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mardi 11 février 2020

Rock Stories : Le rock sudiste 4


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Le nom ne l’avait pourtant pas emballé, et l’affiche semblait jouer la carte de la nostalgie. De toute façon, la jeunesse des 90’s a déjà les oreilles bouchées, initiée à la merde sirupeuse dès le berceau. Si les genres musicaux, si nombreux dans les 60’s, ont disparu,  c’est à cause de l’abrutissement de ces oreilles innocentes. Voilà pourquoi la proportions de vieux augmentent dans les concerts.

Ultra minoritaire dans les années 70, ils constituent désormais la moitié du public. Ce constat inspira à Clint ces quelques lignes tristes :

«  A ce train-là , la musique de l’éternelle jeunesse risque de devenir un vieux doudou pour quinquas nostalgiques. »

Le constat l’amène à une conclusion qui n’est pas forcément négative. Le rock est devenu une musique exigeante dans un monde superficiel. Pour résumer son dernier livre, Buckowski écrivait : « Ce livre est dédié aux derniers hommes libres , si il en reste ». »Voilà ce qu’est devenu le rock , un moyen d’éviter cette maladie sordide qu’est le conformisme.

Puis les lumières s’éteignent , les projecteurs s’allument , et toute la foule semble avoir le même âge. L’appartenance des black crowes à la famille sudiste ne fut pas reconnue par tous, certains leur reprochant leurs influences trop anglaises. Ce sentiment fut d’ailleurs confirmé par une rumeur annonçant leur participation à une série de concerts de Jimmy Page. La rencontre aura bien lieu , et donnera naissance à un disque anecdotique , où les artistes se contentent de devenir le meilleur tribute band de led zeppelin.

Ce soir-là pourtant, le débat semblait futile, le gospel rock de remedy sonnant comme un lointain echo du lyrisme de Lynyrd. Devenu fervent défenseur du groupe, Clint sera conforté dans son opinion par la sortie de « the last rebel », le disque que lynyrd sortit en 1993, peu de temps après les premiers exploits des black crowes.

« Si « the last rebel » est aussi bon, on le doit à une jeunesse qui a su réveiller son vieux héros fatigué. Ce disque creuse le sillon gospel blues de « The Southern Harmony and Musical Companion » , chef d’œuvre que les black crowes ont sorti il y’a quelques mois. Ajoutez à cela le retour en grâce des Allman brothers , et vous obtenez le nouvel âge d’or d’une musique universelle . Age d’or qui trouve avec « the last rebel » un nouveau marqueur historique. »

En parlant des allman , la nouvelle formation de cette « famille » a mis la lumière sur un homme qui va devenir la nouvelle obsession de Clint.

« Warren Hayne a permis aux Allman de jouer le blues comme ils ne l’ont plus fait depuis la disparition tragique de Duane. Son jeu est un modèle de modestie sur « shade of two word » et « hittin the note » , deux disques aussi vénérables que les vieux succès de leurs modèles.
C’est que le blues se maîtrise au terme d’un parcours ingrat, c’est une énergie qu’on ne développe qu’après avoir subi les affres de la vie.
Voilà pourquoi il y’a plus de souffle dans le jeu de Hayne , que chez n’importe quel jeune loup tel que Bonamassa. » 

Quelques jours plus tard, la performance des allman au beacon theater lui fera écrire :

« Hayne est devenue l’âme des Allman brothers. Celui qui, le temps d’un solo à rallonge, les mène vers des sommets hypnotiques. C’est aussi lui qui se charge de l’atterrissage en douceur, revenant à la simplicité du riff, avec ce phrasé magnifiquement économe. 
On sent pourtant chez cet homme une musicalité, qui ne s’épanouit que partiellement avec le groupe du vieux Gregg. »
Quelques jours plus tard, son rédacteur en chef tend à Clint un vinyle, en lui disant juste qu’il est le plus apte à le chroniquer. C’est surtout que les autres ont jeté l’éponge, plus intéressés par le grunge que par le blues rock graisseux.

Sur la pochette de ce disque offert par son patron, un âne arbore fièrement le drapeau américain. Le nom du groupe, gov’t mule , fait référence à un amendement de Lincoln , qui promettait un bout de terre et un âne à tous les esclaves libérés après la guerre de sécession. En réalité, Johnson reviendra sur cette promesse, et offrira plutôt aux noirs américains leurs propres quartiers de misères, et les joies de l’apartheid. Symbole des promesses non tenues , ce nom fait plus penser à un groupe punk bien démago , qu’a une réunion de solides sudistes.  
                                                                                                                                  
L’écoute du disque donne à Clint une claque qu’il n’a plus ressentie depuis des années :

« Gov’t Mule est au sud ce que taste fut pour le blues , un power trio d’une énergie démentielle , une tornade secouant une culture devenue immobile. On peut regretter que ce bon vieux Warren Hayne masque sa finesse derrière une puissance sonore impressionnante, mais l’homme a compris qu’il fallait que sa musique retrouve une certaine urgence. »

Dose lui inspirera la même admiration :

«  Ce disque est un sommet, le dernier épisode d’une série unique. Gov’t Mule atteint ici une telle symbiose entre le groove sudiste et la puissance heavy blues, qu’il ne pourra s’améliorer qu’en changeant de plan d’attaque, à moins qu’il ne change carrément de voie. »

Clint avait enfin trouvé son nouveau Lynyrd, qu’il suivait désormais lors de ses concerts épiques, un parcours qui lui rappelait ses grands débuts.

