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vendredi 23 août 2019

The Who : Quadrophenia


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Quel album représente le mieux le génie des Who ? En ce milieu des seventies la question n’est pas aisée. Les plus puristes vous diront que ce ne peut être que le live at leeds , le groupe n’ayant jamais réellement réussit à restituer en studio la folie qu’il déployait sur scène. C’est à cette catégorie que l’on doit la controverse qui entoura la sortie de tommy, une partie saluant le chef d’œuvre pendant que l’autre s’indignait de cette musique pompeuse, qui semblait rapprocher les who des grands excentriques pop.

Who’s next réconciliera tout le monde , son enchaînement de tubes, rehaussés par les sifflements futuristes du clavier, faisant entrer leur rythm n blues primaire dans la nouvelle décennie seventies. La conception fut pourtant un traumatisme pour Townshend , qui voulait au départ concevoir un opéra rock encore plus ambitieux que Tommy. Pour éviter de reproduire le même échec, il produit seul les démos de l’album suivant, jouant de tous les instruments pour s’assurer de la bonne reproduction de ses idées. Le groupe se retrouve ainsi face à des démos très abouties, qu’il est prié de reproduire le plus fidèlement possible.   

Voilà pourquoi Quadrophenia est aux Who ce que the wall fut à pink floyd , un monument à la gloire de la mégalomanie de leur leader. D'une certaine façon, on peut voir dans cette démarche la fin d’un âge d’or, et nombreux sont ceux qui, encore aujourd’hui, n’hésitent pas à partir dans cette conclusion hâtive.  

Ils pourraient ajouter que cette histoire de mods paumés fut trop anglaise pour séduire l’Amérique , et passa sans doute pour une œuvre passéiste pour les fans de rock de l’époque. Sur l’album précèdent , les who s’imposaient comme les maîtres de leur époque , apportant le son de synthés qui venaient juste d’émerger, et les voilà qui reviennent avec une histoire plantée dans une angleterre poussiéreuse.

La fête parait déjà se terminer quand le disque sort en 1975 , les premières difficultés économiques se font ressentir en Angleterre , et donneront bientôt naissance à des légions de jeunes à crête jouant une musique à la simplicité nihiliste. Ces hordes de sauvages à collerettes devaient tout aux who , qui annoncent d’ailleurs leur avènement avec « the punk and the godfather », la guitare cinglante prédisant  les futures pavés sonores des sex pistols.

Quadrophenia ne partage avec Tommy qu’un concept dramatique, et inspiré du mal être de leur géniteur, le son de quadrophenia étant à l’opposé de son ainé. Tommy fut froid et mesuré, Quadrophenia s’avère chaleureux et exubérant.

Les cuivres apportent plus de consistance au son tranchant du groupe, pendant que Keith Moon peut déchaîner ses fûts, pour annoncer des refrains aussi mémorables que les grands classiques mods des années 60. Et puis il y’a cette production unique, qui rendra la reproduction de ses titres impossible en concert.
                          
Sorte de pont entre les expérimentations des grands génies du son (beatles, Spector) et l’agressivité qui marquera les années à venir, ce son entre deux ages est sans doute le plus proche des ambitions de Townshend.

Les bruitages s’insèrent dans les titres, comme pour planter le décor d’une œuvre qui ressemble à un grand film musical, la version cinématographique ne tardera d’ailleurs pas à sortir. Ce côté conceptuel n’empêche pas quelques titres de sortir du lot. On retiendra bien sûr surtout les passages les plus sauvages , précurseur d’un futur où l’énergie comptera plus que tout autre détail technique (the punk and the god father , bell boy). Mais il ne faudrait pas oublier la puissance lyrique qui qualifie le son des who autant que sa violence, et qui trouve encore sa plus belle expression sur des titres comme love reign o er me , ou le plus doux et presque Nashien almost cut my hair.
Une chose est sûre , quadrophenia est une œuvre dont la richesse parait déjà d’une autre époque, les tendances extrêmes des années à venir balayant la finesse de la génération des who, à coups de riffs envoyés comme des décharges, ou lourds comme des secousses sismiques.

