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mercredi 7 juillet 2021

Neil Young : Rust Never Sleeps

 


J’ai déjà planté le décor lors de la chronique de Comes a time , il n’a pas changé lorsque sort le nouvel album de Neil Young. A l’époque, Neil fut impressionné par la vivacité de la scène punk, qu’il fréquenta en jouant notamment avec les musiciens de Devo. Sur le tee shirt d’un de ces musiciens au look excentrique, il remarque une inscription prophétique « rust never sleep ». La rouille ne dort jamais, voilà un magnifique slogan pour l’un des derniers survivants de sa génération. C’est que notre canadien avait déjà 34 ans, ce qui est un âge avancé pour un rocker. Pourtant, aucun nihiliste à crête n’osa toucher au barde hippie , Johnny Rotten ayant déjà avoué son admiration pour le loner.  

Mis à l’abri par une nouvelle génération qui l’admire, le canadien écrivit le « the time they are changin » de la génération no future. L’affaire commence sur ces arpèges reconnaissables entre mille, puis viennent les mots.

« Hey Hey my my ! Rock n roll can never die ! » Les vieilles idoles peuvent flancher, cette musique durera tant qu’il existera une jeunesse pour l’écouter. La première phrase chantée par Neil Young n’est pas une lamentation, c’est le cri de guerre d’un homme qui veut continuer d’être l’avenir du rock.

« King is gone but is not forgotten . This is the story of a Johnny Rotten. » Il existe des hasards troublant. Alors que les contemporains des Sex pistols prennent le monde d’assaut, le king rend son dernier souffle dans les toilettes de sa villa. Une fin destroy pour le king et un avenir nihiliste pour le rock, voilà le programme de cette année 1977. Lorsqu’il apprit la nouvelle de la mort du king , Johnny Rotten se contenta de dire « Il était temps , sa grosse bedaine masquait le rock depuis de trop nombreuses années. » L’heure n’est pas aux hommages ou aux célébrations , il faut que le passé s’éteigne pour que l’avenir se dévoile.

« It’s better to burn out ! Rust never sleep ! » Le voilà le slogan de l’époque, il est aussi vrai pour le king que pour le rocker le plus misérable. Toute la mentalité punk est dans cette phrase, plutôt mourir que devenir un notable, quand l’énergie n’est plus là il faut avoir le courage d’arrêter. L’époque est à la violence, violence qui deviendra vite une mode musicale. Avec cette ouverture acoustique, Neil devient le punk ultime, celui que même le courant des sauvages à crêtes n’arrive pas à récupérer. Les riffs des jeunots sont mitraillés avec rage, l’arrière garde tombe sous la mitraille, et le loner raconte la bataille comme un Dylan résumant les utopies de son époque.

Des sublimes accords de trasher à la country de sail away, en passant par le conte Pocahontas , cette première face est le prolongement logique de Comes a time. Powderfinger met ensuite la fée électricité sur le devant de la scène. Ce changement de décor fait en douceur, le riff mélodieux et les chœurs rêveurs rappelant la finesse de Zuma. Pourtant, sur les scènes où furent enregistrées ces titres, le public se doutait bien que l’impressionnant mur d’amplis placés au fond de la scène n’était pas là pour faire de la figuration.

Au delà de sa mélodie , Powderfinguer permet à Neil Young d’enchainer les solos où le son gras est à la limite de la saturation. Welfare mother libère pleinement cette énergie sur un mojo binaire cher au Crazy horse. Ces solos sursaturés tissent un boogie crasseux, la puissance du riff ringardise un mouvement punk venant à peine de naitre. Les premières traces de ce qui deviendra le grunge sont à chercher du côté de ce riff orageux et de l’ouragan électrique sedan delivery. Sur ce dernier titre, le cheval fou sonne comme un troupeau de mammouths hystériques. La rythmique est un assaut de pachydermes d’une violence inouïe, un tsunami ensevelissant définitivement les restes d’un passé moribond. 

Le loner a beau se savoir respecté par cette nouvelle génération qui ne respecte rien, il met le paquet pour lui montrer qui est encore le patron. Le feu d’artifice proto grunge se clôt sur une version électrique de hey hey my my. Ce riff tonnant comme le tir d’une section de tanks, c’est la violence d’une épuration à laquelle notre canadien vient d’échapper. « Rock n roll will never die », clame t-it une dernière fois avant de refermer Rust never sleep. Plus que le rock , c’est sa propre légende que le loner vient de sauver ici.          

 

mardi 6 juillet 2021

Neil Young : Comes a time

 


Les Clash levèrent des barricades en trois accords , les Jam annoncèrent  le règne de la new wave , les Stranglers atteignirent  le sommet de leur grandeur nihiliste, alors que les Ramones enchainèrent  les concerts à un rythme infernal. Le punk tint ses promesses, ce météore balaya littéralement les virtuoses prétentieux du rock progressif, et rendit obsolète la partie la plus pompeuse du hard rock. Les dinosaures des sixties et du début des seventies s’éteignirent brutalement, noyés sous une vague nihiliste et primitive . Paradoxalement, cette révolte sera vite domptée par l’ogre capitaliste, qui comprit vite que le manque de virtuosité de ces brutes était un formidable moyen de standardiser la musique. Il lui suffit d’accentuer la présence des claviers pour gommer cette violence sauvage, tout en gardant le format court et les refrains primitifs chers aux hordes punkoïdes.

On transforma ainsi le punk, mouvement réactionnaire réclamant le retour à un rock plus sauvage et primitif, en une pop synthétique et polie nommée new wave. Le foisonnement créatif des années précédentes fut abattu, le rock redéfinit comme un vulgaire produit standardisé, la dégénérescence new wave  fut prête à le vider de sa substance. En ces temps de décadence, Neil Young prit la route en compagnie de quelques musiciens de Moby grape. Le loner se produisit dans quelques petites salles, retrouvant ainsi la joie de jouer pour le plaisir et de discuter autour d’une bière après le concert. Il put ainsi fuir le succès le temps de quelques soirées, mais les nouvelles vont malheureusement vite. Quelques jours à peine après le lancement de cette tournée secrète , des comptes rendus paraissent dans les journaux , obligeant Neil Young à interrompre son bain de jouvence.

De retour en studio , Neil rappelle les musiciens du Crazy horse , Nicolette Larson et JJ Cale , pour enregistrer Comes a time. Le folk rock de ce disque est un véritable sanctuaire paisible dans une époque troublée. Auteur du classique naturally , le guitariste JJ Cale illumine ces comptines folk de sa classe rythmique. Sur les titres les plus mélodieux, il ponctue la mélodie avec rigueur, drape la voix charmeuse de Nicolette Larson dans les gémissements de sa guitare slide ou la somptuosité de ses arpèges. Derrière lui , le Crazy horse trotte paisiblement , retient sa fougue pour éviter de briser un si beau carrosse. Les violons chantent avec une douceur rappelant Harvest , Neil fredonne ses refrains avec sérénité.

Quand ce groupe n’est plus retenu par la douceur de ce country rock apaisant , motorcycle mama lui permet de swinguer comme les bluesmen de Chicago. Sur ce titre, JJ Cale s’affirme comme le guitariste renouant avec une sobriété perdue depuis les débuts d’Eric Clapton. Deux ou trois accords et un rythme, le mojo n’a besoin de rien d’autre pour fasciner. Les guitaristes s’accrochent aux rythmes comme des morpions à leurs testicules, de cette étreinte dépend la vie du grand mojo , s’éloigner de la rythmique c’est le laisser mourir. Vous pouvez augmenter ou diminuer les espaces entre les notes, appuyer les accords ou caresser les cordes, mais pour jouer du blues votre jeu doit rester rythmique.  Keith Richards l’avait bien compris, lui qui considérait les solos comme de la « branlette ».

Reprendre les choses à leurs racines, se ressourcer aux eaux toujours fraiches de la musique traditionnelle américaine, voilà ce que fait Neil Young sur comes a time. Ce disque est comme un vieux livre de Dumas caché entre les fausses révoltes de Virginie Despente. Et c’est bien pour ça que Neil fut épargné par le nihilisme punk et les caprices de l’époque, il ne se conformait à aucun courant. Aussi léger soit-il , comes a time est sans doute une des plus grandes déclarations d’insoumission de son époque , un disque si anachronique qu’il en devient attachant. Ce mellotron faisant couler sa mélodie telle une rivière paisible, cette voix revenue de tout et se contentant de chanter sa joie de vivre, c’est un oasis de beauté et de douceur dans une époque qui s’enlaidit et s’ensauvage.                              

Il y a des moments où il parait urgent de célébrer la beauté et la sincérité artistique avant que ces notions ne soient détruites par la bêtise moderniste. Alors oui, comes a time nous refait le coup que nous fit Dylan sur Nashville Skyline , il s’exile à la campagne à une époque où tout s’agite en ville.

Et si c’était précisément de cette légèreté que l’époque avait besoin ?  

dimanche 4 juillet 2021

Neil Young : American Stars'n Bars

 


Nous sommes en 1976 au Winterland balroom, théâtre du dernier concert du Band.

Installées à plusieurs endroits stratégiques, les caméras sont prêtes à immortaliser ce moment historique. Responsable de cette captation, Scorcese réalise ici son plus grand film musical. Comme lorsqu’il n’était que caméraman à Woodstock , le cinéma a rendez-vous avec l’histoire. Au-delà de son travail avec Bob Dylan, le Band a surtout enregistré deux des plus grands disques de country rock de tous les temps. L’authenticité de music from the big pink et the band ont bouleversé une génération. Ce mélange de country,  de blues et de bluegrass devenant la musique des vieux hippies fatigués.