«  Le marteau de dieux nous mènera vers de nouvelles terres .» Mes amis , Gov’t Mule n’est pas seulement un groupe , c’est une armée de conquérants. Un soir, au roxy theater , ils sont arrivés devant un public blasé. Nous ne sommes plus en 1969 , et le culte du blues n’est même pas un souvenir pour les badauds s’étant arrêtés dans cette grande salle. Mais la musique a lancé une charge sans pitié. Dès les dernières notes de « thorazine shuffle », la foule était à genoux, exprimant sa gratitude via des acclamations sauvages. Ce soir-là , la mule pouvait tout se permettre , y compris de nettoyer war pig de ses relents macabres. »

Les trois premiers albums tournaient en boucle dans le bus de tournée, quand certains titres ne passaient pas sur certaines radios. Mais les groupes sudistes semblent condamner à une fin tragique, et gov’t mule ne sera pas une exception. 

En ces années 2000 , Allen Woody partit rejoindre Ronnie Van Zandt au vahalla des vieux combattants du heavy blues. Loin de s’écrouler, le groupe salua sa mémoire dans une série de concerts orgiaques.
Compilées sur le triple live deep end, ces performances firent dire à Clint dans les colonnes de rolling stones : 
                                                                                    
« 25 bassistes , c’est ce qu’il fallait pour rendre hommage au socle rythmique de la mule. Ce disque est un somptueux hommage au siècle qui vient de mourir. On espère tout de même que gov’t mule sera capable d’annoncer la couleur de celui qui débute. »

Il faudra attendre 4 ans pour que le groupe sorte un nouveau disque. Une éternité durant laquelle Clint suivit la carrière solo de Warren Hayne.

«  Tales of ordinary madness , en plus de rappeler un des livres les plus géniaux du vieux Buck , réalise ce que l’on soupçonnait depuis que Hayne posa pour la première fois le pied sur scène. C’est un travail d’orfèvre qui a su garder la puissance de ses débuts, l’œuvre d’un artisan du pur rock n roll amoureux du bel ouvrage. »

Quelques années plus tard, Clint découvre Blackberry Smoke .

« Ces types sont aussi attachants qu’un livre rempli de vieilles photos. Avec eux, l’esprit  conquérant des grands rednecks des années 70 fait place à un country rock festif. Mais, derrière cette légèreté apparente, se cache une capacité impressionnante à pondre des mélodies inoubliables. Si le rock sudiste doit s’éteindre sur ce boogie chaleureux , il aura une mort des plus dignes ».

Cette réflexion sur la mort du rock sudiste n’était pas un abandon de sa musique, mais une interrogation face à son évolution. Cette pensée était née alors que Warren Hayne l’avait invité à assister aux enregistrements de « ashes and dust ».

Assis sur un tabouret de bois, l’homme envoyait des mélodies bluegrass auraient fait passer l’intervention de Jack White, dans retour à cold mountain, pour une mauvaise imitation de cette musique des exilés chère à Steinbeck. La musique, elle, était encore plus pure et rustique que tout ce que le sud a pu produire lors de son âge d’or.

Lorsque Hayne sort de la cabine d’enregistrement, Clint ne peut s’empêcher de lui dire sur un ton admiratif :

« C’est dingue ! Tu sonnes comme the band ! »

« Tu me fais un beau compliment, j’ai toujours adoré ce groupe, leur concert d’adieu m’a fait pleurer comme une jeune fille. »

« Ce disque va bien plus loin que tes influences habituelles. Tu sembles devenir l’âme musicale de l’amérique. »

« Ces influences ont toujours été là,  c’était juste plus discret. »

Il prend sa guitare et se met à jouer le riff de « John the revelator »,la version originale introduisant une seconde plus poussiéreuse, comme si la première menait naturellement à la seconde.

«  Tu vois, tout était là depuis le départ. »

Hayne pose sa guitare avec un tel soin, qu’il semble l’aimer comme on aimerait un enfant.

«  Tout était là, mais les critiques sont trop obnubilées par leurs étiquettes, ils tiennent trop à ces œillères. C’est pour ça que j’ai repris  « gold dust woman » sur ce disque. Rumour est sans doute le plus grand disque des années 80, il dynamite les frontières érigées entre les différentes composantes de la musique américaine. »

Clint ne peut s’empêcher de relativiser ce constat :

« Mais tu oublies cette production tape à l’œil, on est loin de votre profondeur crasseuse. »

Hayne se fige , la passion fait trembler sa main, comme si il fut blessé par la phrase envoyée par son hôte. La passion faisait vibrer son impressionnante carcasse, comme les cordes d’un instrument charismatique.

« Et Alors ! C’est comme reprocher à Dylan de ne pas écrire exactement comme Kerouac ! Mais, tu verras , cette limite est en réalité la base de son génie. Il aura le nobel ce con ! Et tous les journalistes hautains, qui crachaient à la gueules de ses vers , viendront lui baiser les pieds. »

Hayne parle comme il joue sur scène, avec passion. Sa spontanéité l’amène souvent à des raisonnements  aussi imprévus que passionnants. Revenant au sujet initial sans transition, Hayne détruit la réflexion de son interlocuteur en quelques mots qui resteront dans sa mémoire.

« Le rock sudiste n’a jamais été aussi présent qu’après sa mort, quand ses descendants se nourrirent de son cadavre exquis pour faire grandir la musique américaine. »

Voilà la révélation que Clint cherchait depuis le début de son histoire. Désormais, il ne parlera plus de rock sudiste, mais de ce vieil oncle rassurant venu du sud.

Une de ses dernières chroniques résume parfaitement la conclusion de son parcours initiatique :

« Lynyrd et autres Molly ont réussi à devenir l’équivalent moderne des grands bluesmen. Et leurs ombres planent encore sur une bonne partie de ce que le rock a encore de grand ».

