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samedi 13 février 2021

Blue Oyster Cult : Cultosaurus erectus


Pauvre nabot italien , Castafiore des limbes, diva funeste, Dio a fait entrer le noir sabbath dans le grand cirque du heavy metal eighties. Si cet univers heavy métallique s’était déjà séparé du rock dès la sortie de « master of reality » , l’inventivité du groupe de Tony Iommy le plaçait jusque-là au-dessus de sa pitoyable descendance. En entrant dans le rang de ses enfants Iron Maiden et autres Judas priest , le sabb a confirmé que rock et métal était désormais deux mondes irréconciliables , deux cultures en lutte permanente. Ceux qui influencèrent les premiers riffs du Blue oyster cult allaient pourtant le sortir de l’impasse dans laquelle il s’était enfermé.

Malgré le fait qu’il représentait une régression artistique dramatique, heaven and hell a su séduire la jeune génération de chevelues. A une époque où Rob Haldford pousse ses cris de castrat pitoyable, la théâtralité de Dio a touché une génération vénérant la seconde vague de Heavy metal britannique. Mais c’est surtout la production de Martin Birch , puissante et lumineuse , qui a permis au sabb d’obtenir un des plus gros succès commercial de sa carrière.

Proche de Black Sabbath , Sandy Pearlman parvient à convaincre Birch de travailler avec le Blue oyster cult. Du travail effectué sur l’album précèdent, Birch ne garde que la propreté de la production, dont il décuple la puissance. Tout ce que le cult avait abandonné sur Mirrors, Birch va le dépoussiérer, sa production est une nouvelle crypte dans laquelle la grandeur du cult peut de nouveau s’épanouir. Connu aussi pour son travail auprès de Rainbow et Deep Purple ,  le producteur redonne aux riffs du groupe leur lourdeur et leur tranchant.

De son côté, le groupe d’Albert Bouchard renoue avec ses univers inquiétants , qu’il présente dès le premier titre. Inspiré par une nouvelle de Michael Moorcock , Black Blade est une procession dystopique , où les guitares allument une série de cierges menaçants. Loin des roucoulements de l’album précédent, le chant désincarné récite un prêche agressif et robotique. Quelques minutes plus tard , le riff de smoke on the water s’élève au milieu d’une brume synth blues.

Cette référence n’est pas anodine, le cult entend mener la bataille que le rock semble perdre face au heavy metal. Pour se faire , les synthés sont soumis par des six cordes particulièrement virulentes , qui imposent un swing lumineux. Ce que le cult dépoussière ici, c’est le feeling immortel issu du blues. Blues cuivrés, synthétiques, ou rythm n blues grandiloquent rappelant les grandes heures de l’opéra rock des Who, cultosaurus erectus remet de l’huile sur les vieux feux fatigués.

Ce disque est le cri de révolte de rockers coincés entre la vacuité du stadium rock et l’ultra violence ridicule du heavy métal. Alors ils rappellent aux synthés, roi de cette époque de décadence, qu’ils ne sont qu’un projecteur illuminant leurs processions heavy blues. De cette manière, le cult s’éloigne des gesticulations de plus en plus pompeuses d’un Van Halen , pour représenter le vrai nom d’un rock sachant se réinventer sans se renier.

Cette bataille entre Heavy metal et hard blues atteindra son apogée épique lorsque le noir sabbath et la secte de l’huitre bleu s’engageront dans une tournée commune. Celle-ci ne fera que confirmer ce que cultosaurus erectus montrait déjà , le rock du Blue oyster cult est largement supérieur aux messes tapageuses de son ex modèle.    

Blue Oyster Cult : Mirrors


Le voilà le point de rupture, le blasphème qui va éloigner les plus dévots de la secte de l’huitre bleue. Voyant que ses ventes se maintenaient à un niveau plus que respectable, le cult a voulu accentuer son virage pop. Pour cela, le cult se sépare de Sandy Pearlman , pour rejoindre Tom Werman , qui s’est fait connaitre grâce à son travail pour Ted Nugent et Cheap Trick. L’époque basculant résolument du côté de la pop , Werman bazarde tout l’attirail occulte du groupe d’Albert Bouchard. A la place, il concocte une production grandiloquente, ajoute des chœurs légers et aseptise le son du groupe.

