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mardi 23 février 2021

Otis Redding 1966 (album 2016) : Live at the "Whisky a go go" 


BOXE ! BOXE !

Otis Redding n’a pas attendu le festival de Monterey (67) en Californie qui consacrera tant de vedettes pâlichonnes - au sens propre - de l’époque pour lustrer ses gammes, peaufiner ses si bémols, faire briller l’âme de sa soul et entrainer les danseurs sur un Rythm’n blues vraiment communicatif. Qui peut se frotter à la puissance et à la joie d’Otis mi sixties ?  Personne, si ce n’est le grand James Brown himself. Heureusement et même s’ils sont frères de couleur, frères musicaux, ils ne boxent pas tout à fait dans la même catégorie JB tirant véritablement plus sur le Funk – *Hey Fonk you man !* – et la danse. Toutefois ils sont vraiment proches et Otis montre en reprenant avec fougue, comme tous ses titres me direz-vous,  "Papa’s got a brand new bag" de James qu’il est capable de changer de catégorie n’importe quand. Il peut tout aussi bien faire chialer un morceau  comme "Pain in my heart" et tant d’autres qu’il peut enflammer un tube Rock’n Roll "I can’t get know" lui insufflant un groove que keith Richards ne lui soupçonnait pas !

Quelle fierté pour ces deux artistes, si jeunes, dans un pays si dur pour ses afro-américains de percer, de sortir du lot ainsi, écrasant lourdement toute concurrence puisque chacun dans son style ne rencontre pas d’égal. Seule Janis Joplin qui voue une passion pour Otis peut se targuer d’approcher la chaleur et la puissance de son mentor masculin. 


 **Say it loud i’m black i’m proud !** 

https://www.youtube.com/watch?v=j0A_N-wmiMo


Le « Whisky a go go » à Los Angeles / Californie, tout un programme pour poivrots ou fêtards en tout genres, vient d’ouvrir depuis peu (1964). Il fallait se douter qu’avec un nom pareil ce club serait la cible des puritains en tout genres qui réclamèrent un changement de nom arguant - avec raison Nan ? –  une mauvaise influence sur la jeunesse et que « l’alcool non mais l’eau ferru… l’eau ferrugineuse, oui ! »


https://www.youtube.com/watch?v=YcuE54E9coI


L’année d’après le grand Malcom X égérie du mouvement de révolte against racism Black Panthers sera assassiné et parallèlement le boxeur poids lourd Cassius Clay qui reniera son nom d’esclave pour Cassius X est en pleine ascension. 

Otis donc prend résidence au Whisky a go go en 1966 tout en sachant que c’est un artiste exempt de problèmes d’alcool et de drogue.

*- Non mais qu’est-ce que tu racontes ? Nous sommes en pleine période psychédélique où tout le monde se saoule, se drogue et baise, enfin quand y sont pas trop bourrés non plus, à n’en plus pouvoir et tu nous parles d’un gus ultra puissant, d’un musicien qui n’est pas High, un musicien clean ?

- Ecoute il est certainement High d’une autre façon, surement grâce à la musique…j’sais pas ! Et puis on n’est pas venu au Monde pour être High en permanence. Tu vois on peut faire la fête, se bourrer la gueule de temps à autre...se défoncer ?…Why ? Tu vas où ? Prends Coltrane tiens ! Il a été au sommet de son art quand il arrêté ses conneries avec la dope et l’alcool. Prends Charlie Parker il en est mort et le toubib qui l’a examiné « In articulo mortis » pensait qu’il avait affaire à un type de 55 balais alors que Charlie en avait 35…et Janis…et Jimi qui devenait à moitié fou à cause du LSD. Ils étaient si beaux, si savants, ils avaient tant à faire…J’sais pas quoi te dire… Enfin si Otis avait décidé de devenir chanteur après avoir vu le succès de Little Richard, également de Macon et il détrôna le King Elvis comme meilleur chanteur de le Monde et tout ça sans substances, il était clean et pis c tout !*