Il suffit de lire la liste des musiciens venus participer à cette « dernière valse » , pour se rendre compte de l’incroyable popularité du Band. Emmylou Harris , Joni Mitchell , Bob Dylan , Paul Butterfield , Dr John , Muddy Water , c’est la crème du blues, de la country et du folk qui défile sur cette scène. En coulisse, la cocaïne a plus tourné que le champagne. Malgré son rejet des drogues dites dures, si toutefois il existe des drogues « douces », le loner apparait sur scène les narines recouvertes de poudre blanche. Sa prestation n’en souffre pas, le canadien livrant ce soir-là une de ses plus belles versions d’Helpless.

Le Band dut aussi avoir une influence sur notre canadien, qui décide de centrer son prochain album sur l’histoire des Etat Unis. Cette démarche n’est pas sans rappeler le second album du groupe de Robbie Robbertson, dont les mélodies steinbeckienne fascinèrent toute une génération. Pour donner vie à cette histoire, Neil Young ne se contente plus de sa guitare sèche , il veut monter un groupe nourri aux mamelles intarissables de la country et du bluegrass. Pour donner une touche de lyrisme à ses récits, il se rapproche de Linda Ronstadt, qui lui conseille d’intégrer la jeune Nicolette Larson. A ce duo bouleversant vient s’ajouter les musiciens du fidèle Crazy horse , qui enregistrent le disque dans l’urgence. Comme pour Tonight the night , Neil Young décida de tout enregistrer en une prise , privilégiant l’émotion brute à la perfection technique.

« Ceux qui veulent entendre un album parfaitement enregistré n’ont qu’à réécouter mon premier album. » Voilà la réponse qu’il lance à tous les journalistes lui reprochant cet empressement. Et il a raison de revendiquer cette spontanéité, elle lui évite de subir les foudres de la vague punk. American stars and bar sort d’ailleurs en 1977, au début de cette époque où les contemporains des Ramones tentèrent de balayer toutes traces du passé. En regardant la liste de ces titres, on repère quelques morceaux issus des séances de Homegrown , disque enregistré en 1975, et que le loner ne publiera pas avant 2020.

Cela explique en partie le décalage entre le ton traditionnaliste d’American stars and bar, et le modernisme nihilisme de la génération no future. L’ombre du Band plane dès les premières mesures de old country waltz , son swing poussiéreux rappelant les tubes vintages que sont the night they drive old dixie down ou up on cripple creek. Sad up palomino est plus enjoué, son groove paysan culminant sur des chœurs en fête. La première face d’American stars and bar retrouve les chemins balisés par Harvest , la guitares slides renouant avec la chaleur du ranch de broken arrow.

Du fait de la variété de ses mélodies, beaucoup voient cet album comme une œuvre sans ligne directrice, un amas de titres plus ou moins réussis censés maintenir la notoriété du Dylan canadien. Une telle déclaration revient à dire que Desire , le disque que le Zim sortit quelques mois plus tôt, est lui aussi une œuvre sans cohérence. En effet, le slow one more cup of cofee y côtoie le plus virulent hurricane. Ce serait faire l’impasse sur ses mélodies tsiganes , ce blues de bohémien fascinant et dépaysant. Dylan trouva un nouveau souffle dans les traditions étrangères, Neil Young rend hommage à la tradition nationale. Une fois de plus, ces deux géants représentaient l’alpha et l’oméga de la pop moderne, les deux pôles entre lesquels le folk rock évoluait.                                                                      

Alors oui , quand le loner reprend sa tonitruante old black après de telles douceurs bucoliques , on a un peu l’impression que la Deloréane de ce doc canadien nous fait voyager d’époques en époques. La transition n’est pourtant pas totale, des violons campagnards et des chœurs dignes de Lynyrd Skynyrd faisant le lien entre une première partie vintage et la puissance moderne du Crazy horse. J’ai déjà parlé de stars of bethleem dans la chronique de Homegown , on comprend désormais pourquoi le loner refusa de la sortir en 1975. La douceur de ce folk paysan  s’imbrique parfaitement dans ce disque poussiéreux, will to love prolongeant un peu cette grâce acoustique.

Puis vient le sommet d’American stars n bar, un des plus grands rock que Neil Young ait écrit. Like an hurricane est à Neil Young ce que all along the watchtower fut à Hendrix , un sommet indépassable. Avec ce titre, la guitare rock prend une nouvelle dimension, emporte l’auditeur dans un torrent d’émotions d’une intensité rare. Le solo déchirant, allié à la tendresse bouleversante du mellotron , nous fait décoller loin de cette terre dans laquelle les autres titres puisaient leurs racines. Le riff garde cette énergie binaire chère au Crazy horse , mais les solos qui le parcourent font décoller cette énergie dans le cosmos. A la première écoute, le reste de l’album parait bien fade à côté d’un tel sommet de lyrisme.        

Voilà pourquoi American stars and bar est si décrié, le public aurait aimé entendre dix like an hurricane plutôt qu’une telle pépite imbriquée dans un ensemble plus inégal. Mais c’est justement la légèreté de ces autres titres qui permet à like an hurricane de résonner avec une telle force. Il est temps de réhabiliter un disque qui n’a finalement de raté que sa pochette hideuse. Au fil des écoutes, des titres que l’auditeur passa un peu vite se révèlent progressivement, c’est là que le charme de ce disque opère. American stars and bar ne représente pas la fin de l’âge d’or du loner , il en est au contraire le prolongement.   

samedi 3 juillet 2021

Neil Young : Live at massey Hall 1971

 


Il a trouvé la gloire auprès des géants californiens, écrit un des plus grands hymnes pacifistes de tous les temps (Ohio), avant de réinventer le folk rock sur son fidèle cheval fou. En 1971 , Neil Young a sabordé ses plus beaux vaisseaux, coupé les ponts avec ses plus grands collaborateurs pour défendre sa liberté. Crosby Still Nash and Young ne renaitra pas avant 1974,  juste le temps d’une dernière tournée, alors que le Crazy horse fut abandonné sans ménagement. Le roi Young est nu , ce qui ne fait que décupler son charisme. After the gold rush montrait déjà qu’il n’avait besoin de personne pour écrire des mélodies inoubliables.

Quelques mois après la sortie de cet album majeur, notre troubadour congédie tous ses musiciens pour parcourir les routes seul. Dans le Massey Hall de Toronto , ils sont nombreux à attendre le retour de l’enfant du pays. De retour dans son Ithaque , Neil prend place sur une scène aux airs de Colisée. Deux étages permettent aux spectateurs chanceux d’avoir la meilleure vue, les autres devant se contenter d’une fosse placée face à la scène. Cette foule impatiente salue bruyamment l’arrivée de son héros, avant que les premiers accords n’imposent un silence religieux.

Eclairé par un projecteur à la lumière tamisée , le loner ressemble à un ange tombé du ciel. Autour de lui , c’est le noir complet. Pendant un peu plus d’une heure il sera la seule lueur de vie dans ce silence assourdissant, au milieu de ces ténèbres derrière lesquelles la foule communie. Cette intimité gomme toute distance entre l’auditeur et le chanteur, on peut presque entendre ses doigts caresser les cordes. Privé des chœurs grandiloquents de Crosby Sill and Nash , helpless gagne en solennité ce qu’il perd en grandiloquence pop.

Et puis il y a cette voix qui, privée de tout habillage électrique, atteint des sommets de lyrisme. Sans les emportements rageurs du Crazy horse , cowgirl in the sand devient une folk méditative, le rocker se fait barde. Lors de ses concerts au gaslight , Bob Dylan devait déployer une intensité assez semblable à ce que nous entendons ici. Alors que le Zim a depuis longtemps abandonné sa guitare sèche pour les hurlements tapageurs d’un folk électrique, le grand Neil prend sa place de gardien de la tradition folk.

Ses bluettes acoustiques sont les descendantes de « blowin in the wind » et autres « the time they are changin », les mots raisonnent plus fortement quand la douceur d’une guitare sèche les laisse s’épanouir. Profitant de la ferveur d’un public pendu à ses lèvres, Neil Young dévoile une partie de ce qui deviendra l’album Harvest.  A l’écoute de cette première version de A men need a maid , on regrette presque qu’il ait ajouté un orchestre symphonique sur l’enregistrement définitif. Son piano sonne avec une telle pureté, l’intensité de chacune de ses notes est telle, que tout instrument supplémentaire ne pourrait que briser cette harmonie. Heart of gold permet ensuite à celui qui a aussi la country dans le sang de jouer avec la simplicité touchante d’un paysan se détendant après une dure journée de labeur.

Vient ensuite la gravité de the needle and the damage done, spleen d’un homme voyant son ex guitariste se détruire. Pour approfondir le sillon de cette folk tragique, Ohio nous ramène dans cette université où le rêve Hippie fut massacré sous les tirs des flics. Four dead in Ohio pleure notre canadien, l'écho des arpèges décuplant la tristesse de cette sentence.

Dans l’enceinte de ce massey hall , le loner grave son passé dans le marbre et annonce un avenir radieux. Il a su devenir le symbole d’une époque tout en restant le plus grand espoir des jeunes générations, c’est un sage autant qu’un prophète. Le concert qu’il donna au massey hall est sans doute un des plus grands événements de l’histoire de la musique populaire.