Les ventes du disque seront encore plus que correctes, mais la tournée qui suivra tournera au fiasco. Incapables de s’accorder sur les bandes préenregistrées censées planter le décor musical qu’ils ont inventés, les Who avaient commis l’irréparable : produire un disque injouable en live.

Comme si , à travers cet échec , c’était la fin de leur règne qui s’annonçait. On ne me retirera néanmoins pas l’idée que ce Quadrophenia reste un de leurs disques les plus brillants et somptueux.


mardi 20 août 2019

Iggy Pop and the Stooges : Ready To Die



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La nouvelle est tombée comme une bombe : les stooges se reforment. Iggy ne pouvait achever la carrière du plus grand groupe maudit avec le mitigé the weirdness. Et puis il fallait rendre un dernier hommage à Ron Asheton, parti rejoindre Johnny Thunders au paradis des loosers magnifiques.  Pendant des années, les stooges furent le groupe à abattre, le destin, le show business , et un public encore coincé dans les vapes psychédeliques refusant de lui tresser la couronne de lauriers qu’il aurait mérité.

Les stooges ont tout de même survécu pendant cinq ans , cinq années de carrière chaotique qui laissèrent Iggy exsangue. L’homme mettait littéralement sa vie en jeu lors de chaque concert, se shootant pour accentuer son charisme bestiale, le succès n’était pas encore là, et pourtant la légende de l’iguane naissait dans les petites salles où les stooges survivaient.

Il faudra toute la patience et le génie d’un Bowie pour sortir l’iguane de sa période sordide. En lui rendant visite pendant son internement en hôpital psychiatrique, avant de produire « the idiot » et « lust for life » , Bowie a ouvert la deuxième partie de la carrière d’Iggy.

La suite on la connait, Bowie joue china girl afin d’offrir des royalties à son ami dans la dèche, il s’occupe discrètement du clavier lors des concerts suivant la sortie de « lust for life » , et lui permet de survivre jusqu’à l’arrivée inespérée du succès. Sorti en 1996, trainspotting transformait « lust for life » en tube plus de dix ans après sa sortie. « D’un seul coup , j’entendais « lust for life » dans tous les bars » dira l’intéressé.  

Alors quoi de plus logique que de clore la romanesque histoire de ses stooges avec un disque nommé « ready to die » ? L’enjeu n’était pas seulement de produire un chant du cygne digne de ce groupe légendaire, Iggy devait encore prouver qu’il était bien vivant. Car aux affres de la loose ont succédé les compromis fait à un show business qui découvrait d’un seul coup le pouvoir de fascination de l’Iguane. Transformé en homme sandwitch pour des marques diverses et variées , se fourvoyant dans des productions très pop et sans saveur, l’homme semblait vouloir décrocher le jackpot à n’importe quel prix.  Loin de s’en excuser, il résumera sa philosophie avec un nihilisme très punk «  le rock est surtout présent dans les pubs, je suis donc content d’y mettre mes morceaux ».

Voila pourquoi l’ex précurseur des hordes punks apparait ici dans une ceinture de dynamite , le viseur du public pointé sur sa chaire impie. Heureusement, « ready to die » est une véritable résurrection. Reprenant la formule de search and destroy, qui alternait charges corrosives et accalmies tendues, il voit les stooges reprendre les choses-là où ils les avaient laissé.

L’ouverture tout en muscle s’impose comme un echo à « search and destroy » , la bombe atomique ouvrant « raw power » . La guitare rugit de nouveau au milieu de musiciens soudés comme la horde pré punk qu’ils furent à la grande époque. Au milieu de ce déluge, certains regrettent qu’Iggy reprennent parfois le ton de crooner qu’il apprit lors de l’enregistrement de « lust for life ».