Les enregistrements du Whisky à Go Go sont vraiment de grands moments musicaux (6 albums pour les puristes !) et le "live" est vraiment un plus pour écouter Redding. On y entend toute la ferveur d’un Soul singer habité. Comme un boxeur, un Joe Frazier il avance sans cesse, il pousse, prend des coups, encaisse mais toujours il avance…en avant, en avant…Again and again…sur des titres qu’il peut allonger pendant 10 minutes poussant et poussant encore…bien planté sur ses deux pieds…comme Frazier il revient toujours usant psychologiquement son adversaire…les coups pleuvent mais…en avant…en avant…Et puis, aussi comme Muhammad Ali (Ali et Otis ont un an d’écart) danse sur le ring il fait danser la musique transmettant un groove solaire…rebondissant sur ses appuis, esquivant avec une grâce féline, virevoltant, remuant…les inflexions de sa voix il transmet une chaleur qui nous fait oublier, pénétrer dans un Monde qu’on entrevoit de loin alors qu’Otis y réside.

 

Ray Charles 1960 : The Genius hits the road

                                         

RAY et PAULO
Chronique littéraire

Ray Charles devient aveugle à l'âge de 7 ans. Le glaucome n'a pas pitié, la maladie frappe n'importe qui, n'importe quand c'est comme une loterie à l'envers à laquelle tu n'as pas choisi de participer dès ta naissance. Pour Paulo c'est un peu différent à l'âge de quatre ans les médecins lui diagnostiquent une tumeur cérébrale. Un an plus tard il est opéré. On doit lui retirer cet intrus de la cervelle. Un corps étranger qu'il n'a pas souhaité et qui veut sa mort. Il s'en sort plutôt bien puisque vivant mais totalement aveugle.

Plonger dans la nuit permanente ! Quelle épreuve ! Impossible de s'en sortir seul, impossible de se relever si tu n'as personne à tes côtés pour t'aider, te conduire.
Il parait que ce qui ne te tue pas te rend plus fort. Voilà bien un exemple qui fait douter de cette citation, de toutes les citations. Rien n'est jamais clairement établi, posé, tous les penseurs du Monde ne pourront pas avec des mots vides arriver à circonscrire le désarroi et la frustration qu'un tel évènement génère dans une vie. 
Parfois je joue, je ferme les yeux et je me dis que je vais rester comme ça 5 minutes. Alors je me lève, je commence à me déplacer et au bout de trois pas n'y tenant plus, horrifié, je soulève mes paupières. J'ai tellement d'admiration pour Ray et Paulo.

Le petit Paul
Je me souviens de lui quand il avais six ans. Il était blond aux cheveux raides la peau d'une pâleur diaphane qui contrastait avec sa rondeur, son côté charmant bibendum. J'aimais bien quand il était posé sur le banc dans la cour de l'école aller le taquiner. Je m'approchais sans bruit et puis je touchais son oreille, son bras ou sa joue. Alors il grognait de plaisir car il était habitué à ce petit jeu.
Ensuite je m'asseyais avec lui et là il posait sur moi ses yeux sans le vouloir. Toujours j'étais troublé, blessé par ce regard vide qui me renvoyait à la chance que j'avais, la chance qu'avaient tous les enfants qui couraient comme des fous dans la cour. La loterie m'avait été favorable mais pas pour lui ni pour Ray !

Vivre indemne est déjà assez difficile, vivre seul sans un minimum d'amour quasiment impossible. Amputé il faut trouver une solution pour avancer. Le monde des sons est déjà une porte merveilleuse pour les entendants, certainement miraculeuse pour les aveugles. Il y déploient leur âme et montrent aux valides l'inutilité des notes, du solfège, glorifiant la mémoire et l'improvisation.
Ray, Stevie, Raul Midon, Amadou et Maryam, Blind Willie Johnson, Art Tatum, Andrea Bocelli... se sont réfugiés dans le monde des sons et ont pu ainsi par leur courage et leur volonté se forger un destin...tronqué mais splendide.

