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lundi 17 mai 2021

The Flower Kings : Retropolis


Il n’aura fallu que six mois pour que les Flower kings donnent un successeur à back in the word of adventure. Conçu au départ comme un concept album, Retropolis est en réalité fait de titres composés à diverses époques. Cette sélection, qui s’étend de la fin des seventies à aujourd’hui, permet de voir la sincérité d’un homme resté fidèle à l’inventivité des seventies. Autre surprise, Retropolis est en grande partie instrumental, ce qui ne l’empêche pas de brasser large. Concernant l’orientation des titres, cet album confirme les préoccupations pop et progressives de son prédécesseur.

L’opus s’ouvre sur retropolis, titre le plus ambitieux de l’œuvre, dont la durée dépasse les dix  minutes. Comme souvent avec les Flowers kings, le mellotron plante le décor , qui parait plus inquiétant qu'à l’accoutumé. Des violons tendus font monter une pression explosant dans un solo plombé, guitare et clavier entrent ensuite dans un dialogue angoissé. Si cette intensité doit être comparée à King Crimson, on pense plus facilement au groupe tonitruant de Red qu’à la cour du roi cramoisi.

A mi parcours, des gargouillements robotiques introduisent une inquiétante marche militaire. La tension monte de nouveau pour exploser dans un solo de guitare rageur. Dans un final grandiloquent, guitare et orchestre s’affrontent dans une bataille épique, avant que la harpe ne gémisse comme les derniers combattants au milieu des corps de leurs camarades. Retropolis est une grande pièce, où l’angoisse glaçante d’expérimentations électroniques introduit des symphonies stellaires chers aux fils de Robert Fripp. 

Pour réussir une telle union de deux mondes, il faut des musiciens en parfaite osmose. Là encore on ne peut que saluer la régularité d’un Roine Stolt qui sut toujours bien s’entourer. Je vous défie de différencier à l’oreille les titres écrits dans les seventies des nouvelles compositions. Les titres plus courts parviennent enfin à faire cohabiter rock FM et symphonie progressive, l’ambition est aussi présente sur les titres les plus progressifs que sur les mélodies pop.

Seconde et dernière composition purement progressive,  there is no more to this word montre une union plus apaisée entre la modernité électronique et la chaleur progressive. Portée par des chœurs rêveurs, sa progression se montre progressive , ses envolées se font plus lyriques que puissantes. On retrouve ses accords de guitares, explosant comme des bulles de savon, sans troubler la forêt bucolique et moderne érigée par les autres musiciens. Retropolis représente la solennité du progressisme des Flower kings , there is no more to this word montre une beauté plus légère.

Cet album est centré sur une opposition incontournable depuis les années 80, celle du progressisme et du désir d’être entendu par le plus grand nombre. C’est ainsi que la beauté immédiate de tubes comme « back home » laisse place à la complexité progressive de titres plus travaillés, sans que l’on ait l’impression de changer de monde. La solennité tendue des premières minutes refait régulièrement surface , son angoisse moderne servant de fil conducteur à un album dont l’ambiance rappelle parfois vaguement la dystopie robotique de brain salad surgery (d’ELP). Au milieu de ce fond robotique, un titre comme the melting pot peint un décor épique digne de grands péplums rock tel que shéerazade , le classique du groupe Renaissance.

Si les parties les plus pop pèchent parfois par excès de conformisme musical, si leurs chœurs sont parfois enlaidis par un lyrisme trop forcé, quelques trouvailles leur évitent toujours de tomber dans le bassin fangeux du rock FM. En mêlant anciennes compositions et créations plus récentes , les Flowers kings jouent avec un enthousiasme communicatif. C’est cette énergie qui donne un supplément d’âme aux refrains un peu niais de silent sorrow et judas kiss, il permet aussi au groupe d’étaler sa virtuosité sans tomber dans une démonstration stérile. Rares sont les albums parfait de bout en bout , et Retropolis n’en fait pas partie , mais il contient cette force fédératrice qui est la marque des grands groupes.