Aux hymnes à la débauche tels que « penetration » ou « shake appeal » succèdent des ballades langoureuses , pas toujours dénuées d’agressivité (beat that guy), mais où Iggy s’impose plus comme un vieux sage procurant ses leçons de vie que comme le monstre débauché qui le fit connaitre.

La critique est fondée, mais elle oublie un peu vite que l’homme a survécu en variant ses registres , et que c’est cette voix chaude qui fit le sel de « the passenger » et autres tubes de sa carrières solos. Iggy ne s’est pas adouci, il a juste mûri, montrant ainsi qu’il était encore bien vivant.    


the YOUNG GODS : TV SKY (1992)

Formation :
Franz Treichler : chant, guitare
Alain Monod : samples, claviers
Urs Hiestand : batterie





Formé en 1985 The Young Gods est un groupe suisse, l'un des plus intéressants et parmi les plus passionnants des années 90 (et ensuite également !!) dont il fut un des groupes phare, catalogué rock industriel mais dont la palette musicale va au delà du style purement « indus » car les influences de Young Gods recoupent plusieurs facettes et diverses sources comme le montre leur riche discographie (un éclectisme qui fait que chaque album est différent des autres et que le groupe se renouvelle sans cesse).

Un groupe touche à tout aussi à l'aide en reprenant du Kurt Weil, en acoustique, en pop/rock traditionnel ou avant-gardiste, en électro ou en métal industriel (et même musique de court métrage d'animation "Kali le petit vampire"). Pour preuve : à part Magma quel groupe peut jouer quasiment à la même période à un festival de jazz (en l'occurrence celui de Montreux) puis au Hellfest ? Young Gods bien sur et je n'en vois pas d'autres.

Une grande diversité musicale donc et à chaque fois avec bonheur et réussite. Aussi vouloir les réduire à un style musical serait beaucoup trop réducteurs.
Mais il reste néanmoins une valeur sure du rock « alternatif » et du rock  « indépendant » de ces trente dernières années.

Et Young Gods a également toujours eu la réputation d'être très bon sur scène  ce que j'ai pu constater de visu lors de leurs concerts avec Treponem Pal, Coroner et Kill the thrill...
Sorti en 1992 « TV Sky », le quatrième album du groupe mais aussi l'un de leur meilleur, le plus agressif, le plus électrique. Et en plus il est remarquablement produit, notamment dans le bon équilibre entre samples et guitares, tout en restant globalement rock.
Il suffit d'écouter l'enchaînement « TV sky », « Skinflowers », « Dame chance » et « The night dance», les meilleurs titres de l'album, pour avoir une idée de la qualité et de l'importance de « Tv Sky » à cette époque où le rock industriel n'en était qu'à ses balbutiements. Sur « Dame chance » et « The night dance » le dosage entre techno/électro et électrique est parfait. Les samples sont une réussite totale.


Même les morceaux moins rentre dedans et plus expérimentaux comme « She rains » sont vraiment bons. « She rains » c'est le côté plus poétique des Young Gods.
La deuxième partie (deuxième face) est différente et toutefois un peu moins bonne à mon goût ; on y découvre une autre facette de Young Gods, plus calme, plus posée, plus planante, plus expérimentale.
« Summer eyes » titre de 19 minutes fait largement penser aux Doors (« Riders on the storm ») par certains passages, dommage que ce soit juste un peu long et qu'il perd un peu en intensité sur la durée.


Le groupe maîtrise décidément tous les styles qu'il touche et une ambiance particulière et sympa se dégage de cet album, beaucoup de feelings.
Moins sulfureux et agressif que Ministry « Psalm 69 » sorti la même année (encore que « TV sky » et « The night dance » dépotent pas mal, agressifs et avec un beat rapide et irrésistible) mais plus diversifié.


