un maître du Chicago blues, plus encore du blues contemporain et une influence majeur du RoCK ou Hard Blues à la Zed Zeppelin.
Les morceaux s’enchainent, l’enfant écoute la guitare précise qui ponctue avec grâce cette voix chaude alternant chant rauque et rond avec un talk over rieur, la voix Bleue. Inconsciemment mais surement le discours musical et les grimaces du King plantant des bends monstrueux s’ancrent dans sa mémoire et façonneront une partie de ses goûts une toute petite partie de son futur.
samedi 24 avril 2021
Patti Smith : épilogue
En 2006 , le CBGB annonce sa fermeture. Le lieu qui vit le Punk naitre et grandir, le QG où Iggy Pop côtoyait Blondie , les Ramones et autres icones destroy, ce lieu mythique disparait à cause de basses préoccupations financières. C’est aussi dans cette salle que Patti rencontra Tom Verlaine , qui influença largement le son de Horses. Les gérants du CBGB invitent donc la prêtresse punk à bénir une dernière fois leur temple. Arrivée sur scène dans la tenue qu’elle portait sur la pochette de son premier album, Patti Smith passe en revue tous ses classiques. Au bout de quelques minutes, le guitariste de Television la rejoint pour jouer rock n roll nigger , qui devient l’hymne de tous ceux qui commencèrent leur parcours dans cette salle. Avant le dernier titre, Patti lit une liste de tous les héros ayant fait de ce lieu le centre du monde.
Parmi ces noms, on trouve des figures aussi incontournables que Lester Bang ou les Ramones. Pour celle qui a survécu à cette histoire, le 21e siècle devient le temps des hommages. C’est ainsi que la chanteuse est introduite au rock n roll hall of fame par le chanteur de Rage against the machine. Dans son discours d’introduction, Patti exprime toute sa gratitude envers une musique qui lui a ouvert toutes les portes. Peu de temps après cette grand-messe nostalgique, Twelve débarque dans les bacs des disquaires.
Twelve fait renaitre une vieille question : A quoi
servent les albums de reprises ?
Parmi eux, seul Pin up de Bowie fut reconnu comme un chef d’œuvre, grâce à l’énorme popularité d’un Ziggy Stardust, dont il représente le dernier tour de piste. Voilà peut-être la seule utilité de ce genre d’albums, satisfaire le besoin de souvenirs de fans attachés à leur passé. Celui qui produit un album de reprises est comme un restaurateur de voitures de collection, la moindre originalité de sa part ne peut être vue que comme une erreur grave.
Partant de ce principe, twelve ne pouvait qu’être un album de seconde zone, le genre de relique écoutée une fois avant de prendre la poussière sur les étagères. La set list ressemble à la réserve d’un vieux juke box , les Doors y côtoient Dylan et autres Stones, dans un mélange de rock et de bluegrass. Si cette musique parvient à atteindre un semblant de lyrisme, c’est uniquement en se rapprochant des versions originales. Twelve dilue la puissance de ses chefs-d’œuvre dans une douceur sensée apporter un peu d’originalité, repeint le temple rock d’une couleur hideuse.
Comble de l’ironie , Patti parvient à rater le titre qui lui convenait le mieux. Issu de l’honteusement sous-estimé Street Legal , Changin of the guard est vidé de tout charisme illuminé par celle qui en fit sa marque de fabrique. En oubliant ses chœurs gospels, Patti vide le titre de toute sa puissance symbolique, renie la ferveur religieuse qui value à Dylan les foudres de la critique. A l’image de ce monument Dylanien, twelve semble vider tous ses modèles de leurs substances.
White Rabbit s’embourbe dans une mélodie soporifique,
douceur apathique qui l’empêche de retrouver ses sommets psychédéliques. Soul
Kitchen , quant à lui , perd toute sa virilité menaçante , renie son mojo
bluesy et ses emportements rageurs. On découvre ensuite un intrus à cette
sélection, qui n’est autre que smell like teen spirit. Avec son riff pompé sur
godzilla (du Blue oyster cult) , l’original était déjà une des créations les
moins intéressantes de Nirvana, il est ici dénaturé au point de devenir méconnaissable.