A chaque fois que j'écoute Ray Charles et particulièrement "Georgia on my mind" je pense à Paulo.  Qu'est-il devenu ? A-t-il trouvé son refuge dans la nuit ? 

dimanche 21 février 2021

CREEDENCE CLEARWATER REVIVAL : Bayou Country (1969)


Ni vraiment country ni vraiment blues ni vraiment rock, un peu tout ça à la fois et un style musical qu'on a même parfois a qualifié de "Bayou Rock", Creedence Clearwater Revival est un groupe unique avec un univers et un son uniques (marque s’il en est des grands groupes) mais aussi le géniteur de compositions qui ont traversé les âges et les modes.
Formé à la fin des années 50 mais n’ayant pris son nom définitif qu’en 1967 le groupe des frères Fogerty a mis du temps pour se faire connaître et a galéré de nombreuses années durant ces sixties avant de connaître le succès.

Du rock très roots qui sent bon le terroir, les racines de l’Amérique (même si CCR vient de Californie et n'a jamais mis les pieds en Louisiane quand sort l'album !) le bayou et le Mississipi, la terre des pionniers, les terres du blues, qui est comme la country, une des grandes influences des musiciens et qui font que Creedence reste un groupe atypique de la galaxie du rock de la fin des années 60, presque à part, y compris aux USA.

"Bayou country", leur deuxième disque, est peut-être leur meilleur album, en tout cas celui qui contient les sublimes ‘’Bayou country" et surtout "Proud Mary" l'un des grands classiques indémodables de l'histoire du rock; cette dernière est l’égal de "Sympathy for the devil", "My Generation", "Light my fire", "Help" ou « Somebody to love » avec un refrain prenant qui ne vous lâche plus. On sent le vécu, la moiteur du Mississipi, ça vient des tripes ça ne fait aucun doute ! Et puis il y a quelque chose de chaleureux chez CCR, chaleur que l'on retrouve dans chaque titre.

CCR c'est aussi une voix unique, celle de Tim Fogerty, voix qui est le mix parfait entre blues et rock ; c'est aussi des guitares qui procèdent par petites touches en ayant l'air de ne pas y toucher mais qui sont terriblement efficaces et qui vous entrainent dans un rythme qui vous envahit tout doucement (et au final guitares et voix s'harmonisent parfaitement).
"Bayou country" est en grand album, original, indémodable, intemporel, et qui n'a absolument pas vieilli, un album à la fois typique de la fin des années 60 tout en gardant son originalité (on est pas loin du blues rock mais ça reste très différent des anglais de Cream par exemple).

Hormis "Bayou country" et "Proud Mary" deux autres titres sont hautement recommandables : "Keep on Chooglin" un grand morceau de blues rock qui s'éternisent pour finir comme une jam session entre potes et « Penthouse paper » où Tim Fogerty nous fait encore preuve de ses talents de chanteur et de guitariste (encore un remarquable blues au son assez primaire où la guitare fait merveille), titre sur lequel on frôle l’extase tant le blues rock, quand il est joué comme ça, tutoie les sommets auditifs.

Citons encore « Bootleg » un excellent blues rock qui sent bon la fin des sixties alors qu’à l’inverse « Graveyard train » est un vieux country blues plus « roots », assez traditionnel. Les deux facettes du blues que CCR alterne avec dextérité.
Comme je le disais plus haut une atmosphère vraiment spéciale entoure ce disque ; un album à découvrir car il est unique.

Et alors que le succès commercial mais aussi d’estime, largement mérité, jaillira enfin sur CCR, que la reconnaissance tant attendue était là, le groupe, suite à des tensions internes, notamment entre les deux frères, tirera définitivement sa révérence en 1972 mais en ayant eu la bonne idée de sortir sept albums entre 68 et 72, albums dont certains font largement partie de la grande Histoire du Rock.

