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dimanche 31 mai 2020

Funkadelic : Funkadelic


Funkadelic - Funkadelic - SensCritique

1964, George Clinton ne supporte plus les plans vaseux de son label. L’époque est au Doo Woop , cette pop ascétisée pour fils de bonne famille. On demandait à son groupe d’imiter les blancs , alors que ceux-ci vénéraient sa culture afro américaine. On pensait que de telles singeries permettraient de les imposer comme les successeurs de Chuk Berry.  Le vieux Chuck avait ouvert une voie, en devenant le premier noir idolâtré par une génération de jeunes blancs, mais l’establishment ségrégationniste  tentait de colmater la brèche.

En fin de compte, ses producteurs étaient peut-être les versions modernes des juges qui mirent Chuck en prison lors de procès Kafkaïens. On justifiait son enfermement dans un genre moribond en lui vantant la pop sixties. Les Beatles avaient conquis le monde, et luttaient avec les beach boys pour garder leur trône de  génies de la pop. Parce que, ce que les producteurs ne pouvaient comprendre, c’est que le look avait finalement assez peu d’importance. Dès le départ, les Beatles annonçaient un monde où la musique serait le nouveau réceptacle du génie humain.

Comment faire décoller un groupe de doo woop alors que Pet sound et rubber soul venaient de traumatiser une génération ? C’était comme vanter l’artisanat en pleine révolution industrielle. Et puis, quand un manager se plante, c’est toujours le musicien qui trinque. Le groupe de Clinton était comme un soufflet qui n’a jamais monté, et les dirigeants du label semblaient ne plus vouloir maintenir la cuisson. Le groupe de Clinton se nommait the parliement  et , mis au pied du mur , il allait enfin révéler sa véritable nature.

C’est que, malgré les efforts de l’establishment américain , Chuck Berry a désormais des fils spirituels. Hendrix fit pleurer Clapton lors d’une performance flamboyante, Miles Davis devint le Paul Mc Cartney du Jazz, sans oublier Marvin Gaye , John Coltrane , Sly Stone.

Mis en première ligne, Hendrix subit l’assaut d’un nouvel obscurantisme, un racisme  qui venait désormais aussi de groupuscules noirs. Vexés qu’il ne veuille brandir leur étendard, les black panthers firent courir le bruit que cet homme jouait «  la musique des blancs ». Les partisans du black power semblaient tenter de rétablir dans les esprits la ségrégation que Chuck Berry a abolie dans la pop. Comme si les blancs ne pouvaient groover , comme si les noirs ne pouvaient expérimenter sans trahir leurs frères opprimés.

Cette étroitesse d’esprit, ces petites chapelles musicales défendues par fainéantise intellectuelle par les journalistes, et exacerbées par les partisans de Malcolm X , Clinton passera sa vie à la combattre. Justement, renommé funkadelic , son nouveau groupe lance le premier pavé dans cette mare un peu trouble.
                                                        
Funkadelic , c’est parliament lavé de sa douceur gluante, le funk s’immergent avec bonheur dans les rêveries acides. Hendrix avait montré comment élargir le cadre du funk, et Funkadelic suivait son exemple pour l’exploser. Le disque s’ouvre sur un bouillonnement qui semble boire le cerveau de l’auditeur , un magma hypnotique qui fait fondre la raison. Lavés de nos repères aliénants, nos esprits peuvent apprécier la magie d’instrumentaux faussement désordonnés.  

Ces notes aux allures si peu harmonieuses ne virent jamais à la cacophonie, c’est au contraire une nouvelle forme de musicalité qui prend place. C’est que cette musique semble revenir aux origines de la musique, dans la grotte où  les premiers hommes inventaient les prémices du jazz , du funk ,et du blues , sans se préoccuper de les séparer comme ces vieux symboles d’un passé révolu.

Le groove psychédélique existe, le blues peut évoquer coït aussi bien que les rythmes funky, et la créativité musicale n’est pas le monopole de l’envahisseur anglais. Dans ce bouillon de culture, la musique vit comme jamais. La tradition n’est plus fossilisée, mais nourrit les exploits contemporains.