Il n'en demeure pas moins que le trio suisse a donc largement apporté sa pierre à l'édifice du rock industriel dans les années 90.
Pour moi « TV sky », « avec Only Heaven » (l'autre album majeur des Young Gods, sorti en 1995), représente l'apogée musicale du groupe, mais selon ses propres goûts chacun aura peut-être une autre période préférée.



samedi 17 août 2019

Gov't Mule : eponyme


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Nous sommes à Jacksonville , dans un de ses bars miteux qui ont vus les débuts de tous les grands noms de ce rock sudiste. Le temps ayant accompli son œuvre destructrice, les fringants rockers de l’époque sont devenus de respectables hommes mures, et trois d’entre eux parlent de la musique locale avec la même fièvre qu’ils avaient à vingt ans.

Le premier,  le ventre arrondi par la convivialité des bars locaux , a pris les mêmes traits que ses musiciens préférés. Le second, avec son visage tiré et sa carrure rachitique, ressemble à Clint Eastwood avec une barbe à la ZZ top. Entre ces deux cow boys fatigués, un des derniers descendants des cherokees marque les esprits grâce à son air sévère, le temps semblant lui avoir donné une aura fascinante proche de celle des vieux shamans.

Pour une meilleur compréhension de notre récit, chacun sera appelé par son sobriquet, nous avons donc dans l’ordre : John Wayne , le clodo du texas , et Geronimo.

JW : De toute façon notre putain de scène est morte le jour où l’avion de Lynyrd s’est écrasé.
LCDT : Toi et ton traditionalisme niais ! Molly et point blank ont entretenu la flamme, même si ton équipe de vendus pompait toute la lumière.
G : Dis donc les mecs, je sais bien que vous avez massacré les autochtones en arrivant, mais c’est pas une raison pour oublier Blackfoot.
JW : Qu’est-ce que ça peut foutre que leur guitariste soit un cherokee ! Hendrix lui-même en était un. Le fait de le souligner c’était juste une façon de faire oublier qu’ils jouaient une sorte de hard rock enfantin. Même Status Quo passait pour des virtuoses à côté de ces pignoufs.

G : Quand ton groupe avait besoin d’un guitariste, t’étais bien content de voir arriver un pignouf pour jouer « sweet home alabama » pendant des années.
LCDT : Vous n’allez pas remettre le couvert avec Blackfoot ! Surtout que vous avez raison sur un point, il ne se passe plus grand-chose ici depuis des années.
G : Les black crowes tiennent encore le coup.
JW : Des putains d’angliches ouaip !
LCDT : Arrête de déconner ils sont texans. Niveau américains profonds on ne fait pas beaucoup mieux.
JW : Mais je ne te parle pas de ça ! Les crowes ont pompé leur son sur Jimmy Page et Keith Richard, j’ai rien contre led zepp et les stones mais je ne les range pas dans le même sac que Lynyrd.
G : De toute façon leur dernier album est déjà moins bon que les deux premiers, et il parait qu’ils prévoient une tournée avec Jimmy Page. S’ils commencent déjà à réciter leur led zepp c’est que ça ne va pas tarder à partir en cacahouète.

D’un seul coup la discussion se suspend , un jeune groupe vient de prendre place sur scène , et le visage de son leader est bien connu.

Warren Hayne : Salut Jacksonville , certains me connaissent peut être depuis que je suis passé avec les allman brothers, je suis ravi de revenir dans cette ville historique.

JW au milieu des applaudissements: Tu parles si on s’en souvient ! Tout le bar planait totalement c’était un pied monumental.

Warren Hayne : Aujourd’hui je viens vous présenter mon nouveau groupe, formé avec un autre ex Allman. Merci de faire un triomphe à gov’t mule ! Nous allons jouer notre premier album qui vient de sortir.

