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vendredi 23 juillet 2021

Neil Young : Freedom

 


C’est un hymne annonçant un nouvel âge d’or, une chanson contestataire digne des glorieuses sixties. Neil Young a vraiment cru que ce cowboy Tatcherophile de Reagan était le candidat du peuple, qu’il pouvait construire une Amérique fière et solidaire. Il ne comprit pas que cette politique ultra libérale allait précipiter toute une partie du petit peuple dans un abime de misère. On pouvait bien lui bourrer le mou avec «  la grandeur de l’Amérique éternelle » , l’abrutir à coup de films chauvins , lui chanter l’éloge du mérite et faire passer sa misère pour une liberté, la tête de la masse n’adhère plus aux grands principes quand son ventre est vide.

« Il y a des couleurs dans la rue

Rouge blanche et bleu

Les gens trainent les pieds

Les gens dorment dans leurs chaussures

Mais il y a des panneaux d’avertissement devant nous

Je ne me sens pas comme satan

Alors j’essaie d’oublier de toutes les manières possibles »

 

Rockin in the free word s’ouvre ainsi sur cette déclaration, le Canadien veut oublier que c’est en partie lui qui a précipité le peuple entre les griffes du grand méchant loup libéral.

«  Je vous le dis , petits bonshommes , couillons de la vie , battus , rançonnés , transpirant de toujours , je vous préviens , quand les grands de ce monde se mettent à vous aimer , c’est qu’il vont vous tourner en saucisson de bataille… C’est le signe … Il est infaillible. ». C’est signé Louis Ferdinand Céline dans son fameux Voyage au bout de la nuit, ça résume surtout bien ce que le peuple américain a vécu.

La désillusion eut au moins le mérite de régénérer la muse de Neil Young. Sorti en 1989, Freedom est si bon qu’il rappelle les grandes charges heavy folk de Rust never sleep. Comme ce classique de 1979, Freedom s’ouvre et se referme sur une version acoustique et électrique du même titre, le rageur rockin in the free word. Les mélodies les plus apaisées renouent avec les sommets mélancoliques de Times fade away , la guitare retrouve la vélocité de ses jeunes années. Cette résurrection n’est pas parfaite, les errements du passé ont encore laissé quelques traces , mais elles sont assez rares pour ne pas briser l’harmonie de ce grand album.

Oui, le refrain de The way of love est encore un peu niais, oui Someday fait un peu penser aux simagrées pompeuses dans lesquelles Springsteen a tendance à se perdre. Mais, à côté de ça , On broadway rappelle aux futurs héros du grunge qui est le patron, Hangin on a limb nous ramène dans ces salles où le loner atteignit le sommet de son charisme acoustique. Freedom est le disque d’un vieux combattant faisant l’inventaire de ses armes avant de se lancer dans une nouvelle bataille. Nostalgie folk , rêverie country , swing stonien ou crasseux , toute la palette du loner est présente ici.

Il entre ainsi dans cette armée de revenants que l’on croyait étouffer par la guimauve des eighties. Dans la même période, Dylan posa les bases de sa renaissance avec Oh mercy , Lou Reed réinventa sa poésie urbaine sur New York et Neil Young se réconcilia avec sa muse sur ce vibrant Freedom.

Rocker révolté, riffeur génial , countryman fascinant , Neil apparait ici comme si les années précédentes ne furent qu’un mauvais rêve. Quand, pour boucler ce retour glorieux, la guitare électrique transforme Rockin in the free word en cri de rage , un seul constat s’impose : Neil Young est de retour.       

Neil Young : This note's for you

 


Le rock n’est plus le son de la révolte , ses vieilles idoles sont rentrées dans le rang et leurs rares remplaçants ne rêvent plus que de gloire. Eric Clapton et Steve Winwood sont sponsorisés par de grandes marques, Dire Strait chante qu’il « veut son MTV ». Le capitalisme a fait du rock un outil servant ses intérêts, il l’utilise pour vendre ses sodas, ses assurances, bref pour grossir toujours plus. Porte-drapeau de cette marchandisation du rock, MTV est devenu un média essentiel pour tout artiste souhaitant conquérir le monde. Alors tous se mirent à enregistrer des clips censés passer en boucle sur cette chaine. En voyant cette évolution, Keith Richards annonça sur un ton péremptoire « le vidéo clip a tué le rock ». Les rockers se préoccupaient désormais plus de sortir « la vidéo de l’année » que de produire le disque le plus abouti depuis Sergent pepper.

