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lundi 9 août 2021

John Coltrane 3

 


-          Qu’est-ce que je dois jouer ?

-          Si tu es musicien, tu dois le savoir !

Voilà donc le premier échange que Coltrane eut avec Miles Davis. Le trompettiste ne lui avait pas dit un mot durant la tournée précédente, son regard méprisant suffisant à exprimer l’idée qu’il se faisait du jeune saxophoniste. Il ne fut pas le seul à mépriser ce musicien hésitant, la critique prit elle aussi le nouvel arrivant pour cible. « Manque de personnalité », voilà le reproche qui revint sans cesse. Les journalistes sont des fous qui pensent que l’on peut courir un marathon quelques semaines seulement après avoir appris à marcher. Il faut dire que Miles était devenu leur idole après la sortie de "walkin", disque qui le fit entrer dans l’ère du hard bop. Les pisseurs d’encre s’extasièrent devant les frasques de ce musicien extravagant, vantèrent la beauté de ses conquêtes autant que la grandeur de sa musique.

Miles disait souvent « la vie est une question de style ». Il avait compris que, dans le show business, l’allure du musicien compte presque plus que ce qu’il joue. Attiré par sa popularité, Columbia proposa au père du cool un contrat en or. Quand elle apprit ça, la maison de disque Prestige s’empressa de rappeler à sa figure de proue qu’elle lui devait encore quatre enregistrements. Voilà pourquoi, dans le studio où il vint enregistrer ces quatre disques d’une traite, Miles supporta assez mal les questions de son jeune saxophoniste.

Dans la salle d’enregistrement, aucune partition ne vint dire aux musiciens ce qu’ils durent jouer. Miles n’est pas du genre à s’embarrasser l’esprit de calculs compliqués avant d’enregistrer. Pour lui, le jazz est avant tout une musique spontanée, le studio n’est rien d’autre qu’un prolongement de la scène. Il se contenta d’exposer à ses musiciens un plan de bataille immuable. Il ouvrit la marche, sa trompette donnant la tonalité du morceau dans un long chorus d’introduction. Vint ensuite le tour de son saxophoniste, qui semblait tout de même gagner un peu d’assurance depuis le début des enregistrements. Une fois que la chaleureuse brise des cuivres retomba progressivement,  Phily Jo Jones imprima une rythmique classieuse digne d’Art Blakey. Celui qui ouvrit le bal le referma enfin sur un mélodieux chorus final.

Dès la sortie de "Cookin with the Miles Davis Quintett", premier volet d’une quadrilogie culte, la critique annonça que « Coltrane a brisé ses chaines ». Le constat ne fit que se renforcer lors de la sortie des trois opus suivants, ceux qui hier le vomissaient s’empressant de retourner leurs vestes. On salue aussi le souffle fascinant de Miles Davis, cette légère mélodie qui englobe son groupe dans un écrin relaxant. Coltrane part dans la direction opposée, son jeu rugueux et moderne est une main de fer dans ce gant de velours. Et c’est bien ça que la critique salue comme un événement historique, ce mariage des contraires qui fera les grandes heures de la période bop de Miles.

On ne peut pourtant pas encore affirmer que le swing coltranien pousse ici ses premiers cris. Dans "steaming", "cooking", "relaxing" et "working", Coltrane n’est rien d’autre qu’une marionnette entre les mains de son chef d’orchestre. Plus à l’aise sur les tempos rapides que sur les balades, Trane hésite parfois à intervenir, ses états d’âme laissant planer quelques silences qui ne nuisent heureusement pas au swing d’un quintett flamboyant. Malgré cette timidité, Miles parvint à utiliser la vélocité encore balbutiante de Coltrane.

Il commença toutefois à ne plus supporter les complexes de son saxophoniste, d’autant que le succès charriait son lot de tourments. Les concerts s’enchainèrent à une vitesse folle, poussant un Coltrane déjà hésitant à se réfugier dans l’héroïne pour tenir la cadence. Le jeune John arriva ainsi sur scène dans un état second, ce qui n’échappa pas à la surveillance de son patron. A peine sorti de scène, Miles le frappa violement. Témoin de l’agression, Thélonious Monk proposa à Coltrane de rejoindre son orchestre, ce que le saxophoniste n’accepta pas immédiatement.

