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mardi 1 juin 2021

BLISS BLOOD (INTERVIEW) : Deuxième partie



Pour ma première interview j'ai choisi de donner la parole à Bliss Blood, dont le parcours est à la fois étonnant et atypique. Artiste complète qui fut pendant environ 10 ans la chanteuse de Pain Teens, l'un des plus intéressants groupes de noise rock des années 80 et 90, dont j'ai déjà eu l'occasion de parler ici en chroniquant il y a quelques semaines l'excellent "Destroy me, lover".
Le groupe de Scott Ayers et Bliss Blood sortira finalement six albums entre 1988 et 1995.
Partie ensuite à New York, elle a bifurqué vers une toute autre voie, d'abord avec The Moonlighters, du jazz rétro très influencé par les années 20/30 et qu'elle qualifie volontiers de "swing hawaïen" et où elle joue également de l'ukulele, puis ensuite en duo avec le guitariste Al Steet davantage tourné vers le blues flamenco très intimiste.
Elle a également participé à d'autres projets, notamment avec le groupe Exit 13.
Au delà de l'intérêt musical des groupes auxquelles elle a participé, c'est son parcours et la diversité des styles musicaux abordés qui fascinent.
Un parcours insolite, plus que surprenant, que j'avais envie de partager et de faire découvrir à travers cette interview que Bliss Blood nous a accordée avec beaucoup de gentillesse et d'amitié et ainsi de revenir sur l'ensemble de sa carrière.
En espérant que Bliss Blood puisse rapidement s'investir dans de nouveaux projets musicaux...
Du Texas vers New York, du noise rock vers le jazz...
En route...



DEUXIEME PARTIE :

* Ensuite, tu es donc partie pour New York et tu t'es lancée dans le jazz. Comment as-tu eu cette passion pour ce style musical ? L'aimais tu déjà avant ? Où est-ce arrivé à ce moment-là ?

J'avais toujours aimé la musique des années 1920, et avant de déménager à New York, j'ai acquis une grande collection de jazz vocal des années 1920 et 30 grâce à mon travail, donc j'avais une importante discothèque dans laquelle puiser. J'ai appris le ukulélé pour pouvoir jouer en solo ici à New York, et très peu de temps après avoir commencé à jouer en live, j'ai rencontré Andrew Hall et Henry Bogdan qui ont formé les Moonlighters avec moi. J'ai également engagé ma colocataire Daria Klotz pour jouer du ukulélé et chanter. Le principal plaisir de ce projet pour moi a été d'apprendre à écrire de la musique dans ce style classique de Tin Pan Alley, et j'ai commencé à écrire plus de 30 chansons qui s'accordaient bien avec les anciens morceaux de reprise. Après qu'Henry et Daria soient partis, Mike Neer s'est joint à la steel guitar et Carla Murray à la guitare et au chant, nous avons donc eu une deuxième incarnation des Moonlighters, et je pense que c'était la programmation classique, parce que Mike et moi avons collaboré et écrit de très bonnes chansons. Nous avons joué à des mariages pendant environ 10 ans, et c'était une excellente façon de gagner sa vie tout en prenant beaucoup de plaisir.


* C'est un cheminement étonnant, une évolution surprenante mais d'une grande originalité. Venant du noise rock expérimental et ensuite jouer du jazz ? Était-ce une idée que tu avais déjà en tête ?

Eh bien, j'incorporais déjà des idées de jazz sur "Beast of Dreams" et même plus tôt avec une reprise de "You're Blase" de Peggy Lee. New York est la ville du jazz, du moins l'était à l'époque. J'avais comme rêve d'être une chanteuse genre Billie Holiday, mais les choses ne se sont pas vraiment déroulées de cette façon. Ensuite je suis un peu revenue à cette idée avec la musique que j'ai jouée avec Al Street, mais je suppose que j'ai aussi également du rock and roll dans mes veines.


* Concernant les Moonlighters c'est du jazz mais assez rétro, très 20/30 avec des influences de la musique folk traditionnelle hawaïenne aussi ? Et c'est principalement basé sur des guitares ? Mais toi comment définirais-tu le style musical des Moonlighters ? (3)

Nous l'avons appelé "Hawaiian Swing". J'aimais le swing, et Henry aimait la musique de "steel guitar" hawaïenne, alors nous l'avons fusionnée dans une version moderne de musiciens hawaïens classiques comme Sol Ho'opii et Andy Iona. À l'époque, beaucoup de gens s'intéressaient au jazz à cause d'une série PBS de Ken Burns intitulée Jazz qui a été diffusée chaque semaine pendant plusieurs mois et qui a instruit le public sur le jazz, afin que les gens soient davantage prêts pour notre vision du jazz.


* Avec les Moonlighters, tu composes la musique en plus des paroles ?

Oui, parfois j'écrivais la musique et les paroles et parfois je collaborais sur une composition d'un autre membre du groupe en ajoutant des paroles.


* Y a-t-il eu une évolution des textes et des thèmes abordés entre Pain Teens et les groupes suivants ?

Il y a une mélancolie chez les Moonlighters qui, je suppose, n'est qu'une partie essentielle de ma personnalité.
(...) Le morceau "Blue and Black-Eyed" qui figure sur le premier CD des Moonlighters raconte l'histoire d'une prostituée du vieux New York qui se suicide. Si tu écoutes les paroles, tu verras un fil de blues qui passe par là, ce qui, je pense, est une expression américaine de l'inégalité fondamentale de la vie ici.