La dessus Warren Hayne entame un talkin blues qui ravit ces amoureux de musique américaine . On a presque l’impression d’entendre muddy watter , ou Bo Diddley, marchant dans les rues, en prononçant les complaintes du peuple afro américain.
Puis le groupe entre dans la danse, puissant et virtuose, rallongeant ses titres de grandes improvisations où brille le doigté de Hayne. C’est du allman brother plombé, le jazz forniquant avec le blues dans de langoureux solos, grâce à la puissance fascinante de trois musiciens se livrant sans filet.

Et que dire quand l’harmonica s’énerve au milieu du déluge, comme pour accentuer la puissance de cette cérémonie puisant dans les racines de l’histoire musicale américaine. Il ne manquait plus que le folk, qui introduit Dolphineus sur quelques notes de guitare acoustique , avant que quelques notes graves ne fassent progressivement monter la pression.

On n’aura pas encore droit à une montée en puissance faisant écho à freebird, mais plutôt à une mélodie réconfortante débouchant sur un refrain porté par un riff irrésistible. Et , si la force de ces refrains fait parfois penser à Lynyrd , c’est parce que les deux groupes mâtinent leurs mélodies bluesys des mêmes influences anglaises.

Le Mr Big qu’il livre ce soir-là est d’ailleurs le plus vibrant hommage jamais rendu à free, les guitares renouant avec le feeling savoureux du groupe de Paul Kossof, tout en prolongeant la force de son hard blues pendant quelques minutes que l’on voudrait éternelles.   

Après cette déflagration, le rideau se referme, et les trois hommes courent au disquaire le plus proche voir si ce disque est si impressionnant que ce qu’ils entendirent ce soir-là. Lorsque l’aiguille se pose sur le sillon, le choc est encore plus grand : Les tacherons avaient joué l’album à la note près !

Un sourire s’impriment alors sur ces visages aigris, et nous laisseront le mot de la fin à ce chèr Geronimo : « La terre ne fait pas que porter les hommes, elle les définit. Si notre musique est immortelle, c’est parce qu’elle se nourrit de la grandiose culture de notre Amérique profonde et éternelle. »   
   

jeudi 15 août 2019

Dr John : Gris-Gris


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Né dans un quartier de la Nouvelle Orleans , Malcolm Mac Rebbennack commence son initiation en suivant son père , qui passe son temps à réparer de vieux transistors. Au cours de ces séances de récupération , le jeune homme découvre une poignée de 33 tours bizarres , remplis de rythm n blues paillards , qui forgeront la base de sa culture musicale.

Dès les années 50 , on le croise en compagnie de quelques formations , juste après que fat domino lui ait enseigné les rudiments de ce cri primaire qu’on appelle blues. Dans les bars où il se produit , le jeune Rebbennack découvre les drogues ,  et devient le leader de son premier groupe. Il est alors un guitariste apprécié dans la région, jusqu’au jour où un mari jaloux lui tire sur le doigt.

Handicapé par cette amputation, Mac abandonne la guitare pour le piano, et devient un musicien de studio très demandé. En parallèle, il se renomme Dr John en référence à une vieille légende locale, et se nourrit de l’histoire musicale de sa Nouvelle Orleans natale.

En compagnie de ceux qu’il a nommés les night trippers, Dr John confronte le blues aux voodoo, baigne le rythm n blues dans une version locale du jazz, et saupoudre le tout de rythmes funk. Il se dégage de ces prestations une musique de plus en plus délirante, dont le coté hypnotique est bientôt rehaussé par l’influence du psychédélisme ambiant.   

Quand Dr John commence à développer cette musique, nous sommes au milieux des années 60, et le psychédélisme vient juste de naître. La formule va macérer dans son esprit, promue sur scène par un chanteur grimé en indien d’Amérique, avant que le bon docteur John et ses Nighttripper ne décident enfin de fixer cette matière sonore sur disque en 1969.

Nous sommes désormais en plein âge d’or psychédélique, chaque musicien essayant de tirer de ses trips sous acide la matière musicale la plus fulgurante, innovante ou unique. Danses voodoo portées par des percussions tribales, « gris gris » ferait passer quicksilver messenger service pour un poussiéreux groupe de blues, et le grateful dead pour une bande de folkeux attardés.  