Coltrane participa donc au dernier concert que le quintett de Miles donna dans la ville de Philadelphie, avant que le trompettiste épuisé ne congédie tous ses musiciens. Trane devint alors un musicien de studio enregistrant pour plusieurs gloires de son époque, dont le grand Sonny Rollins. Il forma également son premier orchestre, avec lequel il enregistra un premier album anecdotique. Cette période initiatique terminée, il se décida enfin à finaliser son apprentissage auprès de Thélonious Monk.                     

dimanche 8 août 2021

John Coltrane 2

 


Nous sommes dans les coulisses d’un club de Los Angeles, quelques minutes après la prestation de l’orchestre de Dizzie Gillepsie. Après son écart de conduite, Dizzy a finalement repris Coltrane. Le trompettiste est loin de se douter que, si son saxophoniste a réduit sa consommation d’alcool, ce n’est que pour la remplacer par l’héroïne. Cette cochonnerie circule bien dans le milieu du jazz, elle aide les musiciens à supporter le rythme des tournées. John s’était pourtant promis de ne plus toucher à la poudre blanche. C’était quelques jours plus tôt dans sa chambre d’hôtel. Epuisé par son travail acharné, il avait légèrement augmenté sa dose journalière, pensant qu’il méritait bien une petite friandise. A peine sniffée, la poudre sembla exploser dans son crâne. Il s’effondra alors brutalement, pour ne se réveiller que le lendemain. Sa gueule de bois fut alors si sévère qu’il se sentit comme Lazare revenu d’entre les morts.

Il repensa à cette anecdote quand un de ses collègues lui tendit une belle ligne de poudre de perlimpinpin, mais il était encore trop accroc pour refuser. Alors qu’il venait à peine de s’envoyer sa part, Dizzie débarqua dans la loge comme une tornade et prit ses musiciens en flagrant délit. Il se mit alors à hurler qu’il virait cette « bande de Jean Foutre ». La dope était alors une abomination redoutée par tout chef d’orchestre. Le drogué, en plus de devenir insolent, menteur et incapable de jouer, ne pouvait s’empêcher de diffuser son addiction comme une lèpre. Un musicien est atteint, et c’est tout l’orchestre qui bascule au pays des merveilles !

Encore assez lucide pour comprendre qu’ils perdaient leur job, les musiciens se mirent à supplier leur juge. On assista alors à ces scènes un peu pathétiquse que tous les chefs ont du vivre au moins une fois. Les courbettes s’enchainaient et l’on insista sur ses enfants à nourrir. Mais le jazz est plus important que le destin de quelques hommes, et seul Coltrane parviendra à convaincre Dizz de lui laisser une seconde chance. Le trompettiste ne conservait pas son saxophoniste pour préserver le destin d’un jeune musicien, mais parce qu’il connaissait son potentiel.

Coltrane suit donc le nouvel orchestre de Dizz à New York, capitale du jeune mouvement bebop. Après son set au Birdland, Art Blakey s’installe derrière la batterie, Bud Powell prend possession du piano, pendant que Sonny Rollins commence à déployer son souffle de colosse du saxophone. Ce n’est rien de moins que la crème du jazz moderne qui s’est réunie sur cette scène. Devant un tel festival de swing, Coltrane ne peut s’empêcher de rejoindre la cérémonie. Imperturbable, Art Blakey continue de déployer sa virilité pleine de finesse, Bud Powell rend hommage à Charlie Parker, mais Sonny Rollins ne se montre pas aussi bienveillant. Quand il voit arriver ce jeune prétentieux, le saxophoniste multiplie les accords alambiqués, invente les enchainements les plus traitres.

Celui qui n’est encore qu’un jeune apprenti plein de promesse est vite écrasé par la virtuosité d’un Rollins au sommet de sa gloire, il s’efface alors derrière cette armée d’élite. Dans le public, un homme le toise d’un air méprisant. Il s’agit de Miles Davis, la nouvelle gloire du mouvement bebop. Sonny Rollins est son saxophoniste, le seul selon lui qui puisse réaliser ses grandioses visions. Perturbé par cette soirée, Coltrane arrive en retard et ivre au concert de son orchestre, ce qui lui vaut une expulsion définitive.