Ecoutez ce final sur dance dance dance. Ces mains, qui battent la mesure, telle une énorme pulsation cardiaque faisant vivre une magnifique osmose, c’est ce que la musique a de mieux à offrir.   

mardi 29 juin 2021

Neil Young : Hitchhiker

 


L’album acoustique devrait être un passage obligé pour tous les folk rockers. Privé de tout artifices, ces musiciens retrouvent leurs racines. Enlevez tout le folklore moderne et vous touchez au cœur de l’artiste, c’est l’esprit du musicien qui s’épanouit dans la douceur de ces mélodies. Il est vrai que, jusque-là, la guitare sèche fut surtout porteuse de propos plus graves ou torturés . Il y eut les grandes protest songs de Dylan et son inoubliable Blood on the tracks , il y aura bientôt les récits dépressifs de Springsteen (Nebraska). Bref l’acoustique sert surtout à souligner le sérieux des paroles. Le rock sortait la guitare sèche comme d’autres sortaient les violons, pour nous tirer une petite larme ou éveiller une saine indignation.

Neil ne fut pas exempt de cette gravité austère, il en fut même un des symboles. Il faut se rappeler l’image de ce type, seul au milieu de la pénombre, et vous soulevant le cœur à chaque note, vous retournant l’âme à chaque gémissement. On ne peut écrire qu’au seuil de l’abime disait Bloy , ce qui peut s’appliquer à la littérature peut souvent se vérifier dans la musique. Je vous renvoie aux enregistrements des concerts acoustiques de 1970 , Neil Young y est merveilleusement bouleversant. Sauf que, en 1975, notre homme ne veut plus hurler à la mort sur des drames acoustiques. Pour ce qui est des chants dramatiques, il a déjà donné, il est temps pour lui de créer des choses plus légères.

Alors le loner s’est simplement enfermé en studio, a fait tourner les bandes , et s’est mis à jouer. Ce genre de légèretés vous mène très loin , votre petit cinéma intérieur prend le contrôle et vous avez l’impression de découvrir votre œuvre en même temps que vous la créez. Neil fait partie de ces hommes qui ne grandissent pas , il n’a jamais soumis son cerveau à la même discipline que celle qui est vitale pour monsieur moyen. Certains trouvent un boulot pépére , éduquent un ou deux enfants , finissent par penser que le cerveau ne sert qu’à retenir des procédures ou les résultats du loto.

Neil, lui , restera toujours ce gamin fasciné par l’histoire de l’Amérique et rêvant de pionniers besogneux et d’indiens courageux. Alors sa guitare ne va pas recommencer à se lamenter, son chant ne va plus se mettre à larmoyer, il y a des moments où l’homme ne peut s’empêcher d’être optimiste. C’est d’ailleurs notre lot à tous, triste bœuf fonçant dans le prochain mur avec un enthousiasme désespéré.

Au début de cette chronique, je parlais de la guitare acoustique, elle n’a jamais été aussi enthousiaste que sur ce Hitchiker. Sur Pocahontas , un riff chante délicatement pour ne pas troubler les songes d’un Neil rêvant d'indiens décimés et affamés par des crétins massacreurs de bisons, ressuscitant un pays bâti sur les cadavres des indiens d’Amérique. Alors il s’imagine en trappeur vivant dans un paradis perdu au milieu de ce cauchemar, s’épanouissant au côté de Pocahontas et d’un Marlon Brando ayant quitté la machine de propagande hollywoodienne.

Sur Powderfinger , quelques arpèges suffisent à exprimer le mélange de tristesse et d’admiration que lui inspire l’histoire de l’Amérique. Comme cette histoire, les mélodies de cet album ne sont jamais toutes noires ou toutes blanches , l’émerveillement le plus admiratif y côtoie la mélancolie la plus profonde. Powderfinger est d’abord une chanson dramatique, l’histoire d’un homme dont la sœur est morte noyée, d’un pays où il ne vaut mieux pas sortir sans son fusil. Pourtant, on fredonne cette mélodie avec entrain, c’est beau comme un décor de western.

Un peu plus tard , captain Kenedy sonne comme les chants qu'auraient pu fredonner les héros de Steinbeck. Célébrant la vie d’un grand navigateur, captain Kenedy a le charme des récits d’un vieux cowboy racontant ses histoires de desperados entre deux parties de poker. Je vous l’ai dit, les boyaux de la tête des artistes sont des machines formidables. Avec dix fois plus de moyens Hollywood ne fait pas autant rêver  que cet homme plaquant quelques accords seul dans un studio. 

« Donne-moi la force d’aller plus loin » chante le loner sur le titre suivant, ses accords tintant comme des cristaux harmonieux. Rare excentricité de ce décor minimaliste, l’harmonica souffle sur ce sommet mélodique avec une rare douceur. Ce spleen de folkeux épanoui nous enveloppe chaleureusement, nous réconforte comme un vers de Thunder road (de Springsteen ). Notre conteur peut ensuite chevaucher son lama sur le titre suivant , avec une telle mélodie on le suivrait jusqu’au fin fond du Sahara. C’est plutôt en Californie que Hitchiker nous embarque, les riffs les plus vifs et les chants les plus enjoués semblant évoquer l’époque où les Mamas and the Papas ne furent qu’une bande de hippies travaillant leurs harmonies à partir de quelques arpèges.

Délice de solitaire , campagner nous montre Neil dans la peau du vieux paysan solitaire, de l’homme revenu de toutes les catastrophes , qu’il chante sur un air dylanien. Tout n’est pas rose dans cet inventaire, mais la douceur des arpèges montre une certaine tendresse pour ce passé. Sur Human higway , l’harmonica siffle gracieusement , c’est le signal annonçant le départ du train du souvenir. Inventer un personnage, se mettre dans sa peau pour que l’auditeur ressente ses émotions, c’est exactement ce que fera Springsteen sur Nebraska. 

Human higway le fait avec plus de légèreté , on peut siffloter cette mélodie après s’être ému de l’histoire qu’elle conte. Et c’est bien la force de cet album , toutes ses chansons restent gravées dans les mémoires comme autant de somptueux jardins secrets. Après des mois de deuil, Neil Young avait sans doute besoin de respirer un peu, et c’est cette légèreté qui fait la beauté de Hitchiker.                

lundi 28 juin 2021

Neil Young and Crazy Horse : Zuma

 


Près du studio où Neil enregistre, un homme se penche contre le mur pour comprendre ce qui se prépare. Les cheveux bouclés et le visage couvert par une barbe hirsute, Dylan vint écouter la prochaine œuvre de son seul rival. Ces dernières années, l’ex porte-parole d’une génération est devenu une figure que l’on adore détester. Ce que le public a pu beugler quand le héros du folk a tourné country, ça lui rappelait les réactions des puristes du folk quand il passa à l’électrique. Cette fois, l’indignation était plus politique que musicale, la country étant vue par certains comme la musique des beaufs racistes de l’Amérique profonde.

Ces idiots ne comprenaient pas que sa folk , celle que tous reprenaient quand elle annonçait que « les temps changeaient » , cette folk-là avait les mêmes racines que la country qu'ils vomissaient. Folk ou country, tout cela est avant tout un blues de blancs , un témoin des joies et des peines de ce petit peuple qui bâtit le « pays de la liberté ».

Arrivé à ce point de mon récit , vous devez déjà vous demander ce que le grand Bob fait encore là. J’y reviendrais, mais vous faites bien de m’inciter à retrouver le loner où nous l’avions laissé. Après l’enregistrement de Homegrown , il fut recontacté par les survivants du Crazy horse. Ses vieux compères avaient trouvé un homme capable de prendre la succession de Dany Whitten , mais il fallait que leur leader vienne l’adouber.

Lors de l'arrivée de Neil, Frank Sampedro se présenta. Le jeune homme était obsédé par Everybody know this is nowhere , qui lui avait permis de forger son jeu en jouant par-dessus les chevauchées binaires du Crazy horse mythique. A la surprise du loner , cette affirmation n’était pas un simple emballement de fan hystérique. Dès les premières mesures , le jeu de celui que l’on surnommait déjà poncho se fondait parfaitement dans les emballements binaires du groupe. Le Crazy horse galopait de nouveau et son maitre redécouvrait l’ivresse d’être porté par une telle monture.

Heureux d’avoir retrouvé son groupe le plus emblématique, Neil s’empresse d’embarquer ce beau monde en studio. Il avait un projet en cours, une sorte de concept album sur l’histoire des incas, un disque qui devait renouer avec la tendre légèreté d’Harvest. Si Zuma sera bien un disque plus léger que ses œuvres précédentes, on est tout de même loin de la légèreté d’Harvest. Au fil des improvisations , la musique se durcit, Neil déverse toutes les émotions de ces dernières années dans ses accords. 

C’est un torrent d’émotions contraires, qui se succèdent et se percutent dans ce grand cyclone sonore, un magma chauffé à blanc par le mojo lunatique de son cheval fou. Ecrite alors qu’il n’était qu’un adolescent, don’t cry no tears devient le cri d’un homme de nouveau debout. Le riff sautillant tranche avec la voix mélancolique et rageuse de notre loup canadien, les emportements de guitares sauvages éloignent notre homme de ses tourments. L’énergie joyeuse d’un country rock puissant est nuancée par le ton dramatique du barde Young, ces contraires se côtoient et se complètent. 