Blue Oyster Cult : épilogue

 


Certaines pochettes devraient être interdites, tant leur graphisme grossier nuit à l’album. Quand Club ninja débarque dans les bacs, en 1985, sa pochette éclatante de mauvais goût a dû irriter plus d’un rocker. Entre l’univers digne d’un mauvais film de science-fiction du recto, et ce ninja étincelant représenté au verso, on entre dans un monde à mi-chemin entre les navets de Bruce Lee et les pires navets de science-fiction. Malheureusement pour le cult , la forme convient ici parfaitement au fond , Club ninja réussissant l’exploit de dépasser le désastre de Revolution by night.

Pour reprendre la phrase d’un chroniqueur de l’époque, club ninja donne l’impression de remonter un torrent de merde en nageant à contrecourant. A la première écoute, vous aurez l’impression que le cult retrouve un peu d’énergie, mais cette énergie n’est pas la sienne. Après avoir flirté avec le hard pop , voilà que le cult récupère la formule du heavy métal le plus populiste. Comment ne pas penser aux futures infamies d’Helloween , quand des synthés sautillants gomment le tranchant de guitares faussement féroces ?

Voilà que le stadium rock flirte avec le stadium metal , que les formules les plus médiocres se mélangent dans un barnum écœurant. Club ninja est comme les décors en carton pâte du film total recall , comme les futurs braillements d’eunuques de Manowar et Helloween , c’est tout ce que la culture pop charrie de plus stupide et raté. La batterie monotone ne peut que ravir les partisans d’une énergie sans âme, les kids lobotomisés par une culture populaire devenue populiste. Mélodie de fête foraine chantée par un crooner décadent, faux heavy rock servi par des guitaristes à la violence domestiquée, cette musique dut sembler kitsch dès sa sortie.

Pour justifier cette pathétique soupe, on parle de stadium rock, sac à vomi dans lequel toute une scène décadente vient gerber ses mélodies culcul. A une époque, ce qui remplissait les stades, c’était les univers tolkeniens de Led zeppelin , la virtuosité assourdissante de Deep purple , où le hard blues beatlesien de Cheap trick. Le spectre du rock populaire se réduit comme peau de chagrin et, à cause d’albums comme club ninja c’est tout une jeunesse qui commence à confondre musique accessible et médiocrité assumée.  

L’époque où l’on pouvait écouter du hard rock sans entrer dans l’enclos de moutons prêts pour la tonte est bien révolue, club ninja fait partie de ces débilités transformant le rock en produit de consommation.

Car ce disque n’est même pas le résultat du cheminement d’un groupe en pleine mutation, c’est un coup marketing grossier et humiliant pour ses auteurs. Le cult n’a pas produit l’album qu’il voulait produire, il a essayé de suivre ce qu’il pensait être les goûts du grand public. Sandy Pearlman a donc tenter d’assembler ce qu’il pensait être les matériaux les plus populaires du rock , il ne fait ainsi que livrer un édifice branlant. Les mélodies sans substances sont des façades s’effondrant dans la boue du hard FM , pendant que les fondations penchent dangereusement du côté du heavy métal le plus ridicule.

Si une maison de disques courageuse tente de vendre de nouveau un édifice aussi bancale, son slogan est tout trouvé : Club ninja : un swing de maçon pour construire un rock de merde.

Deux ans plus tard, un sombre projet d’Albert Bouchard guidera le cult dans l’enregistrement d’imaginos. Lourd comme un black sabbath en pleine déroute, ce dernier album représente les dernières braises d’un feu vacillant. Fire of unknow origin était donc le dernier grand album du BOC , qui passera les années suivantes à se caricaturer , ou à flirter avec le heavy metal moderne.

Sorti l’année dernier , the Symbol remains représente parfaitement cette déliquescence. Restent donc ces dix monuments sortis entre 1972 et 1981 , symboles d’une époque où le Blue oyster cult mit le feu au rock n roll.        