Trane passe les semaines suivantes dans de petites formations de Philadelphie. Il s’est acheté une maison proche de ses lieux de concerts, ce qui lui laisse plus de temps pour rattraper son retard. Après chaque gig, il s’entraine avec un acharnement décuplé par l’humiliation qu’il vient de subir. Pendant que John Coltrane rattrape son retard, Miles Davis décide de marquer une pause dans sa carrière. Il retourne alors chez son père, s’enferme dans sa chambre, et n’en ressort qu’après s’être débarrassé de son addiction à l’héroïne. Cet exil durera quelques jours, période pendant laquelle Sonny Rollins va lui aussi tomber dans la dope.

Ne se doutant de rien, les journaux annoncent déjà le retour du « plus grand orchestre de jazz depuis la disparition de Charlie Parker ». Bird a en effet rendu son dernier souffle chez la baronne De Koenigswater, l’alcool et la drogue ayant donné à ce jeune trentenaire une allure de vieillard malade. Le monde du jazz est convaincu que Miles est le seul à pouvoir faire oublier le souffle du regretté oiseau - c’est pourtant le moment que Sonny Rollins choisit pour l’abandonner.

Ne trouvant personne pour le remplacer, Miles se résigne à rappeler ce jeunot qu’il croisât au Birdland. John Coltrane est un choix par défaut, un blanc bec ne devant sa place qu’au fait que personne n’était là pour prendre sa place. Loin d’être connu pour sa bienveillance, Miles ne se gêna pas pour rabaisser ce qui n’est encore qu’un jeune musicien timide.  

vendredi 6 août 2021

Merci Miles

 

Miles c’est d’abord le bebop, swing sacré qu’il apprend sous l’influence de Lester Young. « La vie c’est d’abord une question de style » dira notre trompettiste quelques années plus tard. Or, Lester Young avait tout, à commencer par ce sacré style. Il fallait le voir zigzaguer au milieu des tripots, sa silhouette frêle de génie anorexique emballée dans un manteau trop large. Le vent secouait ce large pardessus comme le drap d’un fantôme, le président errant comme une âme en peine dans les rues malfamées. Il aurait aimé faire partie de ces prostituées et de leur mac, de ces ouvriers et de ces bourgeois venus s’encanailler. Ils vécurent l’un des moments les plus importants du jazz , les début du prez.

Le bebop est né dans des quartiers entièrement voués à la débauche, des rues où chaque enseigne vous proposait d’oublier la dureté de la condition ouvrière dans le jeu, les bras d’une fille, ou à l’aide de spiritueux divers et variés. Mais ne croyez pas que l’on se soûlait comme des sagouins, que l’on s’y dévergondait bruyamment. L’ordre officiel n’entrait pas dans ces maisons, mais un autre veillait au grain. Quand un client manifestait sa joie un peu trop bruyamment, quand un de ces hommes avait l’alcool mauvais au point de casser l’ambiance, il était vite sorti par quelques gorilles. Une fois dehors, les types lui apprenaient la politesse à grands coups de lattes. Les trouble-fêtes pouvaient ensuite s’estimer heureux s'ils ressortaient vivant d’un tel châtiment.

Parfois, la scène de certains de ces clubs était laissée aux voyageurs assez audacieux pour tenter leur chance. Ceux qui s’y risquaient avaient intérêt à savoir jouer, les gérants supportant assez mal qu’un petit branleur vienne cassez les oreilles de la clientèle. Si un prétentieux se mettait à souffler dans son instrument comme un dindon asthmatique, le service d’ordre lui réservait le même sort qu’aux clients indélicats. De ce côté, le président n’avait rien à craindre. Dès que prez montait sur scène, c’est comme s'il enveloppait le public dans ses nuages voluptueux. D’une douceur irrésistible, son phrasé vous coulait dans les oreilles comme un doux nectar sur votre palet.

Ce son-là, Miles allait passer sa vie à se l’approprier, à le transformer au gré de ses lubies. Dès la sortie de Birth of the cool , le grand Miles développait aussi sa capacité à marier les contraires. Lors de son âge d’or, sa sobriété répondait à l’excentricité mystique de Coltrane, la timidité du pianiste Gill Evans obligeait le fougueux Jimmy Cobb à retenir ses coups. Ce que Miles put regretter le groupe de Kind of blue ! Il ne fut jamais aussi désespéré que lorsqu’il fallut trouver un remplaçant à l’irremplaçable Coltrane.

