Le nom ne l’avait pourtant pas emballé, et l’affiche semblait jouer la carte de la nostalgie. De toute façon, la jeunesse des 90’s a déjà les oreilles bouchées, initiée à la merde sirupeuse dès le berceau. Si les genres musicaux, si nombreux dans les 60’s, ont disparu, c’est à cause de l’abrutissement de ces oreilles innocentes. Voilà pourquoi la proportions de vieux augmentent dans les concerts.
Ultra minoritaire dans les années 70, ils constituent
désormais la moitié du public. Ce constat inspira à Clint ces quelques lignes
tristes :
« A ce train-là , la musique de l’éternelle jeunesse
risque de devenir un vieux doudou pour quinquas nostalgiques. »
Le constat l’amène à une conclusion qui n’est pas
forcément négative. Le rock est devenu une musique exigeante dans un monde
superficiel. Pour résumer son dernier livre, Buckowski écrivait :
« Ce livre est dédié aux derniers hommes libres , si il en
reste ». »Voilà ce qu’est devenu le rock , un moyen d’éviter cette
maladie sordide qu’est le conformisme.
Puis les lumières s’éteignent , les projecteurs
s’allument , et toute la foule semble avoir le même âge. L’appartenance des
black crowes à la famille sudiste ne fut pas reconnue par tous, certains leur reprochant leurs influences trop anglaises. Ce sentiment fut d’ailleurs confirmé
par une rumeur annonçant leur participation à une série de concerts de Jimmy
Page. La rencontre aura bien lieu , et donnera naissance à un disque
anecdotique , où les artistes se contentent de devenir le meilleur tribute band
de led zeppelin.
Ce soir-là pourtant, le débat semblait futile, le gospel
rock de remedy sonnant comme un lointain echo du lyrisme de Lynyrd. Devenu fervent défenseur du groupe, Clint sera conforté dans son opinion par la sortie
de « the last rebel », le disque que lynyrd sortit en 1993, peu de
temps après les premiers exploits des black crowes.
« Si « the last rebel » est aussi bon, on
le doit à une jeunesse qui a su réveiller son vieux héros fatigué. Ce disque
creuse le sillon gospel blues de « The Southern Harmony and Musical
Companion » , chef d’œuvre que les black crowes ont sorti il y’a quelques
mois. Ajoutez à cela le retour en grâce des Allman brothers , et vous obtenez
le nouvel âge d’or d’une musique universelle . Age d’or qui trouve avec « the
last rebel » un nouveau marqueur historique. »
En parlant des allman , la nouvelle formation de cette
« famille » a mis la lumière sur un homme qui va devenir la nouvelle
obsession de Clint.
« Warren Hayne a permis aux Allman de jouer le
blues comme ils ne l’ont plus fait depuis la disparition tragique de Duane. Son
jeu est un modèle de modestie sur « shade of two word » et
« hittin the note » , deux disques aussi vénérables que les vieux
succès de leurs modèles.
C’est que le blues se maîtrise au terme d’un parcours
ingrat, c’est une énergie qu’on ne développe qu’après avoir subi les affres de
la vie.
Voilà pourquoi il y’a plus de souffle dans le jeu de
Hayne , que chez n’importe quel jeune loup tel que Bonamassa. »
Quelques jours plus tard, la performance des allman au
beacon theater lui fera écrire :
« Hayne est devenue l’âme des Allman brothers.
Celui qui, le temps d’un solo à rallonge, les mène vers des sommets
hypnotiques. C’est aussi lui qui se charge de l’atterrissage en douceur, revenant
à la simplicité du riff, avec ce phrasé magnifiquement économe.
On sent pourtant chez cet homme une musicalité, qui ne
s’épanouit que partiellement avec le groupe du vieux Gregg. »
Quelques jours plus tard, son rédacteur en chef tend à
Clint un vinyle, en lui disant juste qu’il est le plus apte à le chroniquer.
C’est surtout que les autres ont jeté l’éponge, plus intéressés par le grunge
que par le blues rock graisseux.
Sur la pochette de ce disque offert par son patron, un
âne arbore fièrement le drapeau américain. Le nom du groupe, gov’t mule , fait
référence à un amendement de Lincoln , qui promettait un bout de terre et un
âne à tous les esclaves libérés après la guerre de sécession. En réalité,
Johnson reviendra sur cette promesse, et offrira plutôt aux noirs américains
leurs propres quartiers de misères, et les joies de l’apartheid. Symbole des
promesses non tenues , ce nom fait plus penser à un groupe punk bien démago ,
qu’a une réunion de solides sudistes.
L’écoute du disque donne à Clint une claque qu’il n’a
plus ressentie depuis des années :
« Gov’t Mule est au sud ce que taste fut pour le
blues , un power trio d’une énergie démentielle , une tornade secouant une
culture devenue immobile. On peut regretter que ce bon vieux Warren Hayne
masque sa finesse derrière une puissance sonore impressionnante, mais l’homme a
compris qu’il fallait que sa musique retrouve une certaine urgence. »
Dose lui inspirera la même admiration :
« Ce disque est un sommet, le dernier épisode d’une
série unique. Gov’t Mule atteint ici une telle symbiose entre le groove sudiste
et la puissance heavy blues, qu’il ne pourra s’améliorer qu’en changeant de
plan d’attaque, à moins qu’il ne change carrément de voie. »
Clint avait enfin trouvé son nouveau Lynyrd, qu’il
suivait désormais lors de ses concerts épiques, un parcours qui lui rappelait
ses grands débuts.
« Le marteau de dieux nous mènera vers de
nouvelles terres .» Mes amis , Gov’t Mule n’est pas seulement un groupe ,
c’est une armée de conquérants. Un soir, au roxy theater , ils sont arrivés
devant un public blasé. Nous ne sommes plus en 1969 , et le culte du blues n’est
même pas un souvenir pour les badauds s’étant arrêtés dans cette grande salle.