Nous ne tenons pas ici le meilleur disque des Flower kings , mais c’est celui où tout se met enfin en place , où les jeunes espoirs atteignent un niveau que peu de leurs contemporains peuvent égaler. Plus moderne sans quitter le traditionalisme des débuts, varié sans répéter les erreurs de back in the word of adventure , Retropolis concrétise pour la première fois tous les espoirs placés en Roine Stolt.               

vendredi 14 mai 2021

The flower Kings : Back in the word of adventure

 


Le succès du premier album met à Roine Stolt une pression digne des Beatles après l’annonce de l’arrêt de leur concert. Il est vrai que la popularité du suédois n’est pas comparable à celle des quatre garçons dans le vent, mais il est déjà porté au pinacle par un public qui voit en lui l’avenir d’un progressisme prêt à renaitre de ses cendres. Pour se défaire de ce poids, Roine Stolt forme un véritable groupe, the flower kings , qui va étendre les décors esquissés sur le premier album.

Alors que les suédois travaillent sur le premier disque d’un groupe amené à devenir culte, un autre héros de la musique progressive moderne vient de trouver sa voie. Steven Wilson avait fondé Porcupine tree comme une farce, une récréation entre deux sessions de son groupe No man. No man ne trouvant pas son public, il récupère plusieurs de ses musiciens pour former le nouveau noyau dur de Porcupine tree. Ce que le guitariste considérait jusque-là comme une récréation devient son principal projet. De ce changement nait « the sky move sideway », disque dirigé par un homme qui est autant fan qu’artiste. Steven Wilson est un musicien fasciné par un âge d’or qu’il n’a pas connu, une éponge toujours en quête de reliques à absorber. « Les morts gouvernent les vivants » disait Auguste Comte, et « the skie move sideway » montre que l’avenir appartient plus que jamais aux amoureux du passé. Culminant sur deux longues suites instrumentales, le premier album de Porcupine tree s’apparente à un savant mélange entre la beauté rêveuse de Pink Floyd et le futurisme froid de Tangerine dream. 

Sorti quelques semaines plus tard,  back in the word of adventure annonce ses influences dès la pochette. Au premier plan, un roi tout droit sorti des décors genesiens semble redonner vie à la colombe présente sur le premier album d’Emerson Lake and Palmer, un soleil au trait proche du roi cramoisi éclairant la scène d’une lumière scintillante. Là où Porcupine tree trouva son originalité dans les décors froids des savants fous allemands, les Flower kings perpétuent les fresques plus chaleureuses du premier album. On regrette juste que l’irréprochable cohérence de l’album précédent ait laissé place à un grand bazar mélodique. Back in the word of adventure est une suite de peintures sonores où le sublime côtoie le banal, les musiciens semblant chercher un nouvel équilibre qu’ils ne trouvent qu’épisodiquement. 

Du coté des réussites, on trouve bien sur « big puzzle » et « word of adventure » , les deux pièces maitresses de plus de dix minutes. Ce qui frappe sur ces longues fresques , c’est la chaleur mélodique d’instrumentaux s’abreuvant aux sources d’un Genesis période « Selling england by the pound ». Véritable soleil au milieu de ces contrées nuageuses, Ulf Walander fait cohabiter son free jazz cotonneux avec l’extravagance de mélodies proches des grands dandys anglais. 

Si l’inspiration de cet album parait inégale, c’est avant tout parce que ses auteurs ne surent pas se limiter à la splendeur de « word of adventure » et « big puzzle ». Le cd incite souvent les artistes à ne plus sélectionner, comme si l’auditeur était devenu un consommateur réclamant son heure de musique. C’est ainsi que les rockers modernes produisent des doubles albums à la chaine, là ou un honnête disque d’une demi-heure aurait été bien plus réussi. Sur la plupart des titres séparant les deux grandes fresques de l’album, le groupe semble écartelé entre ses ambitions artistique et son souci de rester accessible pour le plus grand nombre.

Le résultat donne une série de minis thèmes à peine esquissés, de pastilles pop engraissées par des une production trop lourde. En refusant de choisir entre ses deux ambitions, les flower kings passent souvent pour une bande de virtuoses complexés, de calculateurs sans âme. Parfois un oasis de beauté apparait au milieu de ces tâtonnements, mais la scène s’achève trop vite pour que l’on puisse réellement en apprécier la splendeur. 