Le monde du jazz cédait alors aux assauts du free et il ne se sentait pas apte à défendre la forteresse bebop. Miles vomissait cette musique sans structure, ce brouhaha où il ne reconnaissait pas l’énergie sacrée du swing. Le jazzman sans structure était pour lui comme un marin sans phare, ce fou d’Ornette Colemann allait emporter le jazz dans son naufrage. Le grand Miles était plus dur à cuir que ces pseudo explorateurs, il trouva une nouvelle voie en flirtant avec un rock que nombre de jazzmen méprisaient. 

Le déclic sera sa rencontre avec Tony Williams, un gamin qui avait déjà la force et la maturité d’un homme. A 17 ans, le petit donnait l’impression d’avoir réussi à maitriser son instrument avant de savoir parler, son jeu puissant ouvrait de nouveaux chemins. Dans le même temps Teo Macero proposa à Miles de venir retirer le pain de la bouche de tous ces rockers ultra populaires. La mutation se fit progressivement, Miles In the Skies proposant un compromis entre la virtuosité du jazz et l’excentricité de la pop anglaise.

Le déclic qui initiera vraiment ce que l’on nomme désormais le jazz fusion, Miles le trouvera en assistant à un concert de Jimi Hendrix. Sous l’influence du voodoo child , il ajouta un peu de funk à son rock en fusion , se rapprocha encore d’un rock de plus en plus dur grâce aux doigts de fée de John Mclaughlin.

Ce mélange de rock , de funk et de jazz , Miles ne cessera d’en augmenter la puissance jusqu’à cette maudite année 1975. Victime de mal de dos, et refusant de monter sur scène dans la peau d’un vieillard fatigué, le grand Miles abandonna alors sa trompette. Il ne la reprendra pas avant 1981, date qui marque une envie de se rapprocher d’une pop de plus en plus moderne. Je ne m’étendrais pas trop sur cette période, ceux que ça intéresse peuvent se diriger vers le dossier du douzième numéro de Rock in progress.

Cette période fut en effet une parenthèse, l’inventeur du cool n’ayant pas réellement renoncé à son swing funky. C’est ainsi que, au crépuscule de sa vie, Prince lui écrivit les titres Jailbait et Penetration , qu’il joue pour la première fois sur la scène du festival jazz à Vienne. Miles a toujours adoré la France , ce pays où la couleur de peau ne compte pas, où tous les hommes naissent et demeurent égaux en droit. En Amérique, on le casait dans des coulisses où vous n’auriez pas fait dormir votre chien, on l’emmenait au poste de police quand il flirtait avec une blanche. En France, il sortait avec Juliette Gréco et discutait avec Jean Paul Sartre, le public l’accueillait comme un demi dieu.

Alors, pour un de ses derniers concerts, il allait offrir à ce pays béni des dieux le récital qu’il mérite. Derrière lui, la batterie moulina comme un cœur farouche, la basse se mit à groover comme le James Brown de Sex machine. La trompette de Miles a de son côté abandonné l’agressivité d’albums tels que Dark magus ou Phaedra , elle gagne en maturité ce qu’elle perd en puissance. Miles joue une nouvelle fois sur les contraires, son souffle zigzague gracieusement au milieu d’un décor foisonnant.

On retrouve sur plusieurs titres le phrasé majestueux de Kind of blue , cette splendeur solennelle , aussi sobre que grandiloquente. Le jazz fusion de ses précédentes années atteint ici une nouvelle forme de perfection, parvient à garder sa richesse en abandonnant son agressivité. C’est une musique faisant le lien entre sa grande époque Coltranienne et son jazz fusion groovy , un au revoir semblant résumer son histoire en quelques minutes.

Trois mois seulement après cette prestation, l’inventeur du cool partit rejoindre ses mentors Charlie Parker et Lester Young. L’histoire retiendra donc qu’il livra sa dernière grande prestation dans notre beau pays. A l’écoute de ces bandes, les spectateurs qui furent présents ce soir-là comme les amateurs de grandes musique n’auront que deux mots à la bouche : Merci Miles !

mercredi 4 août 2021

Philippe GONIN : "Magma : décryptage d'un mythe et d'une musique"


Voici un ouvrage absolument incontournable pour décrypter et comprendre le mythe et l'énigme Magma, ses influences complexes et variées, la multitude de musiciens (le plus souvent très talentueux - on peut citer notamment Jannick Top et Didier Lockwood) qui ont accompagné Christian Vander le batteur-leader-compositeur depuis le lancement de la formation en 1969 et son univers si particulier. Un groupe unique, tellement à part, qu'il créera sa propre langue, le kobaïen et sera même à l'origine d'un style musical, le zeuhl, mélange d'influences qu'on peut sommairement définir comme se situant entre le jazz rock, le rock progressif, l'opéra wagnérien et la musique moderne du début du XXeme siècle...
Philippe Gonin signe un ouvrage très documenté, qui perce en partie le mystère Magma jusqu'à livrer quelques "secrets" (notamment sur la création des deux trilogies, clés de voute de l'oeuvre de Magma) sur un groupe qui tout en étant rigoureux et cartésien sait aussi manier à merveille la démesure et l'extravagance.