Fin

vendredi 7 février 2020

Rock storie: le rock sudiste partie 3

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L’entrée de Clint dans le petit milieu de la critique rock ne fut pas trop difficile , un papier aura suffi à l’imposer.

« Lynyrd n’était pas seulement un énième retour de cette musique qui bercera toujours l’Amérique profonde, mais l’expression d’une certaine pureté artistique. Ecouter Lynyrd Skynyrd , c’est redécouvrir le talisman musical transmis par les grand anciens, à sa grande époque on l’appelait mojo. »

Cette fin d’article lui valut la reconnaissance de tous les groupes sudistes qui ne le connaissaient pas encore,  et ses réflexions étaient lues religieusement par ceux qui croyaient encore en la grandeur du rock sudiste.

Un peu snobé à ses débuts , Blackfoot lui mis une énorme claque lors de la sortie de l’album marauder. « Je me rappelle des paroles de Van Zandt alors que Medlocke faisait partie du fulminant moteur de lynyrd. Il pensait que Blackfoot deviendrait énorme si son leader s’en occupait à temps…
Aujourd’hui, je me rends compte à quel point il avait raison. « Maraudeur » montre une nouvelle voie à suivre pour le rock sudiste , un chemin glorieux, pavé par des riffs dévalant le rythme de la batterie comme une locomotive folle. Les enfants de Lynyrd viennent désormais botter le cul du hard rock , et blackfoot mène la charge. »

Sur ses rapports de concerts, l’admiration de Clint pour le gang de Medlocke ne fit que se renforcer.

« Blackfoot ne fait pas que jouer. Il célèbre la mémoire de ses ancêtres native américains, et réveille leurs âmes dans un boogie blues puissant comme une charge de squaw. »

Autre groupe perdu dans la déferlante, les outlaws lui inspirèrent cette rectification historique :

«  On a souvent cru que Lynyrd était le seul pionnier sudiste, et l’on vouait à ce groupe le culte dû aux prophètes musicaux. Les Outlaws furent pourtant aussi importants. Fans de Johnny Cash, ils donnent à la rugosité du sud un certain charme bucolique. 

En concert , le groupe déchire le mur du son , envoyant les décibels pour mieux se faire entendre sur une scène qui s’est endurcie. Résultat, ses mélodies résonnent avec une force digne du soir où Lynyrd interpréta « free bird » pour la première fois. »

Quant à Molly , il les voyait comme les nouveaux parrains du sud.

La fin des années 70 et les années 80 ont sonné comme une trahison, le reniement de tout ce que la tradition sudiste avait de grand. Sur « beatting the odds » Molly était encore bon, mais Clint ne comprenait pas son virage puéril.

« A l’écoute de ce disque, une question subsiste : Pourquoi ? Pourquoi ce représentant d’une certaine grandeur groovy s’est-il transformé en sous AC/DC ? Le chanteur force la virilité de sa voix , comme pour faire oublier que son groupe a perdu son identité. »

A la sortie de no guts no glory , la critique mainstream offrit à Molly le titre tardif d’âme du rock sudiste. Le disque était au contraire la dernière braise d’un feu défaillant. Ceux que Clint idolâtraient hier n’étaient plus que l’ombre d’eux même, étouffés par une époque aliénée.

« Le synthé est l’Attila du rock, là où il passe, le groove ne repousse pas. D’ailleurs, l’homme qui a inventé cette infamie ne devait pas en écouter, à moins qu’il s’agisse du même psychopathe qui nettoya cette formidable crasse, responsable du charme de toute musique issue du blues. »
Même ZZ top s’y mettait, et eliminator annonçait le début d’une longue traversée du désert pour les barbus texans. Attention, ZZ top n’a de sudiste que les origines, sa musique étant un mélange entre la classe grandiloquente de BB King , et un brio soliste que n’aurait pas renié Hendrix.

Clint ne voyait plus les musiciens qui firent le bonheur de ses débuts dans le monde du rock, comme si Molly , les outlaws et blackfoot n’osaient plus le croiser après leurs trahisons. Ils pouvaient bien aller au diable ! A cause d’eux il a l’impression de vivre ce que vécurent les fans du king après son départ à l’armée, la fin de sa culture.

Comme pour faire son deuil, Clint fit du heavy metal sa spécialité, la bouée de secours qui lui permit de survivre à la niaiserie eighties. Slayer , Megadeth et Metallica formèrent son nouveau trio sacré, même si il ne pouvait s’empêcher d’attaquer violemment les poseurs de cette époque vaseuse.

« La différence entre le feeling de Lynyrd et la pop démago de 38 special est comparable à celle qui différencie la baise du viol. Et que l’auditeur ne s’étonne pas de se sentir un peu sali par un tel amas de niaiseries. Grâce au génie moderne, des branques comme 38 special peuvent sortir leurs gros synthés pour vous violer les tympans sans vaseline. »

Quant au dernier album de Molly Hatchet ,elle lui inspira la même violence :

«  la pop est la nouvelle herpès du rock , le son mielleux qui lui arrache les joyeuses, alors qu’on pensait que cette maladie honteuse avait enfin quitté son corps de plus en plus flétri ».

Ces quelques années de purgatoire lui valurent d’être comparé à Lester Bang, alors que ses chroniques négatives n’étaient pas si nombreuses. Et puis, lors d’un voyage au texas en 1991, l’illumination le frappa de nouveau.       

mardi 4 février 2020

Rock Storie : South will rise again : Partie 2

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Le lendemain , Clint suit la route indiquée , le décor étant si proche de celui de « 3h 10 pour Yuma » , qu’il s’attend presque à être descendu par une canaille planquée sur un toit. Construite comme à l’époque des pionniers, les maisons rustiques ont juste abandonné leurs abreuvoirs à chevaux, devenus inutiles à l’âge de l’automobile.