Cette tendance commençait déjà lorsque Bowie produisit le mini film de promotion de Let’s dance. Il y eut aussi la fameuse voiture rouge de ZZ top , le coming out de Freddy Mercury sur I want to break free etc…

La plupart des vieilles gloires produisant ces clips étaient en plein déclin artistique , mais la puissance de la machine commerciale leur permettait de vendre plus d’albums qu’ils n’en ont jamais vendu. C’est dans cette époque, où l’image semble avoir remplacé la musique, que Neil Young retrouve un peu de sa superbe. Nous sommes alors en 1988, et le chanteur monte sur scène accompagné par un nouveau groupe. Derrière lui, une section de cuivres ressuscite les grandes heures de Chicago, quand bluesmen et jazzmen se succédaient devant un public fait de gangsters et de maquereaux. Pour porter ce blues cuivré , la section rythmique swingue comme les musiciens de Duke Ellington perdus au milieu du big bang de BB King.

Pour immortaliser cette nouvelle énergie, Neil Young embarque son big bang en studio pour enregistrer This note’s for you. Dans la foulée, il décide de se payer la tête d’une chaine qui fait désormais les grandes carrières musicales. C’est ainsi que , pendant quelques jours , MTV diffuse régulièrement un clip où l’on peut entendre : « I don’t work for pepsi . I don’t work for coke ». Pendant que cette phrase est scandée par le chanteur, on peut voir un Michael Jackson en feu se faire arroser par une canette de la fameuse marque de soda. MTV finira par censurer le clip, avant de le nommer « meilleur clip musical de l’année ». This note's for you sort peu de temps après ce coup d’éclat.

Beaucoup ne virent dans ce disque qu’un sympathique exercice de style , une façon pour son auteur de retrouver un peu de vitalité en voyageant dans le berceau du rock n roll. C’est vite oublier que le blues fit toujours partie de l’œuvre du loner , qui le jouait déjà avec brio à l’époque de Tonight the night. Contrairement à cette époque, This note's for you ne déploie pas un blues froid et austère, mais un mojo grandiloquent et chaleureux. Ce swing, c’est celui de BB King , éternel parrain d’un blues spectaculaire. La rythmique reste basique, presque boogie sur des titres comme Ten men workin, où cette union entre la chaleur jazzy des cuivres et l’énergie du blues flirte avec les grandes heures de l’Allman brother band.

Dans cette cérémonie enjouée , Neil retrouve le gout des riffs binaires, se laisse parfois aller à quelques solos Claptoniens. On retrouve ici la chaleur bluesy inventée par les frères Allman , on flirte avec ce rock sudiste que Warren Hayne ne tardera pas à ressusciter. Ranger cet album dans le rang des exercices de style honorables sous pretexte qu’il s’éloigne de ce que Neil fit jusque-là, c’est considérer que sa carrière n’est qu’une succession d’exercices de styles plus ou moins brillants. Neil Young a toujours été un artiste cleptomane pillant cette magnifique caverne d’ali baba qu’est le patrimoine musical américain, un conquistador rock s’appropriant les contrées qu’il explorait.