Zuma n’est pas le témoin d’une douleur sans issue , comme Tonight the night le fut avant lui , ses lamentations sont plus rageuses que résignées. Quand le chanteur se laisse un peu trop aller à sa mélancolie contemplative, la puissance enjouée de son groupe le ramène vers des pensées plus positives. Pour imposer cette énergie, le Crazy horse semble soulever des montagnes à chaque note. Les instrumentaux tonnent comme la foudre, la mélodie virevolte entre ces éclairs menaçant avec la grâce d’un faucon au milieu de la tempête.

Nous n’assistons pas ici au retour du rock primaire d’Everybody know this is nowhere, Zuma est plus fin et plus nuancé. Cela n’empêche pas mister Young de nous sortir deux magnifiques riffs stoniens sur les virulents Cortez the killer et Drive back. Le mieux est que cette palette émotionnelle n’empêche pas le Crazy horse de conserver son irrésistible simplicité, sa fougue binaire bottant le cul du folk rock et de la country. Il parvient simplement, avec quelques notes et un mojo des plus basique , à exprimer une impressionnante palette d'émotions . 

Cette intensité n’est pas sans rappeler un autre album sorti en cette même année 1975, l’incontournable Blood on the track. Avec ces portraits dostoievskiens servis par une instrumentation minimaliste, le grand Bob déployait une intensité émotionnelle similaire. Sur ce classique , le Zim déverse ses douleurs d’homme abandonné , plonge au plus profond de sa déprime pour pouvoir rebondir. Pendant ce temps , Neil retrouve la puissance positive de sa plus superbe monture , noie ses dernières traces de mélancolie dans de grandes passes d’armes électriques. Un homme tombait pendant que l’autre se relevait, tout deux accouchant des deux plus grandes œuvres de cette années 1975.

Quelques mois plus tard, Dylan sortira le plus léger « Desire » , avant de monter la rollin thunder revue. Parcourant les routes pour retrouver l’enthousiasme de ses jeunes années, Dylan revient dans les petits bars où tout a commencé, recrute quelques musiciens locaux pour compléter une formation changeante. Suivant son exemple , Neil monte la rollin Zuma revue , qui fait aussi la tournée des petits bars. Partageant un verre avec les spectateurs à la fin des concerts, il redevient un jeune musicien jouant surtout pour le plaisir.  

Pour Dylan comme pour Neil Young , Zuma et Blood on the tracks sont deux albums essentiels, ils représentent le début d’un nouveau chapitre de leur légende.            

dimanche 27 juin 2021

Neil Young : Live at Roxy

 


Après la sortie de tonight the night , le label de Neil Young commença à se poser des questions sur l’avenir de son poulain. Non seulement Tonight the night les a déconcerté, mais le loner prend un malin plaisir à accentuer cette incompréhension sur scène. Débarquant parfois affublé d’un masque à l’effigie de Nixon,  Neil refuse de jouer ses classiques, préférant infliger à son public des gémissements que sa maison de disque refuse encore de publier. Suite à ces prestations excentriques , les rumeurs vont bon train. On dit que le loner est complétement défoncé, accro aux pires substances, certains vont jusqu’à annoncer sa mort. Neil semble avoir complétement pété les plombs, pourtant les spectateurs du Roxy veulent croire que tous ces ragots ne sont que de mauvaises rumeurs.

Ce n’est pas le décor de ce concert qui va leur donner des raisons de se rassurer. En hauteur, une banderole annonce « Bienvenue à Miami beach où tout est moins cher que ça en a l’air. »

Placées sur les amplis , plusieurs bouteilles de vodka annoncent déjà que les musiciens joueront certainement dans un état second. Pourtant, à son arrivée, le groupe fait bonne figure, leur look ne tranchant pas avec ceux des autres rockers de leur époque. Au milieu d’eux arrive une sorte de hippie débraillé, le visage mangé par une barbe de clochard, et dont les lunettes noires semblent cacher une effrayante gueule de bois. L’homme est présenté aux spectateurs :

« Ladies and gentlemen Mister Neil Young. »

Là , le public fut sous le choc, il ne parvint pas à se faire à l’idée que ce clochard débraillé n’est autre que l’auteur d’Harvest. L’homme désespéré provoque souvent chez les spectateurs un mélange de mépris et de fascination, la foule est un troupeau de hyènes qui adore voir souffrir les grands hommes blessés. Avec cette idole californienne transformée en clochard dépressif, elle en avait pour son argent.

Paradoxalement, les Santa Monica flyers ouvrirent le concert sur un rythme assez enjoué. Plus musclé, la version live de tonight the night est un rock rageur, le piano accentuant son swing de bordel texan. Plus nerveuse, la guitare du loner déchire ce tempo boogie à grands coups de chorus cinglants. Presque digne de Rory Gallagher , cette ouverture montre que les Santa monica flyers sont aussi et d’abord un grand groupe de rock bluesy. Neil ne pleure plus son mort, il le célèbre dans une grande cérémonie rock n roll. L’alcool aidant, il veut alléger la noirceur pesante de l’album qu’il vient d’enregistrer, se libérer de cet étau qui le pousse à gémir plus qu’à chanter.

Cela ne l’empêche pas, dès qu’il a terminé une improvisation digne des grandes heures de Little Richard, de livrer une poignante version de mellow my mind. L’harmonica a beau adoucir l’austérité de cette folk torturée, le riff a beau rivaliser avec les bluesmen les plus classieux, cette voix éraillée vous prend à la gorge. Ecouter ce live au Roxy après s’être plongé dans la marée noire de Tonight the night donne presque l’impression que ces disques sont joués par deux formations différentes.

Les titres de tonight the night furent enregistré en une prise, le loner privilégiant l’émotion au détriment de la splendide virtuosité de ses musiciens. Passé les lamentations de mellow my mind , le groupe va donc se libérer totalement , jusqu’à évoquer le bon vieux temps du Crazy horse. Sur word on a string , le riff gambade joyeusement sur un martellement binaire , la voix éraillée du loner se chargeant d’apporter une touche de poésie à ce mojo minimaliste. Ce concert au Roxy montre un homme qui commence à se relever, un artiste qui eut besoin de toucher le fond pour mieux rebondir.

La guitare de Neil ne gémit plus, elle chante. Le dépressif pathétique qui entra sur scène devient un vieux sage ayant survécu aux pires tourments. Il y a encore de la douleur dans cette voix avinée, mais cette douleur ne domine plus. Sur les passages les plus mélodieux, le loner semble contempler ses douleur d’une montagne vertigineuse, elles influencent encore sa musique mais ne le blessent plus.

Ses rocks nostalgiques sont des bouffées d'oxygène, ils ont l’intensité des premières minutes de réveil après un long coma. Symbole de cette renaissance, une country plus insouciante fait timidement son retour. Roll another number n’a pas la gaieté franche d’un heart of gold , mais son feeling enjoué montre que l’esprit de son auteur s’apaise. Le loner n’a pas encore le cœur à la fête, ce qui ne l’empêche pas de se laisser embarquer dans des chœurs bucoliques sur fond de tempo campagnard.

Les titres qu’il joua ce soir-là au Roxy , personne ne les connaissait , pourtant tous crient leur joie en reconnaissant la seconde partie de tonight the night. Envoyé pied au plancher, ce cri de douleur devient un grand exutoire rock n roll. Le batteur cogne ses fûts comme une brute, impose cette monotonie sauvage qui est le cœur nucléaire du rock  n roll. La guitare danse autour de ce rythme avec énergie, la puissance de ses solos semble repousser de redoutables démons.

Le groupe s’éclipsa ensuite durant quelques secondes, la ferveur d’une foule conquise l’obligeant à prolonger un peu sa prestation. La guitare se met alors à fredonner la mélodie de walk on , on constate alors que Neil est bien en train de guérir de ses blessures. « On ne fait pas son deuil . C’est le deuil qui nous fait. » On retombe sur la phrase fermant la chronique précédente. Une fois passé les premières douleurs, le deuil permet à l’homme de faire sa mue , d’oublier ce qu’il était pour devenir ce qu’il sera. Et c’est exactement ce que fit Neil Young sur la scène du Roxy.       

Neil Young : On the Beach

 


Pour écrire ce dossier, j’ai choisi de chroniquer les albums dans leur ordre de production plutôt que dans l’ordre de leur sortie. Cette démarche suit un principe vieux comme les Beatles : l’album représente une étape dans l’évolution d’un artiste. Voilà pourquoi, pour percer le mystère Neil Young, il faut reconstituer un puzzle fait de disques parfois sortis des années après leur enregistrement. Autrement, on tombe dans les mêmes incompréhensions que ceux qui découvrirent ces disques à leur sortie.

Pour On the Beach , il faut rappeler que , même si il sort avant , ce disque fut enregistré après tonight the night. Privées de cette information, les critiques de l’époque se dirent sans doute que le canadien avait un petit coup de blues. Le ton de cet album fut si inattendu que l’on prit le canadien pour un fou . Un fou génial mais lunatique, à la Dylan. Le public s’imaginait qu’on the beach était le début d’un processus de deuil, il en est en réalité la fin.

Les nuages ne se sont pas tous évaporés au-dessus de la tête du loner , la mère de son premier enfant s’apprêtant à mettre les voiles, mais l’envie de s’amuser revient progressivement. Le public rock a pu de nouveau témoigner son affection pour le canadien lors de la monumentale tournée de reformation de Crosby, Still, Nash and Young. Il lui témoigna un peu trop d’ailleurs, la foule ovationnant des prestations qui laissaient de plus en plus de place aux titres de son héros canadien. Trop orgueilleux pour jouer les faire valoir, Crosby , Still et Nash mirent vite fin à une reformation qui eut juste le temps de donner lieu à quelques concerts mythiques.