Devant le studio , il aperçoit le groupe de dos , figé dans une posture hostile, face à une bande d’hommes à la mine renfrognée. Van Zandt se met à hurler comme pour mobiliser ses troupes.

« On va se les faire ces connards ! Je ne changerais pas une note à des titres qu’on répète depuis des mois en concert ! »

Et là , Clint comprend que c’est ainsi que se déroulent les relations musiciens/producteurs à Jacksonville. La tension est digne du duel final du film « le bon la brute et le truand », quand le temps semble se figer en attendant qu’Eastwood appui sur la détente. La bataille, elle, fut moins cinématographique. Cette mêlée virile prenait d’ailleurs des airs burlesques lorsque tous tentèrent d’éviter le gourou de l’ours Van Zandt.  

Ajoutez à cela un chapelet d’injures des plus pittoresques, et vous obtenez une scène surréaliste  qui aurait pu finir dans un film des Monty Pythons. Tout l’enregistrement fut à l’image de cet épisode , un combat entre des ingés sons chargés de donner un vernis pop à ce rock bourru , et des musiciens défendant leur intégrité artistique avec obstination.

Si les combats ponctuant les sessions se déroulaient le plus souvent en dehors des studios, il n’était pas rare de voir une bouteille de jack atterrir sur la figure d’un pauvre producteur. A la fin des enregistrements, Rickey résume le credo du groupe devant un verre de Jack :

« Tu vois gamin, le blues c’est une histoire de transmission. Johnny Winter , Paul Butterfield , Mike Bloomfield , ils ont tous fait leurs classes auprès de leurs grands frères américains. »

Il prend un gorgé, et continue sur le ton d’un conteur tricotant des récits à la gloire des grands bluesmen.

« Jewtown , voilà la ville qui les attira tous , un ghetto afro américain, où ils courraient jouer avec ceux qui les bercèrent. Le rock a commencé à tuer l’apartheid là-bas, dans ce quartier ou les blancs venaient en toute humilité, pour apprendre la culture noire qu’ils écoutaient en cachette. »

Une certaine nostalgie finit par traverser ce visage, on sent la gravité de la mission qu’il se donne à travers son expression solennelle.

« Aujourd’hui, le vinyle a remplacé la scène , les gamins écoutent leurs galettes religieusement, pour y trouver leurs voies. Au point que certains bricolent plus qu’ils ne jouent. »

Sentant la référence venir, Clint lance d’une voie malicieuse : « Comme le dead ? »

« Non, même si ils ont inventé autre chose, Jerry Garcia et sa bande de freaks étaient de vrais musiciens. »

D’un seul coup, ses traits se tendent , annonçant la charge verbale qui va suivre.

« Mais regarde où en sont arrivés ses snobs anglais ! »

Il ponctue son exclamation d’un coup rageur, qui semble faire sursauter les verres posés sur le comptoir.

« Ils citent le Jazz , la musique classique , le tout noyé dans cette saloperie de sirop symphonique. Ils pensent que les références masquent le vide de leur musique, mais ce n’est qu’une mode qui finira par s’éteindre. »

« Notre disque bottera le cul de Robert Fripp et ses congénères pédants, la jeunesse va redécouvrir le rock. »

Le premier disque de Lynyrd sort quelques jours plus tard, en cette belle année 71.  Le groupe est alors convoqué en première partie des stones, « le seul groupe de rock anglais respectable » selon les sudistes.

Impressionnant de maitrise, ce qui ne devait être qu’un faire-valoir devient une des attractions de la tournée américaines des stones, qui doivent sortir le grand jeu pour éviter de se faire voler la vedette. En coulisse, avant que leurs chemins ne se séparent définitivement, Keith apprend l’open tunning à des Lynyrd médusés.

Les musiciens savouraient leur chance, et écoutaient religieusement le riff master. Let it bleed , beggar banquets, sticky finger formaient un trio sacré , une série de disques pop trempés dans la musique fabuleuse des pionniers.

Keith est l’âme des stones, qui n’ont jamais été aussi bon que depuis qu’il a renoué avec ses racines. Des racines étroitement liées à cet open running, qu’il apprit auprès des bluesmens. Lynyrd ne s’en servira jamais pour lui, mais ce soir-là il eut l’impression de découvrir un secret historique.

Leurs albums se succèdent, le second représentant la face plus « américaine » de Lynyrd. « Sweet home alabama » succédait ainsi à free bird sur les radios américaines, même si le premier reste plus populaire que son successeur. 

Dans le bus qui emmène les musiciens en tournée, Clint écoute les deux premiers disques en boucle depuis leur sortie. Ces deux disques sont la quintessence du retour à la terre initiée par Dylan sur John Whesley Hardin. Si pronounced lynyrd skynyrd, et sa beauté mélodique, représentait la face « avant gardiste » du groupe , second helping semble vouloir rassurer les fans de purisme poussiéreux.

D’ailleurs, son point d’orgue n’était même pas « sweet home alabama », simple pique électrique dirigée contre le snobisme de « Mister Neil Young », mais la « ballade of Curtis Law ».  Avec ce titre, le groupe atteignait une grâce digne de Johnny Cash, l’homme qui prouva mieux que tout autre la proximité entre blues et country/folk.

La suite de la discographie des sudistes, si elle contient encore quelques morceaux de bravoure, n’était plus aussi intense. Il restait bien « one more from the road », live qui déchut les who de leur titre de roi du hard blues, mais pourquoi Clint s’extasierait il devant un enregistrement qu’il vit en direct chaque soir. 
                                                                                                                                               
Nous voilà déjà arrivé au début de l’année 1977, cela fait plus de cinq ans que Clint suit l’histoire du nouveau plus grand groupe du monde, et Ronnie Van Zandt lui demande de le rejoindre au bar avec une solennité qui ne lui est pas coutumière.     