Hier il disait qu’il considérait la country comme sa seule voie , aujourd’hui il joue le blues comme BB King ou Mike Bloomfield , demain il aura déjà changé de lubie. Il fallait toute la grandiloquence de This note's for you pour le ramener dans le rang des grands artistes. Dans son genre comme dans la carrière de son auteur, This note's for you est avant tout un grand album.          

mercredi 21 juillet 2021

Richard Neville : Hippie hippie shake


Nous avons déjà longuement abordé et évoqué sur Rock In Progress, à travers certaines chroniques, notamment celles de Benjamin, le mouvement hippie des années 60, ses rêves, son apogée, ses utopies, ses limites, son déclin et ses désillusions...
"Hippie Hippie Shake" est un ouvrage incontournable pour qui s'intéresse à cette période et pour mieux la comprendre 
au delà de l'aspect purement musical, l'auteur s'attachant à différents aspects de la contre-culture.
Richard Neville a été l'un des fondateurs de la revue OZ, d'abord en Australie puis à Londres, revue underground de contre culture à la fois satirique, provocatrice, corrosive et politique ; OZ a indéniablement marqué les années 60 et influencé le mouvement culturel et éditorial de l'époque. A travers « Hippie Hippie Shake » l'auteur nous entraîne dans un voyage passionnant au cœur de la contre-culture des années 60.
Tous les sujets phares de l'époque sont abordés : la drogue, le sexe et la libération sexuelle, la pornographie, l'homosexualité, le féminisme, la musique, le mouvement hippie, le flower power, la violence et la non violence, les arts, la contre culture en général, la politique, la presse, la censure, la répression policière, la justice, les droits des minorité, les Black Panthers, Mai 68, la mode, les routards, le psychédélisme.....
Richard Neville évoque aussi les espoirs du mouvement, les débats, les échecs, les déceptions, les désillusions et avec le recul les défaites mais aussi les avancées qui en ont découlé.
Car si le livre est aussi intéressant , c'est qu'en plus d'avoir, de l'intérieur, une vision du mouvement underground et de livrer de croustillantes anecdotes, l'auteur fait preuve d'humour, d'(auto)dérision et d'(auto)critique ; ici nulle apologie béate, Richard Neville portant un regard lucide et n'hésitant pas à développer certains sujets qui fâchent. Et surtout beaucoup de passages sont drôles et truculents, ce qui ajoute au piment du livre.
La récupération du mouvement (notamment concernant la mode, le design et bien sur la musique) est évoquée.
La musique est largement présente : on y croise les Doors, Jefferson Airplane, MC5, les Who, John Lennon (présenté à son avantage) et les Beatles, les Rolling Stones (avec au passage une petite pique contre Mike Jagger), Bob Dylan, Eric Clapton et Cream, Mike Farren, Pink Fairies et beaucoup d'autres rassurez vous, ainsi qu'un passage intéressant sur le festival de l'Isle de Wight.
Cependant la majorité du livre tourne autour de la répression subie par Oz, numéro après numéro, ses démêlées avec la justice jusqu'au procès pour obscénité, traité là aussi avec un humour irrésistible, puis l'emprisonnement des principaux rédacteurs (on peut y voir un portrait politique, social et moral de la Grande Bretagne de la fin des années 60, si conservatrice !)
C'est drôle mais aussi parfois trash (voir les nombreux passages consacrés au « Living theater » troupe d'artistes « no limit » et celui concernant les salons « érotiques » d'Amsterdam et Copenhague) .
On y croise des personnages hauts en couleur (prophètes, junkies, groupies, politiciens, routards hallucinés....) certains bien déjantés.
On y croise aussi les leaders du mouvement Yippies (Parti international de la jeunesse, mouvement anti-autoritaire très actif contre la guerre du Viet-Nam) Abbie Hoffmann et Jerry Rubin...qui deviendra dans les années 80 un reaganien pur et dur !!
Les débats internes à la contre-culture et au mouvement hippie sont également abordés notamment celui opposants les partisans de la non violence à ceux favorables à la lutte armée.
En lisant ce livre on voit également les contradictions du mouvement underground mais aussi le fait que celui ci n'était pas homogène ; déjà une élite « branchée » tournant autour de la mode et de l'édition apparaît clairement (les futures bobo en quelque sorte) et d'ailleurs il est clair que les jeunes qui faisaient partis du mouvement hippie ou du mouvement underground étaient majoritairement issus des classes moyennes ou aisées (d'où par définition un mouvement inter-classiste) et nombre d'entre eux deviendront ceux qu'on appelle familièrement les anciens soixante-huitards et qu'on croise encore de nos jours régulièrement dans la presse ou sur les plateaux télé. L'hédonisme individualiste de certains protagonistes de cette contre-culture apparaît déjà nettement dans certains passages du livre.
Mais à l'époque le mouvement était encore fort, plein d'espoir, avec une envie folle de changer le monde, de briser les carcans et les nombreuses avancées dans plusieurs domaines montrent que tout n'a pas été qu'échec même si une grande partie de cette génération sombrera dans la folie, la drogue, le suicide...ou finira par se renier.
Une vraie mine d'or pour ceux qui s'intéressent à cette période, un livre passionnant. 