Blue Oyster Cult : Revolution by night


 

Après Albert Bouchard , c’est Martin Birch qui abandonne le cult. Le producteur préfère s’occuper des désormais plus populaires Iron Maiden, plutôt que de tenter de maintenir à flot un groupe en pleine déroute. Pour remplacer son producteur ,  le cult choisit Bruce Fairbairn , qui signe avec eux sa première grosse production. Privé des talents d’écriture d’Albert Bouchard , le cult doit aussi demander les services de plusieurs compositeurs. Voici donc notre gang de héros du heavy blues occulte transformé en interprète. Comme souvent dans ces cas-là , le matériel qu’il obtient est assez disparate , chacun greffant ses propres délires à l’univers du culte.

Le résultat est un puzzle incohérent, une série de pièces sans rapport que Fairbairn relie grâce à une production très pop. Le producteur a sans doute voulu creuser le sillon de la variété rock, qui fait un tabac depuis que Scorpions a abandonné Uli John Roth. Europe , Bon Jovi , Toto , tous sont les égéries sordides d’un rock sans substance , d’une variété à guitares des plus creuses. Fairbairn est sans doute le seul qui ait atteint son objectif, c’est d’ailleurs ce que les fans du cult ne manqueront pas de lui reprocher.

Shooting shark a beau avoir été écrit par Patti Smith, la mollesse de sa mélodie rejoint le sentimentalisme ridicule des pires divas pop. Si Shadow of California renoue un peu avec le futurisme agressif de cultosaurus erectus , ce n’est qu’un rayon de lumière dans un album aussi terne que sa pochette noire et blanche. La modernité voulue par Fairbairn est une cage sur laquelle le cult se casse les griffes. Ses riffs se noient dans les ronronnements de synthés mielleux , étouffent derrière la grandiloquence surjouée de refrains ridicules. Les pires passages flirtent avec la légèreté creuse de mirrors , les quelques tentatives de réinventer l’ésotérisme futuriste de l’album précédent sont noyées dans un production trop léchée. 

Le plus sympathique passage de l’album se situe dans ce let go , qui parvient à rappeler la puissance des premiers albums , sans réellement parvenir à l’égaler. Ne sachant plus quelle voie suivre, le cult semble faire l’inventaire de ses exploits passés , le résultat tient plus de la caricature que de la réinvention. Plongé dans une époque qui n’est plus la sienne, privé du seul producteur capable de moderniser sa musique, le cult se noie dans les standards d’une époque de décadence.

Cultosaurus erectus et Fire of unknow origin n’étaient donc qu’un sursis, le dernier grognement d’un vieux lion refusant de perdre le contrôle de sa meute hard blues. Cette même meute n’existe déjà plus, Fairbairn appliquera d’ailleurs ensuite ses sombres plans aux ex Deep purple de Whitesnake. Dernier morceau de l’album, light years love est donc le dernier râle  d’une scène agonisante.

On peut essayer de trouver, dans les mélodies gluantes de Revolution by night , deux ou trois titres qui justifieraient que l’on s’inflige encore une telle daube en 2021. La difficulté de cette recherche ne fait que prouver que cet album fait partie de ces échecs que l’histoire préfère oublier.      

mardi 16 février 2021

Blue Oyster Cult : fire of unknow origin


Le clavier danse sur un funk endiablé, la basse invente un groove satanique, et Eric Bloom envoie un refrain à faire jubiler tous les démons de l’enfer. La tournée en compagnie de Black sabbath venait à peine de s’achever, les buchers allumés par ces prêtres du heavy rock étaient encore chauds, et Fire of unknow origin débarquait déjà dans les bacs des disquaires. Placé en ouverture de l’album, le morceau titre n’était au départ qu’une sombre ballade issue des séances de agents of fortune. Sous la houlette de Martin Birch , brillant mage ayant animé la carcasse du cultosaurus erectus , le cult transforme ce rebut en messe groovy.

Dès la pochette , le cult annonçait son retour dans un univers plus sombre , un mysticisme plus grave et menaçant. Fire of unknow origin est surtout le disque d’un groupe prêchant pour deux chapelles. La première , à mi-chemin entre le cirque choc rock d’Alice Cooper et le blues horrifique des premières heures du noir sabbath , essaie de ramener les brebis égarées du heavy metal dans le droit chemin du rock n roll. A l’image du suffocant « Veteran of the psychic wars » , le clavier se fait lourd , la mélodie est menaçante comme un ciel d’orage.