* Tu joues du ukulélé, un instrument relativement inconnu ? Comment as-tu eu ta passion pour cet instrument de musique ? (4)

Ce n'est pas du tout inconnu ! Ici, c'est énorme et continue d'être "redécouvert" tous les deux ans environ. Mon père jouait du ukulélé quand j'étais enfant et j'aurais aimé qu'il m'ait appris à ce moment-là. J'ai dû le reprendre après des années d'apprentissage sans succès à la guitare, avec l'idée de la facilité de jeu, et c'était populaire dans les années 1920, lorsque la musique dans laquelle j'évoluais a été diffusée pour la première fois auprès du public blanc et est devenue courante après avoir été une partie importante de la culture des noirs américains depuis des décennies, du ragtime jusqu'au blues.




* Ensuite, tu as formé un duo avec le guitariste Al Street pour des albums blues folk plus intimistes avec toujours un petit côté jazzy. J'ai même ressenti quelques passages reggae et surtout flamenco avec bien sûr une guitare avec beaucoup d'influences "hispaniques" ?

Al Street est un guitariste très polyvalent et qui adorait les défis stylistiques. C'est un grand fan de guitare espagnole et en particulier de Paco de Lucia (...). Nous avons aussi fait des choses se rapprochant du style psychédélique de Syd Barrett mais également des musiques de films noirs français, du reggae, du flamenco, ainsi que de la musique traditionnelle de l'ancien Punjab indien.


* En tout cas Unspun et Evanescent sont de magnifiques albums ...

Merci beaucoup.


* Tu sembles particulièrement à l'aise et épanouie dans ce format : voix / guitare ?

J'aime la liberté de rester simple et de pouvoir travailler simplement avec une autre personne. Mozart a appelé la guitare "The Little Orchestra" et elle est vraiment polyvalente.



* Y a-t-il un fil conducteur entre les trois projets ou est-ce arrivé naturellement ?

Moi, je suppose !


* Un mot sur le public : celui des Moonlighters et ton duo avec Al Street doit être très différent de celui de Pain Teens. Cela ne t'as t-il pas fait une impression étrange de passer du public rock au jazz / blues ?

Je pense que les gens du jazz à New York ont ​​été très rebutés par mon nom de scène : Bliss Blood (5). Ils ont trouvé ça dégueulasse, je pense. Dommage. En ce qui concerne le public, le public de Pain Teens est à des années lumières de moi maintenant. Mais certains d'entre eux aiment néanmoins la musique que j'ai jouée ensuite, car au départ il faut déjà être assez ouvert d'esprit musicalement pour apprécier les Pain Teens !


* New York est l'une des villes les plus créatives et les plus musicales, est-ce la ville idéale pour un musicien ?

C'est en fait assez terrible. Il n'y a pas de radio qui diffuse de la musique d'artistes locaux. Pas beaucoup de promotion ou d'avis dans la presse écrite locale. Puis tout a changé avec internet et nous sommes vraiment tombés chacun dans un petit trou noir individuel bien obscur. Ces dernières années, je ne faisais que de petits concerts dans des restaurants et je faisais des travaux annexes comme vendre des disques au marché aux puces et donner des cours de ukulélé pour couvrir les factures.
Il y a 30 000 musiciens à New York, donc la concurrence est écrasante, et pourtant la plupart des gens ne s'intéressent qu'à la musique grand public. Personne ne s'intéresse au blues, c'est comme la peinture rupestre pour eux ou quelque chose comme ça. J'ai réalisé que je suis une artiste de niche, et comme je suis plus âgée maintenant personne n'est vraiment très intéressé, du moins en ce moment.



* Lorsque tu as commencé Pain Teens, il y avait peu de filles dans les groupes. As-tu été confrontée au sexisme et au machisme ? Et dans le jazz et le blues, est-ce différent ? Encore une fois j'ai l'impression qu'il y a peu de femmes, ou est-ce que ça évolue comme dans le rock où l'on voit de plus en plus de filles ?

Être une femme sur la scène musicale est toujours un défi. Il y a toujours du sexisme. J'aimais être féministe et me défendre, être la personne qui va réclamer l'argent au propriétaire du club. C'est la même chose dans tous les genres, rock, jazz, blues, probablement aussi dans la musique classique, reggae, rap, peu importe. Mais il semble que les gens commencent à être plus inclusifs ces temps-ci, en particulier les jeunes qui acceptent tout le monde comme étant leur égal. C'est encourageant, et puis nous devons remercier tous nos prédécesseurs, pères et sœurs, sur les épaules desquels nous nous tenons et nous nous dressons aujourd'hui, car ils nous ont tous défendus et ont aidé à changer la mentalité chauvine.


* As-tu suivi l'évolution du mouvement Riot Grrls au début des années 90 et qu'en as-tu pensé ?

Nous avons été présentés aux Riot Grrrls lorsque nous avons joué à Olympia dans l'Etat du Washington, (ville dont est originaire Bikini Kill les pionnières du mouvement) en 1992 avec Bikini Kill à l'affiche. Nous avons ainsi rencontré Kathleen Hanna (la chanteuse), qui était une "dure à cuire". Nous leur avons suggéré de changer l'ordre de passage avec nous, et nous avons donc ouvert pour eux, car nous pensions que la plupart des gens du public seraient là pour les voir eux (...). Nous avions raison, mais Bikini Kill pouvait à peine jouer une chanson sans être obligé de s'arrêter. C'était leur tout début et le groupe manquait encore de confiance. Ensuite le groupe s'est amélioré et le mouvement Riot Grrrls a commencé ! Je n'ai jamais vraiment acheté des disques de ce genre de musique mais j'étais en quelque sorte une sœur aînée pour cette scène. Je suis heureuse qu'elles se battent pour le bon combat, mais j'étais un peu au-delà de cette musique punk primitive à ce moment-là. Au fil du temps, je les ai suivis dans les médias, même si j'étais dans la scène jazz ici. Mais toujours fière des féministes du monde entier !