L’esprit humain est souvent pessimiste, il retient plus facilement les moments irritants que les quelques passages réussis. Résultat, ce qui aurait pu être une demi-heure lumineuse est souillé par la niaiserie de quelques égarements rock FM. Plus saturées, les envolées guitaristiques semblent parfois tenter maladroitement de séduire les fans de Dream Theater. Mis hors de son contexte, Back in the word of adventure n’est que l’essai maladroit d’un groupe cherchant son équilibre. Et puis, les premières déceptions passées, on revient vers cet album pour commencer l’inventaire de ses fulgurances. On se prend alors à apprécier le charme d’un disque qui, malgré ses imperfections, laisse entrevoir que quelque chose de grand se prépare. Certaines expérimentations auraient sans doute mérité de rester dans les placards, mais le reste ne fait que décupler les espoirs que les fans de prog placent dans le groupe.

Disque partiellement raté, back in the word of adventure ne fait que repousser la consécration de ses auteurs.                     

mercredi 12 mai 2021

Roine Stolt : the flower king

 


Cette fois on n’allait pas lui faire à l’envers ! Cela faisait plus de vingt ans que Stolt marinait dans un groupe de seconde zone. Au beau milieu de l’explosion anglaise, les petites productions d’un groupe suédois comme Kaipa étaient inaudible. En cet année 1994, Roine a déjà dépassé la quarantaine, si il ne s’infiltre pas dans la brèche ouverte par Anglagard, il n’aura pas de seconde chance. Alors il réunit un groupe de musiciens triés sur le volet, et enregistre son premier album solo dans l’urgence. Forcément, cet empressement donne à ce premier disque un coté plus brut , plus direct que la plupart de ses successeurs. 

La batterie dirige la procession avec virilité, bâtit les piliers autour desquels Stolt peut ériger son monument sonore. Comme de nombreux musiciens de sa génération , Roine a subi la pression de la pop, qui l’a obligé a développé un jeu très mélodique. Son feeling rêveur fait bien sûr penser à David Gilmour, icône de la musique planante auquel tout grand mélodiste planant est un jour comparé. On aurait pourtant tort de résumer ce premier album solo à une filiation commune à une majorité de groupes progressifs. Là où le Floyd a vite limité la complexité de ses compositions, pour accentuer sa douceur nuageuse, Roine Stolt s’épanouit pleinement dans de longues épopées aux scénarios complexes. A l’image de « fragile » de Yes , les titres les plus courts servent d’entractes entre deux fresques sonores. On écoute des pastilles telles que close your eyes ou the sound comme on ouvre un nouveau chapitre d’un grand roman, l’esprit encore marqué par les décors somptueux des pages précédentes.

Ce premier album solo confirme ce qu’Anglagard avait initié, les musiciens prenant un malin plaisir à déployer de longues compositions à tiroirs. Chaque variation est l’occasion d’inventer de nouveaux décors foisonnant, sans perdre la cohérence d’une œuvre saluant la cohésion des grands concepts albums. Pour faire passer cette inventivité débridée, la guitare maintient la douceur mélodique essentielle pour tout groupe qui ne veut pas finir dans les limbes de l’underground. Pour l’épauler dans cette tâche, le mellotron déploie ses symphonies nuageuses, modernise les douceurs enivrantes des grands poètes du son.

Lointain cousin du David Gilmour de confortably numb , le chant invite à se laisser immerger dans cette méditation. Pilgrim développe ensuite un décor boisé qui ne cessera d’être étendu par une nouvelle vague de progueux traditionnels. Les cuivres dansent comme une troupe de lucioles virevoltant autour de la guitare de Stolt, le jazz et le rock flirtent de nouveau dans un décor bucolique. Un piano baroque introduit ensuite le tonnerre électrique d’un orage heavy symphonique.