Neil Young : Life

 


Dans la lignée de ce qu’il fit pour les fermiers, Neil Young inaugure en cette année 1985 la bridge school , un institut dédié aux soins des handicapés souffrants de graves problèmes d’expression. Pour la financer, il organise un nouveau concert réunissant Jeff Beck, David Bowie , Simon and Garfunkel et Elvis Costello. Aussi honorables que soient ses engagements , ils ne peuvent cacher le déclin de sa carrière. C’est ainsi que, quand Neil effectua une nouvelle tournée européenne, il dut jouer dans des salles à moitié vides. Il n’était plus retourné sur le vieux continent depuis la tournée de promotion de Trans et le public n’avait pas digéré cette cacophonie électronique. Pour se refaire une santé, le loner rappelle son fidèle Crazy horse, mais la magie des belles années semble bien morte.

Rongé par l’alcool, le bassiste peine à retrouver la vélocité de ses grandes années. Ce groupe, qui fut un pur sang fougueux, ressemble désormais à un vieux canasson bon pour la boucherie. En répétition, les conflits s’enchainent entre ces musiciens en pleine crise de la quarantaine. Cette attelage bancale parvient pourtant à terminer l’enregistrement de Life, qui n’en sera pas moins le disque le plus faible de son histoire.

Difficile de trouver des qualité à un album qui , par sa production boursouflée et la faiblesse de ses titres , semble coulé dans le même moule infâme que Landing on water. Embourbé dans une mélasse pop, tenu en bride par des synthétiseurs toujours aussi bavards, notre vieux cheval fatigué rue désespérément dans ses sordides brancards. Force est de constater que les sursauts d’orgueil de musiciens qui ne demandent qu’à faire parler la poudre ne parviennent pas à sauver un tel navet. Au bout de quelques minutes mielleuses, l’auditeur trouve enfin un peu d’énergie dans le boogie de Too lonely. Son regain d’enthousiasme est vite déçu par une batterie sonnant comme une boite à rythme, un cœur synthétique qui remet dans le coma une formation qui semblait enfin retrouver la vie. Quand quelques solos osent enfin sortir de ce cadre très pop, leur tranchant est émoussé par une production gommant toute distorsion, aseptisant toute envolée un peu trop spontanée.

Et, quand cette camisole ne suffit plus, on cache cette violence derrière des chœurs mielleux digne de Queen. Life est le disque de musiciens perdus, le succès s’éloigne de notre canadien, qui semble pour la première fois prêt à toutes les compromissions pour le récupérer. On trouvera tout de même quelques rapides instants où nos musiciens fatigués parviennent à se libérer du carcan qui se sont eux mêmes imposé. Mais ces instants sont trop courts,  au point que l’on ne retient que ces refrains simplets, ces solos sans saveur, ces chœurs gluants.

Si Neil Young avait besoin de toucher le fond pour remonter à la surface, c’est désormais chose faite. Life est finalement une sorte de Landing on water II , le témoin d’une fragilité qui va heureusement prendre fin. Dans l’ombre de dinosaures fatigués , une nouvelle génération s’apprête à redonner aux jeunes rockers le gout de la spontanéité. Cette fin d’eighties verra la sortie de Electric de the Cult , du premier album des Guns n roses , sans oublier quelques grands disques de Mellenchamps.