Werman a offert au cult l’écrin qui fit la gloire de Cheap Trick , et le groupe a adapté ses titres à ce nouveau décor. Si spectres voyait le cult embrasser la pop à pleine bouche , mirrors célèbre les noces fiévreuses de son hard rock avec la légèreté la plus populaire. Sur la pochette arrière, les musiciens posent tels un boys band, annonçant le choc qui attendait l’auditeur à l’écoute de l’album. Si l’ensemble n’est pas encore à classer parmi les pires guimauves pop, le résultat n’est pas au niveau des classiques précédents.    

La voix , particulièrement mise en avant , perd sa rage proto punk, c’est le roucoulement d’un chanteur de variété devant sa grande kermesse pop. Les tempos tranchants du groupe s’émoussent au milieu de cette guimauve sonore, se noient dans les niaiseries de refrains Bon Joviens. Les fans de la première heure durent faire une drôle de tête en entendant Buck Dharma chantonnez la mélodie culcul de I am the storm (you’re not the one). C’est que leur groupe creuse désormais le sillon du stadium rock cher à UFO.

Découvrant ce nouvel univers avec un enthousiasme juvénile, le cult en reproduit les standards comme un élève appliqué. Lancés sur une batterie au swing synthétique, ses solos mélodieux ouvrant la voie à un refrain entêtant, Dr music est le symbole de tout ce qui ne va pas sur cet album. En chassant sur les terre de Mickael Schenker , le cult semble reprendre les choses à zéro , il se met de nouveau dans la position de l’outsider.

La formule chère au stadium rock est parfaitement exécutée, les mélodies fédératrices entrent dans le rang de « lights out » (UFO) et autres lovedrive (Scorpions) , mais aucun titre ne sort réellement du lot. Les mélodies ronronnent,  la musique sympathique est assez aseptisée pour ne pas déranger, mais cette platitude précipite Mirrors dans l’oubli.

Aujourd’hui, le temps a rendu cette production extrêmement kitsch , accentuant la faiblesse de titres sans énergie. Mirrors n’est qu’un galop d’essai, l’entrée ratée du groupe dans les grandiloquentes eighties.

Malgré tous ces griefs, on ne peut s’empêcher de se repasser Mirrors avec le même plaisir coupable qu’un cinéphile ressortant ses VHS de Steven Segall. Il y’a dans cette musique, aussi limitée soit elle, l’embryon d’une nouvelle ère. La production est grossière, les refrains un peu niais, mais cette légèreté addictive est un véritable miel auditif. Si ils ne parviennent pas encore à soulever un enthousiasme démesuré, certains de ces titres vous trotteront dans la tête pendant de longues minutes.

C’est cette attraction que le groupe va développer sur les albums suivants, c’est pour cette efficacité qu’il mis au placard son barnum mystique. Tremblez adeptes du rock de stades ,  Blue Oyster s’apprête à s’élever au-dessus de vos refrains bas du front.      

dimanche 7 février 2021

LAWLESSNESS : On the run (1982)


Lawlessness se forme au début des années 80 autour du guitariste Michel Pineda qui trouve progressivement ses musiciens pour compléter sa formation. Manque un chanteur, il passe donc une annonce et voici que débarquent deux filles, une blonde et une brune, Nina Scott – laquelle avait à son actif une expérience d’actrice - et Jenny Jones, deux copines d’enfance et qui finalement seront embauchées ensemble. Lawlessness est donc certainement le premier groupe de hard rock avec deux chanteuses. Après un premier 45 tours sorti en 1981 le groupe de Marseille est signé par le label Saravah (distribué par le major RCA) et enregistre son premier (et unique) album en 1982 « On the run ». Celui-ci démarre tambour battant avec l’époustouflant « Youth on the run ».