Nous sommes aussi à une période où le métal progressif déploie ses ailes sombres, il faut aussi savoir hausser le ton pour se faire entendre au milieu de ces barbares. Loin d’enchainer les notes avec la lourdeur nombriliste d’un John Petrucci, Roine n’est qu’un élément d’un assaut sonore incroyablement harmonieux. Le métal célèbre l’exploit individuel, le rock progressif ne peut lui fermer le clapet qu’en célébrant la communion collective. La musique c’est avant tout cela, la communion de plusieurs hommes dont l’harmonie atteint une beauté universelle. C’est ce qui fait la beauté de starless , close to the edge , super ready , toutes ces reliques du passé qui alimentent la montée lyrique des troupes de Roine Stolt.

Le riff de sound of violence crée ensuite un swing symphonique, une force à mi-chemin entre le heavy rock épique d’Uriah Heep et le space rock d’Eloy. Grâce à cette formule magique, dix minutes de virtuosité alambiquée passent aussi vite que les 5 minutes d’un tube pop. Des changements de décors aussi radicaux que le passage de pilgrim à the sound of violence se font ainsi avec l’évidence des grandes œuvres rock. Loin de se contenter de remonter le temps, Roine Stolt invente un monde dont il maitrise chaque mouvement. Ecouter un disque comme celui-ci donne l’impression d’être réfugié dans un abri au beau milieu de l’océan. Avec la sérénité de ceux qui savent que les caprices des éléments ne peuvent les atteindre, on admire chaque mouvement, on frissonne devant la hauteur de certaines vagues. Lors des accalmies, les mélodies chaleureuses nous rappellent des décors déjà rencontrés, tout en ménageant quelques délicieuses surprises.

Pour clouer ce spectacle en apothéose, humanizzimo allume un feu d’artifice sonore de plus de vingt minutes. On pense forcément au rêveries nostalgiques de shine on you crazy diamond , on a parfois l’impression de découvrir une nouvelle partie des beautés abyssales de tales of a topographic ocean.  Vous me reprocherez sans doute de faire pleuvoir les références comme autant de cotillons sur cette célébration, de me noyer dans le passé même quand je parle d’œuvres modernes.

Ces références n’empêchent pas l’impressionnante originalité de Roine Stolt, qui trouve ici l’équilibre que si peu de ses contemporains parvinrent à mettre en place. Ce premier album, c’est le cri d’une musique qui veut devenir mature sans moisir dans les musées, c’est le chant d’un rock voulant renouer avec son âge d’or artistique. Et ce n’est encore qu’un début.

                     

mardi 11 mai 2021

Roine Stolt et les ruines du rock progressif

 


Avant d’ouvrir un dossier sur Adrian Stolt , un rapide retour sur l’histoire du rock progressif s’impose. A son origine, on trouve bien sûr sergent pepper , incontournable pièce montée ayant donné au rock des ambitions artistiques. Grâce à la symphonie rock du sergent poivre, l’album n’est plus un simple enchainement de chansons, mais une œuvre dont il convient de soigner la cohérence. En guise d’apothéose, « a day in the life » marque le début des noces unissant le rock aux musiques plus élitistes. A une époque où celui-ci est une ruche lumineuse remplie d’esprits brillants , Procol harum ne tarde pas à suivre la même voie avec le tube « a whitter shade of pale », transe majestueuse inspirée par une composition de Bach. Vint ensuite les Moody blues , groupe de rythm n blues sans succès, qui voit dans ce rock symphonique un moyen de sauver sa peau. Les Moody blues seront parmi les premiers à tenter l’aventure symphonique sur un album entier, il est d’ailleurs dommage que « day of the future past » soit surtout connu pour le tube « night in white satin ».

Les rockers se rêvent en chef d’orchestre , mais la simple rigueur d’une musique classique grandiloquente ne leur suffit pas. Vieille dame fatiguée, la musique jazz rajeunit donc un peu en donnant une chaleur cuivrée à l’album qui sera jugé comme le point de départ de la vague progressive. Objectivement, ce rôle de pionnier aurait dû revenir à Colosseum , dont le premier album est sorti un mois plus tôt. Mais la pop alambiquée du groupe de Dave Greenslade n’était pas plongée dans l’univers paranoïaque et envoutant, qui séduisit tout le monde à la sortie de « in the court of the crimson king ».

La « cour du roi cramoisi » s’étend ensuite rapidement, voit s’affronter le charisme moyenâgeux de Genesis , le futurisme distopique de Emerson Lake et Palmer , et les rêveries Tolkeniennes de Yes. Cette époque représente l’âge d’or artistique du rock, celle où sa popularité fut si immense qu’il absorbait les courants l’ayant précédé. La grenouille rock se faisait plus grosse que le bœuf jazz, plus menaçante que le monstre symphonique, et la presse ne demandait qu’à crever cette bulle fabuleuse. Sous la pression de rock critics refusant que le rock deviennent une « musique sérieuse » , la popularité du mouvement décline après cinq années explosives. On trouvera encore quelques traces de sa soif d’exploration en Allemagne , où des groupes comme Tangerine dream , Can et autres Kraftwerk inventent une avant-garde plus moderne.

Du coté des géants anglophones, le déclin est rude et brutale, ceux qui contribuèrent à émanciper le rock de la pop n’ayant d’autre choix que de s’y convertir. C’est ainsi que, lâché par Peter Gabriel, Genesis dérive vers une pop de plus en plus mielleuse à cause du funeste Phil Collins. C’est l’époque où Yes sort tormatoes , où ELP se noie dans la guimauve de love beach , pendant que d’ex membres de Yes forment le collectif Asia. Nous entrons ainsi dans une ère où , rendu inaudible par le nihilisme punk , le rock progressif devient une musique underground. Certains chefs-d’œuvre sortent encore, comme les perles jazz rock de National health ou de Gilgamesh, mais ce ne sont que des petites illuminations dans un décor de plus en plus sombre.

Vint ensuite le cas Marillion, qui toucha la timbale avec le trio script for a jester tears , fugazi , misplaced childhood. Si ces disques sont d’indéniables réussites musicales, si les quelques tubes qui les composent permettent de faire renaitre un certain progressisme pop, cette musique sonne plus comme un timide compromis que comme une véritable résurrection. La production est très calée sur les canons de l’époque, le synthé lisse les emportements d’une musique qui semble réfréner ses élans virtuoses. Avec ses tenues extravagantes, le chanteur pense évoquer Peter Gabriel. Son groupe n’évoque pourtant qu’une version moins corrompue du Genesis de Phil Collins. Marillion produisait un rock progressif accessible aux fans de U2, il aura d’ailleurs une descendance aussi anecdotique que le groupe de Bono.

Le véritable renouveau intervient enfin en 1993, quand les suédois d’Anglagard publient leur premier album. Hybris reprenait la formule des grands maitres du progressisme rock , le mellotron et la flute récupérant la place volée par ces serpents infâmes que sont les synthétiseurs. Loin de verser dans le passéisme stérile, Anglagard élargissait l’univers découvert par les grands condottières rock. Ses décors mouvants baignaient dans la chaleur et la luminosité de mélodies somptueuses, les instruments décollaient soudainement avec la grâce d’une nuée de colombes. Un second album, plus sombre et entièrement instrumental, sortira en 1994. Après ces deux miracles, Anglagard pensait avoir tout dit, le groupe se sépare donc quelques jours après la sortie de son second chef d’œuvre. Une reformation éphémère eu lieu en 2012 , mais l’album qui naquit de ce retour ne retrouva pas la splendeur de deux premiers disques incontournables.

Le succès d’hybris et épilogue, comme celui de « in the court of the crimson king » avant lui, entraine dans son sillage toute une armée d'explorateurs rock. Parmi celle-ci se cache Roine Stolt , un survivant des seventies éclipsé par la popularité des géants anglais. Cette discrétion lui permet d’infiltrer ce renouveau progressif, dont il compte bien devenir une figure de proue. Cette prise de pouvoir commence par l’enregistrement de son premier album solo.              

dimanche 9 mai 2021

Aymeric Leroy : Rock progressif



Alors que le premier album de King Crimson « In the court of the Crimson King » est sorti il y a 50 ans (1), je ne peux que conseiller cet excellent livre sur le rock progressif, une véritable « bible », qui offre un panorama complet du style, une étude quasi exhaustive sur le sujet. On commence bien sûr par les pionniers/précurseurs indirects tels Pink Floyd, Beatles, Procul Harum, Moody Blues, ceux qui ont influencé les débuts du rock progressif, qu'ils soient des groupes ou artistes jazz, rock, pop, jazz rock ou psychédélique (voire même venant du classique).
Le premier King Crimson, sorti en 1969 et considéré comme le véritable premier album du genre, a eu pour conséquence une transformation de la musique de la fin des années 60 et du débuts des années 70 avec des morceaux plus longs, plus élaborés, l'apparition de nouveaux instruments, de nouvelles perspectives musicales...pour un genre iconoclaste et varié.
Ce livre est donc indispensable pour tous ceux qui s'intéressent de près ou de loin au rock prog' ou ceux qui veulent connaître (ou approfondir leurs connaissances) de ce genre musical unique et tellement riche. Il s'adresse d'ailleurs autant aux fans qu'à ceux qui n'en ont qu'une vision superficielle.
C'est plus ou moins classé chronologiquement mais l'auteur regroupe aussi par sous-genres (Zeuhl, école de Canterbury...) et nous propose également un tour d'horizon par pays (Italie, France, Scandinavie...)....pour remonter jusqu'à 2010 environ, date de sortie du bouquin.
Aymeric Leroy ne se contente pas des groupes purement prog il parle aussi de groupes plus ou moins assimilés comme Jethro Tull, Magma, Pink Floyd, Gong, Soft machine, Ange, des groupes plus jazz rock sans oublier le hard progressif (Rush, Dream Theater...), le néo prog (Marillion, IQ...) et les groupes plus récents (Mars Volta, TransAtlantic...).  
C'est complet, clair, intéressant , pas prise de tête, pas redondant et surtout écrit par un auteur passionné du genre et surtout un vrai grand connaisseur du rock progressif et qui est considéré comme une référence sur le sujet ; cette histoire du rock progressif se caractérise par son côté vivant, concret et surtout passionnant.
Au delà de la vision complète d'ensemble, l'auteur raconte des anecdotes sur les groupes et sur les albums clés.
Il aborde bien sur les influences, les musiciens, les groupes, les interractions entre eux, les enregistrements d'album , les compositions et leur particularité technique, l'apogée du genre puis la période creuse, le déclin et enfin le (léger) renouveau entamé au milieu des années 80.
Les groupes connus y ont bien sur leur place (King Crimson, Yes, ELP, Genesis, Van der Graaf Generator, Caravan...) mais aussi les groupes moins connus (Anglagard...) ou quasiment inconnus comme les français de Tiemko.
A l'heure où l'on « fête » les 50 ans du progressif il serait dommage de passer à côté de cette véritable bible.
A noter que cet ouvrage est publié chez le très bon éditeur le Mot et le reste qui a sorti de très nombreux livres sur la musique, tous très intéressants (citons Magma, Pink Floyd , King Crimson l'école de Canterbury pour rester plus ou moins dans le même sujet, certains ayant d'ailleurs Aymeric Leroy pour auteur).

(1) chronique initialement parue sur Sens Critique en 2019 à l'occasion des 50 ans du premier album de King Crimson 

jeudi 6 mai 2021

David Crosby: If I could only remember my name

C’était une époque bénie, la camisole qu’est le dogme catholique ou chrétien relâchait son étreinte sur l’occident, sans qu’aucune prétendue loi divine ne vienne la remplacer. Après qu’Elvis eut libéré les corps, le rock se mit à libérer les âmes. Pris dans un trip génial, Mike Bloomfield enregistra le riff d’east west. Jusque-là, le guitariste reproduisait les complaintes des damnés de l’Amérique, les cris de douleur des grands misérables noirs. Le LSD faisait décoller ses complaintes trop réalistes, ouvrait les portes d’un nouvel éden.

Lors d’un passage du Butterfield blues band en Californie, c’est toute une génération de chanteurs folk idéalistes qui se convertit à ce blues hypnotique. Parmi eux se trouvait le groupe de Janis Joplin , le Jefferson airplane , Quicksilver messenger service , le Grateful dead … Cette génération avait adopté cette musique comme une révélation , elle lui porta la dévotion qui lui permis de sortir une série d’œuvres intemporelles. En voyant la jeunesse se dévouer à ce qui ressemble de plus en plus à une religion païenne , les partisans des vieux dogmes durent penser que cette folie ne durerait pas. Pour eux, tout homme athée se retrouve dans la situation d’une brebis égarée au bord du précipice, il subit l’angoisse de sa mort inéluctable.