La première partie est consacrée à un survol de l'historique du groupe, ses débuts à une époque où le rock français était proche du néant hormis quelques rares formations telles Variations, Ange et deux ou trois groupes pop/rock comme Martin Circus, ses influences musicales (Carf Off, Bartok, Stravinsky, Wagner, le gospel et le rythm'n'blues, Pharoah Sanders et bien sûr John Coltrane, saxophoniste dont Christian Vander grand fan devant l'éternel ne s'est jamais remis du décès en 1967) et vocales (avec l'importance accordée par Magma aux choeurs, notamment féminins), sa cosmogonie (dont le fameux logo n'est que la partie la plus visible), son univers, sans oublier le côté spirituel de l'œuvre ...

La seconde partie est une analyse détaillée des albums y compris (mais davantage survolés) ceux d'Offering et les albums solo de Christian Vander ("Les cygnes et les corbeaux notamment").
L'auteur évoque l'instabilité chronique du groupe, la main mise de Christian Vander sur Magma, son apogée entre 1973 et 1976 (avec les albums "Mekanïk Destruktïw Kommandöh", "Köhntarkösz" et "Üdü Ẁüdü" - également le live 75 avec la présence de Didier Lockwood), son (relatif) déclin, sa mise en sommeil entre le milieu des années 1980 et 1992 et sa résurrection avec les albums "K.A" et "Ëmëhntëhtt-Rê". Mais aussi ses zones d'ombres notamment l'accusation qui sème le trouble au début des années 70, celle de véhiculer une idéologie fasciste, accusation qui ne sera jamais véritablement démentie (mais qui semble infondée). Quelques concerts seront perturbés mais cela nuira surtout à l'image du groupe. Si j'évoque ce thème, loin d'être central dans le livre, c'est qu'en découvrant Magma au début des années 80 ces soupçons d'idéologie sulfureuse collaient encore à la formation et m'avait un peu refroidi et détourné - provisoirement - du groupe (bizarrement on peut faire le rapprochement avec les accusations portées contre Blue Oyster Cult à la même époque et pour des motifs souvent similaires).

L'auteur, guitariste, mais aussi maître de conférences à l'université de Bourgogne, spécialisé dans le rock et notamment dans la création insiste de fait beaucoup sur l'aspect technique, la description des œuvres et le processus de composition et c'est là sans doute l'intérêt majeur de l'ouvrage que de montrer comment un tel groupe compose (essentiellement Vander même si d'autres musiciens ont apporté leur pierre à l'édifice), comment les morceaux prennent forme et comment les nouveaux titres sont joués pendant des mois voire des années en concert, dans différentes versions, avant d'être enregistrés (ou pas) en studio, une fois jugé définitivement aboutis par Vander.
Dans un registre similaire l'auteur aborde une autre particularité de Magma à savoir le fait que certains morceaux peuvent être abandonnés plusieurs décennies durant avant d'être enregistrés en studio. L'album "K.A", paru en 2002, est à la base une composition datant de la première partie des années 70, laissée de côté puisqu' étant jugée non satisfaisante puis reprise, améliorée et finalement réenregistrée dans une nouvelle version !
Pour corser le tout Magma incorpore également parfois des morceaux ou des passages existants déjà en tant que tels et ayant déjà été enregistrés en studio dans de nouveaux titres...
L'exigence de Vander dans ce long processus créatif est bien sûr analysée, décryptée et décortiquée avec minutie par Philippe Gonin.
Juste dommage que la création et le rôle du label Seventh records soient abordés un peu rapidement.