Ce disque est aussi le fruit d’une époque où la musique était tout, où elle ouvrait les esprits et accouchait d’œuvres sur lesquelles le temps n’aura jamais prise. George Clinton avait pris sa revanche sur ses managers, et posait les bases d’une discographie unique, une fête où les traditions copulent sur un rythme libérateur.   

samedi 30 mai 2020

DIO : HOLY DIVER (1983)

FORMATION
Ronnie James Dio : chant

Vivian Campbell : guitare

Jimmy Bain : basse

Vinnie Appice : batterie





1982 : après deux excellents albums studio avec Black Sabbath, notamment "Heaven and hell" et un live (Live Evil) que j’aime un peu moins RJ Dio quitte le groupe. Plusieurs désaccords sont la cause de cette séparation (notamment concernant le mixage de l’album Butler et Iommi accusant Dio et Appice d’avoir voulu trafiquer les bandes du live) puis l’histoire de la pochette de ce double live où le prénom du chanteur est amputé du « James » et où Vinnie Appice le batteur apparaît en tout petit comme un vulgaire musicien de session. D’où un climat devenu délétère.


Après Elf, Rainbow et Black Sabbath, Ronnie James Dio décide donc fin 1982 de voler de ses propres ailes et de fonder son propre groupe, appelé tout simplement Dio ; il emmène avec lui Vinnie Appice (batterie) lui aussi viré du Sabbat Noir, prend sous sa coupe Jimmy Bain (ex Rainbow) et engage Vivian Campbell à la guitare.
Depuis ses débuts dans le rock le petit lutin a pris de la bouteille et s'est fait un nom ; il est considéré à juste titre comme l'un des meilleurs chanteurs de hard rock. Peut-être même le meilleur.
« Holy diver » est clairement dans la lignée d'Heaven and hell sur le fond et la forme ; ça démarre à 100 à l'heure avec un titre nerveux et agressif « Stand up and shout » puis Dio enchaîne un titre plus lent et lourd « Holy diver » qui rappelle l'enchaînement Neon Knights / Children of the sea.
Sur « Gypsy » et « Caught in the middle » on a bien un petit coup de mou, rien de bien méchant, disons juste que ce ne sont pas les titres les plus marquants.

J'aime bien « Invisible », Dio y chante remarquablement bien, ça commence comme une ballade mais ça s'emballe très vite, le travail de la guitare est réussi.
« Don't talk to strangers » est le meilleur titre : on se croirait revenu à Heaven and hell tant pour l'ambiance que pour l'architecture et la composition du morceau, vous savez le genre de chanson qui passe avec magie d'une atmosphère puissante à une ambiance féerique.
« Rainbow in the dark » est également excellent avec un synthé qui apporte sa petite touche, juste ce qu'il faut.

On finit tout en puissance avec « Shame on the night » et finalement on constate que la deuxième partie est bien meilleure.
Dio chante toujours aussi bien, toujours les mêmes intonations envoûtantes. Aussi bon dans l'agressivité que dans l'émotion.
Les musiciens assurent bien même si Campbell n'a pas la finesse d'un Ritchie Blackmore ou le feeling d'un Tony Iommi, un son de guitare très hard 80s (attention il assure bien, il fait le job mais c'est juste qu'il n'a pas le « génie » des guitaristes ayant accompagné Dio dans le passé et on est bien obligé de faire la comparaison).

Tous les morceaux sont plus ou moins du même niveau, rien à jeter, un album compact, de qualité. Comme la plupart des albums qui suivront d'ailleurs.
Il manque juste ce petit supplément d'âme qu'on trouvait sur les deux premiers Rainbow et sur « Heaven and hell » mais « Holy diver » reste malgré tout l'un des meilleurs disques de hard des années 80.

dimanche 24 mai 2020

MARILLION : Misplaced Childhood (1985)

Formation
Fish : chant
Steve Rothery : guitare
Mark Kelly : claviers
Pete Trewavas : basse
Ian Mosley : batterie


Milieu des années 80 alors que la plupart des grands dinosaures du rock progressif  (Genesis et Yes en tête) sombrent dans la pop FM la vague néo prog est à son apogée : IQ, Pallas, Pendragon et bien sûr Marillion.
Troisième album de ces derniers, sorti en 1985, après les déjà très intéressants « Script of a jester tears » et Fugazi », « Misplaced childhood » est l’un des meilleurs du groupe, peut-être le meilleur (en tout cas avec Fish au chant). Bref je ne suis pas loin de penser que Marillion est ici à son apogée. De prime abord légèrement plus « commercial » et plus abordable que les deux premiers albums, il sonne également plus (trop?) années 80s notamment au niveau de la guitare, du synthé et de la batterie, ce qui personnellement me perturbe un peu car ça donne un côté new wave/pop assez désagréable sur certains passages.