C’est toute une musique qui souhaite oublier ses errements pop, comme s'il fallait reprendre les choses là où les seventies les avaient laissés. Cette tendance ne ressuscitera jamais totalement la grandeur des sixties seventies, mais elle permit à une génération que l’on croyait enterré de se régénérer. Les fans se consolèrent donc en se disant que Life ferme une page qu’il ne reste plus qu’à oublier.         

mardi 20 juillet 2021

Neil Young : Landing on Water

 


C’est un nouveau Woodstock , une nouvelle façon d’affirmer que le rock peut et doit changer le monde. Bob Geldolf est un ex punk , son Live aid s’inscrit pourtant dans la lignée des grands idéalistes hippies. Alors bien sûr, les visages des rockers se sont ridés, ceux du public aussi , nombre d’entre eux vivent des eighties compliqués et la relève se fait rare. Il n’empêche que, quand vous inscrivez les noms de Keith Richard , Bob Dylan , Led Zeppelin , Neil Young et autres vieilles icônes , c’est encore une foule immense qui se presse pour assister à l’événement. Ce soir, tous ces ténors joueront gratuitement, les bénéfices de la soirée devant servir à lutter contre la famine en Ethiopie. Ce soir-là , il y eut de cruelles déceptions , comme la reformation calamiteuse de Led Zeppelin , mais aussi et surtout beaucoup de moments merveilleux. Bowie fut encore au sommet de son charisme spectaculaire, Status Quo livra un set éblouissant, et je ne parle pas de la prestation légendaire de U2.

Après un set plus que correct, Neil Young remarque le visage contrarié de Bob Dylan. Quand son regard croise celui du Zim , celui-ci déclare sur un ton désabusé « C’est bien beau de venir en aide aux pays pauvres . Mais que fait-on pour nos fermiers qui croulent sous les charges ? » Neil décida alors de devenir le porte-voix de l’Amérique rurale, il se mit à défendre la cause des fermiers américains auprès des puissants dès que l’occasion lui en était donné. Il chargea surtout John Mellenchamp et Willie Nelson de trouver des artistes acceptant de jouer lors d’un concert dont les profits seront reversés à ces damnés de la terre. Le premier Farm aid réunit donc Johnny Mitchell , Tom Petty et Lou Reed . Avec cet événement il paie d’une certaine façon sa dette vis-à-vis de ce peuple qui lui apporta tant. Paradoxalement, alors que cette engagement aurait pu l’inciter à creuser de nouveau le sillon rustique d’Old ways , il sortit son album le plus moderniste.

Landing on water est le disque que tous les fans du loner voudraient oublier, le premier fiasco d’une carrière qui fut jusque-là exemplaire. Pour masquer la faiblesse de son inspiration, Neil abusa des claviers grandiloquents dignes de Van Halen. Sur Weight of the word , leurs sifflements horripilants parviennent à rendre la guitare inaudible, la rythmique robotique est morne comme une journée de travail à l’usine. Cette ouverture donne le ton d’un album boursouflé, comme si une production aussi grandiloquente pouvait transformer ces étrons synthétiques en tube. Sur violent side, les chœurs enfantins sont ridicules, le solo de guitare incongru, Neil imitant Roger Daltrey au milieu d’une guimauve digne de Who are you.

Landing on water est trop lisse, il donne l’impression que le loner court après un public qu’il ne comprend plus. Ce disque s'inscrit dans la ligné de Human Touch , Down in the groove et autres mascarades de has been tentant désespérément de rester dans le coup. Landing on water s’inscrit dans une tendance pop qui va presque tuer une bonne partie de sa génération. Il faudra encore quelques années pour que Springsteen, Dylan, et notre canadien comprennent qu’ils ne pourront survivre qu’en restant fidèles à eux même. Ce n’est pas au public de dicter sa loi aux artistes, mais aux artistes de créer des œuvres que le public doit faire l’effort de comprendre.

Avec landing on water, Neil tentait de rajeunir son public, de prendre sa part de l’immense gâteau que constitue le business de la musique. Springsteen parvint à le faire avec Born in the USA , David Bowie toucha le gros lot avec Let’s dance, mais le loner n’était pas fait pour devenir une superstar.