Gris gris ressemble aux disques d’un homme qui se serait enfermé dans une grotte, s’imprégnant d’une tradition musicale ancestrale, avant d’en ressortir pour dévoiler ses enseignements aux junkies hippies.

Il faut dire que Gris Gris est un disque fauché, Ahmet Ertegun refusant de mettre trop de moyen dans ce qu’il voit comme un délire mystique. Heureusement, cette limite est aussi la grande force de ce disque, Dr John mettant de cotés les claviers et autres joujoux électroniques , pour tout miser sur ses échos tribales , ses rythmes cajuns , et une guitare lancinante, dont les notes dansent comme un shaman en plein rite.

Sans aucune promotion , « gris gris » se vend bien grâce au bouche à oreille, le tourbillon hypnotique de gris gris gumbo y aya ouvrant une procession qui ne manquera pas de séduire les enfants de Ken Kesey et ses merry prankers.

Et puis le disque contient aussi « I walk on glitter spinter », un chant mystique qui sera bientôt repris dans une version beaucoup plus musclée par Humble Pie, avant que Tonton Macoute ne ramène le titre à ses racines blues.   

Le fait qu’un disque aussi riche et original ait pu marquer son temps est un miracle qui n’aurait pu se dérouler que dans les années 60. Il faut dire que son auteur lui-même ne reproduira plus jamais ce niveau de ferveur mystique, et préférera se tourner vers une musique plus épurée et accessible.

Gris gris restera ainsi une grotte dont les merveilles ne seront plus jamais exploitées, et dont le pouvoir de fascination reste intacte 50 ans après son édification.  

   


mercredi 14 août 2019

Johnny Thunders : So Alone


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L’histoire de Johnny Thunders est proche de bien des artistes maudits. L’homme faisait partie de ces personnages dont la personnalité, à un moment précis, croise l’histoire. On aurait presque pu imaginer cette vie mise en scène par Scorcese , avec en toile de fond les tubes des stooges et du MC5, que le jeune Thunders allait écouter au terme de plusieurs kilomètres de pèlerinage.

Et puis il voyage en Angleterre, prend la vague glam en pleine figure, et adopte le look androgyne de Marc Bolan. Si le glam a engendré le punk , c’est grâce à ce jour où le guitariste s’entoura d’autres musiciens aussi décadents que lui. On tenait là le signe d’une ascension fulgurante, la rencontre entre un guitariste fan des glam rockers et un chanteur fou des stones.

C’est sans doute aussi le charisme Jaggerien de Johansen qui décida Todd Rundgren à produire le premier disque des dolls.  Rundgren est alors dans une très bonne passe , sa carrière solo semblant devenir plus populaire que sa collaboration avec the Nazz, mais sa patience va être mise à rude épreuve.

Il se souviendra longtemps du cauchemar que constitua l’enregistrement du premier dolls , de ces musiciens jouant sur des guitares désaccordées , et de la foule de parasites suivant le groupe partout. Mais , du côté de leur management , Malcolm Mclaren prenait des notes sur ce qu’il voyait comme le son du futur.

D'un point de vue purement musical, le disque lui donnera raison, « the new york dolls » faisant partie de ces enregistrements fulgurants qui font briller toute l’énergie et la spontanéité du rock. Mais les ventes ne suivent pas, et la chute est brutale.

Les Dolls commencent alors une descente aux enfers faite de drogues et de lutte d’égos, pour finir par se séparer lamentablement. Johnny monte alors the heartbreakers, le groupe dont l’attitude et le look seront réadaptés par Mcclaren pour les sex pistols.

Sauf qu’on ne sort pas d’un échec aussi lamentable que celui des dolls sans séquelles, et les maisons de disques sont trop effrayées par la réputation de l’ex groupe de thunders pour signer ses heartbreakers.

Entre temps , Mcclaren a pris en charge les sex pistols , et propose aux heartbreakers de migrer en Angleterre pour faire la première partie de ses nouveaux poulains. Le groupe accepte, et se retrouve embarqué dans l’une des plus grandes mascarades produite par le gang de Johnny Rotten. C’est pourtant les sex pistols qui, planqués backstage , prenaient des notes pendant que Thunders insultait copieusement la foule pour introduire ses bombes punks.

Lamentables, les concerts des pistols furent surtout le théâtre de scènes de chaos , construisant un buzz sur lequel Mclaren avait tout misé. Résultat, quand Rotten eut le malheur de prononcer le mot fuck en direct à la télévision anglaise, une bonne partie de l’anarchie tour fut immédiatement annulé.

Les heartbreakers ne se remettront jamais de ce voyage, Richard Hell quitte rapidement le groupe pour former les voidoids, et le seul album du groupe devra attendre plus de dix ans avant de sortir dans une version décente. On découvrait alors un pavé aussi puissant et direct qu’un album des ramones, et le public ne pouvait que se demander  comment ces musiciens ont pu se saborder à ce point.

Désormais seul, Johnny Thunders obtient l’aide de quelques illustres rejetons pour produire ce qui restera son chef d’œuvre. Portant très mal son nom, « so alone » est le disque qui aurait dû l’envoyer au sommet, tant il contenait tous les ingrédients qui font un classique.  

Avant d’être un punk , thunders fut surtout un songwritter de premier ordre , et son « you can’t put your arm around a memory » rendit jaloux Bob Dylan. Il faut dire que cette mélodie doucereuse semble exprimer toute la résignation d’un homme qui « irait arracher la défaite dans la gueule de la victoire ».

Pipeline montrait pourtant une rage de vaincre intacte, les riffs tranchant venant rappeler aux gamins punks tout ce qu’ils devaient à ce gavroche rock. C’est d’ailleurs sur les pistols que thunders glaviote quand il lance les premiers accords vengeurs de London boy, le souvenir de leurs collaborations quelques années auparavant lui ayant laissé un souvenir amer.

On découvre aussi le fan de pop , reprenant brillamment les changri la et les chantays sur des riffs dynamitant les premières versions. Great big kiss garde ses chœurs clinquants, et un saxophone qui n’aurait pas fait tache chez Springsteen, mais le tout est accéléré par une guitare lancée à la vitesse d’une charge ramonesque.

Alors bien sûr ce disque, comme tous ses prédécesseurs , va se casser la figure de façon inexplicable , laissant quelques afficionados batailler pour faire reconnaître l’importance de cette dernière production. Pendant ce temps, l’homme semble s’effondrer progressivement, et sur scène il ressemble de plus en plus à un pantin rigide et au bord de la chute.

Comble de l’ironie, le héros punk finira sa course sur les côtes du Mississippi où il était parti enregistrer un disque inspiré par la nouvelle Orléans. Plusieurs de ses affaires ont disparu, mais l’homme étant rongé par une leucémie l’enquête se conclura rapidement sur une mort par overdose.

Finalement, « so alone » fut le titre parfait pour un chef d’œuvre écrit par un tel gavroche punk.
  

   


samedi 10 août 2019

QUICKSAND : Slip (1993)


Formation :
Walter Schreifels (guitare, chant)
Tom Capone (guitare)
Alan Cage (batterie)
Sergio Vega (basse)




Quicksand est un groupe new-yorkais crée par Walter Schreifels (ex guitariste de Gorilla Biscuits) avec d’autres musiciens de la scène hardcore ou post hardcore.             
Citons notamment Alan Cage à la batterie et qui officiait auparavant chez Burn (l’un des groupes les plus prometteurs  du début des années 90 mais qui n'enregistra à l’époque qu'en EP 4 titres).