Plus « commercial » mais paradoxalement alors que le son ici est plus pop 80s, plus synthétique, il n’y a pas de « morceaux à refrains » comme Market Square Heroes ou Garden Party et les compositions sont plus fouillées que sur les albums précédents.

Un peu différent au niveau de l'atmosphère générale et de la structure des morceaux par rapport aux deux premiers albums qui étaient davantage un assemblage de différents titres sans forcément de lien entre eux; là on est dans un concept album et donc avec une ambiance globale particulière.

En effet « Misplaced childhood » est un concept album basé sur l’enfance, avec des morceaux globalement assez courts mais qui s’enchaînent bien (c’est le propre du concept album) et qui forment un tout globalement très cohérent.
Cela commence doucement avec le néanmoins très beau « Pseudo silk kimono » avant de monter progressivement en puissance.
« Kayleigh » (le tube) et « Lavender » sont les maillons faibles. Heureusement plus le disque avance plus on gagne en intensité et en énergie ; la seconde partie étant plus enlevée avec notamment « Waterhole » / « Lords of backstage » suivis du très bon « Blind curve » neuf minutes de haut niveau.


A la différence des deux albums précédents aucun titre ne se démarque vraiment hormis peut-être « Blind Curve » même si beaucoup apprécient malgré tout « Kayleigh ».
Et toujours la voix superbe de Fish proche de Peter Gabriel certes (le look/maquillage et le côté théâtral du bonhomme y sont aussi pour beaucoup) mais toutefois sans mimétisme et qui prend ici toute sa superbe. En tout cas bien davantage qu’un simple clone même si évidemment l’influence de Genesis période 70-74 est très présente.
La tonalité générale qui se dégage est majestueuse, aérienne et le dosage des différentes ambiances réussi. Et employer le mot "beauté" pour qualifier ce "Misplaced Childhood" n'aurait rien de mensonger.
Pas l’album le plus progressif de Marillion, plus cool que « Script of a jester’s tear » mais néanmoins un très bon cru même si on atteint malgré tout peut-être à la frontière entre le rock progressif même « néo » et la pop des années 80 (par pop des années 80 j’entends par exemple Genesis période Abacab,Toto ou U2)... et c’est peut-être là que se trouvent les limites du genre.


samedi 23 mai 2020

Amon Dull II : Live In London

Amon Düül II Live in London: Amon Düül II: Amazon.fr: Musique

Des hordes de chevelus débraillés envahissent les rues, des clochards célestes priant pour la paix sur fond d’arpèges voluptueux. Dans les communautés formées par ces idéalistes, on imagine une nouvelle société, on maudit la guerre du Vietnam, et on ouvre son esprit à grand coups de psychotropes.

Non, vous n’êtes pas à San Francisco, mais en Allemagne. Là plus qu’ailleurs, le flower power a sonné comme un hymne  salvateur. Les jeunes ne veulent pas revivre le cauchemar qu’ont connu leurs ainés, et exorcisent ce traumatisme dans une musique ultra moderne ou hallucinée. Sous le regard amusé des anglo saxon, la scène teutonne s’épanouit en deux camps.

Le premier, fasciné par les possibilités des studios et gadgets éléctroniques modernes , crée une musique froide et ultra moderne. C’est la naissance de la musique électronique, qui permet à Kraftwerk de dépeindre un urbanisme ultramoderne. Tangerine dream préfère se servir de l’électronique pour tisser des décors sonores fascinants, des ambiances froides et rêveuses. La scène qu’il représente n’a plus grand-chose à voir avec le rock, ses musiciens refusant d’être rapprochés de ce symbole du passé.

Heureusement, une autre tendance se dessine, plus proche des essais space rock de Pink Floyd. Amon Dull est le plus grand symbole de cette tendance. Le groupe fait partie de ces réunions d’idéalistes qui envahissent le pays, et passe des heures à jouer sous l’influence de la pillule des merry prankers.