C’est aussi l’époque où Neil commence une collection de voitures anciennes, une passion qu’il gardera toute sa vie. Ces bolides pleins d’histoire lui rappellent sans doute le bon vieux temps où il sillonnait les routes dans un corbillard pourri.

Bref , il reprend goût à la vie et l’exprime dans on the beach. La légèreté de walk on a des airs de lendemains de fête, quand quelqu’un prend une guitare sèche pour prolonger un peu ce bon moment. Il plaque alors une légère mélodie, quelque chose qui puisse être fredonné avec l’émotion d’un dernier adieu. Cette folk légère donnera lieu à des interprétations plus musclées lors des prochains concerts, la douceur de cette version studio correspondant à la méditation d’un homme pansant ses dernières plaies.

Alors forcément, Neil Young joue le blues , un blues plus frais et varié que celui de tonight the night. Le morceau titre a la douceur d’un soir d’été, quand le vent ne souffle presque plus, un soleil orangé semblant se coucher sur le tapis bleu d’une mer sereine. Avec cette douce nostalgie, Neil réinvente le blues acoustique que l’on pouvait entendre dans certaine campagne américaine. La nostalgie est la joie des gens tristes disait Victor Hugo, ce bonheur si particulier remplace désormais le mélange de désespoir et de cris libidineux des contemporains de Son House.

Le blues n’est pourtant pas la seule facette de ce disque, comme le montre le folk revolution blues. Cette mélodie automnale, cette voix s’enivrant en racontant ses propres souvenirs, c’est un des plus beaux moments de poésie rock. Neil énumère des souvenirs qui ne reviendront plus pour mieux s’en défaire, regarde ses paradis perdus en face pour mieux les dépasser. On the beach est un disque qui réconforte là où Tonight the night ne peut qu’émouvoir.

C’est une musique que l’on ressort comme un doudou quand le destin se fait cruel, quand le temps pèse de nouveau sur nos fragiles épaules. La douceur de ces mélodies acoustiques embellissent sans doute les souvenirs de l’auditeur , le charme intimiste de ces chansons accentue une émotion qui ne fut sans doute pas aussi forte à l’époque.

La mémoire est un livre que l’on réécrit sans cesse et on the beach est à l’image de ces souvenirs protéiformes. À chaque écoute, on redécouvre ces mélodies avec un émerveillement enfantin. On the beach est trop souvent vu comme une œuvre austère, sombre et déprimante. C’est au contraire un disque lumineux et réconfortant.           

jeudi 24 juin 2021

Neil Young : Homegrown

 


Homegrown devait à l’origine sortir juste après On the beach. Malheureusement, en écoutant ces bandes, Neil Young décida qu’il n’était pas encore temps de sortir un tel disque. Privée de cette dernière production, sa maison de disque n’eut d’autre choix que de suivre les plans de son protégé, qui décida de publier Tonight the night.

Homegrown est ainsi devenu un fantasme de fans. Tous savaient qu’un album oublié trainait dans les tiroirs du loner, et le long affaiblissement de sa muse ne fit que renforcer l’attente vis-à-vis de cette œuvre cachée. L’album sortit enfin en 2020.Il ne faut pas le juger comme une œuvre émancipée de son contexte, mais bien comme un maillon essentiel du parcours du loner. Pour continuer de filer la métaphore dylanienne , on peut considérer ce disque comme le Nashville Skyline du canadien.

Nashville skyline permit au grand Bob de se libérer de la pression liée à son statut de superstar folk rock, de laisser sur le carreau tous ces dévots qu’il trainait comme des boulets. Alors que tous étaient restés bloqués au refrain prophétique de The time they are changin, ou à la poésie électrique de Like a rollin stone , le Zim partait chanter de la country avec Johnny Cash.

Homegrown permet à Neil de se libérer de tourment plus personnels, mais sa légèreté est aussi un exutoire. Placé en ouverture, Separate ways annonce une partie de ce que deviendra le Crazy horse. On retrouve cette rythmique apache, qui se met désormais à galoper paisiblement. La guitare slide souligne la tendresse de ce tempo serein , qui s’éteint avec le souffle d’un harmonica réconfortant. Try suit ce rythme campagnard , Emmylou Harris sublimant cette mélodie de sa voix de bohémienne country. Cette même Emmylou Harry n’allait pas tarder à illuminer les mélodies tziganes de Desire , disque que le grand Bob sortira en 1976.

On renoue ensuite avec la folk , love is a rose étant une sympathique réécriture de dance dance dance , le titre qui clôturait les concerts de la tournée acoustique du loner en 1970. Le canadien n’attend pas longtemps avant de faire de nouveau sautiller sa bonne vieille old black sur un bon vieux boogie terreux. On retrouve sur le morceau donnant son titre à l’album la formule qui fit la grandeur d’Everybody know this is nowhere : Deux ou trois notes et un rythme délicieusement binaire.

On regrette presque que Florida viennent ensuite casser la belle dynamique de ce début d’album. Avec cette succession de bruitages, Neil a sans doute voulu produire son number 9. Mission accomplie ! Ce Florida est aussi barbant que le délire expérimental de John Lennon. Alors, comme pour reconquérir une muse refroidie par un discours aussi abscons, Neil Young ressort sa guitare sèche. Il n’est jamais meilleur que dans ces moments-là, quand sa guitare et son harmonica permettent à sa voix de trouver la formule capable de bouleverser toutes les âmes. Kansas est surtout une pastille folk digne de celles qui firent le charme d’After the goldrush.

Notre canadien passe ensuite des prairies du Kansas aux bars de Chicago, s’encanaille sur le mojo immortel du mythique Chicago blues. We don’t smoke it no more fait immédiatement penser aux passages les plus puristes d’Exil on the main street , disque où les Stones s’américanisaient jusqu’au trognon. On revient ensuite au folk avec White line , où Robbie Robbertson vient sublimer la poésie Youngienne de son toucher plein de finesse. Une version électrique de ce titre sera gravée en 1990 , mais elle n’atteindra jamais l’intensité de cette prestation dépouillée jusqu’à l’os.

Faisant partie des rares explosions électriques d’un disque très tempéré, Vacancy rappelle les chevauchées les plus sauvages du groupe de Danny Whitten. Homegrown s’achève sur Star of bethleem , une folk acoustique nous ramenant à l’événement mythique de Newport. Les voix de Neil Young et Emmylou Harris ont remplacé celles du duo Dylan / Baez , mais la vieille magie opère toujours.

Si sa plus grande variété donne à Homegrown un charme moins mémorable que celui du torturé Tonight the night , il n’en reste pas moins un très bon disque. Léger sans être insignifiant, varié sans paraitre brouillon, Homegrown est une petite perle éclipsée par l’incroyable productivité de son auteur.           

samedi 19 juin 2021

Neil Young : Tonight's the night

 


Neil était en pleine gloire, les stades dans lesquels il jouait étaient bondés, mais les Stray gator décidèrent de tout gâcher. Ces musiciens demandaient désormais une augmentation que le loner ne pouvait leur offrir. La tournée en cours se termina donc dans une atmosphère tendue , avant que Neil ne renvoie ces paysans à leurs bars miteux. Ce coup du sort ne faisait de toute façon qu’accélérer un virage qu’il s’apprêtait à prendre, notre homme refusant de rester « l’auteur d’Harvest ».                        

Un autre événement allait confirmer la fin brutale de cette parenthèse enchantée. Les Stray gators finirent le dernier concert de la tournée, quand le téléphone se mit à sonner backstage. Il s’agissait de la police de Los Angeles, qui venait de retrouver Dany Whiten mort d’overdose. En entendant cette annonce Neil pâlit, il se souvenait avoir donné 50 dollars au guitariste pour s’en débarrasser. Il pensait que cette somme servirait à payer son retour, mais le guitariste préféra s’offrir un dernier trip.

Les idées noires se bousculèrent dans la tête de notre canadien. Il avait en mémoire le visage décomposé de ce guitariste à bout, il n’avait pas su entendre son appel à l’aide. Dany Whiten était pour lui le plus grand guitariste de son époque, aussi grand que Hendrix et Mike Bloomfield , peut être même plus. Il envoyait de sacrés riffs sur everybody know this is nowhere ! Des parpaings binaires lancés à la figure d’un folk rock resté bloqué à l’époque des Byrds. Neil avait pris son pied en jouant avec un tel virtuose du rythme binaire, il aurait dû préserver ce précieux génie.

Ces idées faisaient de son cerveau une cocotte-minute en surchauffe, alors il l’a arrosé. Le bonheur est dans l’abrutissement, c’est les boyaux de notre cervelle qui nous précipite vers l’abime. Alors, quand l’homme est titillé par les épines de la culpabilité, il les noie dans des rivières d’alcool. Assommé par la vodka à longueur de journée, Neil n’en continuait pas moins d’écrire , il avait déjà un paquet de chansons à graver dans le marbre. Il monte donc un nouveau groupe, les Santa Monica Flyers , et enregistre ce qui deviendra l’album Tonight the night.

A l’écoute de ces bandes, les responsables de la maison de disque changent de couleur. Après avoir roucoulé avec une telle grâce sur Harvest , voilà que leur protégé se mettait à gémir comme un torturé. Dès les premières minutes, cette musique transpire la douleur, ce n’est pas un album de rock c’est un mouroir. La voix brisée par le deuil et l’alcool, Neil gémit plus qu’il ne chante, crie comme un loup un soir de pleine lune.