Dans ce décor, la batterie imprime un martellement à la puissance assommante, laissant la guitare enflammer ces cryptes heavy rock à coup de riffs incandescents. Les résistants du Blue oyster cult reprennent place à la frontière entre le rock et les violences barbares des heavy métalleux. Des titres comme le bien nommé heavy metal affrontent les sauvages tels que Judas Priest sur leur propre terrain, montrent que le rock peut aussi déboucher les oreilles abimées par leurs gesticulations pathétiques.

Si les gamins demandent désormais des chevauchées électriques à se briser la nuque dans des saccades reconnaissantes, si ils veulent montrer leurs dévotions en reprenant en chœurs des refrains ésotériques, et bien le cult leur offre l’hostie capable de les convertir à son dogme. Loin de réciter les leçons des renégats de la nouvelle vague de métal britannique , le cult s’en sert pour décupler la puissance de riffs toujours aussi tranchants. Ce n’est pas encore sur Fire of unknow origin que le cult se lancera dans un assemblage de solos pompeux, ces riffs sont des charges carrées et destructrices, son rock est aussi épique que Murat lançant l’assaut sur la pauvre infanterie russe.     

Swing ésotérique entretenu par une rythmique de plomb, le charisme du cult est souligné par des claviers accentuant la violence de ses envolées , ou soulignant la beauté sombre de ses mélodies

On en vient ensuite à la seconde facette de cet album, la recherche éternelle du compromis entre hard rock et pop. Sans retomber dans la niaiserie de Mirrors, des titres comme Burnin for you montrent un groupe luttant pour rester au sommet des charts. Comme sur cultosaurus erectus, la production massive de Martin Birch permet au cult de soigner ses friandises hard pop sans perdre la puissance de son heavy rock.

C’est aussi cette production qui relie ces titres très variés entre eux. Il y’a un monde entre le déchainement sanguinaire de « heavy metal » , et un hymne de stade tel que « vengeance ». Chaque titre est comme une icône décorant une imposante cathédrale, une série d’œuvres à l’ambiance distincte mais voué au même culte. 

Finalement, ce que les dévots représentés sur la pochette regardent avec tant de gravité, c’est la disparition d’une époque en train de s’éteindre. Ce que ce « feu d’origine inconnue » emmène dans l’au-delà, c’est le souvenir d’une décennie révolue.

Cet album brûle les gimmicks des années 70 dans une grande procession fêtant l’avènement d’une nouvelle ère. Avec cette réussite, la secte de l’huitre bleue annonce que les eighties commencent sur le clavier flamboyant ouvrant ce Fire of unknow origin.    

samedi 13 février 2021

CREAM : Disraeli Gears (1967)



Il faut rendre à Cream ce qui appartient à Cream, non seulement il fut un très grand groupe mais il fut surtout parmi les plus novateurs dans la deuxième moitié des 60's, un groupe important autant pour le blues rock que pour l'acid rock psychédélique, très en vogue à cette époque.

Cream se forme en 1966 avec des musiciens ayant déjà quelques cordes à leur arc, notamment Clapton le guitariste, qui a passé quelques années avec les Yardbirds (Cream et Yardbirds peuvent d'ailleurs être considérés comme les premiers "supergroupes" de l'histoire du rock).

Toutefois, avec le recul, je trouve que par rapport aux Stones, aux Who et au premier Led Zeppelin la musique de Cream a moins bien vieilli (avis personnel, vous pouvez ne pas être d'accord), même si cela reste du blues rock de qualité avec des musiciens hors norme .
Il faut avoir en tête qu'en 1967/68 ce groupe était culte à Londres (et ailleurs), l'équivalent des Beatles, des Stones, des Kinks et des Who, une pièce maîtresse de l'underground naissant, du Swinging London, avec également Pink Floyd évidemment et que Clapton le guitariste était tout simplement surnommé God (Dieu), excusez du peu, sans doute le premier guitar-hero de l'histoire du Rock. Comme on l'a dit Cream est un groupe pionnier du blues rock et qui va grandement et largement influencer Led Zeppelin lequel passera à la vitesse supérieure en 1969 en électrifiant encore un peu plus ce blues pour créer le hard rock.