* Que fais-tu musicalement maintenant, parce que je pense que ton duo avec Al Street est terminé ?

Rien. Peut-être un jour...


* Donc pas de projets en cours ?

Non, même si j'adorerais faire une revue rétrospective à la Tom Waits de ma musique un jour, si c'était possible. J'adorerais avoir un ensemble original qui puisse reconstruire de manière cool la musique de l'ensemble des différentes parties de ma carrière.


* Comment vis-tu cette période de Covid, sans concert, pas facile pour un musicien ?

Heureusement, j'étais en grève des loyers contre mon propriétaire depuis plusieurs années avant le COVID, alors j'avais de l'argent à la banque. Sinon, je ne sais pas ce que j'aurais fait. Maintenant, je vends des disques au marché aux puces le week-end, et je vends des disques en ligne sur Discogs.



* J'ai vu qu'avec The Moonlighters vous aviez joué plusieurs fois en Allemagne ? As-tu déjà joué en France avec l'un de tes groupes ?

Nous avons fait quatre tournées en Allemagne, nous avions à Tübingen un agent qui s'occupait des réservations pour les tournées et qui était très gentil avec nous. Nous avons fait des spectacles énormes, mais surtout dans de petits clubs folkloriques et des restaurants dans le sud et le centre de l'Allemagne. Je dois dire que nous avons adoré Munich, le meilleur endroit, les gens y ont fait un "mosh pit" pour les Moonlighters !




* Es-tu toujours en contact avec des groupes de la scène noise rock, suis-tu toujours leur activité ou as-tu rompu les liens ?

Nous sommes toujours en contact grâce à Facebook. Des gens que je n'aurais jamais pensé revoir ou que je connaissais à peine sont maintenant en contact. C'est amusant, et je suis heureuse que cela existe pour tout le monde, malgré le côté négatif des réseaux sociaux.


* Veux-tu dire un mot sur la situation politique aux USA ?

Espérons que ça s'améliore. Nous devons cesser de gaspiller nos deniers publics dans le complexe militaro-industriel et le réinvestir pour faire de notre pays un meilleur endroit où vivre, et aider les habitants des pays du Sud à avoir une vie meilleure. Supprimons le financement des combustibles fossiles et de la police !


* As-tu quelque chose à ajouter ? Ou une question que j'aurais peut-être oubliée ?

Je voudrais juste vous dire merci beaucoup pour l'intérêt que vous portez à ma carrière. C'est passé bien trop vite! Mais je suis reconnaissante envers toutes les personnes sympas que j'ai pu rencontrer, divertir, et pour tous les bons moments sympas que j'ai pu avoir, et je souhaite qu'il en soit de même pour vous.


(3) du jazz plutôt joyeux alors que Pain Teens évoluait dans un style plus sombre
(4) j'avoue que je me suis trompé de mot dans ma question, je voulais plutôt dire méconnu, peu utilisé y compris dans le jazz...tant pis !
(5) On peut traduire Bliss Blood par "sang de béatitude"


Vous pouvez retrouver Bliss Blood sur Bandcamp :

Interview réalisée par mail en avril et mai 2021. 
Merci à JeHanne pour le coup de main pour les problèmes de traduction et la relecture


Transatlantic : The Whirlwind

 


Ils reviennent enfin !

Le départ en solo de Neal Morse avait mis fin aux activités de Transatlantic pendant sept ans. On ne peut pas dire que ce temps a particulièrement réussi à chacun des membres de ce collectif. Perdu dans des décors de plus en plus sombres et brutaux, Dream theater perdait peu à peu le lyrisme fascinant de ses débuts, les Flowers kings sont à l’arrêt depuis 2007 et on ne peut pas dire que les expérimentations de Neal Morse laissèrent un souvenir impérissable. Dans le même temps, la réussite impressionnante de bridge accross forever laissait penser que Transatlantic avait déjà tout dit, qu’il valait mieux une fin brutale qu’un combat de trop.

Cette troupe d’élite se lance pourtant un nouveau défi sur the whirlwind , réinventer le format du rock. Les longues pièces musicales étaient déjà une tradition à l’époque de Mike Oldfield , mais le format vinyle en limitait la durée. Rares sont les virtuoses ayant profité du grand espace proposé par le cd pour étaler leur virtuosité sur une bonne heure. C’est précisément la mission que se donne Transatlantic sur cet album , qui ne contient qu’une longue épopée musicale de 77 minutes.

De grandes incantations sur fond d’orgue épique annoncent le décollage de ce nouveau monument aérien. La batterie de Mike Portnoy ouvre ensuite la voie à un dialogue grandiloquent entre la guitare et le clavier. Passé cette mise en bouche digne d’un péplum, le synthétiseur s’agite dans un déchainement aigu digne de Keith Emerson. Pour contrebalancer cette hystérie stridente, guitare et basse creusent le sillon d’un hard rock délicat.

Ce déchainement se pose progressivement sur une mélodie atmosphérique qui sert de fil conducteur à cette épopée musicale. La voix baigne ensuite dans une mélodie digne des plus belles heures des Flowers kings. Les rois des fleurs n’avaient malheureusement pas une brute aussi virtuose que Mike Portnoy pour propulser leurs rêveries dans la stratosphère. Moulinant comme un damné sur cet intermède pop, il lui donne le charisme vertigineux des grandes ascensions progressives. Au bout de cette escalade, le solo de Roine Stolt décolle avec la majesté d’un faucon perché au sommet de la plus haute montagne. A intervalle régulier, un riff gracieux lance un intermède semblant annoncer le retour triomphal d’un puissant souverain.