Ils ne comprirent pas tout de suite que cette musique prenait la place de ce qu’il nommait dieu, elle détournait l’homme de ses angoisses existentielles. La pop fut tout et, au sommet de la grande cathédrale du rock Californien, une sainte trinité finit par s’imposer. Celle-ci devint Saint quatuor lorsque Crosby Still and Nash adoptèrent Neil Young, "déjà vue" allait devenir son évangile. Lorsque les cadres d’Atlantic virent débarquer quatre des plus grandes pointures de la pop moderne, ils leur laissèrent une liberté totale. Lors de la sortie de Déjà vu, un constat s’imposait, cette œuvre portait le soleil chaleureux du rock Californien à son Zénith. Les chœurs surpassaient la symbiose fabuleuse de the Mamas and the papas , les refrains avaient la légèreté irrésistible des plus grands tubes des Beatles , il se dégageait de ce disque une beauté sereine dont on ne peut se lasser.

Peu de temps avant son enregistrement, David Crosby a perdu sa petite amie dans un accident de la route. Quand il apprit son décès, il entamait les séances de ce qui allait être son premier album solo.

« On ne fait pas son deuil , c’est le deuil qui nous fait. » disait Léon Bloy. C’est exactement ce qui va se passer sur « If I can only remember my name ». Après avoir appris le drame, David Crosby vécut comme un homme plongé dans un océan de douleurs, s’appuyant épisodiquement sur le fond qu’il touche pour remonter à la surface. Alors, forcément, la musique se fait l’exutoire de sa douleur.                                                                               

La souffrance devient nostalgie, la légèreté hédoniste de l’ex leader des Byrds se meut en une gravité d’illuminé athée. Derrière Crosby , Neil Cassady du Jefferson Airplane et Jerry Garcia du Grateful Dead sont venus poser leurs instruments sur ses lamentations lumineuses. Du coté des chœurs, Neil Young , Joni Mitchell et Grace Slick forment une harmonie éblouissante , qui semble ramener l’auditeur au paradis perdu.

Dès l’ouverture, cette harmonie chante le slogan d’une génération magnifique « music is love ». Le refrain a la force d’une procession, la mélodie donne à la folk une ampleur mystique qu’elle n’a jamais eu. Derrière des ballades telles que laughlin ou music is love , un nouvel absolu semble se dessiner , celui d’un dévot du folk rock ayant atteint le sommet de sa transe spirituelle. Avec son mojo tout en puissance contenue, un titre comme « what are their name » semble rivaliser avec les plus beaux blues apaches du crazy horse.

Et puis il y’a la voix de David Crosby, fleuve limpide coulant au milieu d’une forêt chatoyante. Poignante sans verser dans le sentimentalisme forcé, nostalgique sans ressasser la douceur un peu niaise des Byrds , If I could only remember my name est l’œuvre d’un artiste touché par la grâce. En guise d’apothéose mystique, Crosby transforme le carillon de Vendôme en grande communion vocale.

Aujourd’hui, cet album est classé second meilleur disque de tous les temps par l’osservatore romano , qui n’est autre que le journal officiel du Vatican. Avec une telle œuvre l’homme semble vraiment « dépasser dieu comme il a dépassé le singe ». Sorti en 1971, ce disque restera un des plus grands monuments érigés par une génération pour qui la pop fut une religion sans dogme.            

Ian Hunter : Ian Hunter

 


On ne se lasse pas de raconter la lamentable histoire de Mott the hoople. A la fin des sixties , le gang de Ian Hunter sort deux bombes rythm n blues que l’air du temps transforme en pétard mouillé. A une époque où les rockers rêvent d’envolées jazzy ou symphoniques, où le rock dit progressif invente un swing plus cérébral, le rythm n blues du Mott semble affreusement primaire. Pour sauver sa peau, alors que sa maison de disque réfléchit sérieusement à le lâcher , Ian Hunter initie le Mott au country rock. Bob Dylan venait d’initier le mouvement en Amérique, entrainant dans son sillage une bonne part d’un psychédélisme se réveillant de ces rêveries.