L’alternance des voix entre les deux chanteuses nous donne un rythme assez enlevé et soutenu. La grande force du groupe car les deux voix se marient bien.
« Youth on the run » est une sorte de croisement entre Girlschool et Riot ; ah les voix (et la guitare de Michel Pineda, décédé il y quelques années, n’est pas en reste, pas un guitar-hero certes mais pas un manchot le gars).

« I get pain » est plus lent, plus mélodique tout à fait dans la lignée des bons groupes de la NWOBHM de l’époque.
« Take your bag » c’est du blues rock « classique » avec une slide guitare efficace.
« Don’follow me » le second meilleur titre, quelles voix, on est scotché, ça arrache bien. Efficacité maximum.

La deuxième partie un peu moins bonne, même si « The cats » est entraînant et assez réussi.
« Rape man » est un peu différente, les voix se superposent par moment sur certains passages, ce qui donne un peu plus de charme encore les deux voix étant différentes.
Huit titres et 30 minutes de bon niveau : un groupe qui s’annonçait donc des plus prometteurs malgré une production assez moyenne et des compositions, globalement réussies mais toutefois assez inégales (soyons objectif).

Malheureusement un problème avec le label qui ne leur fera pas beaucoup de promotion et qui fera une distribution à minima et le groupe en conflit (1) avec lui sera obligé de jeter l’éponge assez vite, Nina Jones allant rejoindre Klaxon groupe de hard FM, pour un album moyen (le premier album de Klaxon étant lui des plus intéressants).
Pourtant en écoutant certains titres comme « Youth on the run » on mesure le gâchis. Car le potentiel saute aux oreilles.

Encore plus rageant quand on sait que On the run et Lawlessness avaient reçu de bonnes critiques de la presse hard/métal de l’époque.
Une période où il était particulièrement difficile de percer et de se faire connaître à un moment charnière où le hard en France était à ses balbutiements, marginalisé (hormis 4 ou 5 groupes mais même ceux là, je pense à Warning, Speed Queen, H Bomb ou Sortilège auront une carrière assez courte, Trust étant un cas à part).

(1) dans une interview de 2010 à la question : « la maison de disque ne vous a pas soutenu à l’époque ? », Nina Scott répondait, désabusée : « No comment ! Que les chiens restent à la niche ».

Blue Oyster Cult : On your Feet or On your knees

 


L’album live est le passage obligé de ces sauvages seventies. Les grands anciens ont lancé les première salves , live at Leeds montrant aux futurs punks la voie d’une énergie nihiliste , pendant que les Stones ramenaient tout le monde au blues sur le classieux Get yer yaya’s out. Du côté du hard rock , Deep Purple a ouvert les hostilités avec le massif live in Japan, après que Humble pie ait ramené le rock au fillmore. N’oublions pas non plus Uriah Heep , trop vite considéré comme des mollassons progressifs , et qui durcirent le ton sur Uriah Heep Live.

Deux grands groupes manquent encore à l’appel , Led Zeppelin et le Blue oyster cult. On your feet or on your knees sort enfin en 1975 et c’est encore la pochette qui attire d’abord les foudres de la critique. Garée devant une église inquiétante, une limousine fait vaguement penser aux véhicules transportant les grands leaders fascistes et nazis. La pochette de ce double album s’ouvre ensuite, pour laisser apparaître le groupe jouant devant des individus à cagoules pointues. Le groupe serait-il en train de jouer pour le KKK ? La question est posée et va encore occuper certains critiques pendant quelques temps.

Qu’importe, le scandale booste encore les ventes , et tout le monde finira par admettre que ces images menaçantes et mystérieuses collent parfaitement à la musique du groupe. La messe démarre par the subhuman , dont le clavier raisonne avec la ferveur d’un orgue célébrant une messe païenne. Le riff ponctue les prêches sombres du chanteur, lacère la rêverie mystique du clavier à coup de solos déchirants.