Comme Bowie et Springsteen , il mettra des mois à se remettre de son dérapage commercial , tout en ayant raté le coup qu’il a tenté.      

lundi 19 juillet 2021

Neil Young : Old Ways

 


Banane et costume rose, Neil Young est devenu un musicien rockabilly plus vrai que nature. Alors que son groupe swingue comme le Elvis des débuts, Geffen interrompt l’enregistrement de son prochain album. Neil avait encore deux titres à mettre en boîte, mais sa maison de disque n’accepta pas qu’il se paie ouvertement sa tête. Après la sortie de Everybody’s rockin , disque qui n’a de valeur que grâce à la révolte qu’il représente , Geffen décide d’attaquer Neil en justice pour « non-respect du style Neil Young ». Parle-t-elle du Neil Young torturé et bluesy de Tonight the night ? Du Neil Young épanoui et country de Harvest ? A moins qu’elle ne préfère le rocker tonitruant de Rust never sleep.

Comme beaucoup d’artistes libres, Neil n’est pas stable, il existe presque autant de « style Neil Young » que d'albums du loner. Après sa maison de disque, c’est au tour de son public de ne plus comprendre ses soudains changements de styles. Nous sommes au milieu des années 80 et le public de la Nouvelle Orleans attend impatiemment son héros. Lorsqu’il arrive sur scène, Neil prend le micro avec la gravité d’un tribun montant à la tribune. Celui qui vomissait la politique de Nixon livra un discours maudissant le désarmement des Etats Unis, justifia le fiasco du Vietnam en affirmant que l’Amérique voulait juste « donner un coup de main », et finit sa diatribe sur un vibrant plaidoyer patriotique. Ce discours, au-delà de ce que l’on peut en penser sur le fond, montre que Neil Young est aussi libre politiquement qu’artistiquement.

Après cette prestation, il affirme à qui veut l’entendre qu’il abandonne le rock pour la country. On peut donc lire dans plusieurs journaux que le loner considère que la musique de Johnny Cash fut toujours sa véritable musique, son véritable style. En lisant ça, Geffen enrage. Si le loner affirme désormais que la country est son véritable style, qu’elle l’a toujours été et qu’il n’en déviera plus, le procès que lui a intenté la maison de disque devient absurde. Geffen se résigna donc et retira sa plainte.

C’est dans ce contexte que sort Old Ways, disque qui ne fait que confirmer la voie que Neil traça lors de ses dernières déclarations. Persécuté par son label, notre canadien a laissé sa old black au vestiaire pour creuser le sillon d’une country traditionaliste. Ne vous attendez pas à trouver ici un riff irrésistible à la Heart of gold ou une symphonie campagnarde aussi majestueuse que A man need a maid. Ces splendeurs sont des raffinements de citadin, et Neil ne veut plus s’éloigner de sa chère campagne. La rythmique de Old way est aussi nonchalente que celle des Tennessee tree, violons et pianos résonnent sur de douces berceuses campagnardes. Quand la guitare électrique entre dans la danse, elle ronronne comme un gros chat au soleil.

Old ways n’est pas un album révolutionnaire, encore moins un classique. Ses mélodies, plus rustiques et légères que celles d’un Mellenchamp , sont trop pures pour marquer durablement les esprits. On se laisse néanmoins facilement emporter par la douceur de the Wayward wind , l’énergie de Get back to the country nous régénère comme un week-end à la campagne. Contenant son lot de bons moments, Old ways est un exercice de style agréable.

Alors bien sûr , certains virent dans cette légèreté les signes du déclin à venir. Il n’allait en effet pas tarder. On évitera pour autant de classer ce Old ways parmi les album honteux du Canadien. Parcourir ces mélodie, c’est se promener dans un village dont on connait chaque mur, chaque paysage , et qui parvient pourtant toujours à nous émerveiller.

Non la country n’est pas « le style Neil Young » , elle n’en reste pas moins un élément essentiel de sa légende. Alors ne boudons pas notre plaisir lors de cette petite récréation, le pire est encore à venir et ce Old ways a au moins le mérite d’honorer une racine de son auteur.   