Penché sur son verre de Jack, le chanteur a un charisme rustique , une carrure de Bud Spencer allié à la posture menaçante d’un Clint Eastwood.

« Tu te rappelles ce que tu as dit lors de notre première rencontre ? »

« Que ton groupe représentait le futur du rock , et je veux écrire son histoire. »

« Ouaip ! Et bien il est temps que tu élargisses le cadre de ton récit. »

Ne sachant pas comment interpréter cette sentence, Clint s’envoie une gorgée de whisky avec l’air attentif de celui qui s’apprête à découvrir la conclusion d’un grand raisonnement.

« J’ai présenté une bande de petits gars à nos producteurs, et ils pourraient bien mener la déferlante que j’ai annoncé avec Lynyrd. »

« Blackfoot va enfin sortir son premier disque ? »

« Non , Blackfoot deviendra un grand groupe , le plus grand même. Mais notre musique ne peut attendre qu’il atteigne son zénith. »

Le chanteur marque une pause, s’irrigue la glotte, et son teint prend les couleurs chaudes de celui qui ne compte pas ses verres.

« Les mecs s’appellent Molly Hatchet , et c’est bien leur seul défaut… J’ai jamais compris pourquoi ils avaient choisi le nom de cette vieille prostituée, qui réduisait ses clients en corned beef. Eux pensent que ça sonne bien. »

« Il faudrait qu’ils soient sacrément bons pour me donner envie de vous quitter ! »

« Ils le sont, et notre musique ne doit pas être l’affaire d’une seule formation. Nous sommes comme Dylan au Gaslight , on vit pour diffuser notre musique. Et puis ces mecs jouent le boogie comme des dieux, ils marqueront l’histoire. »
                        
Clint allait lancer une dernière contestation , mais Ronnie le stoppa d’une poignée de mains virile.

« Je les ai prévenu, si tu doutes encore d’eux écoute ça, ce sont les premiers titres de leur premier disque. »

Il lui donne la cassette, et se fige ensuite sur le pas de la porte, dans une posture digne de John Wayne sur le point de partir rétablir l’ordre dans les rues de Rio Bravo.    

« T’as intérêt à être parti avec eux demain, sinon je t’y envoie à coup de tiag dans le cul ».

« Une proposition pareille ne se refuse pas ! Bonne route Ronnie. »

« A la prochaine gamin ».

Clint a passé une bonne partie de la nuit à écouter la cassette offerte par Ronnie, sidéré par ce groove familier. Ronnie avait raison, un son du sud est né et il devait raconter son histoire.

Les sessions d’enregistrement du premier album de Molly furent plus calmes, les producteurs savaient qu’ils tenaient désormais un bon filon, il suffisait de le laisser s’épanouir.

Lançant ses discours abrutissants, un vieux poste de télé hurle une phrase qui semble figer le temps.

« L’avion du groupe Lynyrd Skynyrd s’est écrasé, entraînant notamment la mort de leur charismatique chanteur. »

Clint n’avait jamais vu ces solides gaillards aussi secoués, figés comme si ils avaient entendu l’annonce de leur propre mort. Non, l’image n’est pas trop forte, certains symboles ont des allures de blessures mortelles.

Ce n’est pas seulement quelques hommes qui ont disparu dans des circonstances effroyables, c’est l’âge d’or d’une jeunesse sudiste devenue le centre du monde. Ce matin-là , Clint sait que l’âge bénie de ce rock sudiste est déjà terminé, il ne se collera plus à ces groupes plus de quelques jours.

Le genre était entré dans sa période « mature », et on lui colla une poignée d’historiens bourrés de références, il était temps qu’il prenne part à ce grand inventaire.  


  

MOUNTAIN : Avalanche (1974)

FORMATION :
Felix Pappalardi : basse, chant
Leslie West : guitare, chant
David Perry : guitare
Corky Laing : batterie 

 

Alors que je « débutais » dans le hard rock au début des années 80 écoutant progressivement les grands noms et les grands disques de ce style musical, un copain fan de Cream et de Led Zeppelin notamment, m'a prêté cet album. « Avalanche » est donc l'album qui m'a fait découvrir Mountain. Ce n'est pas leur meilleur album, celui-ci étant sans doute Climbing (1970), plus homogène en qualité et qui contient leur grand classique « Mississipi Queen ».

Trois albums sont sortis en 1970 et 1971 puis le groupe a fait une courte séparation avant de se reformer pour enregistrer « Avalanche » puis de se dissoudre une nouvelle fois.
Mountain à cette époque était réputé pour ses longues improvisations « live ».
Le groupe est d'ailleurs nettement influencé par Cream, notamment pour la guitare (même si le son de Mountain est plus « hard ») mais ce n'est pas un hasard puisque Felix Pappalardi a travaillé avec Cream dont il a produit certains albums. Presque un Cream des 70s ; de toute façon Mountain joue du hard rock blues mais avec un son très fin 60s.
Donc Mountain n'est pas sorti du néant et ses musiciens étaient déjà aguerris depuis les sixties.


A la première écoute de ce disque ce qui m'avait marqué comme je l'ai déjà dit était le son extraordinaire de la guitare, facilement reconnaissable et plus de 35 ans après je trouve ce son toujours aussi génial et il me fait toujours le même effet envoûtant, un son comme sorti d'une boîte magique (encore une fois il rappelle celui de Clapton avec Cream).
Ce qui surprend aussi c'est le contraste entre les titres composés et chantés par Leslie West (guitare) et ceux de Felix Papalardi (basse), contraste pour ne pas dire opposition entre la voix et la composition elle-même (en plus du contraste physique, sorte de Laurel et Hardy).