Derrière lui, les Santa monica flyers impriment un boogie de bluesmen à la gueule de bois , le requiem d’une soirée ayant mal tournée. Le ton de l’album était donné, ce sera donc un déchainement de douleur et de souffrance, un gémissement que l’on écoute avec tendresse. Le blues se fait plus sombre que jamais, des titres comme speakin out faisant passer les grands martyrs noirs pour des fils de bonnes familles. Quand la guitare slide entre dans la danse, ce n’est plus pour faire rêver de campagnes tranquilles et de lendemains paisibles, mais pour nous plonger plus profondément dans la noirceur de ce spleen dépressif.

Word on a string ajoute un peu de colère à cet assommoir torturé. Energique sans être enjoué, son riff binaire semble se révolter contre la cruauté du destin. Neil n’en est pourtant pas encore au point de se régénérer dans une colère libératrice et le refrain ramène tout le monde dans les lymbes de ses tourments. Tonight the night est un album sans optimisme, une œuvre qui brille par sa noirceur. Sur Borrowed tune , Neil gémit comme un exilé aloolique , l’harmonica et le piano soulignant son deuil. Et puis il y a cette voix, fragile comme une bête blessée, se cassant au moindre emportement.

Trop honnête pour exprimer autre chose que ce qu’il ressent, Neil livre ici un des albums les plus sombres de l’histoire du rock. Aussi torturé soit-il , tonight the night fait partie de ces quelques disques qu’il faut avoir écouté au moins une fois dans sa vie. L’album ne sortira que plusieurs années après son enregistrement, la maison de disque pensant que ces chansons n’étaient pour Neil qu’une façon de faire son deuil. Mais, comme le disait Leon Bloy « on ne fait pas son deuil. C’est le deuil qui nous fait ». Voilà pourquoi ce disque est un des plus fascinants de la carrière du loner. 


Neil Young : Harvest

 


Cela fait des heures que Neil Young perce , fixe , abat des cloisons , en érige d’autre. L’homme sent à peine sa fatigue. Il a 26 ans, l’âge où un homme est au sommet de puissance virile. Il faut dire aussi que notre canadien est dans une très bonne période. Tout a commencé quelques jours plus tôt, alors qu’un de ses rares moments  d’ennui l’incita à regarder le film « journal d’une femme mariée ». Il tomba immédiatement sous le charme de Carrie Snogress , l’actrice principale. Plus d’un homme aurait perçu un coup de foudre aussi incongru comme un simple délire dû à la fatigue , pas notre canadien. Tout homme qui ne va pas au bout de ses idées est un Jean foutre, il parvint donc rapidement à contacter l’actrice en question.

Quelques jours plus tard, Carrie vint vivre dans son ranch, ce qui ne fit qu’encourager Neil dans son travail acharné. Il pensait avoir atteint une certaine maturité, était convaincu que ce ranch allait devenir le lieu sacré où il fondera une famille. Malheureusement, si sa volonté fut de fer, son corps n’était pas fait du même acier. Une douleur atroce immobilisa son dos, qu’il ne put allonger qu’au prix de souffrances à la limite du supportable. Le diagnostic de son médecin fut sans appel, Neil devait désormais porter un corset et éviter au maximum les efforts physiques. Contraint au repos, il s’imprégna du calme de son ranch, prit le temps d’apprécier la douceur de la vie à la campagne.

C’est dans ce cadre que furent écrites les chansons composant Harvest , que le loner n’enregistra pas avec le Crazy horse. Découvrant un succès qu’ils n’ont jamais connu, les compagnons de Dany Whitten sont en pleine déchéance toxicomane. Neil Young a donc pris ses distance avec le groupe qui l’accompagnait sur plusieurs de ses grands disques peu après la sortie de after the gold rush. Quelques jours après ce divorce, il fut invité à Nashville, pour participer à l’émission de Johnny Cash. Pour l’accompagner, il choisit une bande de musiciens locaux triés sur le volet, qu’il renomma les stray gator. C’est avec ce groupe qu’il enregistre Harvest , qui sort en 1972.

Tiré de ce disque, heart of gold passe en boucle sur une bonne partie des radios américaines, au point que tous les enfants nés cette année-là doivent avoir son refrain gravé dans un coin de leur mémoire. Harvest est au country rock ce que sgt pepper est à la pop, un monument inattaquable , une certaine vision de la perfection musicale. Ce disque est tout simplement beau, démesurément beau, d’une beauté qui apaise même les esprits les plus perturbés.

Pour ouvrir ce monument bucolique, out of the week end est porté par un rythme qui vous masse tendrement les tympans, la guitare slide ayant la chaleur du soleil californien. A intervalle régulier, l’harmonica fredonne son blues rêveur, qui clôt le titre sur un souffle digne des grandes mélodies de Bob Dylan. Harvest (le titre) poursuit cette country rassurante , le groupe jouant avec la lenteur charismatique d’une bande de Mariachi endormie par une chaleur désertique. Puis vient man need a maid , long crescendo lyrique où l’orchestre symphonique de Londres transcende le lyrisme romantique de Neil Young.

De la légèreté de heart of gold à la gravité nostalgique de old man , de la douceur inquiète de the needle and the damage done à l’allégresse de a man need a maid , Harvest maintient cette douceur apaisante qui ne peut que charmer. Harvest est un paradis perdu, une bulle de bonheur dans un monde troublé, c’est aussi le sommet d’un certain renouveau country. Des ex Jefferson airplane de Hot tuna aux Grateful dead , de Bob Dylan aux Byrds , tous ont sorti le rock de ses rêves psychédéliques à grands coups de swing country.

Une fois de plus, c’est Neil Young qui ferme cette porte, cette formule ne pouvant plus dépasser une telle perfection. Harvest est LE disque qui va définir Neil Young, alors qu’il va longtemps s’acharner à ne pas le reproduire. Si une autre maison de disque lui propose un meilleur contrat, c’est en espérant que le loner poursuivra dans cette direction aussi lucrative que brillante. Mais un artiste sincère ne peut produire deux fois le même album, surtout un disque aussi personnel qu’Harvest. Cet album a été inspiré par un bonheur qui ne reviendra jamais de cette façon, c’est l’œuvre d’un homme qui veut que sa joie rayonne sur le monde. Or, ce ciel dégagé n’allait pas tarder à s’assombrir.            

Neil Young : After the goldrush

 


Cette fois , Crosby Still Nash and Young est bien mort. Officiellement, Neil Young s’est juste absenté le temps de produire son troisième album solo, mais l’homme n’est pas du genre à rentrer au bercail quand sa muse le mène ailleurs. Il s’enferme donc dans son studio avec le Crazy horse et Neil Lofgren. Ce dernier n’est pas encore le guitariste au sourire sympathique que popularisera le E Street band , mais juste un musicien de studio inconnu du grand public. Alors que l’homme était jusque-là engagé pour ses talents de guitariste , Neil Young lui demande de se charger du piano, instrument qu’il ne maitrise absolument pas.

Et c’est justement ce que cherche le loner , l’innocence du débutant , la simplicité touchante de celui qui semble découvrir son instrument. After the gold rush s’ouvre sur tell me why , un country folk sentimental qui n’est pas sans rappeler un autre grand troubadour populaire. Depuis John Whesley Hardin , Bob Dylan se détend lui aussi dans les décors bucoliques de la country renaissante. Neil est plus mélodique que son alter égo New Yorkais, son sentimentalisme offre une nouvelle douceur à une rythmique que n’aurait pas reniée Johnny Cash.  

Neil Lofgren fait ensuite des merveilles sur after the gold rush (le morceau) , parvenant à annoncer le lyrisme théâtral qui fera la grandeur de Bruce Springsteen. Dans ce bain grandiloquent, la voix de Neil Young laisse s’épanouir toute sa sensibilité. Pendant des années, les producteurs voulurent cacher ce hululement de vieux loup blessé. Neil Young , comme Bob Dylan , n’a pas une « belle voix » , dans le sens où celle-ci tranche trop franchement avec la douceur de la pop pour ne pas choquer l’oreille. Ces intonations ont leurs propres codes, leurs propres caractères, qui se dévoilent ici dans toute sa splendeur. Cette voix, c’est le cri d’un homme qui faillit perdre la vie alors qu’il n’avait pas dix ans. On a l’impression que cet écorché vif ressent tout plus intensément que le commun des mortels.

Quelque minute plus tard, quand le Crazy horse le ramène sur le sentier de la guerre, ses lamentations deviennent de redoutables condamnations. Southern man le voit ainsi renvoyer le sud-américain à son passé esclavagiste et à ses déviances racistes, il cite les croix de feu du Klan comme autant de symbole d’un passé dont les sudistes porteront toujours la honte. Derrière lui, le groupe de Danny Whiten tricote un swing d’apache perdu en plein far west , un  groove voodoo portant la colère de tous ces martyrs de l’Amérique. 

A cette charge succède till the morning come , courte comptine folk dont les chœurs rappellent les bluettes légères de Crosby Still Nash and Young. On retrouve ensuite une folk plus sophistiquée sur Oh lonesome me. L’harmonica joue un blues poignant, le piano souligne discrètement un slow dirigé par une rythmique nonchalante. Ce titre représente le blues des campagnes, c’est Blind Willie Johnson jouant son spleen mystique en compagnie des Byrds, le tout culminant sur des chœurs sur lesquels planent encore l’ombre des grandes chorales californiennes.

Avec after the gold rush , Neil Young crée une beauté hybride. Léviathan gorgé des rythmiques sèches du blues, de la simplicité poignante de la folk, du charisme bucolique de la country, cette force émouvante fait rayonner sa voix d’écorché vif. Reconnaissant dans ce lyrisme la splendeur un peu nostalgique de Déjà vu, le grand public ne tarde pas à se ruer sur ce after the goldrush.

Cet album réinvente ce que Crosby Still Nash and Young n’ont pu que célébrer une dernière fois , il offre une nouvelle vie à une musique que l’on croyait morte sous les coups des grands drames de la fin des sixties. After the goldrush devait être la bande son d’un film que Neil Young voulait réaliser. Le long métrage ne verra jamais le jour, ce qui ne fait qu’augmenter la grandeur de ces mélodies.

Avec les royalties engendrées par les ventes astronomiques de after the gold rush , Neil Young achète un ranch qu’il renomme broken arrow. C’est à partir de cette date que l’histoire fait place à la légende.          

vendredi 11 juin 2021

CSNY : Déjà Vu

 


Dans les studios d’Atlantic , Crosby et Nash ont enfin convaincu Stephen Still de reprendre contact avec Neil Young. Ce dernier n’avait pas encore pardonné au canadien d’avoir si brutalement quitté le Buffalo Springfield, mais sa nouvelle formation avait besoin d’un musicien supplémentaire. Stephen propose donc à son ex partenaire de le rejoindre dans le studio de Crosby Still and Nash. Pour limiter les tensions liées au caractère du Canadien , Still lui propose de ne rejoindre le trio qu’après son set acoustique. Sans surprise, Neil refuse ce travail de fonctionnaire,  il ne rejoindra le trio que si son nom apparait à côté de ceux des autres musiciens. Non content d’imposer sa place dans cette union d’élite, le loner exige aussi de pouvoir continuer ses activités en solo et avec le Crazy horse. Pris de cours, Crosby Still and Nash sont obligés d’accepter toutes ces conditions avant d’entrer en studio.

Alors que les premières séances d’enregistrements démarrent ,  le nombre de précommandes du premier album de Crosby Still Nash and Young bat déjà des records. L’enregistrement est pourtant interrompu pour que le groupe puisse participer au festival de Woodstock. L’événement devait être payant mais, dépassés par l’invasion d’une horde de spectateurs bien plus importante que ce qui était prévu, les organisateurs n’ont pas réussi à contrôler les entrées.                                 

L’organisation fut d’ailleurs désastreuse, le retard de plusieurs artistes obligeant le chanteur folk Ritchie Havens à improviser pendant de longues minutes. Affamée par un ravitaillement défectueux, privée de tout confort, cette foule vécut tout de même la plus grande communion musicale de l’histoire de l’humanité. Woodstock fait rêver parce que notre époque est devenue trop médiocre pour espérer revoir une chose aussi belle. Si un organisateur tentait une telle expérience aujourd’hui, il serait trainé devant tous les tribunaux pour le volume trop élevé de sa sonorisation, l’absence de sanitaires et de nourriture, si la présence d’une espèce protégée sur place ne lui vaut pas une plainte pour « écocide ». Une tentative de ressusciter ce festival fut d’ailleurs organisée dans les années 90. Profitant de la liberté laissée par les organisateurs, le public s’était laissé aller à un déchainement de violence. Le festival dont l’hymne était paix et amour était devenu un enfer de viols et de haine.

1969 fut la seule année où la musique était assez somptueuse pour faire communier une telle foule. Pourtant, comme Bob Dylan, Neil Young a vite compris qu’un tel événement est dangereux pour la carrière de ses protagonistes. De Janis Joplin à Canned Heat , d’Alvin Lee à Jimi Hendrix , tous seront avant tous les « héros de Woodstock » , et ce au détriment de leurs œuvres. Pour Crosby Still Nash and Young , le drame était plus profond. De par leur passé, ces hommes représentaient l’âge d’or du rock Californien,  ils étaient les Beatles d’Amérique. Voilà pourquoi, malgré une prestation catastrophique, le quatuor fut acclamé par une foule qui le vénérait. Woodstock a ainsi été le point d’orgue en même temps que l’arrêt de mort de CSNY. Neil Young refusait de rester le doudou de cette foule de futurs nostalgiques, il ne voulait pas devenir un symbole du passé.

De retour au studio Atlantic, Crosby Still Nash and Young bouclent les sessions de l’album Déjà vu , qui sort enfin en mars 1970. Cet album est une œuvre dépassée par son époque, le symbole d’une nation de Woodstock qui disparaît déjà. Sur la pochette, la photo de ces musiciens a le charme de celles exposées dans les musées. Elle célèbre une époque qui semble déjà disparue. En ouverture, carry on atteint la symbiose que cherchaient les grandes communautés hippies de San Francisco. On retrouve sur ce titre l’idéalisme de « the time they are changin » , marié à la douce innocence des Byrds.

Il est impossible de représenter l’idéalisme hippie sans parler du Vietnam, symbole d’un impérialisme américain devenu fou. « Almost cut my hair » lance donc sa diatribe pacifiste sur une chevauchée électrique digne du Crazy horse. On retrouve ici l’agressivité lyrique et le swing nonchalant que Neil Young sera bientôt le seul à incarner.

C’est d’ailleurs le canadien qui fait redescendre la pression avec la country folk d’helpless. L’intensité sonore devient une intensité émotionnelle, les gémissements du violon souligne la tendresse d’un refrain poignant. Comme beaucoup de grandes œuvres du Loner , helpless ménage ses effets pour réduire au maximum la distance entre l’auditeur et les musiciens. Avec cette complainte épurée, Neil annonce ses plus belles heures de troubadour country folk. Après une émotion aussi intense,  l’optimisme léger de « Woodstock » permet à l’auditeur de souffler un peu.

Sur un riff digne de Keith Richard , « Woodstock » célèbre la grandeur d’un événement historique. Déjà vu ne se contente pas de pleurer une époque perdue, il la sublime et s’affirme comme l’aboutissement de son œuvre. Une bonne partie de ce que l’on a appelé le California sound pousse ici son chant du cygne. David Crosby parviendra bien à retrouver cette beauté le temps d’un album, mais la douleur aura alors pris la place de la nostalgie rêveuse de Déjà vu. Rongés par les querelles d’égo et leurs peines personnelles, Crosby Still et Nash s’enfoncent progressivement dans la drogue. Méprisant la descente aux enfers de ces musiciens, qui semblent vouloir mourir avec les idéaux qu’ils représentaient, Neil Young est déjà prêt à mettre fin à l’aventure CSNY.

Un événement tragique va le maintenir quelques jours auprès de ce qui ressemble de plus en plus à une réunion de has been. Nous sommes en mai 1970 dans l’université de Kent, située dans l’Ohio. Les farces de l’ordre sont à cran, plusieurs manifestants radicaux sont venus bruler des constitutions sous leur nez, avant d’incendier un bâtiment situé à proximité. Les cognes ont alors sorti les triques, parvenant ainsi à disperser les troupes les plus radicales. Le lendemain de ces débordements , une troupe de manifestants pacifistes se réunit dans le jardin de la même université. Pacifiste ou radicaux , pour les policiers ça revenait au même … C’est toujours la même racaille rouge qui menace le pays des libertés et de l’oncle Sam !

Alors ils utilisèrent les mêmes moyens, chargeant les manifestants avec violence. Au début, cette méthode archaïque semblait marcher, mais un sit in parvint tout de même à s’organiser dans la cour de l’université. Se croyant au far west , le sergent Taylord sortit alors son pétard pour tirer dans le tas. Prenant cet acte pour un ordre , la section qui le suivait fit de même avec un enthousiasme remarquable de bêtise. En treize secondes soixante sept balles furent tirées sur cette foule désarmée, faisant ainsi quatre morts et neuf blessés.

Toutes les télévisions passaient ces images horribles en boucle, inspirant ainsi à Neil Young un de ses titres les plus connus. Enregistré avec Crosby Still et Nash , Ohio cible « Nixon et ses soldats de plombs » dès la première phrase , ce qui lui vaudra d’être censuré sur de nombreuses radios. Cette censure n’empêchera pas le titre de devenir un tube. CSNY se dissout ensuite, peu de temps après avoir chanté la mort des idéaux qu’il représentait.                           

Neil Young :Tuscaloosa

 


Peu de temps après la sortie de Harvest, Dany Whiten vint voir Neil Young dans son ranch. Le guitariste du Crazy horse lui annonça, avec des trémolos dans la voix, que la chanson the needle and the damage done l’avait bouleversé. « J’ai jeté toute ma came après avoir entendu ta chanson. J’en ai bavé quelques jours mais je suis clean. »

Neil doutait qu’une telle révélation fut possible, la dope est une maîtresse trop sournoise pour lâcher son homme si facilement. Mais Dany parut trop bouleversé pour que son ex patron lui refuse une nouvelle chance. Les répétitions qui suivirent furent un désastre. Le cerveau de Whitten , ravagé par l’héroïne , ne parvenait plus à retenir le moindre accord, à initier la moindre mélodie. Neil était dans un moment trop important pour se permettre de garder un guitariste aussi médiocre, la presse n’attendait que ça pour le descendre de son piédestal. Il offrit donc à son ami les 50 dollars censés payer son retour chez lui, et poursuivit ses répétitions avec les Stray gators.

Au début il appréciait moyennement ces types embauchés en urgence pour jouer au Johnny Cash show. Quand il repense à cette émission, Neil a toujours un sourire affectueux pour l’homme en noir. Quand il rencontra Cash, il n’était déjà plus le héros svelte de Folssom. Le temps l’avait doté d’une bedaine de tranquille père de famille, alors que ses premières rides lui taillaient un visage de fermier du Kentucky. Ne voyez aucun mépris dans cette description, c’est au contraire un éloge. A force de chanter l’Amérique profonde Cash finit par l’incarner. Neil imaginait bien ce grand homme continuant à chanter la country coulant dans ses veines malgré les stigmates de la vieillesse.

Triés sur le volet avant le Johnny Cash show, les Stray gator ont un feeling typique des musiciens de Nashville, ce tempo lent comme le pas d’une vache dans son pâturage. Ils pouvaient varier le rythme de ce swing campagnard, mais ils n’abandonnaient jamais cette monotonie fascinante. Lors d’un de ses concerts acoustiques, Neil avait avoué que cette nonchalance lui donnait l’impression de jouer avec les Tennessee Tree. Puis vint ce concert au memorial auditorum d’Alabama.

Ayant fait de cet état le symbole du racisme sudiste dans un des titres de harvest , Neil put s’attendre à un accueil assez viril. Mais le talent excuse tout, même si le ton moralisateur d’ « Alabama » en faisait le titre le plus faible d’Harvest. Le concert au mémorial auditorium imposa les Stray gator parmi les meilleures formations qu’ait connu le loner.

Sur les passages les plus country , le swing de ce groupe fut si charismatique que Neil faillit chanter qu’il «  avait tué un homme à Rino … Juste pour le voir mourir »*. La slide se prélassa majestueusement sur ce tempo bucolique, ses roucoulements furent le soleil dotant ces paysages d’une aura dorée. C’est le cœur de l’Amérique qui battit à travers les pulsations de Heart of gold ou don’t be denied. Même quand ces culs terreux se lancèrent sur un boogie furieux tel que time fade away , ils gardèrent ce swing flegmatique , qui se marie si bien avec le chant doucereux du loner.

Ce soir-là, au memorial auditorium , ces musiciens purent tout se permettre , même jouer Alabama dans la ville visée par son texte. Les spectateurs comprirent que, malgré la violence de ce texte, Neil Young est des leurs. Sa musique eut la beauté de ces terres où trimèrent des générations de paysans, elle exprima les plaisirs simples de ceux qui nourrirent le pays pendant des décennies.

Si Neil Young souriait en pensant à Johnny Cash, c’est qu’il reconnaissait en lui un père spirituel.     

 

*paroles de Folsom prison blues de Johnny Cash

samedi 5 juin 2021

Neil Young 2


1968 est une bonne année pour Neil Young.

Débarrassé de la tension liée à la notoriété du Buffalo Springfield, il met son avenir entre les mains d’Eliott Robert. Celui-ci n’a pas de difficultés à lui faire signer son premier contrat en solo. Avec l’avance, le loner peut enfin s’offrir une maison digne de ce nom. Mais le confort matériel et l’indépendance ne comblent pas les hésitations d’un artiste un peu perdu quand il entre en studio. Pour se rassurer, il récupère Jack Nitzshe , qui a déjà travaillé avec le Buffalo Springfield.

Se souvenant de son travail auprès des Stones, le producteur conçoit un écrin foisonnant, fait le lien entre les accents country rock de son poulain et l’extravagance pop anglaise. Certains mondes ne devraient malheureusement jamais s’unir, on ne peut restituer l’authenticité rock dans un emballage aussi épais. The loner montre bien cette limite. Ce classique deviendra vite un des principaux chevaux de bataille scénique du grand Neil, il n’est pourtant ici qu’un titre schizophrène bloqué entre deux inspirations . D’un côté, Neil Young tricote un riff épais annonçant les futures charges de sa fidèle « old black » (nom qu’il donna à sa guitare la plus célébre), pendant que son producteur atténue cette violence sur un refrain dont les violons amplifient le pathos.  

Jack Nietzche est resté bloqué dans les sixties, il veut faire de Neil Young le descendant des Byrds et des Beach boys. Il n’a pas compris que cette époque était déjà en train de s’éteindre, que Crosby s’apprêtait à larguer ses oiseaux en rase campagne, alors que les Beach boys commençaient une longue disgrâce. Ce qui couvait dans la grande Amérique, c’est un rock plus direct et violent. L’avènement des Stooges et du MC5 se préparait et Neil Young semblait prêt à offrir cette énergie au folk rock. Le riff de the loner montrait d’abord ça, un changement d’époque qui ne demandait qu’à se confirmer. Avec ses effets de manche pop psychédélique, Jack Nietzche ne fait que reporter ce qui finira par se confirmer quand Neil rencontrera le Crazy horse.

Pris individuellement, la plupart des titres composant ce disque sont de parfaites réussites, mais la multiplicité de leurs influences nuit à l’album. La folk insouciante de the last trip to tulsa côtoie la country insouciante de the last trip to Wyoming , avant que I’ve been waiting for you ne nous transporte soudainement sur les chemins colorés de la pop anglaise. Vient ensuite un If i could have her tonight, qui sonne comme un inédit issu des sessions de turn turn turn des Byrds.                                     

Conscient que ce premier essai sonne plus comme un hommage à une décennie qui se meurt qu'à un véritable album solo , Neil Young ne cessera d’ailleurs de critiquer cet album. Du côté de la maison de disque, on se réjouit d’entendre ces mélodies vaguement psychédéliques , cette mélancolie boursoufflée qui rappelle un passé que son auteur voulait faire oublier.                                                                        

L’album sort donc avec un sticker annonçant fièrement « Buffalo’s springfield Neil Young ». Le disque ne fera pas date mais cette simple pub suffira à le vendre à une foule déjà nostalgique.

Pour faire oublier un album où sa voix est presque inaudible, Neil Young part dans une grande tournée acoustique. Au court de ce périple, il retrouve un groupe avec lequel il avait déjà sympathisé à l’époque du Buffalo Springfield.

Menés par Dany Whitten , les Rocket furent nommés « la honte de la Californie » par une presse ne supportant pas la simplicité de leur rock binaire. Heureux de retrouver des musiciens qu’il a toujours estimé, Neil ressort sa bonne vieille old black, et croise le fer avec cette bande de renégats maudits. Une symbiose se met rapidement en place, notre canadien ne s’est jamais senti aussi bien dans un groupe. Il récupère donc cette formation, qu’il renomme Crazy horse en hommage à un chef indien, et entre vite en studio pour enregistrer le véritable point de départ de sa carrière solo.

Everebody know this is nowhere est mis en boite en quelques jours en mai 1969. Comme je l’ai déjà dit précédemment, c’est avec ce disque que le loner entre de plein pied dans les sixties. A l’époque du hard rock et du proto punk, il enfourche son cheval fou, qui l’emmène dans de grandes chevauchées country rock. Ces musiciens sont de véritables mineurs de fond d’un rock binaire et lourd, ils répètent les mêmes gestes jusqu’à trouver une nouvelle énergie. Ouvrant le bal sur un ouragan de guitares hurlantes, cinamon girl culmine sur un solo d’une seule note. Là où la plupart de ses contemporains ne doivent leur charisme qu’à leur capacité à ensevelir leur public sous des trombes de gémissements hurlant, Neil agrippe le seul accord de son solo pour en faire le cœur  nucléaire d’un mojo irrésistible. 

Cette simplicité, qui valut au Crazy horse les pires injures, ouvre des grands espaces dans lequel le grand Neil s’épanouit enfin. Dans un triptyque sacré, composé de cowgirl in the sand, down by the river et cinamon girl , le canadien crée une formule qu’il ne cessera de réinventer par la suite. Ce mélange de lyrisme nostalgique et d’urgence rageuse sera ce qui va définir le son de ce cavalier fou et de sa gracieuse monture pour les années à venir.

Cinnamon girl est un riff galopant comme un troupeau de bisons chassés par le terrible Buffalo Bill , la course se terminant dans les contrées reposantes de everybody know this is nowhere. On découvre alors le folk singer qui fera rêver le monde lors de la sortie de Harvest.

Le charme de everybody know this is nowhere , comme de beaucoup d’albums enregistré avec le Crazy horse , se situe dans cette harmonie entre la nostalgie naturelle du loner et la fougue de son cheval fou. Cet album est aussi le plus dépouillé que son auteur ait produit jusque-là. Avec ses chœurs mélodieux rehaussés par quelques arpèges, round and round déploie déjà un lyrisme digne de ce que sera Crosby Still Nash and Young. Chaque note a la puissance d’un chorus, le country folk se mêle au rock dans une atmosphère douce ou violente.

A une époque où tout le monde cherche à sonner plus fort, à écrire la mélodie la plus riche, Neil revient au précepte de Johnny Cash : « Si la maquette est bonne, on met la maquette sur l’album. » Cette simplicité abolit toutes les barrières entre l’auditeur et les musiciens. On parcourt ainsi les routes en compagnie de cinamon girls magnifiques, on se repose autour d’un feu de camp où Neil chante de poignantes chansons folk, on ressent le désespoir de cet homme qui assassina sa femme au bord de la rivière. Everybody know this is nowhere a la beauté tragique des grands westerns, la grandeur des œuvres plongeant leurs racines dans le sol inépuisable de la musique traditionnelle américaine.

Neil Young est un musicien amoureux des grands espaces, un paysan semblant chanter l’histoire de cette terre où il n’est pas né mais qui le fit grandir. Si on ne devait choisir qu’un disque pour définir le rock américain, cet album serait sans doute le choix le plus judicieux.