"Magma : décryptage d'un mythe et d'une musique" est assurément un ouvrage indispensable sur l'un des groupes les plus fascinants de la galaxie jazz / rock.
Et si l'auteur est fan du groupe il n'en oublie pas de garder de son esprit critique et une certaine objectivité.
(Encore un excellent bouquin paru aux Éditions "Le mot et le reste" dont il convient de saluer le travail remarquable effectué dans le domaine des ouvrages liés à la musique et notamment au rock). 

John Coltrane 1

 


La mère de Coltrane regardait son bulletin de notes avec admiration. Le jeune garçon fit partie de ces gamins qui absorbent tout ce qu’on lui propose d’apprendre. Sur la feuille tant redoutée par la plupart de ses camarades, les enseignants déposaient leurs éloges comme autant d’offrandes faites à l’enfant prodige. Dans la famille, on est émerveillé par ce garçon travailleur et calme, ce petit homme qui semble déjà plus discipliné que la plupart de ses ainés. Situé à quelques kilomètre de la capitale de la Caroline du Sud, Hamlet n’est pourtant pas le lieu idéal pour l’épanouissement d’un petit enfant noir. La ségrégation est appliquée de la façon la plus rude, les blancs n’hésitant pas à rosser un noir qui aurait, selon eux, regardé une blanche de manière trop appuyée.

John ne semble pas trop souffrir de cette tension ambiante, l’enfance est une bulle qui semble le protéger de la bêtise de certains adultes. Intéressé par tout mais sans passion, le gamin s’applique à tout ce qu’on lui propose d’apprendre, suit les instructions de ses ainés avec rigueur. La musique est bien sur omniprésente, sa mère ayant rêvé de devenir chanteuse alors que son père a tenté une carrière de musicien, qu’il dut vite abandonner pour faire bouillir la marmite. Sous l’influence de ses parents , et du révèrend de l’église locale, John prend ses premières leçons de clarinette. Il partage alors son temps entre les parties de foot dans un club local, et des leçons de clarinette qui le voient progresser rapidement. Il parvient ainsi à jouer dans quelques orchestres locaux.  

La radio tourne en permanence dans la maison, elle déploie une bande son variée, un bruit de fond rassurant. Ce fond sonore marqua le jeune John Coltrane au début des années 40.

C’est à cette époque qu’il est hypnotisé par un son moelleux et mélodieux, un nuage cuivré ouvrant la voie de la révolution bebop. Ce son, c’est celui du saxophone de Lester Young , ex musicien de Count Basie que l’on commence à surnommer "président". John décide alors de devenir saxophoniste et ne pense plus qu’à la musique. Alors que ses résultats scolaires s’effondrent, John parvient vite à se confectionner un son velouté, qui lui vaut d’être intégré dans un orchestre militaire.  De 1945 à 1946 , John joua un répertoire fait de chansons populaires, de blues et de jazz à une assemblée de soldats ravie de cette récréation. Cette période permet aussi au jeune homme d’obtenir une bourse lui permettant de se consacrer pleinement à la musique.

Il passe alors le plus clair de son temps à reproduire les classiques de Charlie Parker, Lester Young, Coleman Hawkins, qui forment la sainte trinité du jazz moderne. Il s’inscrit également à une école de musique, où la rapidité de ses progrès impressionne ses professeurs. A raison de deux leçons par semaine, complétées par un entrainement intensif, Coltrane devient un maitre des harmonies et lit les partitions comme si il s’agissait de livres pour enfant. Ses progrès lui permettent d’intégrer le big band de Joe Webb, qui est un des derniers avatars d’un monde qui se meurt. Devenus trop onéreux, les big bands disparaissent les uns après les autres, Duke Ellington étant un des rares grands musiciens capable de maintenir une telle formule. Suivant cette évolution, Coltrane quitte le rang des saxophonistes altos pour rejoindre celui des saxophonistes ténors inventé par Coleman Hawkins.

Il n’aura donc fait que 4 mois dans un  big band de 12 à 14 musiciens, cette courte période lui permettant de se faire des contacts dans le monde naissant du bop. De nouveau seul, Coltrane intensifie son entrainement, imite le jeu de Charlie Parker pendant des heures. Quand des voisin excédés parviennent à faire taire son souffle acharné, il continue de travailler le déplacement de ses doigts sur les touches de son saxophone. La nature ayant horreur du vide, les quintets de bebop ont remplacé les grands orchestres. Coltrane est alors embauché dans celui de Dizzie Gilepsie, un trompettiste notamment connu pour ses improvisations en compagnie de Charlie Parker.