West compose du blues rock bien gras, qui tâche (« You better believe it » et chante avec une voix rauque (et paradoxalement il compose aussi les titres accoustiques, instrumentaux comme « Alisan » ou les ballades) tandis que Papalardi compose du blues rock beaucoup plus fin, plus mélodique, avec des refrains plus pop et a une voix beaucoup plus claire comme sur « Sister justice »).
Mais au final les deux types de voix et de compositions se complètent bien et le tout reste cohérent.


J'avoue une préférence pour les morceaux écrits par le bassiste : « Sister justice », « Swamp boy » qui aurait pû être écrit par les Who de la fin des années 60, entre blues rock, hard rock et avec un refrain pop qui claque et surtout  « Thumbsucker » excellent, vraiment typique du son et du style Mountain.
L'album commence bizarrement par une reprise très rock'n'roll « Whole Lotta shakin goin on » néanmoins assez réussie. Toutefois on est en droit de se poser la question: mais qu'est ce qu'ils sont tous ces groupes de la fin des années 60 / début 70 (Ten Years After, Creedence clearwater revival, Mountain...) à reprendre des standards du rock des 50s ?
Bien sur c'en en hommage mais ici par exemple débuter l'album avec ce titre me paraît être une faute de goût et surtout c'est vraiment en décalage avec le reste de l'album.
Parmi les autres titres on peut citer « Alisan » instrumental accoustique très folk bluesy où Leslie West démontre son talent de guitariste et « Back where I belong » du boogie rock'n'roll qui pulse !


On note également « Satisfaction » une reprise des Rolling Stones ; pourquoi pas mais je ne vois pas trop l'intérêt de reprendre un tel titre ici.
Mais globalement à l'inverse de « Climbing » on est ici sur courant alternatif, où le très bon cotoie le moyen et au final cela donne un album un peu irrégulier même si le positif l'emporte sur le négatif.

Malheureusement nous sommes en 1974 et ce genre de style très en vogue en 1970 et très typique de l'époque, est désormais un peu passé de mode, d'ailleurs il restera comme le dernier album du groupe avant l'arrêt définitif.
Puis les rumeurs de reformation entre West et Pappalardi cesseront avec l'assissinat de ce dernier par sa femme en 1983 lors d'une dispute : triste fin.
Malgré tout Leslie West relancera occasionnellement le groupe pour quelques albums entre 1985 et 2010.

Avalanche est donc le dernier album du groupe dans sa formation « classique », pas le meilleur certes mais intéressant malgré tout ; et c'est pour moi un album qui a compté dans ma culture musicale. Et qui contient selon moi deux petits bijoux oubliés « Thumbsucker «  et « Swamp boy ».
Mountain fait partie avec Cactus, Humple Pie, Ten Years After et Grand Funk Railroad des groupes qui furent importants aux débuts des 70's et qui depuis sont malheureusement tombés dans un (relatif) oubli.


lundi 3 février 2020

Inclassablement bon !




Le disque commence et "Devo Corporate Anthem" installe une ambiance "futuristo moyen-ageuse". Vous n'êtes pas dans un disque pop punk rock classique, vous êtes chez DEVO. Un groupe robotico weird qui foisonne de trouvailles musicales décalées mais souvent jouissives.
A l'écoute on pourrait s'imaginer dans une espèce de club futuriste entouré de robots qui servent des cocktails fumants pendant que le band joue des morceaux étranges sur des instruments qui ne le sont pas moins.
Bon disque mais inégal qui manque un peu de patate ou de folie par rapport au précédent "Are we not men" et au suivant "Freedom of choice". Trois ou quatre titres plus faibles de moins et il aurait été presque parfait. Et oui les D i Vi O sont toujours dingues mais un peu plus calmes comme si on leur avait enfilé une camisole de force ou qu'on leur avait enlevé leur chapeaux « pots de fleurs » ou dômes d'énergie !
Bruitages divers et synthétiseurs sont bien plus présents sur cet album mais pas toujours à bon escient. Le chant estupido assumé si caractéristique, cet espèce de rythme saccadé voire désarticulé, ces soli (Secret agent man) ou ces riffs de synthé (Smart patrol / Strange pursuit)) venus d'ailleurs mais surtout pas de la norme et cette énergie débilo sautillante (The day my baby game me a surp) sont bien présents et font qu'on ne s'ennuie pas. Un disque de twist robotico punk qui ne se démode pas et toujours en avance sur son temps, même en 2050 !
Notons que la fin de l'album est superbe avec des outro où DEVO déchire la camisole (Smart patrol / Pink pussycat).
Une des force de DEVO : un groupe sérieux qui ne se prend pas au sérieux !

dimanche 2 février 2020

Rock Storie : south rise again

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Notre récit commence en 1969, dans le célébre Fillmore west de Bill Graham. Hippie convaincu , Clint est un habitué de cette salle , Bill Graham étant pour lui le prophète annonçant de nouveaux cultes psychédéliques. C’est sa programmation qui le fit entrer dans le bain culturel des gobeurs d’acides, le dead et autres Jefferson Airplane lui ouvrant les portes d’un univers inédit.

Ce soir-là, c’est une autre révélation qui l’attendait. Quand raisonnent les premières notes de « whipping post » , Clint sent déjà que cette musique est solidement attachée à la tradition américaine. Planté au milieu des projecteurs, le guitariste a la moustache d’un général sudiste. Mais surtout, ses solos délirants donnent une nouvelle dimension à la culture des pionniers.