Un intermède funky permet d’apporter un peu de légèreté à ce décor grandiloquent. Le swing de cette basse dansante attire vite la valse effrénée d’un clavier hyperactif et d’une basse abrupte. Entrant dans cette danse folle, la guitare fait le lien entre les univers cosmiques du space rock et la verve rythmique du hard blues. Après cette fiesta, des cordes baroques ramènent le groupe vers des méditations plus apaisées. L’accalmie ne dure pas, la batterie se mettant rapidement à cogner comme un cœur angoissé. Elle entretient ainsi une tension mélodique qui se repose progressivement sur un tapis psychédélique. Le battement faussement inquiet de Portnoy guide alors une improvisation heavy , où l’on croit entendre Led Zeppelin perdu dans les décors mythologiques de Genesis.

Soudain, un boogie délicat emporte notre dirigeable vers des rêves plus insouciants. Au détour de cette fête féerique, la mélodie atmosphérique qui constitue le thème principal de cette grande fresque annonce une escale reposante. On pourrait encore écrire des pages sur le solo que Stolt glisse dans ce cinquième acte, sa guitare est une lyre tutoyant les anges. Sans temps mort, les parties suivantes s’enchainent avec une fluidité qui laisse rêveur. Out of the night est un blues atmosphérique qui n’aurait pas fait tache sur le premier album de Spock’s beard.

 Jamais prise en défaut, la symbiose de nos musiciens d’élite crée une tension dramatique irrésistible. The Whirlwind nous embarque dans un zeppelin somptueux, nous laissant admirer les paysages qui défilent derrière ses vitres. Ce qui place Transatlantic au-dessus de la masse hurlante ou bêlante du néo prog , c’est son obsession pour la mélodie. Même dans les envolées les plus débridées, the whirlwind entretient le charisme rêveur d’une mélodie épique. L’alliance puissante d’une batterie sismique et d’une basse grasse est un réacteur qui accélère la progression de ce vaisseau, sans en abimer la sublime carcasse. Les décors défilent alors comme un océan de couleur, les notes semblent se percuter et s’assembler comme des paysages défilant à toute vitesse. A ce défilé éblouissant succède une rythmique imposante comme une chaine de montagne, impressionnant sommet neigeux où la frappe de Portnoy déclenche des avalanches heavy rock.

The whirlwind est un tour du monde en une heure dix , un film dont le scénario grandiose permet aux héros de voyager des plaines d’Ecosse au sommet du Kilimandjaro. Jamais le rock progressif n’avait tenté d’étaler sa virtuosité sur une symphonie d’une telle longueur. Ce grand espace semble décupler la profondeur de ces méditations, rehausser la hauteur de ces sommets vertigineux.

Passer des mois à écouter cet album en boucle ne suffit pas pour en saisir toutes les finesses, une vie humaine n’y suffirait pas non plus. Chaque écoute est une nouvelle découverte, une nouvelle parcelle de ce décor foisonnant se dévoilant à l’imparfaite oreille de l’auditeur. The whirlwind est un peu plus qu’un album de rock, c’est la grandeur de l’âme humaine accessible à tous. Cette définition rejoint d’ailleurs celle d’une époque où le rock dépassait systématiquement ses limites.  

Nous achevons donc ce voyage en compagnie de Roine Stolt avec cet album. Par la suite , les Flower kings sortiront 5 autres albums de très haute tenue. Roine enregistrera également un très bon album avec le leader de Yes et un nouveau disque de Transatlantic est paru cette année. 

Si ces albums sont tous très honorables, ils ne réinventent plus une musique déjà largement décrite sur les chroniques précédentes. Si le rock progressif a plus que jamais besoin  de Roine Stolt , c'est justement grâce à cette capacité à inventer tant de fresques avec ces mêmes éléments . Arrêter ce dossier ici me donne aussi la liberté de revenir ponctuellement sur une œuvre monumentale qui se construit encore à l'heure où j'écris ces lignes.                     

flower kings : flower power

 


Nous sommes en 1999, quelques mois après la sortie de stardust we are, et un nouveau double album des Flower kings débarque dans les bacs des disquaires. Beaucoup pourraient trouver ce rythme trop soutenu, mais cette productivité montre simplement que Roine Stolt a gardé les habitudes de ses jeunes années. Quand le guitariste commença sa carrière, il n’était pas rare de voir les grands groupes sortir deux disques à quelques mois d’intervalle. La concurrence était rude et, pour ne pas tomber dans l’oubli, il fallait sans cesse renouveler sa musique.

Le titre Flower power est bien sûr un clin d’œil à ces années bénites, plus précisément au mouvement hippie, dont le groupe a toujours défendu les idéaux. Ce titre est aussi la déclaration de foi d’un groupe qui , pour oublier la pression liée à son nouveau statut, continue plus que jamais à faire vivre l’héritage des seventies. Flower power s’ouvre donc sur garden of dream , qui bat le record du titre le plus long de l’histoire du rock progressif. Cette distinction ne lui sera reprise qu’en 2009 , lorsque Transatlantic sortira l’épique the whirlwind. Tourné vers un psychédélisme plus virulent que celui de stardust we are, garden of dream s’ouvre sur une procession robotique digne d’Emerson Lake and Palmer.

Des arpèges font progressivement pleuvoir leurs notes délicates sur ce rideau d’acier. Cette ambiance de plus en plus bucolique laisse le chant fredonner une folk sublimée par un synthétiseur plus mélodieux. En arrière-plan, quelques effets sonores rappellent les grands délires de Pink floyd. Les synthétiseurs sonnent de plus en plus comme le chant de visiteurs venus d’un autre monde, les sons se répondent dans une débauche planante aussi riche que complexe. Ce n’est pas encore cette fois ci que l’impressionnante virtuosité des Flower kings sera prise en défaut.

Les observateurs les plus snobs se réjouiront de cette complexité , mais quelque chose cloche dans ce décor aux apparences idylliques . Ce quelques chose est symbolisé par les sifflements de ces synthétiseurs si Emersonnien. A force de s’imprégner de ses modèles historiques, le groupe de Roine Stolt finit par copier leurs travers. Le bruitisme de ce clavier glacial représente exactement ce que certains détestaient à la grande époque du rock progressif , c’est-à-dire une complexité froide et sans âme. Rien ici ne renoue avec les mélodies charmeuses de stardust we are, l’inventivité du groupe devient un handicap qui le pousse à surcharger ses titres de fioritures absconses.

On a ici l’impression que ces musiciens ont réuni leurs reliques les plus sacrées,  les ont sauvagement explosées, avant de mêler les débris dans une nouvelle construction sonore. On a déjà parlé de ce clavier Emersonnien , qui est malheureusement le véritable fil conducteur de flower power. Il n’est pas le seul à pâtir d’une parenté trop flagrante, certaines parties de guitare semblant tout droit sorti du mur de Pink floyd.

Il y a du King crimson dans ces instrumentaux paranoïaques, du Genesis dans le lyrisme de ces chœurs dramatiques, et je ne parle même pas de ces grandes explosions symphoniques dignes de Yes. Les Flower kings sont un groupe encore jeune, ils n’ont pas fini de revendiquer leur héritage. Sur ce flower power, ils donnent malheureusement l’impression de se cacher derrière leurs héros.

Les notes explosent finement, comme les bulles du topographic ocean de Yes , une mélodie baroque ressuscite le charisme moyenâgeux de Gentle giant , alors que la noirceur de certains passages atmosphériques flirte avec la galaxie de starless. On reste d’ailleurs dans l’univers de King Crimson lorsqu’une envolée assourdissante pousse le baromètre sonore dans le rouge.

Comme le montre cet inventaire, Flower power est un disque qu’on ne peut apprécier qu’avec l’académisme austère d’un historien du progressisme rock. La multiplicité de références trop voyantes, la surcharge d'envolées trop lourdes, l’ennui de mélodies trop chargées , et d'effets sonores parfois absurdes, tout cela noie chaque parcelle de beauté dans une cacophonie symphonique.

Il est vrai que ce n’est pas encore avec un tel album que la virtuosité du groupe sera prise en défaut, cette complexité froide parvenant parfois à susciter une certaine admiration. Mais le rock progressif ne doit pas se noyer dans ce genre de déferlements virtuoses, ses titres ne doivent pas avoir pour objectif de jouer un maximum de notes sur des titres interminables. Si certains verront dans ce disque un nouvel aboutissement, la suite prouvera qu’il marque en réalité le début d’une quête de renouveau longue et erratique.       


                                           

lundi 31 mai 2021

The flower kings : Paradox hotel

 


Stardust we are est le point d’orgue et la malédiction de la carrière des Flower kings. Après avoir atteint un tel sommet, le groupe de Roine Stolt n’a cessé de tourner autour de ce monument indépassable. Il accentua l’agressivité de ses envolées sur the rainmaker , célébra la splendeur de ses mélodies dans les songes atmosphériques d’Adam and Eve. Le groupe n’a ainsi cessé de courir après la perfection de ce troisième album. Même le plus original sum of no evil était foisonnant comme un classique de Yes , cette référence qui suivra Roine Stolt tout au long de sa carrière.

Parfois erratique mais souvent passionnante, la quête de renouveau des Flowers kings leur offre aujourd’hui le rôle de maitre incontesté du traditionalisme progressif. Toujours est-il que, quand les suédois annoncent un nouveau double album de plus de deux heures, les fans sont effrayés par l’ampleur du projet. Le double album était déjà une exception à l’époque du vinyle, alors qu’il ne pouvait à l’époque trop dépasser l’heure de musique. Il s’agissait d’ailleurs souvent d’albums live, rares étant les musiciens assez inspirés pour produire une œuvre cohérente d’une durée aussi longue. A moins de penser que les artistes actuels sont des génies dépassant les limites des bénites sixties /seventies , on ne peut qu’en déduire qu’un exploit comme stardust we are ne se réalise pas tous les jours.   

Il est vrai que le groupe de Roine Stolt a eu besoin de deux ans pour finaliser ce paradox hotel , ce qui calme un peu nos appréhensions. Inutile de maintenir un suspense aussi intenable : paradox hotel est une réussite comme on en rencontre peu. L’affaire commence sur check in , où une sorte de responsable de la nasa annonce le décollage de cette nouvelle fusée progressive. Cet effet sonore passé, le piano installe une mélodie chaleureuse typique de la virtuosité rêveuse du groupe. Plus puissante que sur le disque précèdent, la batterie martèle un rythme hypnotique, autour duquel synthé mélodieux et guitare aérienne dressent un décor que nous ne connaissons que trop bien.

 Si Adam and Eve misait sur une musique très douce sur la plupart de ses pistes, le jeu plus démonstratif du nouveau batteur désinhibe une instrumentation plus énergique. Pas de chœurs solennels ou d’orgue grandiloquent ici, mais le plaisir communicatif de musiciens déchainant de nouveaux torrents yessiens. Pour faire bonne mesure, Roine Stolt vient régulièrement poser sa voix de vieux sage scandinave sur des accalmies plus épurées. Paradox hotel montre un groupe plus cohérent, on ne retrouve pas ici les grands écarts rythmiques de l’album précédent. Les allers venues entre un space rock contemplatif et un heavy rock grandiloquent pouvait marcher sur un disque d’une heure , pas sur un pavé deux fois plus long.