Le bop n’est pas une musique de musiciens académique, c’est un swing qui se déploie dans de grandes improvisations collectives. A New York, le Milton vit Charles Mingus partager la scène avec Thelonious Monk et Charlie Parker , ces trois génies improvisant jusqu’au petit matin. Après avoir participé à son premier enregistrement pour Dizzy, John se rend vite compte que son jeu est encore trop immature.

Dans les concert du quintet, Dizzy lui hurle régulièrement « Souffle bon dieu ! Souffle ! ». Coltrane a la technique mais pas le coffre, il entre dans un nouvel univers qui lui impose de nouvelles barrières à franchir. Si l’apprenti bebopper est d’une rigueur exemplaire dans son apprentissage, il est beaucoup plus léger dans sa vie privée. C’est ainsi que Dizz finit par le virer après qu’il soit arrivé ivre à l’un de ses concerts. John essuie ainsi son premier grand revers, il ne se doute pas que les prochains jours lui réservent une leçon aussi cruelle que vitale.                

mardi 3 août 2021

Neil Young : Are you passionate

 


Onze septembre 2001, les images défilent sur les télévisons du monde entier. On se souvient tous de cette scène horrible, de ce double attentat mettant fin aux illusions de l’occident. Les Etats Unis pensait qu’une guerre ne pouvait éclater sur leur sol, que leur superpuissance économique et militaire rendaient leur sol inatteignable, Ben Laden venait de leur prouver le contraire. Ce qui marqua moins les esprits en ce jour tragique, c’est le courage des passagers du quatrième avion détourné. Quand ceux-ci comprirent que leur véhicule allait s’écraser sur la maison blanche, ils luttèrent désespérément pour empêcher un tel drame. Résultat, ce qui devait être le point d’orgue de l’opération terroriste termina sa course dans un champ de Pennsylvanie.

C’est à ces hommes au courage exceptionnel que Neil Young voulut rendre hommage sur Are you passionate. Pour se faire, il fit appel au groupe Booker T and the MG’s , pointure du rythm n blues ayant fait ses classes auprès d’Albert King et d’Otis Reading. Sur le papier, cette collaboration ne parut pas choquante. Neil a déjà joué le rythm n blues sur l’excellent « A notes for you », on put donc s’attendre à un retour de ce qu’il fit avec le groupe Blue note. On oubliait que le rythm n blues de Booker T and the MG’s est plus mélancolique, plus sophistiqué. C’est un décor grandiloquent fait pour des voix aussi charismatiques que celles d’Albert King et Otis Reading , pas pour un poète à la voix gémissante comme le loner.

D’ailleurs, le canadien n’est pas à l’aise dans ce décor grandiloquent, son chuchotement semble se cacher derrière le swing de ses musiciens. Booker T and the MG’s sont les fiers descendants de BB king, leur énergie sur des titres comme You’re my girl ou Let’s roll sortent un peu cet album de l’apathie dans lequel le chant marmonné de Neil Young l’enfonce. On ne peut que constater que Neil et son nouveau groupe ne parviennent pas à s’harmoniser, leurs parties semblent isolées sur deux rails parallèles.

Le fossé qui sépare ces musiciens est flagrant sur des ballades comme Say you love me. Toujours impeccable, Booker T and the MG déploie une mélodie groovy à souhait, le genre de rampe sur laquelle les grands crooners aimaient s’élancer. Sauf que Neil est le contraire d’un grand crooner, c’est un solitaire mélancolique, un paria au chant plus contemplatif que grandiloquent. Il parait donc en permanent décalage, ses larmoiements ralentissent les rythmes comme des boulets de plomb. 

Pour apprécier ce Are you passionate, il faut oublier Neil Young. On peut alors apprécier le feeling d’un groupe ayant servi les plus grands, s’enthousiasmer sur les rythm n blues les plus purs. Les fans, eux, se consoleront avec le titre Going home, petit morceau de bravoure où le Crazy horse sauve son cavalier de la débâcle le temps d’un titre.  

lundi 2 août 2021

Le magazine d'août

En couverture cette semaine : un dossier de plus de 60 pages sur le loner. 
Vous trouverez aussi un excellent article sur la musique amérindienne signé JeHanne. 
De son coté , Nico a fouillé dans sa bibliothèque pour en sortir l'excellent hippie hippie shake de Richard Neville. 

Cliquez sur l'image pour découvrir ce vingtième numéro: