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vendredi 20 mars 2020

The Rolling Stones 3


Qu’on ne vienne pas me parler de « out of your head » et du premier album, ces disques étaient des galops d’essais, les manifestes de jeunes loups se faisant les crocs sur le blues. Aftermath est le véritable album des stones, celui où ils ont enfin digéré les heures passées à réciter leur Chuck Berry et autres BB King.

On a beaucoup loué les qualités musicales de Brian Jones, qui explosent sur l’impressionnant paint it black , mais ce aftermath est déjà l’œuvre du feeling exceptionnel du duo Richard/Watt. Stupid Girl, Under my Tumb, et même mother little helper sont des manifestes dédiés au rock rythmique. Les deux guitares sonnent comme une seule, laissant Keith se tailler la part du lion, et mettre du charbon dans la machine rythmique, à grands coups de riffs cadencés.

Les stones ont touché la perfection, sans encore parvenir à totalement en saisir la formule , et les prochains albums avec Brian Jones ne seront pas aussi brillants. L’album suivant, Between the button, montre un groupe lessivé par son ascension fulgurante. C’est le retour du groupe à single et, si let’s spend the night together et ruby Tuesday brillent au milieu de ce grand foutoir , le disque dans son ensemble est anecdotique.

En réalité, Brian Jones devenait un boulet pour les stones. Musicalement, il nourrissait une schizophrénie qui a fait tomber « between the button » dans le précipice. Son talent de musicien permettait au groupe de fouler les chemins détestés de la pop , et ils s’y sentirent obligés pour lutter contre une concurrence des plus rudes. Il ne faut pas oublier qu’innover était devenu la règle, les kinks avaient sorti face to face, les beatles lançaient le psychédelisme avec revolver, et pet sound débarquait dans les bacs des disquaires.

Alors le duo Richard Jagger a commencé à se dire que le blues ne suffirait plus , et s’est mis en tête de marcher sur les plates-bandes de ses amis de Liverpool. Le résultat est gravé sur « their satanic majestie » , ridicule parodie du sergent pepper des beatles. Cet échec mit Brian Jones encore plus à l’écart, car il incita son groupe à rester proche de ce blues qui les a toujours nourris.

Après avoir perdu le pouvoir, ses talents de multi instrumentiste n’étaient désormais plus primordiaux. De plus en plus marginalisé, il se réfugia dans la drogue. Mais là encore, sa résistance n’égalait pas celle de Keith.  Paranoïaque, tout le groupe commençait à le devenir, l’establishment avait décidé de s’occuper d’eux, et le harcèlement était permanent.

Les policiers étaient si souvent près de chez eux, que Keith avouera plus tard qu’il lui arrive encore de vérifier si un flic rôde dehors, avant de sortir de chez lui. A force de chercher, les flics trouvaient parfois un peu de dope, mais les procès qu’ils parvenaient à obtenir étaient rapidement classés sans suite. 
                                                                                   
Si le groupe gérait globalement bien la pression liée au succès , son leader s’effondrait totalement. Sur « beggard banquet » , sa participation créative se limite aux tambourins sur « sympathy for the devil ». C’est que les glimmer twins étaient arrivés au sommet de leur créativité, et surveillaient désormais la maison rock, pendant que les beatles partaient dans tous les sens sur le double blanc.
                                                                                  
Beggar Banquet est un monument parce que les stones sont passés au-dessus de leurs références, et mélangent les traditions musicales dans une grande fête en l’honneur de leur groove rythmique. C’est aussi un des disques où les anglais sonnent le plus comme des américains, ils foulent ces contrées magnifiques , à la frontière du blues , du folk , et de la country.

« sympathy for the devil » résume déjà tout ce qui va suivre. Conçu au départ comme un folk à la Dylan , la chanson n’a cessé de muter au fil des sessions. One + one , le délire révolutionnaire de Godart , doit son seul intérêt au fait d’avoir filmé cette genèse.

On y voit un groupe en parfaite osmose, absorbé par la création de sa salsa infernale, son rock tribal aux rythmes sulfureux. Je ne parle même pas de jumping jack flash , un des plus grands riffs de sir Richards. On retiendra aussi « dear doctor » , qui ramène le blues dans les bayous de Louisiane , le rock libidineux « stray cat blues » , et le presque Dylanien « salt of the earth ». 
                                          
Les stones étaient définitivement sur le toit du monde, et allaient en profiter pour se payer cette critique prompt au lynchage. La scène se passe dans les locaux de Decca, où quelques journalistes sont invités à un banquet promotionnel en l’honneur du dernier album. Au bout de quelques minutes, une bataille de nourriture se déclenche, et laisse les pauvres plumitifs piégés au milieu des tirs de leurs hôtes.

Les stones obtinrent dans la foulée leur propre émission de télévision. Le temps d’un soir, John Lennon , Taj Mahal , Jethro Tull , et même Eric Clapton ont ainsi été invités à célébrer l’arrivée au sommet du groupe de Keith Richards. L’émission montrait aussi la prise de pouvoir du duo Jagger Richards, qui brillait devant un Brian Jones sagement cantonné au second plan. 

Sa femme, Annita Pallenberg , l’avait quitté pour partir avec Keith , réduisant à néant son reste d’intérêt pour son groupe. Si il apparait sur la pochette de Let It Bleed , le disque est surtout l’œuvre de Keith Richards. Après avoir découvert les secrets de l’open tunning , utilisé par de nombreux héros du blues , il illumine l’album de sa classe. 

Let it bleed , country honk , gimme shelter , monkey man , le toucher Richardien illumine plus que jamais le son des stones. Ce bon vieux Keith en profite même pour s’essayer à la pop sur le séduisant « you got the silver ». L’ensemble du disque est très tendu, comme si les stones sentaient que l’époque allait basculer. 

Et le basculement aura lieu dès le lendemain, sur la terre maudite d’Altamont. Les stones voulait organiser leur Woodstock , un festival qui ferait oublier tous les autres , mais ils eurent la mauvaise idée de le faire surveiller par les hells angels. Tous ceux qui idéalisent encore cette bande de « bikers de l’enfer » devraient lire le livre que Hunter S Thompson leur a consacré, et qui les montre sans ce mythe libertaire qui les entoure.

Pratiquant le viol en réunion, et prompt au lynchage, ces bikers étaient l’incarnation même de la mort du rêve hippie. Les payer en bière n’était pas l’idée du siècle non plus mais , quand il mirent leurs motos devant la scène pour retenir les manifestants , on comprenait vite qu’ils ne cracheraient pas sur un petit tabassage de hippies.
Au début pourtant, la peur fit son effet, et personne n’osa s’approcher trop près des précieux engins. La bière et le soleil échauffent progressivement les esprits et , alors que santana entame son set, les bagarres à coup de queues de billards éclatent. 

Quand les stones s’apprêtent enfin à fouler les planches , c’est comme si ils étaient face à un gigantesque champs de bataille. Ils sentent cette tension qui précède les grands affrontements , et les grands drames , ce sentiment ne trompe jamais.

Obligé de traverser la foule pour accéder à la scène, Mick Jagger se prend une giffle de la part d’un des spectateurs. Conscient qu’il se trouve au milieu d’un champs de mines prêtes à exploser, le chanteur ne réagit pas. Une fois installé, le groupe doit attendre que les spectateurs quittent la scène qu’ils ont assiégée pour commencer à jouer.

A ce moment, le groupe se demande s’il doit se lancer dans un concert aussi tendu, mais annuler n’aurait fait qu’ajouter de l’huile sur le feu. Au milieu de Jumping Jack Flash , une nouvelle bagarre éclate. Dans la mêlée, les angels poignardent le jeune Meredith Hunter, sous les yeux terrifiés des musiciens, et de sa petite amie.

La peur du chaos obligent tout de même les stones à continuer le concert. Le lendemain le bilan fait état de plusieurs morts et blessés. Pour se justifier , les angels ont affirmé que Meredith avait sorti un fusil , et visait Mick Jagger.

Personne n’est en mesure de confirmer ces affirmations. En revanche, les échauffourées ont sans doute été causées par ceux qui incendièrent délibérément les motos des angels.

C’est le rêve Hippie qui est définitivement mort ce soir-là. Ses représentants se rendaient bien compte qu’ils ne pouvaient demander la paix dans le monde, alors qu’un simple concert finissait en bain de sang.

Les stones devinrent ainsi les bourreaux de ce rêve pacifiste, un statut dont ils se seraient bien passés.     
                                                             
       

   


mardi 17 mars 2020

The Rolling Stones : Partie 2


L’annonce passée dans jazz news permit aux stones d’obtenir quelques dates supplémentaires. Une en particulier est à marquer d’une pierre blanche , celle où les stones furent choisis pour remplacer Alexis Korner au Marquee Club de Londres. La scène avait des airs de passage de témoins, le vieux routard laissait ses descendants construire leur propre blues.

La route n’est pourtant pas toujours aussi brillante que lors de cette date historique. Le début des sixties est une époque charnière, celle où une tradition commence à remplacer l’autre. Dans les clubs, le jazz est encore très présent, et ses musiciens ne voient pas d’un très bon œil l’arrivée de ses blancs becs à trois accords.

Pour imposer la révolution en marche, les stones jouaient gratuitement pendant l’entracte des jazzmen vedettes. Les patrons de bars acceptaient sans problème, mais les jazzeux voyaient bien que l’époque était en train de leur échapper. Les stones jouaient leur set comme si ils étaient investis d’une mission, imposer le blues sur le vieux continent et dans le monde entier.

Si vous voulez avoir une idée de l’affrontement qui eut lieu à ce moment, regarder le film Jazz on a summer day. Arrêtez-vous surtout sur cette scène où, alors qu’il joue avec les jazzmen qu’il admire, Berry se fait littéralement poignarder dans le dos par ses idoles. Fausses notes, mauvais tempos, ceux qui lui donnèrent sa vocation de musicien font tout pour détruire sa prestation. Mais Berry résiste brillamment, et réussit globalement à sauver son swing de ce complot musical.

Dylan ne va pas tarder à chanter « the time they are changing », mais ce changement fut le fruit d’une bataille sans merci. La culture est conservatrice par essence. Proposez-lui une nouvelle vision de son patrimoine, et vous êtes sûr qu’une bande d’illuminés tentera de lapider le blasphémateur.

Heureusement , la lutte des stones est souvent victorieuse, et leur permet d’être repéré par Andrew Loog Oldham. Le manager ressort de sa collaboration avec Brian Espstein , l’homme grâce à qui les Beatles sont devenus «  les quatre garçons dans le vent ».

Encore marqué par son travail avec le groupe de John Lennon, Oldham tente d’abord de transformer ses bluesmens crasseux en gendres idéals. Il faut dire qu’il a la pression, decca vient de signer le groupe, et veut en faire sa revanche sur le passé.

On a souvent créer une fausse confrontation stones/ beatles , mais le groupe de Mick Jagger doit une bonne partie de son ascension au succès des quatre de Liverpool. Si le patron de Decca n’avait pas cruellement renvoyer les scarabées chez eux, avant de s’en mordre les doigts , nous ne serions sans doute pas en train de parler des rolling stones aujourd’hui.

Les premiers disques des stones n’ont pas grande importance, ce sont juste des compilations de vieux blues censés instruire leur public. Mais la beatlemania était passée par là , et les stones devinrent les nouveaux dieux d’une jeunesse hystérique.

Les jeunes anglaises, jusque-là corsetées par une éducation très stricte, trouvaient enfin un réceptacle pour libérer leurs pulsions trop longtemps contenues. C’est comme si cette amas de frustrations sexuelles explosait pendant quelques minutes , les cris couvrant largement le son d’une sonorisation rudimentaire. 

Keith s’amusait parfois à jouer quelques refrains populaires, mais ses dévotes ne semblaient pas réagir à sa musique. C’est comme si les vibrations de ce swing réveillaient leurs instincts les plus primaires. Alors le groupe connut l’angoisse des fins de concerts, les calculs millimétrés de ceux qui ne veulent pas être sacrifier sur l’autel de la libération de la jeunesse.

L’histoire des stones a tout de même failli être stoppée nette lorsque , pris de panique , le chauffeur du groupe démarra avant que Keith n’entre dans le véhicule. Laissé seul avec la poignée dans la main, le guitariste fut rapidement entouré par une marrée hurlante.