Dans un souci de cohérence, les Flower kings ont troqué les contemplations cosmiques d’Adam and Eve contre un rock symphonique plus nerveux. Les solos se font alors plus véloces, le lion qui poussa ses premiers cris sur retropolis reprend possession de ses terres. Pour ce paradox hotel , les Flower kings firent le choix de l’accessibilité , la production plus crue accentuant la vivacité de pièces qui ne manquent pas de rebondissements. Cette production allégée permet surtout à des ballades telles que jealousy de gagner en intensité, alors que les excentricités rock telles que hit me with s’épanouissent dans des territoires d’une profondeur rare.

Au bout du compte, le premier disque s’écoute sans ennui. On aura d’ailleurs bien du mal à trouver une baisse de régime dans ce premier feu d’artifice. Vient alors l’angoisse de celui qui plonge une nouvelle fois dans l’inconnu. Faut-il vraiment gâcher un si bon moment en prenant le risque d’être déçu par une seconde partie moins éclatante ?

Prenant son courage à deux mains, l’auditeur consciencieux finit tout de même par incérer le second disque dans le lecteur cd. Roine Stolt sait le rassurer d’entrée de jeu, minor giant step accueillant l’auditeur sur une fresque délicieusement yessienne. Il est vrai que notre guitariste n’est pas Jon Anderson, mais il compense ses limites vocales par un chant plus émotif. Ce procédé est connu depuis la sortie de the sum of no evil , mais on se laisse facilement séduire par la beauté de cette vieille formule. Porté par une impressionnante intensité mélodique , cet hôtel paradox voit les Flower kings retrouver la gaieté de leurs jeunes années.

Porté par cette convivialité, Roine Stolt atteint une grâce que David Gilmour semble avoir perdu depuis le début de sa carrière solo. Si paradox hotel subit aujourd’hui les foudres de certains fans , ceux-ci devraient essayer de l’écouter en oubliant le nom de ses auteurs. Débarrassés d’un fanatisme les poussant vers une sévérité exagérée, ils comprendraient alors le tour de force que constitue cet album. Car force est de constater que ce pavé sonore a la légèreté et l’incroyable cohérence des grandes réussites.

Nous n’irons tout de même pas jusqu’à dire que cette œuvre est aussi impressionnante que stardust we are, elle manque un peu d’originalité pour cela. Cette limite n’empêche pas cet humble hotel paradox d’avoir des allures de palace.           

samedi 29 mai 2021

Flower kings : Adam and Eve

 


Le clavier chante dans un écho gracieux, une voix familière décrit de nouveaux mondes merveilleux. Sorti en 2004, Adam and Eve est un des disques les plus atmosphériques des Flowers kings. Alors que l’opus précédent devait sa beauté à une débauche de notes lumineuses, Adam and Eve est plus apaisé. Tenant le premier rôle, le synthétiseur arrondit les angles d’instrumentaux souvent très mesurés. Pour donner une colonne vertébrale solide à ce géant de coton, la batterie dirige la marche sur un rythme puissant sans être agressif.                                  

Loin de ses bavardages habituels , la guitare souligne les passages les plus enjoués , ponctue ces discours charmeurs de quelques notes nébuleuses. Vient ensuite, le temps de l’intermède plus terre à terre placé au milieu de love suprem, un blues mélodieux entretenu par le dialogue nostalgique de la guitare et du synthétiseur. L’ombre de musique plus terrestre plane régulièrement au-dessus des fresques paradisiaques de cet Adam and Eve. Au détour d’un nuage symphonique, une guitare slide joue la country d’un paradis perdu. Puis viennent ces grandes envolées lyriques, lointains échos de la nostalgie de dark side of the moon.

Dans ses meilleurs moments, une chorale céleste retrouve le charisme poignant de the great gig in the sky. L’ombre du Floyd s’impose encore quand un synthé bucolique chante un folk d’un autre monde. Cosmic circus est un poème musical digne de wish you where here, un intermède de trois minutes que l’on voudrait prolonger à l’infini. Vient ensuite le rythme martial de vampire view , riff sombre semblant annoncer l’assaut des cavaliers de l’apocalypse.

Il y a du Genesis dans cette tension dramatique, Roine Stolt prenant une voix de chanteur d’opéra rock que n’aurait pas renié Peter Gabriel. Lors de ces huit minutes, le rythme passe alternativement d’une marche militaire à une douce lamentation symphonique, les instruments décollent ensuite sous l’influence d’un orgue solennel. Le rock s’élève ensuite au-dessus de cette ascension angélique, guitare et basse terminant le bal dans un déchainement hard rock. Le piano de day go by ramène un peu de calme, sa mélodie baroque ouvrant la voie à une nouvelle symphonie paradisiaque.

Cette contemplation sera de courte durée, une débauche électrique s’empressant de nous ramener sur les rives plus terre à terre de l’acid rock. Cette puissance plus simple ouvre la voie à des récits plus triviaux. C’est ainsi que Adam and Eve nous compte le péché originel avec une gouaille Rabelaisienne, la brutalité de son rock semblant exprimer la violence de ce coït interdit. Ceux qui affirment que Roine Stolt ne sait pas jouer de riffs devraient écouter ce déluge, le dialogue guitare synthé ressemble à un tonitruant croisement entre Birth Control et Deep Purple.

Starlight man est plus quelconque, sa mélodie pop ressassant les vieilles recettes de stardust we are . Le riff clôturant cet intermède est toutefois assez lumineux pour que cette bluette ne laisse pas un mauvais souvenir. Roine Stolt ouvre ensuite timeline sur un tempo digne des grandes heures de Chicago. Synthé et violons emportent progressivement ce mojo tranchant vers des contrées plus lunaires. Le blues a toujours fait partie de l’ADN du rock progressif, les musiciens de Pink floyd ayant d’abord choisi son charisme sophistiqué pour faire oublier leur passé de mauvais bluesmen. On ne s’étonnera donc pas de voir ce qui était au départ un blues aussi bien exécuté que quelconque décoller naturellement grâce à une série de solos Gilmouriens.