Mais la musique a lancé une charge sans pitié. Dès les dernières notes de « thorazine
shuffle », la foule était à genoux, exprimant sa gratitude via des acclamations
sauvages. Ce soir-là , la mule pouvait tout se permettre , y compris de
nettoyer war pig de ses relents macabres. »
Les trois premiers albums tournaient en boucle dans le
bus de tournée, quand certains titres ne passaient pas sur certaines radios. Mais
les groupes sudistes semblent condamner à une fin tragique, et gov’t mule ne
sera pas une exception.
En ces années 2000 , Allen Woody partit rejoindre Ronnie
Van Zandt au vahalla des vieux combattants du heavy blues. Loin de s’écrouler,
le groupe salua sa mémoire dans une série de concerts orgiaques.
Compilées sur le triple live deep end, ces performances firent
dire à Clint dans les colonnes de rolling stones :
« 25 bassistes , c’est ce qu’il fallait pour rendre
hommage au socle rythmique de la mule. Ce disque est un somptueux hommage au
siècle qui vient de mourir. On espère tout de même que gov’t mule sera capable
d’annoncer la couleur de celui qui débute. »
Il faudra attendre 4 ans pour que le groupe sorte un
nouveau disque. Une éternité durant laquelle Clint suivit la carrière solo de
Warren Hayne.
« Tales of ordinary madness , en plus de rappeler
un des livres les plus géniaux du vieux Buck , réalise ce que l’on soupçonnait
depuis que Hayne posa pour la première fois le pied sur scène. C’est un
travail d’orfèvre qui a su garder la puissance de ses débuts, l’œuvre d’un
artisan du pur rock n roll amoureux du bel ouvrage. »
Quelques années plus tard, Clint découvre Blackberry
Smoke .
« Ces types sont aussi attachants qu’un livre rempli de vieilles photos. Avec eux, l’esprit
conquérant des grands rednecks des années 70 fait place à un country
rock festif. Mais, derrière cette légèreté apparente, se cache une capacité impressionnante
à pondre des mélodies inoubliables. Si le rock sudiste doit s’éteindre sur ce
boogie chaleureux , il aura une mort des plus dignes ».
Cette réflexion sur la mort du rock sudiste n’était pas
un abandon de sa musique, mais une interrogation face à son évolution. Cette
pensée était née alors que Warren Hayne l’avait invité à assister aux
enregistrements de « ashes and dust ».
Assis sur un tabouret de bois, l’homme envoyait des
mélodies bluegrass auraient fait passer l’intervention de Jack White, dans
retour à cold mountain, pour une mauvaise imitation de cette musique des exilés
chère à Steinbeck. La musique, elle, était encore plus pure et rustique que
tout ce que le sud a pu produire lors de son âge d’or.
Lorsque Hayne sort de la cabine d’enregistrement, Clint
ne peut s’empêcher de lui dire sur un ton admiratif :
« C’est dingue ! Tu sonnes comme the band ! »
« Tu me fais un beau compliment, j’ai toujours
adoré ce groupe, leur concert d’adieu m’a fait pleurer comme une jeune fille. »
« Ce disque va bien plus loin que tes influences
habituelles. Tu sembles devenir l’âme musicale de l’amérique. »
« Ces influences ont toujours été là, c’était juste plus discret. »
Il prend sa guitare et se met à jouer le riff de « John
the revelator »,la version originale introduisant une seconde plus poussiéreuse,
comme si la première menait naturellement à la seconde.
« Tu vois, tout était là depuis le départ. »
Hayne pose sa guitare avec un tel soin, qu’il semble l’aimer
comme on aimerait un enfant.
« Tout était là, mais les critiques sont trop
obnubilées par leurs étiquettes, ils tiennent trop à ces œillères. C’est pour ça
que j’ai repris « gold dust woman »
sur ce disque. Rumour est sans doute le plus grand disque des années 80, il
dynamite les frontières érigées entre les différentes composantes de la musique
américaine. »
Clint ne peut s’empêcher de relativiser ce constat :
« Mais tu oublies cette production tape à l’œil, on
est loin de votre profondeur crasseuse. »
Hayne se fige , la passion fait trembler sa main, comme
si il fut blessé par la phrase envoyée par son hôte. La passion faisait vibrer
son impressionnante carcasse, comme les cordes d’un instrument charismatique.
« Et Alors ! C’est comme reprocher à Dylan de
ne pas écrire exactement comme Kerouac ! Mais, tu verras , cette limite
est en réalité la base de son génie. Il aura le nobel ce con ! Et tous les
journalistes hautains, qui crachaient à la gueules de ses vers , viendront lui
baiser les pieds. »
Hayne parle comme il joue sur scène, avec passion. Sa
spontanéité l’amène souvent à des raisonnements aussi imprévus que passionnants.
Revenant au sujet initial sans transition, Hayne détruit la réflexion de son
interlocuteur en quelques mots qui resteront dans sa mémoire.
« Le rock sudiste n’a jamais été aussi présent qu’après
sa mort, quand ses descendants se nourrirent de son cadavre exquis pour faire
grandir la musique américaine. »
Voilà la révélation que Clint cherchait depuis le début
de son histoire. Désormais, il ne parlera plus de rock sudiste, mais de ce vieil
oncle rassurant venu du sud.
Une de ses dernières chroniques résume parfaitement la
conclusion de son parcours initiatique :
« Lynyrd et autres Molly ont réussi à devenir l’équivalent
moderne des grands bluesmen. Et leurs ombres planent encore sur une bonne partie
de ce que le rock a encore de grand ».
Fin