La communauté est surtout tiraillée entre les convictions de ses gauchistes les plus violents, et les ambitions artistiques qu’elle porte. Dans cette réunion d’idéalistes, on veut prôner la mort du grand capital, et une union des peuples pour mettre fin aux conflits étatiques. Une part de ces musiciens s’en va donc mettre son talent au service de Frank Zappa. 

A l’époque, le moustachu est vu par certains comme un leader révolutionnaire, ces textes servant de poil à gratter pour une société américaine bigote et consumériste. Mais Zappa méprise ces activistes de salon, cette « peace corps » , comme il l’appelle dans un de ses titres phare. Pour lui, le mouvement hippie n’est qu’une mode que sa génération suit aveuglément, un nouvel obscurantisme. Rejetés par leur héros , les musiciens déserteurs produiront une série de disques ignorés , pendant que ceux qu’ils ont abandonnés forment Amon Dull II.

De ses origines hippie , Amon Dull II a gardé son goût pour la débrouille, qui le mène à produire ses premiers disques seul. Sorti en 1969 , Phallus Dei souffre d’une production brouillonne, mais laisse tout de même deviner une inventivité, qui ferait passer Pink Floyd pour un mauvais groupe de blues.

Les allemands apprennent vite et, à peine un an après leur premier essai, ils sortent le délirant Yeti. Ce disque rend littéralement le rock progressif au peuple. Alors que les anglais sont partis dans des démonstrations virtuoses un peu pompeuses , Amon Dull se contente de jammer jusqu’à atteindre des contrées délirantes. Cette spontanéité hypnotique n’atteint son apogée que sur l’album suivant , tanz der lemming , où la production parfaite restitue magnifiquement le grand trip musical du collectif.

C’est cette spontanéité mystique qui est célébrée sur ce « live in london ». A une époque où le hard rock est roi, les allemands s’imposent sur une première partie lourde et puissante. Cette rage électrique rivalise avec les heures les plus sulfureuses de led zeppelin, s’offrant ainsi les faveurs des amoureux de puissance corrosive. 

Ces riffs accrocheurs semblent toutefois plongés dans un bain d’acide, ils forment une spirale hypnotique qui vous ouvre les portes de la perception. La simplicité trompeuse de ses improvisations, les rythmes répétitifs de ses incantations, cachent la vraie finesse d’amon dull II.

A chaque nouvelle écoute, c’est une nouvelle parcelle de ce décor onirique qui s’ouvre à l’auditeur. Une bonne partie du stoner rock s’apparente à une tentative désespérée de renouer avec cette simplicité trompeuse, elle ne fera que caricaturer sa formule. Certains se contentent de marteler un rythme destructeur, gommant toute trace de psychédelisme pour partir dans un boogie boosté aux hormones. D’autres, au contraire, jouent à fond la carte de la spirale hypnotique, pour masquer leur incapacité de faire évoluer un rythme désespérément monotone. Les seuls cas intéressant se mêlent au renouveau du hard rock , et personne ne saura reproduire les décors menaçants de « improvisation ».

Ne parlons même pas de « synthelman’s march of the seventies » ou « restless Skylight », le feu voodoo qui les nourrit s’est éteint avec les seventies. Live in London , c’est le sommet d’un groupe incarnant la puissance rêveuse du LSD, et la célébrant devant une foule médusée. Le trip se corse rapidement, laissant se développer une force de plus en plus menaçante, une dangerosité fascinante.

Cette sensation est d’autant plus unique que, lorsque le disque sort enfin, en 1974 , Amon Dull commence déjà à partir vers des chemins plus balisés. « live in london » devient ainsi le dernier témoin de cette aventure acide, la dernière fois qu’un trip semblera gravé sur le sillon.     




mardi 19 mai 2020

Beth Hart and Joe Bonamassa : Live In Amsterdam


Live from Amsterdam: Beth Hart & Joe Bonamassa, Beth Hart & Joe ...