Sorties de ces cages que sont les studios modernes, les guitares du cult rugissent comme de grands fauves indomptables, imposent leur suprématie sur ce grand espace scénique. Leurs chorus électriques bondissent sur une batterie robuste comme un arbre millénaire, lacèrent son tronc avec une fureur désordonnée. Les montées en pression débouchent sur des éruption tonitruante, pendant lesquels les claviers gémissent comme les habitants d’une nouvelle Babylone frappée par le déchainement des éléments.  

Ce torrent ne connaît pas de barrière, sa furie électrique déborde des digues qui rendaient les versions studio si carrées. Si le cult peut ouvrir harvester of eyes sur un swing rigoureux, ce n’est que pour laisser ses chorus de six cordes le massacrer avec une violence jouissive. Le déchainement ne s’est pas fait sans prévenir, la batterie menaçait déjà, accélérant le rythme comme pour rapprocher les débordements de son éruption heavy. Chauffés à blanc par cette montée en pression, les guitaristes répandent leurs instrumentaux brulants sur ces percussions hargneuses.         

Et puis ces cavaliers de l’apocalypse décident de percer le mur du son , ce que le déluge de riffs de Hot Rail to hell réussit dans un grondement menaçant. La cadence s’accélère de nouveau sur the red and the black , décharge héroïque secouant le blues comme un épileptique en transe. Jouant sur les vibrations d’une batterie sismique, les solos secouent le corps tremblant du rock n roll avec une violence inouïe. Si 7 Screaming Dizbusters  démarre sur une mélodie plus méditative, ce n’est que pour accentuer la violence de ses débordements sonores.

La mélodie ouvrant le titre a le charisme inquiétant d’une cathédrale vouée à un culte obscur , impressionnant monument que les croisés du riffs mitraillent de leurs notes meurtrières. Le mysticisme du Blue oyster cult est un rideau cachant son armurerie heavy , c’est le pelage derrière lequel la bête cache ses griffes.

Pour calmer un peu les ardeurs de ses mercenaires sanguinaires, le cult s’embarque dans une grande improvisation boogie blues. En hommage aux pionniers, les musiciens retiennent difficilement leurs ardeurs, et parviennent à maintenir un mojo digne d’un Allman Brother Band sous speed. Ses ardeurs apaisées par le feeling de ces maîtres , le soliste du cult chasse désormais sur les terres de Cooperhead et Cactus. Après ce petit intermède, la ballade the last day of may nous ramène doucement dans la cathédrale vouée au culte de l’huitre bleue. Il s’agit encore de blues, un blues mélancolique où les guitares sonnent désormais comme des gémissements déchirants.

Puis vient le cri de guerre de ces croisés du rock n roll, un hymne au riff aussi mémorable que whole lotta love ou fire on the water. Cities on flame with rock n roll raisonne ici avec la grandiloquence d’une section de tanks prenant possession d’un territoire conquis. Lorsque les dernières notes de cette dernière charge percent le silence , le Cult sait qu’il a définitivement conquis le monde. Il hisse donc ses couleurs avec deux blitz chromés, avant de tirer sa révérence avec Born to be wild.

Quand Steppenwolf a écrit ce titre, en 1968, il annonçait l’avènement d’un blues plus tranchant et abrasif. Avec On your feet or on your knees , Blue oyster cult réalise cette prédiction mieux que n’importe qui.        

Blue Oyster Cult : Agents of fortune

Avec ses premiers albums ,  le Blue oyster cult est devenu le plus grand espoir du hard rock. Pour maintenir la pression, le groupe tourne sans cesse, et des centaines de concerts s’enchainent en cette seconde moitié des seventies. Lors de ces prestations, les guitares s’engagent dans des joutes sanguinaires, impressionnant combats de coqs dont la rythmique forme le ring. Secret treaties représentait le sommet indépassable de cette formule, une réussite qui obligeait ses auteurs à changer de voie. Agents of fortune tourne la page de la trilogie noire et blanc, et permet au cult d’afficher ses ambitions commerciales sans se renier.