On s’attendrait presque à voir John Lee Hooker entrer, une guitare à la main, pour faire résonner son bon vieux jungle beat, le temps d’une jam obsédante. On a beaucoup jacassé sur Clapton,  ce « dieu», qui aurait donné une nouvelle jeunesse au blues. Mais les riffs qu’il développait avec John Mayall défrichaient déjà les terres du proto hard rock.

Les anglais ne se contentent jamais de la tradition, il faut toujours qu’il la déforme au gré de leurs lubies. Même le psychédélisme, musique qui s’épanouit à San Francisco, naquit grâce à la folie avant gardiste des Beatles.

Celui qui redore le mieux le blason poussiéreux des vieux Muddy , Hoocker , et autres BB King , c’est ce sudiste au feeling nourri par ce vieil objet d’admiration, que l’on nomme musique afro américaine.  La grandiose jam de « stratesboro blues , le brasier groovy de « hot lanta » , tous ces titres sont forgés dans le même moule que hoochie coochie man , c’est la même complainte, rallongée par des délires instrumentaux inspirées de l’inventivité jazz.

La soirée finie, Clint décide de quitter San Francisco pour visiter le sud profond. Le rock revient à ses racines, et il se doit de suivre ce retour. Le train qui le conduit roule au milieu des grands espaces , qui donneront les plus belles scènes d’easy rider , et une ouverture grandiose pour le biopic d’Oliver Stones sur les doors. Mais, sur le walkman de Clint , c’est le premier disque des allman qui tourne en boucle , lui faisant répéter à qui veut l’entendre que cette musique est le nouveau grand culte de notre époque.

Les hippies ne sont pas morts à Altamont , où dans le massacre commis par la Manson family. Tous ces événements constituent un folklore macabre, qui ne peut fasciner que les esprits les plus primaires. Ils n’ont aucune portée historique.

Le mouvement Hippie est mort aussi spontanément qu’il est né, ses héros ayant besoin de retrouver la terre ferme, après des années de rêveries délirantes. Janis Joplin aborda les terres d’un blues plus groovy et cuivré , le dead , les byrds , et l’airplane flirtaient avec la country , et canned heat ne tardera pas à signer un grandiose manifeste avec John Lee Hooker.

Un arbre sans racines ne peut que mourir, et le psychédelisme était monté trop haut, toisant les « bouseux » du haut de ses sommets hypnotiques. Clint est interrompu dans sa réflexion par le freinage brutal du train arrivé à destination. A la sortie du véhicule, le soleil à son zénith déploie ses lances incendiaires. La largeur des rues ne fait que renforcer cette impression de marcher en plein désert, et la soif amène rapidement Clint dans un bar digne d’un film de John Ford.

Sur la façade, une affiche annonce le concert du soir, une bande de solides sudistes nommée Lynyrd Skynyrd. Le public, lui aussi, semble sorti des grandes scènes de Sergio Leone. Certains se vantent d’avoir croisé Leadbeally, ou le grand Muddy . Ils montrent ainsi que , pour eux, le blues est aussi sacré que le Jack Daniels.

Au bar , un vieillard à la barbe hirsute gratifie notre héros de ses délires éthyliques.

« Ces mecs , Lynyrd , je leur ai causé tout à l’heure. »

Il marque une pause, et boit son tord boyaux avec une mimique virile façon John Wayne.

«  Des tantes qui ne jurent que par la pop anglaise, cette mode pour snobinard bourgeois. Et puis , c’est quoi ce nom imprononçable ! Il parait que c’est en hommage à un prof de sport qui leurs filait des roustes. Je ne sais pas qui l’a baptisé, mais la gnole qu’il buvait à ce moment-là devait être balèze. »

Clint n’aura pas le temps de répondre, un riff furieusement boogie venant secouer les certitudes de son interlocuteur. « I a m the one » ne fut pas choisi pour rien. C’est un des titres les plus traditionnels de Lynyrd , une musique dénudée jusqu’à l’os , pour n’en garder que la savoureuse moelle.

A côté de Clint , le vieux en restait bouche bée , comme le reste d’un public reconnu pour sa sévérité belliqueuse. Dans ce genre de salle, le blues est un culte, et chaque homme tentant de se l’approprier y risque littéralement sa vie. Mais Lynyrd avait gagné la partie dès les premières notes, ses riffs montrant une ferveur qui ne s’invente pas . Ces jeunots parlaient le même language que leur public.

Rejoint par Rickey Medlocke la veille, le gang termina sa prestation par un free birds tout en puissance soliste. Quand les dernières notes résonnent dans le bar , Rickey est le premier à venir fêter la performance. Cheveux noirs comme le pétrole, le musicien a hérité du charisme mystique de ses ancêtres cherokee. Le barman lui adresse le sourire qu’il réserve aux habitués.

«  Alors Rick , tu as finis par trouver un vrai groupe ! »

La phrase du barman fait l’effet d’une décharge sur le musicien, qui lui lâche un regard à figer un troupeau de buffles en pleine charge.

«  Un jour Blackfoot sera aussi célèbre dans le sud que les allman brothers. Mais en attendant il faut bien manger. »

La prédiction fait rire le barman qui, conscient de la puissance qu’est capable de déployer son interlocuteur lorsqu’il est sur scène , répond d’une voix pleine de conviction.

« ça va réveiller ces tapettes anglaises ! »

« Le rock est anglophone bande de crétins ! Free est aussi important que ce qui se construit ici ! »

Celui qui vient de rugir ainsi n’est autre que Ronnie Van Zandt , le tyrannique chanteur de Lynyrd. Pas aussi épais que Bob Hite , ses grosses paluches ont pourtant fait siffler les oreilles de plus d’un gaillard du coin.

Parmi eux , Gari Rossington se fait discret , il ne tient pas à ramasser la rouste que son chanteur lui réserve déjà à la moindre fausse note.

Ronnie poursuit sur un ton passionné aussi prenant que son chant chaleureux :

« On oppose toujours le rock anglais et américain, mais le rock serait mort depuis les années 50 si certains rosbifs n’étaient pas allés plus loin.

Le débat fut houleux et , sans le retranscrire entièrement ici , on remarquera qu’il résume bien l’affrontement entre traditionalisme et progressisme, que le duo beatles/ stones incarna dans les années 60.

Avant de partir, Clint ose interpeller les héros de la soirée.

« j’aimerais assister à l’enregistrement de votre premier disque . »    
Rickey pose son regard sévère sur lui.

« Qu’est-ce que tu cherches chez une bande de cul terreux comme nous ? Vu ton look tu dois être du genre à t’extasier sur le dead. »

Il est vrai que Clint n’avait pas abandonné son look de clochard céleste. L’apparence, c’est comme les convictions, on en change pas du jour au lendemain. Il trouve tout de même le courage de répondre.

«  Vous êtes l’avenir du rock, et si personne ne le fait, j’écrirais votre histoire. »

« Ok , rendez-vous au studio MCA demain. Il est installé dans un ancien bar paumé du coté de Jacksonville. On prendra la photo de la pochette là-bas aussi . »

Et c’est sur ces belles paroles que se termine ce premier épisode.    

mercredi 29 janvier 2020

Gov't Mule : Live with a little help


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Le roxy theater restera , pour beaucoup , la salle où Zappa atteignit le sommet du free jazz déjanté. Dans ce décor respectant parfaitement la grandiloquence de Los Angeles , le fou à moustache a donné les plus grands concerts de sa vie , accompagné du plus grand groupe qui l’ai jamais porté .

Comme lui , gov’t mule va vivre ici une soirée historique, le début de son virage vers une musique plus mature. On ne le répétera jamais assez, mais « dose » était le sommet d’une musique foudroyante, qui ne pouvait que s’émousser au fil des répétitions.  En vieux routard, les américains cherchèrent leurs voies sur scène, espace de totale liberté, où ils développaient des improvisations uniques. 

A ce titre, le premier disque constitue le début de la route, la mule fouillant dans ses influences comme un guerrier du blues faisant l’inventaire de ses armes. Vient bien sûr d’abord le blues, et ce thorazine shuffle rallongé avec bonheur, dans la pure tradition des frères allman. Cette ouverture représente le socle permettant au groupe de décoller sans perdre pied, c’est la sève savoureuse d’une œuvre qui ne cesse de ce complexifier.

A la fin du titre, Hayne souhaite à son public une bonne année 1999, époque célébrant un rock alternatif dont il est très éloigné. Comme pour enfoncer le clou de cette différence, le riff plombé de « war pigs » vient secouer les murs de l’impressionnante enceinte. La version des sudistes est moins sombre , moins immédiate aussi , le trio ne pouvant s’empêcher de rallonger ses coups de tonnerre à travers de savoureuses improvisations.

On reconnaîtra à leur batteur le mérite de faire oublier la frappe assommante de Bill Ward , le groove du groupe donnant au tout un coté plus puissant que braillard. Hayne n’est pas Ozzy , et son chant plein de lamentation, allié à ses solos virtuoses achève de prouver que , à une certaine époque, le sabb prêchait bien le même culte que les pionniers du hard blues.

Le clou est enfoncé par cette version habitée de 30 days in a hole , le brûlot rock d’humble pie, transcendé par la force d’une jam où son énergie viscérale pactise avec  l’épaisseur graisseuse engendré par le zeppelin de plomb.  On ne s’étonnera pas que « mr big » referme ce premier ballet d’hommage, la finesse rugueuse de free ayant donné un second souffle au rock venu du sud-américain.  

Déjà transcendé sur son premier album studio, Mr Big s’ouvre sur un solo qui semble demander la bénédiction des pionniers du chicago blues. Puis vient ce riff inusable, boogie lancinant au feeling vicieux. Les anglais ont toujours cherché ce son, cette grâce traditionnelle, mais seules les américains semblent capable de l’exprimer avec autant de pureté.

Le blues anglais a toujours eu quelque chose d’un peu hors sujet, une finesse mélodique plus pop que purement blues, c’est sa grandeur et son plus grand complexe. La mule ne fait pas exception à la règle, qui veut que les musiciens américains sont réellement habités par le blues, et donne au titre de free un nouvel aboutissement.

Du Boogie , on en aura encore une bonne tranche avec ce « look on yonder wall » , au riff sautillant que n’aurait pas renié status quo du temps de sa splendeur. Un piano bastringue fait son entrée, subtile annonce d’une deuxième partie de concert où le groupe semble se métamorphoser. 

On part ensuite sur quelque chose de plus sophistiqué, comme la superbe intro jazzy de soulshine. Le feu d’artifice se fera alors plus mélodique, plus musical aussi, comme pour donner plus de profondeur à une performance des plus intenses.

Et c’est cette seconde partie, où les jams du groupe laissent percer leurs douceurs cajoleuses, qui s’avère la plus intéressante. Le tout trouve son point d’orgue sur « Cortez the killer », monument du loner, dont la mule étire le folk méditatif sans en amenuiser la beauté bucolique.

Beaucoup penseront que la seconde vie de gov’t mule ne démarrera qu’à la mort de son premier bassiste, mais les germes d’une seconde partie de carrière grandiose se trouvaient déjà sur ce disque.