«Dans le port d’Amsterdam
Y’a des marins qui meurent
Plein de bière et de drame »

Si le blues est une force salutaire se nourrissant des drames des terres qu’elle visite, alors Amsterdam ne pouvait que devenir le nouveau Chicago. Il y’a quelque chose de magique dans ses nuits où, alors que les promeneurs cherchent un peu de joie dans ses rues , les lumières projettent leurs reflets d’or sur une eau ténébreuse. Sorte de dominos flottants, certaines bâtisses semblent boire l’eau du fleuve. Et les rues, qui ont gardé le style des siècles derniers, donnent l’impression que Van Gogh va se présenter au prochain croisement.

On rencontre d’ailleurs son nom , inscrit sur le fronton d’un de ces impressionnants musées , qui sont de véritables forteresses culturelles. Le Carré Theatre n’a rien à envier à ces monumentales constructions, et moult seigneurs auraient pu affirmer leurs pouvoirs en ses murs. Ce soir de mars  2014, c’est Joe Bonamassa et Beth Hart qui prennent possession de ce fort, le roi et la reine du blues réunis dans cette cathédrale musicale.

Leurs visages trônent fièrement sur le fronton du bâtiment, un peu comme ces belles affiches sur le fronton des grands cinémas. Le jour où l’on donnera à la musique la place qu’elle mérite, il faudra que c’est deux-là aient leur chapitre dans la longue histoire culturelle de l’humanité.  Seul, ils sont déjà brillants, mais ne s’approche de la perfection qu’a quelques occasions. Bonamassa est trop versatile et traditionaliste, il se contente trop souvent de mettre son talent au service d’un revival blues ou hard rock.

Ecouter certains de ses disques , c’est comme aller voir le remake de la planète des singes . La technique est bonne, les effets numériques impressionnants, mais on attend toujours l’arrivée de Charlton Heston. Bonamassa a le même problème, quand il joue le blues on entend BB King, et quand il passe au hard rock on attend un trait de génie de Jimmy Page.

Beth Hart lui apporte une bouffée de fraicheur, ses influences jazz l’obligeant à sortir de ses sentiers battus. Elle est le cadre, et son guitariste pose les couleurs. La voix de la chanteuse, plaintive sans être hargneuse, puissante sans hurler, est faite pour s’épanouir dans le grand décor cuivré que son groupe plante ce soir de mars 2014. Le saxophone lui taille une mélodie sur mesure, il habille ses complaintes dans un mariage éblouissant, une formule perdue depuis la sortie du sous-estimé  « I Got Dem Ol' Kozmic Blues Again Mama!». 

Alors forcément, la guitare n’ose pas hurler, elle chante, se calle sur le rythme pour tisser ses mélodies. Mêmes les solos se font plus chaleureux, comme si cet édredon cuivré gommait le tranchant de ses riffs, lui imposant une plus grande finesse. Puis le blues reprend ses droits, les titres tels que « well well well » ou « chocolate jesus » ressuscitant ce bon vieux boom boom des pionniers.

On passe des lamentations classieuses à une célébration fiévreuse, Beth Hart célébrant le swing comme si il vivait ses dernières heures.  Elle ne manque pas non plus d’énergie sur le poignant « your heart is black as night », mais c’est une énergie d’une autre nature.

Quand la mélodie prend de nouveau le pas sur le swing , sa voix réchauffe les cœurs et bouleverse les âmes. C’est peut-être d’ailleurs ces titres qui illuminent le plus ce live, rappelant le blues de marin chanté par Brel.

Comme je l’ai dit au début de cette chronique, ce soir-là Amsterdam devint la capitale du blues. Alors, posez délicatement la pointe de la platine sur le sillon, et enivrez-vous de cette musique au charme d’un autre âge.

Vous entrez dans un décor musical qui procure ce sentiment de quiétude, que l’on éprouve en marchant au milieu des vieux villages français. Vous oubliez alors le temps et la laideur de vos décors urbains sans âme. Ce disque, vous l’habitez pendant quelques minutes, ces mélodies sont le battement qui donne vie à votre évasion blues.  Vous avez atteint le paradis près « des ports d’Amsterdam ».
                                                                                                                                      

dimanche 17 mai 2020

KILLING JOKE : killing joke (1980)

Formation
Jaz Coleman : chant, claviers/synthés
Geordie Walker : guitare
Youth : basse
Paul Ferguson : batterie