De l’album, on a bien sûr retenu «  don’t fear the reaper » , fascinante ballade morbide où le son caverneux des Doors rencontre l’univers horrifique d’un Alice Cooper en plein cauchemar. Le succès du titre, ainsi que le virage pris par le groupe sur agents of fortune, va fâcher le cult avec la base de ses fans. Les fidèles de la première heure ne retrouvent plus la vélocité des débuts , ce hard blues occulte n’ayant rien à envier à la puissance des plus grands bombardiers rock. De cette frustration renait l’éternel soupçon de corruption , la réaction féroce de fans voyant tout changement comme une tentative d’escroquerie.

Le cult avait pourtant tendu la main à ses fidèles de la première heure ,  avec un premier titre très proche de ses jeunes années. This ain’t the summer of love ressasse l’éternel traumatisme lié à la fin  brutal du rêve hippie. En ouverture, la guitare sonne comme une alarme annonçant la prochaine catastrophe, comme si le cult revenait sur les lieux d’un meurtre particulièrement sauvage. Ce meurtre, c’est celui d’un certain hédonisme psychédélique, que les sifflements de clavier semblent mitrailler sauvagement, avant qu’un solo incendiaire ne vienne l’achever dans un déluge de décibels. Ce premier titre est un adieu fulgurant à un monde que le Blue oyster cult ne retrouvera plus, une dernière friandise envoyée aux plus puristes.

Le second titre installe un paysage plus élaboré, son boogie enjoué prépare le terrain à l’hymne qui suit. Les arpèges de guitares ouvrent ensuite la voie à une pop occulte, les chœurs sonnent comme les Beatles tentant de produire une bande son de film d’horreur. Dans ce décor d’un mysticisme sombre, la voix du chanteur semble sortie des mêmes profondeurs que celle de Jim Morrison sur le premier album des Doors. Don’t fear the reaper n’est pas seulement un tube, c’est un des titres qui forme la frontière entre les années précédentes et ce qu’il adviendra dans la seconde partie des seventies.

La production plus soignée annonce d’ailleurs l’évolution d’un hard rock qui accouchera de superproductions de plus en plus élaborées. Le bal fut ouvert par Rocks de Aerosmith , et sera bientôt poursuivi par Highway to hell , avant de dériver avec les guimauves de Bon Jovi et Toto.

Pour le cult , ce virage n’est pas une décadence , c’est une nouvelle voie qui s’ouvre à eux. En fouinant un peu, les plus puristes pourront apprécier le riff de ETI , déflagration hard blues qu’ils chériront comme un doudou réactionnaire. La grandeur de ce disque est pourtant ailleurs , elle brille dans ses accords mélodiques , culminant dans de grandiloquents prêches heavy rock. Attirée par cette cathédrale sonore, la prêtresse punk Patti Smith vient déclamer ses sombres prières sur the revenge of vera gemini.

Oui , les guitares chantent désormais plus qu’elles ne crient , l’énergie devient plus entrainante que corrosive. C’est un nouveau swing qui se présente à nous une énergie soutenue par des riffs s’imprimant aux fers rouges dans les esprits , une force séduisante se reposant parfois lors de classieux blues de manoir.

Avec Agents of fortune , le Blue oyster cult a compris que les temps étaient en train de changer , que l’époque se dirigeait doucement vers une musique plus légère et élaborée. Il a donc adapté son heavy blues ésotérique à l’air du temps, son énergie changeant de nature sans disparaître dans une production trop riche. Classique incompris, ce quatrième album ouvre la voie à un nouvel âge d’or pour le groupe.         

Blue Oyster Cult : Spectres


C’est un martellement destructeur, une marche pachydermique balayant les vestiges d’un passé en pleine mutation. Le riff de godzilla représente l’avancée d’un monstre devenu incontrôlable, ce monstre c’est le Blue Oyster Cult. Malgré les contestations de certains puristes , Agents of fortune est devenu disque de platine , et le cult n’est plus un espoir du rock heavy. Voilà donc que notre secte se retrouve sur le même champ de batailles que les plus grande machines de guerre heavy blues des seventies. Loin de revenir en arrière, spectre poursuit la voie plus élaborée tracée par agents of fortune.

Chaque titre de cet album est un tube en puissance, le cult devient un juke box occulte que le monde vénère. Plus homogène que son prédécesseur, spectre est un diamant soigneusement taillé, une œuvre dont le charme ne se livre pleinement qu’après plusieurs écoutes. Pour améliorer son attirail, le cult convoque le souvenir des beach boys , dont il s’approprie les chœurs charmeurs. Las de siffler comme un matou prêt à mordre, le clavier se fait cristallin sur les ballades, enjoué sur les rock. L’atmosphère devient plus rêveuse qu’inquiétante, les mélodies pactisent avec la pop dans des refrains imparables.

RU ready to rock est le second hymne de l’album, une fête rock n roll propulsée par le swing d’un piano de bar louche. Quand les synthés se remettent à siffler, c’est pour illuminer le slow celestial the queen. Spectre embrasse la pop à pleine bouche, crée un hard rock plus « acceptable », qui fera fureur dans les années à venir. Finie la pureté de groupes cimentés dans leur héritage boogie blues , Spectre fait partie des disques offrant une alternative aux riffs poussiéreux du hard boogie blues.

Les titres sont plus grandiloquents , l’énergie ne se laisse aborder qu’après quelques écoutes attentives , mais le mojo est toujours là , caché dans cette somptueuse robe. Godzilla , RU ready to rock , searchin for celine sont des titres aussi importants que Whole lotta love , Smoke on the water et autres Immigrant song. Avec ce son énorme, la grenouille Blue Oyster Cult ne tente pas de se faire plus grosse que le bœuf led zeppelin, elle l’est.  

Au fil des écoutes, on repère les interventions millimétrées d’une guitare qui ne manque pas de mordant, l’univers de l’album s’ouvre progressivement à nos oreilles. Sous ses apparences tranquilles, spectre cache des trésors de vélocité . Cette force finira par sauter aux yeux lorsque, plusieurs années plus tard, le riff de smell like teen spirit propulsera nirvana au sommet des charts. Le Cult étant séparé depuis plusieurs années, personne ne remarquera que le riff de Kurt Cobain ressemble étrangement à une version accélérée de Godzilla.  

Spectre est vraiment grand dans les chevauchées de guitares de golden edge of leather , déluge Dantesque à la grandiloquence grandiose. Et ne vous fiez pas à l’intermède mélodieux de death valley night , c’est une lyre annonçant le prochain déluge. Progressivement, la mélodie monte, le heavy rock devient aussi brulant que les flammes de l’enfer. Si Led Zeppelin construisait un escalier vers le paradis, le cult batit un ascenseur vers le purgatoire, ses guitares montent en puissance comme dans un brasier infernal.

RU ready to rock ouvre la seconde face sur une énergie qui prendra toute sa dimension en live , la suite est d’une autre nature. Le groupe y réduit ses effets, concentre son énergie sur des ballades pop simples et efficaces. Attiré par cette finesse, Ian Hunter compose Goin' through the motion. Le chanteur a sans doute compris qu’il existe un lien entre cette seconde face et la beauté mélodique de Mott the hoople. Les deux groupes savent écrire une musique riche et entrainante, puissante et légère. C’est ce mariage des contraires qui fait la grandeur de Spectre et si le résultat ne séduit pas toujours dès la première écoute, son charme n’en est que plus durable. Spectre est comme un bon vin, il se bonifie au fil des ans.

Débarrassé des à priori de son époque , l’auditeur moderne peut désormais donner à Spectre la place qu’il mérite dans le panthéon du hard rock.

mardi 2 février 2021

THE STOOGES : The Stooges (1969)


On connaît l'histoire : 1967, Iggy Pop, accompagné des frères Asheton et de Dave Alexander, embauché car il avait une voiture, forment les Stooges.
Detroit et ses environs : 1968/69 avec MC5 les Stooges se font remarquer par des prestations scéniques hallucinantes et des plus sauvages.

Si les Stooges et les MC5 qui viennent tous deux de la même région (le Michigan, à l'époque fleuron de l’industrie l’automobile américaine), ont tourné ensemble, sapprécient et ont une vision proche de la musique, ils ont toutefois une approche « philosophique » totalement différente: politisée, rebelle et revendicative pour les MC5 dont les appels à la révolte inquiètent les autorités en ces temps agités de contestation alors les Stooges sont davantage dans l’autodestruction et le mal de vivre, le nihilisme et le désarroi.
Mais les deux sont en rupture totale avec le mouvement hippie, non violent et pleins d’utopies « enfumées », tant sur le plan musical qu'autour des thèmes abordés.

Pour canaliser l’énergie et la fougue bordélique de ces "fous furieux" qui composent le groupe et pour mettre un peu d’ordre, Elektra, le label, fait appel à John Cale du Velvet Underground pour produire leur premier album qui sort en 1969.
Une vraie bombe pour l'époque car même si le rock était en pleine évolution le degré d'intensité et de violence dépasse tout ce qui avait pu être produire jusque là.
Dès les premiers accords de « 1969 » le ton est donné, sorte de Stones en plus "destroy", plus cradingue et hystérique, à la rythmique saccadée et au chant sauvage.
Des textes bruts, qui suinte le chaos, l’ennui et le désenchantement mais loin du spleen poétique d’un Jim Morrison par exemple.

Des riffs qui sont de plomb, tranchants, sans concession.
Un album où le mot d'urgence prend toute sa signification, le quatuor enchaîne les morceaux comme si sa vie en dépendait.
Le fameux son « stoogien » incisif, reptilien, qui s’infiltre, se faufile en vous, pour ne plus vous lâcher est bel et bien là, véritable marque de fabrique.
Ce premier album des Stooges est un missile qui va propulser le groupe dans le top 10 des artistes qui ont marqués l'Histoire du Rock (et ce en seulement 2 ou 3 albums selon que l'on compte ou pas Raw power).

Plusieurs classiques sont déjà présents et non des moindres: « 1969 », « I wanna be your dog » (déjà vraiment punk celle-là), « No fun » (et sa guitare garage déglinguée et dévastatrice ), « Little doll » (peut-être ma préférée et qui pourtant ne figure pas parmi des classiques des Stooges) et à un degré moindre « Not Right ».
C'est crade, brut, du rock qui vient du cœur, du fond des tripes, sans artifices.

Pour moi il n'y a qu'un seul titre un peu déroutant (comme dans chaque album des Stooges d'ailleurs) : « We will fall » aux accents trop psychédéliques par rapport au reste du disque.
Je préfère néanmoins légèrement l'album suivant « Fun House », au son encore plus crade, aux rythmes plus tranchés et avec l'apport incroyable d'un saxophone sur la deuxième face, plus expérimental et avant-gardiste aussi qui mélange avec bonheur rock ultra violent et free jazz halluciné. Et ce « Fun house » reste pour moi le chef d’œuvre du groupe au-delà de l’aspect original de ce premier opus.

Mais c’est ce premier album éponyme qui a consacré à jamais The Stooges comme pionniers du punk, du hard et plus globalement du rock « sale » (avec MC5 que l'on doit associer), un album et un groupe qui ont marqué des générations de musiciens et de fans.
Un classique indémodable, un album référence, un disque culte. Un disque qui représente l'essence même du rock tel qu'il ne devrait jamais cesser d'être.