Avec « Disraeli Gears », deuxième album de Cream, produit par Felix Pappalardi, futur bassiste/chanteur de Mountain, le format des morceaux est encore très courts entre 2 et 3 minutes, alors que sur scène le groupe improvisait avec des titres dépassant souvent les dix minutes.

Globalement, selon les morceaux, on oscille entre pop 60's gentillette, hard-blues rock pré Led Zeppelin, psychédélique et acid rock.
Et puis il y a ce fameux son de guitare de Clapton, reconnaissable entre 1000, tels Hendrix ou Townsend, et qui est la véritable marque de fabrique du groupe, le son « Cream ». Un son qui vous donne des frissons de bonheur. Et c'est ce son qui fera la légende de Cream. Mais la rythmique (Bruce/Baker) n'est pas en reste, loin de là, elle est tout simplement phénoménale.

Deux titres sublimes « Tales of brave Uysses » (là désolé mais c'est l'extase totale) et « Sunshine of your love » mais citons aussi « Strange brew » et « Swlabr » également excellents.

« Strange Brew » qui ouvre le disque est d’ailleurs le symbole même du titre entre pop (la voix) et blues rock (la guitare) les deux facettes principales de Cream.
Ces quatre morceaux à eux seuls valident le fait que cet album est un must et quasiment un disque culte. Quatre titres où l'on tutoie vraiment les sommets. Quatre titres qui font franchir un nouveau cap, un palier supplémentaire au Rock.
L'ambiance, la voix et la guitare y sont tout simplement magiques.
« World of pain », ballade mi pop mi psychédélique très 60's m'inspire moins même si elle ne manque pas de charme; de même pour « Blue condition » et « We're going wrong » dans des registres proches.

Par contre « Outside woman blues » est un bon titre blues rock, encore sublimé par le jeu de guitare, tandis qu'avec « Take it back » on revient au blues traditionnel.
Le petit « problème » et c’est fort dommage c’est que le groupe semble hésiter entre vieux blues traditionnel, pop 60's, psychédélique et blues rock, cherche son équilibre musical, sa voie, une ligne directrice claire entre différentes options et on regrette que Cream ne s'engage pas plus franchement dans la direction acid blues rock où les musiciens peuvent véritablement donner leur pleine mesure. Mais à cette époque beaucoup de groupes avaient, pardonnez-moi l’expression, le cul entre eux chaises et n’osaient pas encore explorer au-delà d’un certain seuil, 1967 étant en quelque sorte l'année charnière.

Mais on retiendra avant tout quatre titres tellement bons et incontournables qu'on oubliera les quelques petits temps faibles du disque et de toute façon il demeure et restera un album important de l’histoire du rock. Un album qui a grandement influencé des groupes comme Jethro Tull, Led Zeppelin, Mountain, Ten Years After, Humble Pie et beaucoup d’autres, notamment l’importante vague blues rock fin 60’s / début 70’s dont Cream est quasiment le dépositaire.

Malgré une durée de vie très courte (à peine 3 ans : 1966-1968) le groupe a réussi le tour de force de laisser quelques albums qui ont marqué l'histoire du Rock (on peut également citer "Wheels of fire" et ses deux disques l'un studio, l'autre live).
Cream a également à son crédit le fait d'avoir mis au goût du jour le power trio, formule qui fera vite des émules.

Et bravo aussi pour la pochette très réussie (dessiné par Martin Sharp que l’on découvre dans le très bon bouquin de son complice Richard Neville « Hippie hippie shake »), très représentative d'une période que personnellement j'adore. Nostalgie quand tu nous tiens...