Timeline se clot sur un déluge où guitare heavy et clavier paranoïaques réaffirment que le heavy métal n’a pas le monopole de la puissance sonore. Adam and Eve se termine avec un driver seat dans la plus pure tradition du progressisme des années 70. Dans cette lignée traditionnelle, blade of gain referme le rideau sur une pop aussi anecdotique que sympathique.

Sans être révolutionnaire, Adam and Eve est assez varié pour compter parmi les belles réussites des Flower kings. Si il n’invente pas la poudre , le groupe continue de donner vie à une certaine idée de la grandeur musicale.           

The flower kings : unfold the future

2002 marque un nouveau tournant pour la scène progressive. Voulant se libérer de toutes limites, Neil Morse claque la porte de Spock’s beard pour démarrer une carrière solo. Avec cette émancipation, c’est la survie du rock progressif qui est menacée. L’aventure solitaire de Neil Morse met aussi fin aux activités de Transatlantic , figure de proue d’un traditionalisme progressif qui commençait à peine à renaitre. Pendant ce temps, Porcupine tree sort un autre album majeur de l’histoire du progressisme musical, le troublant in absentia.

Ce dernier marque un tournant, non seulement dans la carrière de Porcupine tree mais aussi dans l’histoire de sa musique. Avec un concept flirtant clairement avec la noirceur des chamanes du heavy metal , in absentia déclenche un véritable raz de marée plombé. Derrière ce succès, la nation des métalleux se lève comme un seul homme pour achever un rock progressif gémissant comme une bête blessée. Opeth a déjà sorti le très populaire blackwater park sous la direction de Steven Wilson , Dream theater durcit ses compositions sur l’agressif six degree of inner turbulence, et une relève tout aussi agressive s’apprête à grossir le rang de ces barbares.

Avec in absentia et sa participation à l’album le plus connu d’Opeth , Steven Wilson devenait le chef de file de la révolte métal progressive , courant dont Porcupine tree deviendra la figure de proue pendant quelques années. De son côté, le camp traditionaliste parait à bout de souffle, coincé entre des figures de plus en plus inconnues et le déclin de ses chefs de files.

Voilà pourquoi unfold the futur, sorti quelques mois seulement après in absentia, est un album important. Dernière forteresse assiégée de toute part, le groupe gomme les égarements agressifs de the rainmaker, pour s’imposer comme le dernier rempart face à l’hégémonie métallique. L’introduction monte lentement, les notes de clavier virevoltant comme des lucioles illuminant un premier solo, qui annonce une grande transe psychédélique. On retrouve ici les envolées intenses et progressives des premiers albums du groupe, on se délecte de nouveau de ses intermèdes lumineux et mélodieux. Les grandes fêtes instrumentales, où les notes sautillent comme une horde de lutins euphoriques, s’apaisent dans des mélopées délicieusement légères.

Le premier cd de ce double album élargit donc le décor planté par stardust we are. Si l’effet de surprise n’est plus au rendez-vous , il faut avouer que truth will set you free contient assez de rebondissements pour être comparé aux grandes fresques du groupe. Ayant retrouvé toute sa légèreté, la batterie passe d’une partie explosive à un instrumental rêveur, sans briser l’unité de ce voyage de trente minutes. Nous assistons à une première partie où les Flower kings se rassurent après le fiasco que fut the rainmaker. 

Oui , le groupe sait toujours construire de grandes pièces épiques , oui ses pastilles pop ont encore la beauté légère que le rock grand public a perdu. A ce titre, ses mélodies courtes et improvisations montrent que l’on peut encore créer des enchainements originaux et accessibles en 2002. En ce qui concerne cette première partie, l’objectivité n’est plus permise.

Il est vrai que quelques petits écueils noircissent un tableau que l’on attendait de revoir avec impatience. Quelques débordements instrumentaux virent parfois au chaos bruitiste, laissant ainsi entrevoir la naissance d’une effervescence free jazz encore mal assumée. Pourtant, dans l’ensemble , cette introduction mêle énergie rock , timides teintes jazzy , et sucreries acid rock avec assez de virtuosité pour marquer les esprits.

Le rock saturnien  de monkey business s’imprime dans des esprits encore marqués par la splendeur symphonique de the truth will set you free . Pour éviter de nous lasser de cette splendeur, black and white s’ouvre sur des chœurs un peu plats. Les expérimentations des musiciens apportent ensuite assez d’énergie pour transformer ce mauvais départ en intermède aussi anecdotique qu’agréable.

Issu des scéances de bridge accross forever , silent inferno côtoie les plus hauts sommets du chef d’œuvre de Transatlantic. La face traditionnelle de unfold the future se clôture ensuite sur la beauté plus épurée de the naviguator et vox humana. Si ce premier disque permet au groupe de retrouver ses racines , le second le voit s’élever vers d’autres horizons.

Alors que l’époque semble vouée à l’esbroufe agressive d’un heavy métal triomphant, les Flowers kings préfèrent se ressourcer dans les eaux cuivrées du jazz. Les cuivres, très présents, donnent à des titres très variés la chaleur de leur souffle swinguant. Les Flower kings groovent comme James Brown perdu dans des galaxies floydiennes, swinguent comme Chuck Berry sous acide , inventent le mojo de l’espace dans un blues cosmique. Le rock progressif entre dans une nouvelle impasse, et unfold the futur voit les Flower kings lui proposer plusieurs portes de sortie.