   

dimanche 18 juillet 2021

Neil Young : Trans

 


Le handicap de son fils tracassa Neil Young jour et nuit. Il tentait de comprendre, comprendre ce que pouvait ressentir ce garçon incapable de s’exprimer. Dans sa quête de dialogue, il fait l’acquisition d’un vocoder. On ne sait pas si ce petit gadget électronique eut un quelconque effet sur sa progéniture, il eut en revanche un effet désastreux sur sa musique. Fasciné par cet objet il écrivit ainsi une poignée de titres censés mettre en valeur sa découverte. Peu de temps après, il forma le trans band , prestigieux conglomérat regroupant d’ex membres du Buffalo Springfield et des Stray gators, auxquels viennent s’ajouter quelques fidèles du Crazy horse.

Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des monde , Neil venant de signer un nouveau contrat avec le jeune label Geffen. Pourtant, la tournée qu’il s’apprête à effectuer restera dans les mémoires comme l’une des pires séries de concerts de sa carrière. Le public fut ainsi obligé de subir une série d’expérimentations dignes de Kraftwerk. Au bout de quelques minutes, la foule demande grâce, supplie son héros de ressortir ses vieux classiques. Trop plongé dans son délire pour prêter attention à ce désespoir, le loner persiste à jouer sa sous techno assourdissante. Dépités, une bonne part des spectateurs commencent à quitter la salle. Ils ne sont plus qu’une poignée quand le chanteur accepte enfin de récompenser les plus patients.

Cet événement fit dire à de nombreux observateurs que le canadien préparait son Metal machine music. Sorti quelques années plus tôt, Metal machine music fut un crachat que Lou Reed envoya à la figure d’un public qui refusa de reconnaître Berlin comme son plus grand chef d’œuvre. Lorsque Mister Young sortit Trans , en 1983, on vomit donc la faiblesse de cet œuvre médiocre tout en saluant la déclaration d’indépendance qu’elle devait soit disant représenter. Pourtant, malgré le fait que Geffen ait promis à son troubadour une liberté de créer totale, c’est bien elle qui insista pour qu’il sorte ce Trans.

A la place , Neil Young souhaitait publier un disque acoustique fait de contes de marins. Mais sa maison de disque pensait que ce projet ne pouvait séduire que quelques vieux nostalgiques, alors que la mélasse synthétique de Trans le ferait rentrer dans l’ère moderne. A cette époque, la musique électronique allemande avait encore pignon sur rue, ses bruitages servant de bandes-sons à quelques blockbusters et séries télévisées. Il n’y a donc pas grand-chose à sauver dans ce Trans , qui n’est qu’un disque au rabais promu par une maison de disque rendue sourde par l’appât du gain.

Le désastre commence en douceur, little thing call love étant une bluette agréable malgré son refrain cucul. On entre ensuite dans un univers glacé, un mouroir sans émotions, une prison sonore aux mélodies stériles. La boite à rythme palpite machinalement, triste cœur mécanique faisant se mouvoir une affreuse machine. Les claviers fredonnent leurs chants sirupeux, le vocodeur parvenant à rendre la voix du loner méconnaissable sur quelques titres.

Pour sauver ce qui peut encore l’être, Neil finit par jouer la carte de la nostalgie. Mais, plongé dans ce bain glacé, Mr soul est castré par une production qui gomme le tranchant de son riff. Incas road ressuscite ensuite les chœurs de Crosby Still and Nash , le geek redevient un poète chantant la grandeur des peuples libres. Mais ce riff stonien est trop basique pour réellement séduire , c’est le genre de rock à peine potable que ce bon vieux Keith produit à la chaine depuis Some girls.

Au bout du compte seul Geffen a pris ce disque pour ce qu’il était, c’est-à-dire un petit étron synthétique comme l’époque en défèque des kilos. Elle ne comprit malheureusement pas que le grand public avait déjà lâché son poulain, et les vieux fidèles refusèrent de devenir les dindons d’une telle farce.

Trans est à Neil Young ce que Human touch est à Springsteen, ou ce que Down in the groove est à Dylan, un mauvais souvenir que l’on cherche vite à oublier.