En voulant lui rendre hommage , Patti Smith a accentué ce qui rendait parfois
Kurt insupportable , elle surjoue ses gémissements de chanteur suicidaire.
Comme dit plus haut , un album de reprises est condamné à être médiocre ou acceptable et il n’est acceptable que quand il reproduit ses modèles de la manière la plus fidèle. Dans le cas de Twelve , on retrouve un peu d’énergie quand Patti oublie son attirail bluegrass. Gimme shelter permet ainsi à Lenny Kaye de se transformer en Keith Richard acceptable. L’autre bonne surprise se situe dans Helpless , où la simplicité folk de Neil Young fait renaitre le charisme passionné de Patti.
Ces quelques fulgurances ne comblent pas la faiblesse de Twelve , qui est aussi celle de tout album de reprises. Reconnaitre une quelconque valeur à ce genre de disque, c’est avouer que les originaux ne sont que de vulgaires brouillons que l’on peut transformer au fil du temps. Partant de ce constat, Twelve ne peut qu’apparaitre comme une soupe particulièrement fade.
Je ne m’attarderais pas sur Banga , dernier disque renouant avec la production tapageuse de Dream of life . Je préfère garder la grandeur d’une œuvre qui, dans le rock comme ailleurs, n’a pas d’équivalent. Patti Smith a initié le punk sans jamais s’y conformer, a flirté avec la pop pour lui donner au moins deux de ses plus grands albums. On écoute ses premiers disques comme on entre en religion. La singulière originalité de son œuvre interdit toute tiédeur, on ne peut que la détester ou l’admirer toute sa vie. C’est désormais à vous de choisir votre camp.
Patti Smith 10
Le deuil passé, Patti Smith surprend tout le monde avec la sortie de l’album Gun Ho. Plus brut et rageur, le disque séduit une nouvelle génération, qui redécouvre déjà le rock à travers les riffs de Jack White. Le succès permet à Patti de quitter son label, pour signer un contrat avec Columbia en 2004. Elle se concentre ensuite sur son œuvre picturale, exposant ses tableaux au centre Andy Warhol. Il faudra attendre plusieurs mois pour que la chanteuse devenue peintre ne sorte un nouvel album. Premier album pour Columbia, Trampin est marqué par un début de millénaire troublé.
Bien au chaud dans son opulence consumériste, l’occident était loin d’imaginer qu’une attaque sanguinaire puisse encore avoir lieu sur son sol. La guerre était jusque-là un malheur lointain, le péché d’un impérialisme américain contre lequel toute une jeunesse a manifesté. L’occident voulait sortir de cette histoire, oublier les luttes de civilisation en envoyant ses soldats combattre loin de son sol. Le 11 septembre 2001 replongea de force l’occident dans le bain glacé d’une histoire qui sera toujours tragique.
Le peuple réclama vite vengeance contre cette barbarie, on lui répondit comme l’Amérique a toujours répondu à ses angoisses, en allant montrer ses muscles à l’étranger. Pour se faire , Bush tente de convaincre les Nations Unies de l’aider à combattre en Irak. Flairant le délire d’un pays toujours prompt à jouer le gendarme du monde, la France et la Russie refusent de participer à la mascarade. Du côté de la population, le fils Bush affirme que Ben Laden se cacherait dans l’ombre de Saddam, qu’il faut renverser le dictateur au nom des droits de l’homme. Hier ce fut le Vietnam, aujourd’hui c’est l’Irak , hier on redoutait les rouges , aujourd’hui ce sont les barbus , définissez l’ennemi et vous pourrez justifier l’injustifiable.
Dans ces moments, on attend ensuite que les artistes viennent soigner les plaies morales d’une Amérique en deuil. Et des géants de cette trempe il n’en reste plus des milliers. Conscience prolétarienne de l’Amérique, Bruce Springsteen sort the rising en 2002, disque où son romantisme se pare d’une beauté tragique. Patti répond au drame deux ans plus tard , d’une manière plus révoltée.