Malgré son charme, wildlife est encore trop sobre pour séduire l’extravagante Angleterre. Un dernier retour au rythm  n blues sera ensuite tenté, avant que le label Island n’abandonne ce groupe maudit. Les concerts chaotiques du Mott leur ont néanmoins apporté un fan prestigieux , qui n’est autre qu’un David Bowie en pleine gloire glam. Apprenant que le groupe se retrouve largué en rase campagne, le roi David propose au Mott de produire son prochain album. C’est ainsi que le père de Ziggy convertit le gang de Ian Hunter au glam rock.

On ne peut pas réellement parler d’opportunisme , tant le mouvement semble proche du rock originel. Rythm n blues de dandy, le glam rock représente la première révolte contre le progressisme de la génération Yes. Estimant que les choses sont allées trop loin , les glam rockers retrouvent la simplicité des tubes de trois ou 5 minutes , portés par un riff dans la lignée d’un Chuck Berry , auquel on oubliera pas d’ajouter une extravagance purement anglaise. Le rock fait machine arrière et, grâce au golden boy Bowie, le Mott va enfin toucher le pactole qu’il mérite.                                                                              

Le leader des spiders from mars concocte une production qui ressuscitera ensuite Lou Reed , accentue le coté pop du groupe sans museler son incroyable énergie. Pour être sûr que le succès ne leur échappe pas de nouveau, il offre au Mott « all the young dude » , sans doute une des meilleurs chansons écrite par le futur thin white duke. La machine Mott the hoople est enfin lancée, l’album All the young dude se vend comme des petits pains, et les tournées s’enchainent à un rythme infernal.

Sur scène Ian Hunter impose des prestations de plus en plus théâtrales , se prend pour un croisement de Bob Dylan et d’un Ziggy Stardust en plein suicide rock n roll. Ce grand cirque rock n roll ne plait malheureusement pas à tout le monde, les tensions au sein du groupe s’accentuant alors que sa popularité ne cesse de croitre. Co leader du groupe et auteur de plusieurs de ses tubes, Mick Ralph finit par quitter le navire . En son absence, Ian Hunter parvient à tenir le Mott le temps de sortir deux autres chef d’œuvre, Mott et the hoople , sortis en 1973 et 1974. Suit une courte tournée, où Mick Ronson vient illuminer le rythm n blues pailleté du Mott de son touché heavy pop.  

Au bord de la dépression, Ian Hunter décide de mettre fin à l’aventure Mott the hoople , qu’il quitte pour enregistrer un album solo avec Mick Ronson. Privés de leader, certains des musiciens restant forment Bad compagny , qui ne tiendra que le temps d’un bon album de hard FM. Les autres créent un groupe pop nommé British Lion, qui ne laissera aucune trace honorable.

Sobrement intitulé Ian Hunter, le premier disque solo du plus Dylanien des glam rockers est d’une autre trempe. On retrouve, sur des titres comme « once bitten twice shy » ou « I get so excited », ce swing popularisé par « the golden age of rock n roll » et autres monuments du Mott. Plongé dans ce décor scintillant, Mick Ronson est encore au sommet de sa classe rythm n blues. Who do you love swingue comme les spiders from mars perdus dans un bar de Memphis, comme Chuck Berry essayant de réadapter un tube de T Rex. Si vous ne voyez pas *le dedans la définition de la classe ultime* je ne peux plus rien pour vous. Sur Ian Hunter, Mick Ronson s’affirme encore comme le Hendrix d’une nouvelle génération, il rappelle d’où vient la verve grandiloquente de Dick Wagner et de tout guitariste glam.

Et surtout, à travers ce swing glam renforcé par une production plus épurée que All the young dude, Ian Hunter montre qu’il n’a jamais cessé d’être le rythm n bluesmen enragé qui reprenait you really got me sur le premier album du Mott. Porté par le tube once bitten twice shy , ce premier album obtient un succès qui permet à son auteur de survivre à la triste histoire de son groupe de rockers maudits.