Seul le temps dira si les nombreuses qualités de ce disque suffisent à en faire un classique. Une chose est sure, si toute la scène progressive n’a pas basculé du coté obscur de la modernité, c’est en grande partie grâce à unfold the future. En trouvant un nouveau terrain de jeu, les Flower kings sauvèrent leur peau ainsi que la scène qu’ils représentent.               


The flower kings : the rainmaker

Dans la pénombre, un homme au regard inquiétant trône au milieu d’une ruelle sombre. Comme agitées par une force malfaisante, les flaques d’eau qui l’entourent sont parcourues par un tourbillon sphérique. Space revolver montrait un timide rapprochement avec le métal progressif, the rainmaker semble revendiquer ce rapprochement dès le décor sombre de sa pochette. En ouverture de l’album, une voix démoniaque psalmodie une messe satanique. Les synthés sifflent ensuite tels des gorgones hystériques, invoquant un riff tonnant avec la puissance d’un orage annonçant le déluge.

Autant le dire tout de suite, le riff de last minute on earth est le pire raté de l’histoire des Flower kings. Revenant ponctuellement dans le morceau, ce piétinement lourdaud détruit toute harmonie, broie la mélodie sous sa finesse pachydermique. Roine Stolt se contente ici de caricaturer ce que les hordes métalleuses font de plus vulgaire et gras. Alors, bien sûr, il essaie d’atténuer cette violence gratuite dans ses intermèdes planants, mais ces deux parties semblent séparées par une frontière infranchissable.

La violence trop exacerbée des envolées métalliques font clairement tâche entre les nuages space rock. Les débordements ont beau finir par s’apaiser, Roine Stolt emmenant sa fresque mal tissée vers une grande méditation spirituelle, un dernier coup de canon heavy ruine tous ses efforts. En dehors d’un riff que l’on espère ne plus retrouver ensuite, le problème de cet album est aussi contenu dans les sifflements robotiques du clavier. Seul road to ruin parvient à maintenir ces serpents à sonnettes suffisamment  à distance pour préserver la chaleur de ses solos, c’est d’ailleurs le seul titre honorable de cette catastrophe.

Sur le titre suivant, le synthé perpétue son travail de sape, son souffle glacial rendant le swing de road to sanctuary particulièrement irritant. Alors qu’on aurait préféré l’oublier, le riff de last minute on earth se glisse entre les notes polaires de cette mascarade funky. Ce riff semble malheureusement servir de fil conducteur à un disque qui, se voulant plus sombre et agressif, ne parvient qu’à être lourdaud et insupportable.

On signalera tout de même que, quand Roine Stolt prend de nouveau le temps de tisser ses tapis lumineux à coups de solos nuageux, il parvient encore à nous éblouir. Ces fulgurances seraient honorables si elles ne se noyaient pas dans un océan de médiocrité pompeuse. Les trois dernières minutes de road to sanctuary ont la beauté d’une terre promise, mais le souvenir des horreurs qu’il fallut endurer pour l’atteindre nous gâche un peu la beauté du paysage.    

Au final , cette seconde pièce maitresse souffre de la même lèpre que last minute on earth , ces différentes parties sont trop opposées pour former un tout cohérent. The rainmaker est un géant sans colonne vertébrale, un titan rendu obèse par l’accumulation de grandiloquence grasse. Le morceau titre s’embarque dans un boléro indigeste, le synthétiseur brisant sa solennité de son sifflement insupportable. On touche le fond quand une électro de fête foraine tente de ménager un intermède planant, rapidement brisé par une percussion qui dut déclencher quelques crises cardiaques.

Cacophonie pathétique, la dernière partie du morceau titre voit le chanteur hausser le ton pour masquer l’absurdité de notes envoyées avec la cohérence de rafales tirées par un tueur fou. Derrière cette incohérence, c’est la mélodie que l’on assassine, the rainmaker étant le premier album des Flower kings à ne laisser aucune trace dans l’esprit de ses auditeurs. City of angel semble vouloir renouer avec les sommets introspectifs de stardust we are , mais les sifflements insupportables du synthé empêchent une nouvelle fois toute rêverie cosmique.

La batterie s’emballe ensuite sans raisons apparentes, détruisant définitivement tout espoir de se laisser emporter vers de nouvelles contrées. Le constat est cruel mais implacable, les trois pièces maitresses de l’album ne sont que des soufflets refusant de prendre forme.

Du coté des pastilles sonores plus ou moins courtes qui les entourent, le constat est aussi catastrophique. Le sentimentalisme gluant d’Elaine endormirait un troupeau de suricates sous speed, et ce n’est pas le free jazz soporifique qui clôture le morceau qui sortira ces mammifères hyperactifs de leur léthargie. Thru the wall et sword of god sont du même fond de tonneau, ces deux derniers titres parvenant à plomber un album qui ne volait déjà pas très haut. 

Le mage de carnaval du début ouvre ensuite la dernière partie sur des grognements bestiaux. On retrouve encore avec effroi le riff qui ouvrit last minute on earth. Sur sword of god , Roine Stolt ne chante plus , il hurle pour tenter d’insuffler un semblant de lyrisme à ce sous hard rock. Vous l’aurez compris, les quatre derniers titres sont un condensé de tout ce qui rendait le reste de l’album insipide.

The rainmaker est une sorte de navet musical, où le heavy rock grassouillet laisse soudainement place au lyrisme ampoulé d’une pop faussement soignée, sans que l’on comprenne ce qui motive ce changement brusque de décor. En voulant encore moderniser leur musique, les Flower kings on fait de ce rainmaker un amas de mauvaises idées.

Les oasis de beauté étant trop rares et éphémères pour sauver cet album , on se consolera en se jetant sur le second album de Transatlantic , qui sort quelques jours seulement après cette mascarade.