La musique proposée sur « Slip » premier album du groupe sorti en 1993, est du post hardcore avec un léger côté noise, mais plus mélodique que la moyenne du genre. Il y a du Fugazi chez Quicksand, c’est du post hardcore avec beaucoup d’émotions qui éclatent à chaque note. Sinon c’est bien sûr proche des autres groupes du même style apparus ces années-là : Helmet, Handsome, Orange 9mm, Stanford Prison Experiment voire Jesus Lizard. Mais moins agressif que Helmet ou Unsane.
Toujours est-il qu’on a du mal à croire qu’il y a le guitariste de Gorilla Biscuits derrière tout ça, tant ces derniers , pionniers du hardcore New York de la première vague des années 80, étaient réputés pour jouer du punk hardcore, ultra rapide et violent (écoutez « Biscuits power » et vous m’en direz des nouvelles !), avec des titres très courts. Musicalement c’est donc très différent.

Chez Quicksand la violence est présente mais elle est sous contrôle, maîtrisée presque épurée et  la voix (et la mélodie) empreinte d’émotions et même d’une certaine nostalgie, presque chaleureuse. On flirte avec l’émo-core même si personnellement je n’aime pas trop ce qualificatif.
Mais c'est là malgré tout qu'on se rend vraiment compte que dans emo-core il y a émo et des émotions Quicksand nous en donne en pagaille.
En gros le côté émo-core se marie parfaitement avec le côté post hardcore.
Mais attention les riffs envoient malgré tout du lourd (ce n'est pas de la pop même si « Slip » pourrait plaire aux fans des premiers albums de U2). 
          
Les compositions et notamment les mélodies sont travaillées, le tempo ni lent/lourd ni rapide,  médium, juste ralenti pourrait-on dire, avec une basse qui loin d’être reléguée à l’arrière-plan est au contraire très présente et parfois mise en avant.        
Si la violence est contenue, l’ambiance générale du disque n’est pas noir ou dépressif (comme souvent dans ce genre musical), ou alors légèrement sombre, gris sombre ; c’est plutôt une sensation de mélancolie, de nostalgie et de tristesse qui vous envahit le corps et l’âme. Mais en aucun cas "Slip" est un album austère, loin de là.
Il faut reconnaître que dans les années 90 beaucoup de groupes de ce genre                 
sont sortis et que Quicksand n'est qu'un parmi d’autres mais assurément l’un des meilleurs (avec Fugazi bien sûr). 
          
Quicksand est incontestablement une des pièces maitresse du post hardcore des années 90, l’un des groupes les plus intéressants car il créé quelque chose.
Ce qui me plait le plus dans cet album ? Un côté cérébral (mais je n'ai pas dit intello, nuance) de ce type de rock qui met instantanément mon cerveau en éveil.
Ça débute en fanfare avec « Fazer », « Head to wall  et  surtout  « Dine alone » ma préférée ; si on rajoute  “Unfulfilled”  “Omission”  on tutoie les sommets. En plus de la voix et de la basse dont j’ai déjà parlées la guitare n’est pas en reste, entre sons post hardcore mélodiques et noise.

Quelques morceaux sont un peu plus énervés comme « Slip » et « Lies and wait » pour certifier que Quicksand ce n’est pas de la pop.                                       
 « Baphomet » est le plus éclectique le plus et peut-être le plus  intéressant des morceaux, c’est un instrumental, avec des passages calmes à la basse, presque aériens et des passages noise guitare à fond les manettes.                                                  
En fait après deux écoutes attentives je trouve que seul « Too official » est  un peu moins bon, un ton en dessous du reste.

Franchement  mis à part ce dernier morceau cité pour tous les autres titre on peut écouter et se dire waouh quels morceaux, quelle claque.
« Slip » est avant tout un grand album de rock où la beauté mélancolique et l’énergie s’entremêle, un album qui plaira au fan de (post) hardcore mais qui peut aussi satisfaire un amateur de pop/rock.
A noter que « Manic Compression » le second album est également très bon.