Trampin marque le retour à un rock plus énergique, le deuil est passé et la chanteuse veut plus que jamais apporter de l’espoir. Avec ce disque, Patti encourage l’insoumission, incite à l’activisme et célèbre les mouvements d’émancipation comme autant de lueurs d’espoir. Seule exception à la règle, radio Bagdhad exprime sa honte d’appartenir au pays qui répand le chaos au Vietnam. Ayant retrouvé sa révolte, Patti proclame Bagdhad « centre du monde », s’emporte pour tous ces innocents plongés en enfer. Trampin réinvente une nouvelle fois le mysticisme d’Horses , redonne au rock son rôle de cri d’insoumission.
Du côté de la musique, le blues de jubilee cotoie de douces méditations telles que peaceable kingdom ou Trampin, radio Baghdad nourrit sa fureur aux sources du Détroit de la grande époque. La noirceur des précédents albums laisse place à une succession de célébration de révolte, de célébration de prières. L’Amérique vacille , mais Patti veut croire qu’elle n’est pas perdue , qu’il existe encore de grandes lueurs d’espoir. Trampin est un grand disque parce qu’il revient à ce qui fit toujours la grandeur de son auteur : un rock révolté et lyrique , accessible sans renouer avec les canons sirupeux de la pop.
Les improvisations montent
de nouveau dans des transes où se réinventent ses totems incontournables , le
souvenir des Doors côtoie le feeling d’un Lenny Kaye qui sonne toujours comme une
version destroy des Yardbirds. Trampin est un grand album de rock et c’est une
réponse classieuse au trouble de son époque. Si l’époque fait les grands hommes,
trampin montre qu’elle influence aussi les grandes œuvres.
Patti Smith 9
Pour oublier ses peines , Patti Smith se lance rapidement
dans la tournée de promotion de son dernier album. Sur scène, elle retrouve la
transe de ses jeunes années, la disparition de Fred semble progressivement tuer
la femme mature pour faire renaitre la jeune fille. La marraine du punk parle
de ses disparus à un public compatissant , lui avoue le regain de jeunesse
que lui apporte la fin de son deuil. C’est aussi l’époque où on lui demande
quelle fut sa place dans le rock seventies. Avec le recul, on peut dire que le
Patti Smith group fut une version lyrique du MC5, un Velvet underground enragé.
Son free jazz fut certes proche de Television , qui sortit son Marquee moon la
même année que Horses , mais Tom Verlaine n’avait pas cette rage révoltée.
Peu de temps après sa tournée, Bob Dylan appelle Patti pour lui proposer de rejoindre sa tournée paradise lost. Après la sortie de l’impressionnant Oh mercy , le grand Bob vit un nouvel âge d’or artistique. Il invitât le gratin du rock moderne à participer à l’enregistrement de under the red sky, avant de renouer avec ses racines blues. De ce retour aux sources naquirent deux albums, time go wrong et as good as I’ve been to you , où sa voix a le charisme des grands pionniers. On a aussi pu le voir dans l’émission MTV unplugged , où sa prestation anecdotique eut au moins le mérite de montrer qu’il restait le plus grand artiste de son époque. Si Patti n’est pas emballé par son invitation, elle finit par céder aux demandes du Zim.
Patti Smith effectue donc les premières parties de la tournée paradise lost , avant de rejoindre Bob sur scène le temps de quelques titres. Artistes véritables dans un monde de plus en plus artificiel, le duo symbolise tout ce que l’époque cherche à détruire. Patti et Bob sont parmi les ultimes gardiens d’une flamme allumée lors des merveilleuses sixties, et qui ne renaitra sans doute plus, celle d’une pop intelligente et ambitieuse. Devenue une institution respectable, Patti Smith n’en est pas moins restée une femme révoltée. Le système médiatique s’en rend compte lorsque le magazine Q lui décerne un « inspiration award ». Lors d’un long discours, elle affirme que les médias ne doivent pas servir les artistes , qui ne sont pas non plus fait pour se mettre au service des médias. La seule cause que cette secte dégénérée devrait toujours servir, c’est le peuple.
Nous étions en 1995, et Patti avait déjà compris que l’art était vérolé par le petit milieu des gens de lettres , hommes de spectacles , et autres sous races d’artistes. Le phénomène ne fera que s’accentuer par la suite, cette noblesse cachant ensuite ses privilèges et son entre-soi derrière le masque d’une vertu faite de bien-pensance nauséabonde et de militantisme bourgeois. En affirmant son mépris vis-à-vis de ce cirque mondain, Patti Smith réaffirmait son indépendance vis-à-vis d’un milieu médiatique dont elle s’est toujours méfiée. En parallèle de ce retour sous les projecteurs, elle avoue son admiration pour le dalai lama, rêve toujours d’un monde en paix.
Révolte et idéalisme, indépendance et passion, l’auteur de Horses revient aux sentiments qui firent sa grandeur. Ces sentiments influencent l’enregistrement d’un album justement nommé Peace and noise , qui sort en 1997. Ce disque est dans la droite lignée de Gone again, Jeff Buckley ayant rejoint le rang de ses fantômes quelques mois plus tôt, alors que Willam Burroughs vient de succomber à une crise cardiaque. Ceux qui refusent de reconnaître l’influence de la littérature sur une partie du rock devrait relire junkie et le festin nu, une bonne partie de la noirceur de Lou Reed est annoncée dans ces lignes troublantes. Ces disparitions inspirent à Patti une phrase qui pourrait aussi être le mot d’ordre de nombreux rockers : Souviens toi que tu vas mourir.
La tristesse cohabite avec un certain optimisme, les figures du dalai lama , de mère Thérésa ou de Jésus défilant sur un blues apaisé , ou dans des prières méditatives. Le tragique de la petite histoire de Patti côtoie la tristesse d’un monde violent. Peace and noise s’indigne rageusement du sort réservé au Tibet envahi, rend hommage à ses martyrs avec la colère froide d’un blues rock torturé, prie pour la paix sur le slow blue pole , salue son passé sur don’t say nothing.
Peace and noise est l’album où la tristesse devient nostalgie, où le drame enfante l’espoir. Patti prend désormais ces disparitions avec philosophie, célèbre la vie qu’elle a eue après avoir regretté celle qu’elle n’aura plus. Pour le reste du monde, elle veut garder l’optimisme de la jeune fille utopiste qui admirait le dalai lama. Ce doux optimisme exige encore une production sobre et intimiste, oblige souvent la guitare à murmurer derrière un piano nostalgique où une mélodie douce heureuse. On remarque néanmoins que, quand les six cordes peuvent enfin s’épanouir dans un rock gorgé de blues, la sobriété de sa production illumine son feeling mystico blues. Pour clôturer une prière aussi lumineuse que ce Peace and noise , la guitare rugit rageusement sur le hard blues dead singing. Ce titre, c’est la révolte d’une femme qui sent que le bout du chemin est proche, alors qu’elle a encore tant à dire.
Si le temps joue contre elle, Peace and noise montre que
la route de Patti est encore loin d’être terminée.
mardi 20 avril 2021
PINK FLOYD : Ummagumma (1969)
Syd Barrett devenu ingérable pour les raisons que l’on sait, David Gilmour arrive pour l’épauler puis, l'état mental de Syd ne s'arrangeant pas, finit par le remplacer définitivement. En 1968 Pink Floyd sort un "A Saucerful of secrets" en demi-teinte puis la B.O du film "More", musique de film plutôt réussie mais qui malgré tout reste une bande son et enfin ce disque "Ummagumma" en 1969. Pink Floyd tâtonne encore. Il ne trouvera réellement sa (nouvelle) voie qu'avec "Atom heart mother", "Meddle" et bien sûr "Dark side of the moon".
Revenons à "Ummagumma" : je n’ai jamais très bien compris quelle était la raison de ce double album avec un disque live et un disque studio expérimental, les deux disques étant très différents.
Disons-le tout de suite je n'aime d'ailleurs pas trop cet enregistrement studio, chaque musicien y allant de sa petite pièce musicale sans beaucoup d'intérêt il faut bien le dire.
Mettre ces expérimentations avec un enregistrement public est une erreur de casting fort dommageable. Quasiment une faute professionnelle.
D’ailleurs Waters n'a jamais caché qu'avec le recul ce disque studio était une erreur, un raté dans la discographie de Pink Floyd, le groupe n'ayant d'ailleurs pas trop apprécié le résultat final.
Selon moi seul surnage "The narrow way" le morceau composé par David Gilmour qui s’avère un vrai titre, tenant à peu près la route sans être époustouflant ; et non un bidouillage expérimental sans ligne directrice, de la masturbation intellectuelle avant-gardistes assez pénible comme le crieront les détracteurs !! Ce qui n'est d'ailleurs pas totalement faux même si certains apprécieront cette tentative de faire quelque chose de différent, de sortir des sentiers battus du pop/rock "classique".
Mais je reste avec la désagréable impression que les musiciens jouent avant tout pour eux, se font plaisir en faisant leur petite cuisine musicale, recette que le public ne comprendra pas forcément.
Passons...
J’ai donc décidé de ne pas m’éterniser afin de m’attarder plus longuement sur le disque live enregistré en avril et mai 1969 et dont les quatre morceaux, sans doute les plus psychédéliques de la période 1967/69 du Floyd, s’avèrent non seulement plus intéressants mais au final un voyage musical assez unique, que je considère volontiers comme l'un des sommets du rock psychédélique. Quatre titres d'anthologie, enregistrés ici dans des versions allongées, souvent plus expérimentales et ambitieuses que les originaux studio et qui resteront à jamais dans l'Histoire du rock même si ce n'est pas ce que Pink Floyd a fait de plus connu ; car l'ensemble captive et dégage une ambiance unique, une expérience auditive et pose définitivement les bases du ROCK psychédélique et non plus de la pop psychédélique "gentillette" qui avait fait son apparition depuis les années 66-67. On peut volontiers qualifier Ummagumma (live) d'apogée, d'apothéose du rock psychédélique des sixties.
"Ummagumma" est aussi un album charnière avant la sortie de disques plus "pop", planants, atmosphériques ou symphoniques (mais qui garderont souvent une ambition qui fera la force du groupe). Ce live clôture la période Barrett en quelque sorte, Syd Barrett dont l'ombre plane encore sur ces quatre morceaux live qui rappellent encore avec insistance les premiers concerts du groupe donnés au U.F.O, mythique salle londonienne.
Ecouter cet enregistrement public c'est entrer et explorer une nouvelle dimension musicale...
« Astronomy domine », écrit par Barrett, tiré du premier album et qui débute ce live, reste ma préférée même si c'est assurément le morceau le moins aventureux. Ce titre a quelque chose d’hypnotique, de galactique, de mystérieux. Avec une voix venue d'un autre monde qui rappelle que Pink Floyd est le premier groupe rock à avoir exploré un univers musical qu'on peut qualifier de cosmique.
Et si les extra-terrestres existent alors c'est ce morceau qu'il faut envoyer dans l'espace pour prendre contact avec eux !
Une pop psychédélique qui se transforme "sur scène" en rock psychédélique spatial.
Et comme tous les morceaux de ce live la voix n'est là que pour accompagner la musique même si sur ce titre les choeurs "hallucinés" donnent une dimension qui colle parfaitement à l'instrumentalisation. Le morceau par excellence d'un "space rock" psychédélique.
« Careful with that axe, Eugene » est assez différent qui alterne passages planants et violents. Cela monte progressivement en puissance, emmené par un clavier mi-reposant mi-angoissant jusqu'au hurlement effrayant, terrifiant et légendaire de Waters qui débouche sur quelques minutes où progressif et psychédélique se mélangent dans une furie magistrale puis c'est la descente magique vers des horizons plus apaisants...
Mais sur ce titre quasi instrumental on est déjà dans les contrées plus planantes du Floyd.
Ce morceau sorti seulement en 45 Tours en 1968 demeure un grand classique scénique de Pink Floyd.
Vous avez bien accroché votre ceinture ? Le voyage continue avec "Set the control of the heart of the sun" qui est assurément le plus "flippant" des quatre titres avec le clavier hypnotique de Wright et la batterie désarticulée de Mason, la voix quasi murmurée ; encore un titre époustouflant, avec l'impression d'être parfois en apesanteur dans l'espace et où les passages calmes ont une ambiance inquiétante, bonifié par rapport à la version de l’album, en l'occurrence le second, « A saucerful of secrets » ; on navigue dans un psychédélisme plus traditionnel que pour "Astronomy domine" qui garde, malgré ses digressions une structure pop, désarticulée certes mais pop à la base, alors que "Set the control" s'affranchit totalement des structures classiques pour se tourner vers l'exploration musicale.
"A Saucerful of secrets", lui aussi est tiré de l’album éponyme, et là encore Pink Floyd propose un morceau quasi instrumental où le groupe accentue le côté rock psychédélique mais davantage expérimental, enlevé de toute substance pop dans sa première partie puis planante dans la seconde. On est déjà presque dans ce qu’on pourrait appeler du rock progressif, tant dans les variations musicales proposées que pour les différences ambiances abordées.
Ce live est un univers à lui tout seul, un témoignage d'une époque révolue.
Une explosion. Une exploration sonore unique, une expérimentation auditive inoubliable, un cataclysme, accentué par un son qui laisse filtrer le côté mystérieux et inquiétant de l'oeuvre, presque ésotérique.
Une invitation à un voyage sidéral, inter-galactique, cosmique.
Un disque qui hypnotise et envoûte littéralement l'auditeur pour ne plus le lâcher.
Au final une atmosphère à la fois psychédélique (beaucoup) progressive (un peu) planante (parfois), expérimentale (évidemment)...que personne n'arrivera jamais à égaler, mis à part peut-être Hawkwind par séquence au début des 70, mais dans un registre un peu différent.
Car Pink Floyd navigue déjà à cette époque - et surtout à cette époque - dans un autre monde.
lundi 19 avril 2021
Patti Smith 8
Quelques mois après la sortie de dream of life , en 1989, Robert meurt du sida. La maladie le rongeait depuis plusieurs mois, le fringuant jeune homme de just kids étant devenu un vieillard épuisé. Pleurer un mort, c’est avant tout pleurer une partie de son passé, chaque disparu emporte avec lui une période de nos vies qui ne reviendra plus. Robert était le compagnon de misère, celui qui avait sorti Patti de sa vie de vagabond, lui permettant ainsi de conquérir le monde. Un mort partant rarement seul, Richard rejoint bientôt Robert dans le rang des fantômes chers à Patti Smith. Claviériste de son groupe, le musicien emporte avec lui le souvenir de cette enragée mystique que Patti n’est plus depuis la fin du Patti Smith group.
Alors que la chanteuse fait progressivement le deuil de ses deux amis, Fred Sonic Smith apparait de plus en plus fatigué. Cet épuisement n’alarme pas sa femme, qui poursuit avec lui la vie de famille paisible qu’elle s’est choisie. En 1994, une autre disparition bouleverse le couple, celle de Kurt Cobain. Ils n’ont pas rencontré ce jeune homme torturé, qui apportât au rock un de ses derniers âges d’or , mais ils sentent qu’il existe un lien entre sa musique et la leur. Kurt était un descendant du brasier de Détroit, alors que sa musique trouvait sa force dans tout ce que la génération proto punk de Patti a initié. Quand l’ange blond du grunge s’est donné la mort, Patti et Fred ont perdu un fils spirituel.
C’est aussi à cette époque que Patti renoue avec le cirque médiatique. La poésie a pour elle largement pris le pas sur la musique, la papesse punk affirmant qu’elle souhaite désormais être reconnue comme écrivain. Elle accepte finalement de reprendre le micro, pour enregistrer un inédit sensé booster les ventes d’une compilation, dont les profits seront reversés à une association de lutte contre le sida. Quelques jours plus tard, Fred Sonic Smith meurt à l’hôpital de Détroit. Epuisé par la quête d’un succès qui ne vint jamais, le plus grand guitariste de Détroit a succombé à un infarctus.
Après deux mois de deuil, sa veuve réapparait progressivement lors de quelques cérémonies publiques. Patti revient ensuite enfin à la musique, et réserve le studio electric ladyland , où elle entame l’enregistrement de gone again. Sorti en 1996, cet album sera résolument nostalgique. Plongé dans le studio où tout a commencé, Patti renoue avec un lyrisme tragique, qui manquait à ses productions plus pop. Les fantômes côtoient les vétérans revenus la soutenir, le morceau titre et « summer cannibals ayant été écrit avec Fred Smith , alors que John Cale et Tom Verlaine participent aux chœurs de « beneath the southern cross » et « fireflies », la sœur de Fred tient quant à elle la mandoline sur Rain. Alors que la troupe dirigée par Patti s’agrandit, la production est plus brute que sur ses précédents albums, Patti n’allait pas entrer dans son cimetière avec un attirail de popstar.
Le morceau titre est une ouverture saisissant, un blues d’apaches rendant hommage aux braves tombés au combat. Il symbolise un album où la rage côtoie la tristesse, une œuvre se révoltant contre l’injustice de la mort et pour survivre à ses drames. Cette tristesse rageuse semble régénérer l’inspiration de Patti , qui fait danser ses fantômes sur un blues rock illuminé , ravive le feu de son rock mystique en leur honneur. En plus d’avoir perdu un ami et un mari, la chanteuse a aussi perdu un fils spirituel, le grondement stoogien de about a boy rendant hommage à Kurt Cobain. Gone again est un album où la petite histoire de Patti rencontre la grande histoire du rock, où elle semble autant mettre des mots sur les douleurs d’une musique orpheline, que sur ses propres blessures.
Au-delà de ses textes, la musique convoque ses propres icônes. Gone Again rappelle le blues de shaman de Jim Morrison , Fireflies flirte avec la folie divine d’un John Coltrane en pleine méditation free jazz , et le souvenir des Stooges nourrit la noirceur de about a boy. Comme si la mort harcelait la chanteuse, Jeff Buckley effectue sa dernière prestation dans les chœurs de beneath the southern cross , il mourra noyé à peine un an plus tard. Summer of cannibals apporte un peu de lumière à cette noirceur endeuillée. Propulsé par un riff heavy blues digne des passages les plus puissants de horses , le titre ressemble à une lueur d’espoir au milieu de ce mouroir aussi étouffant que fascinant.
Gone again est l’album d’une chanteuse qui prit le micro avec l’urgence d’un naufragé se jetant sur sa bouée. Traumatisée par une série de disparitions soudaines , Patti comble le vide laissé par ces disparus avec sa musique la plus pure , la plus poignante aussi. Un chroniqueur avait affirmé que l’on reconnaissait les grandes chansons de Lou Reed à la faible intensité de sa voix, le génie n’ayant pas besoin de hurler pour se faire entendre. C’est pourquoi, perdu dans ses textes les plus approximatifs, le grand méchant Lou avait tendance à hausser le ton, alors que les perles de « blue mask » ou « cosney island babie » semblent chuchotées avec une douceur enivrante.
Grâce à gone again , ce constat se vérifie aussi pour Patti , les complainte telles que « fireflies » ou « raven » étant murmurées telles des prières. La douleur a fait naitre une Patti Smith mature, elle a donné à gone again la profondeur d’un Dylan rescapé de son arrêt cardiaque. Il y’a d’ailleurs un lien profond entre gone again et time out of mind , le disque que Dylan enregistrera après avoir échappé à la mort. Tout deux sont les œuvres d’artistes qui, voyant la grande faucheuse approcher, exorcisent leurs angoisses dans les profondeurs d’un blues poignant.