1980 : la première vague punk anglaise de 76/77 est passée, beaucoup de groupes ont arrêté ou ont évolué vers d’autres styles.
Se dessinent de nouvelles tendances :
les punks radicaux, anarcho-punk notamment, accélèrent le tempo et voici le punk hardcore qui naît ; la nouvelle vague (new wave), plus tournée vers l’électronique et entre les deux un genre un peu fourre-tout appelé post-punk et qui regroupe une multitude de combos. Et le point commun entre punk et post-punk est le nihilisme, bien qu'il caractérise souvent différemment.
Formé en 1979 Killing Joke n’aura pas attendu longtemps avant de sortir son premier album éponyme (1980) et qui est caractéristique de cette vague post punk, mixant diverses influences musicales.
Pour ce groupe les influences punk se mélangent à un côté plus new wave (mais le synthé reste globalement assez discret) d’une part mais aussi à un côté rock tribal/industriel qui va grandement influencer les Ministry, Nine Inch Nails, Godflesh, Kill the thrill et consorts.
Déjà la pochette donne le ton, magnifique en noir et blanc, presque floue, mystérieuse, quasi surréaliste.
Et participe au côté sombre, ténébreux voire gothique - pas trop ici - qu’on va accoler à ce mouvement.
A la fois primaire (de prime abord) et fouillé (si on s’attarde un peu plus sur les morceaux) ; tantôt tribal, prémisse au rock industriel de la fin des 80s ; tantôt new wave ; tantôt plus agressif.
Et nous tenons là un disque important du post punk, l’archétype de ce que sera ce courant qui perdure jusqu’à aujourd’hui, Killing Joke posant, avec d’autres, les bases.
Il faut dire qu’au départ ce n’est pas forcément mon univers musical de prédilection (tout ce son 80s ce n’est pas ma tasse de thé loin de là, en général trop synthétique pour mes oreilles bercées au punk et au heavy metal mais avec KJ l'énergie n'est pas un vain mot donc me voilà rassuré).
Mais voyons ça de plus près.
Pour moi « Requiem » est loin d’être le meilleur titre (peut-être même celui que j’aime le moins ! ) mais il donne malgré tout le ton au disque.
« Wardance » est excellent, je trouve que c’est le meilleur morceau de l’album, avec un riff de guitare surplombé par une basse (la basse de Youth est omniprésente comme dans beaucoup de groupes post rock ou post punk, lourde et « grasse » et parfois presque funkysante) et la voix éraillée si particulière de Jaz Coleman qui colle bien au côté primaire (notamment accentué par la batterie) mais aussi mystique/mystérieux de la musique. Et un refrain qui claque !
Les autres temps forts sont « Tomorrow’s world » et ses nappes de claviers froides et « inquiétantes » et « The wait » un vrai titre rentre dedans, encore un grand riff de guitare. J’adore !
On peut également citer « Complications » où Jaz change de répertoire vocal avec un chant plus « new wave » mais ça reste de haut niveau.
Puis « SO36 » qui dégage un côté hypnotique froid et sombre, nihiliste et malsain.
Parfois ici ou là quelques bidouillages électroniques qui donnent selon les morceaux un côté plus coloré ou plus sombre mais le tout garde une atmosphère bizarre
D’ailleurs le synthé/clavier ne sonne jamais commercial comme malheureusement trop de groupes de new wave trop FM.
Un album qui peut dérouter mais qui reste un classique à l’influence incontestable et malgré le côté parfois inégal de l’ensemble reste finalement un must du rock des années 80.
Ensuite le groupe sortira encore quelques bons albums, parmi lesquels on peut citer dans des genres différents Pandemonium (1994) et Pylon (2015)

Beth Hart and the ocean of souls : 1993 original recording


BETH HART: Beth Hart And The Ocean Of Souls: AVIS/CHRONIQUE

Je veux aujourd’hui quitter les rives du missisipi , abandonner temporairement leurs mythiques troubadours misérables , pour revenir sur les plaines de woodstock. Le nom évoque déjà l’image iconique de milliers d’utopistes, venus vivre la plus belle expression de liberté du monde moderne. Et puis Janis Joplin arriva, dans ses apparats de reine hippie, et sa voix hypnotisa littéralement l’auditoire.

Je veux revivre cet instant suspendu, cette force lyrique que les hard rockers ne cesseront de déformer, pour le meilleur et pour le pire.  Janis avait un avantage sur eux, ses accompagnateurs savaient rester à leur place. Le culte du guitar hero n’était pas encore devenu une religion musicale, et sa voix n’avait pas à lutter avec une six cordes trop bavarde. Résultat, ses gémissements donnaient plus de puissance émotionnelle au blues , ils l’éloignaient de la philosophie plaintive de ses débuts.

Derrière elle, les musiciens étaient de bons artisans, chargés d’habiller ses lubies du moment . Le blues , elle le chanta dans un décor psychédélique, cuivré , ou groovy. Mais toujours avec une conviction dévote, qui ferait passer Howlin Wolf pour un fonctionnaire apathique. Et puis la formule a disparu en même temps que sa représentante, le blues se repliant dans un traditionalisme un peu snob. Il faut dire qu’il y’avait désormais led zepp et deep purple , et le blues ne voulait pas se noyer dans leurs brulots tapageurs. 

Pour retrouver la puissance vocale de Pearl, il fallait donc regarder dans le rétro , se consoler en écoutant plus attentivement Grace Slick ou Ruth Copeland. Le blues passait de Muddy Waters à Johnny Winter, avant le succès inattendu de Bonamassa. Ses protagoniste étaient brillants , mais rares sont ceux qui s’éloignaient du boom boom habituel, et aucun ne tentait de placer le chant au même niveau que le reste.

Et puis, en Californie , une femme préparait le retour de la splendeur perdue. Beth Hart fait d’abord des études de musique, mais sa passion est ailleurs. La jeune fille est fascinée par le jazz, et ne prend pas longtemps avant de nourrir le même amour pour le blues. Les deux genres ont toujours fait très bon ménage, et son caractère très sociable lui permet de rapidement monter un groupe. Vient alors l’éternelle épreuve des clubs, où il faut lutter pour trouver l’attention de son premier public.

Pour elle, le combat ne sera pas trop compliqué , son accoutrement excentrique rappelant les premiers pas de la reine de woodstock. La voix de Beth Hart est plus douce, elle n’a pas ce timbre taillé au Jack Daniels, ce qui lui permet de développer un chant plus mélodique. L’auditoire est rapidement conquis et, dans un endroit comme Los Angeles, les rumeurs courent vite. Beth Hart et son groupe atterrissent donc  sur les plateaux télé, où sa voix chaleureuse et puissante pénètre lentement dans des millions de foyers Américains.  

Ce n’est pas encore réellement le succès, mais c’est suffisant pour pouvoir enregistrer un premier disque. Si les bandes sont sorties, le retentissement fut très faible. Le blues venait de vivre un moment historique dans l’indifférence totale. Les producteurs ont pourtant soigné leur coup , donnant à la jeune femme une production typique de l’époque. Après être revenues des fourvoiements synthétiques des années 80 , les maisons de disques privilégiaient désormais un son léché mais puissant. Les solos jaillissent glorieusement au détour de chœurs fervents , rappelant au passage que Beth Hart flirte aussi avec le gospel. Ce son est lumineux sur « love surfer all » et « I felt him cry » , c’est la finesse pop de Tom Petty portée par une voix langoureusement bluesy. 

Si ses chœurs donnent au disque un vernis séduisant, n’allez pas croire que la pop a encore eu la peau du rock, c’est tous le contraire. Ce premier album est rempli d’envolées déchirantes , de grand-messes rock digne de l’intro de Cheap Trills. D’ailleurs tout le monde ne peut pas sortir une telle réadaptation de « lucy in the sky with diamond ». Entre les main de Beth and the ocean of soul , le titre qui annonçait le début de la grande fête psychédélique devient un gospel rock digne de Don Nix.
On a ainsi droit à une partie plus vintage, comme cette guitare moelleuse qui ressuscite le fantôme de Mike Bloomfield sur « Am I the one ».   

« 1993 original recording » est un disque à la croisée des chemins , donnant un coup de fraicheur au blues tout en étant solidement ancré dans son époque. Alors, insérez ce disque dans le lecteur, et laissez le son vous parcourir comme une énergie vitale. Cet album, c’est le retour inespéré d’une énergie que l’on croyait perdue.