Une fois capturée, les valkyries ne savaient que faire de leur proie, qu’elles secouèrent et étranglèrent sauvagement. Keith tomba rapidement dans les pommes, et fut réveiller à l’hôpital après un coma causé par asphyxie.  

Les stones vivaient leur beatlemania , chacun de leurs passages déclenchant ces mêmes scènes de folie prompt à inquiéter l’establishment. Pourtant, Oldham savait qu’il leur manquait quelque chose, l’époque était en train de changer et les stones risquaient de rester sur la touche.

Les reprises ne suffisaient plus à une époque où les beatles écrivaient des tubes à la chaîne. Je ne parle même pas des who et autres kinks , qui ne tarderont pas à compléter le spectre de la pop anglaise. Même les américains s’y mettaient, et le talent de Brian Wilson imposait les refrains surf rock des beach boys. 

Alors Oldhaam enferme Mick et Keith dans la cuisine de leur appartement, et ne les laissera sortir que quand ils auront pondu un tube. Il avait choisi Mick et Keith car les deux hommes traînaient toujours ensemble. Brian Jones était un meilleur musicien, mais cela ne veut pas forcément dire qu’il composait mieux. L’inverse parait d’ailleurs plus vérifiable. Beefheart montrait à ces musicien ce qu’ils devaient jouer en pianotant sommairement, Roger Waters était le plus mauvais musiciens du floyd , et j’en passe…

L’instinct du manager avait encore vu juste, mais les stones semblaient s’être plus imprégné de la pop triomphante que de leurs bon vieux blues. En sortant, Keith annonça tout de suite « On ne peut pas jouer cette merde ! On est des bluesmen ! La pop on laisse ça aux autres ». Et c’est ce qu’il firent, en revendant le titre à Marianne Faithfull.
                               
Qu’importe, le déclic avait eu lieu, et le succès de la chanteuse prouvait que le duo Jagger/ Richard pouvait devenir l’équivalent de Lennon/ Mccartney. La même année, Keith fut réveillé dans son sommeil par une intuition merveilleuse. Il avait rêvé le riff de Satisfaction , et s’empressait de sortir son enregistreur pour capturer cette idée, avant qu’elle ne lui échappe.

Ce riff est sans doute le moment où il s’est le plus rapproché de la légende de Chuck Berry, et il sait qu’il a sans doute écrit le « Johnny be Good » des sixties. Un des plus grand rock de tous les temps, complété par les paroles vindicative de Jagger, le premier pavé en trois accords envoyé au visage de l’establishment. « satisfaction » est une annonce de début de règne.

Les stones avaient gardé cette capacité à jouer fort sans déformer le swing originel, éternel objet de vénération de tout rocker digne de ce nom. La saturation à outrance, ils laissaient ça aux Who , Kinks et Hendrix.

Ces musiciens annonçaient l’avenir, alors que les stones semblaient au-dessus de ces préoccupations avant-gardistes.  « You really got me » , « My Generation », et plus tard « hey joe », toute cette violence contenait le germe de sa propre obsolescence programmée. On peut toujours faire plus violent, plus bruyant, ou plus lourd. Mais le swing, cette capacité à inventer un rythme capable de réveiller les morts , est intemporel.

C’est surtout pour ça que les titres les plus violent d’Hendrix où des Who ne sont pas forcément les plus marquants, et que les stones commencent à planer au-dessus de la mêlée.
Il ne leur manque plus qu’un disque rempli de nouvelles compositions, chaque groupe devant passer le test du 33 tours pour graver son nom au fer rouge dans la mythologie rock.        

samedi 14 mars 2020

THERAPY ? « Troublegum » (1994)


FORMATION
Andy Cairns : guitare, chant
Fyfe Ewing : batterie
Michaël McKeegan



En cette première partie des années 90 qui reste l’une des plus intéressantes qui soit dans l’histoire du rock  une nouvelle vague déboule, noise, post hardcore, grunge, garage, industriel, fusion…et Therapy ? a, avec d’autres (on pense bien sûr à Nirvana), redynamisé ce rock et en quelque sorte « réinventé » la pop musclée après des années 80 assez indigestes dans ce domaine (certes pas jusqu’au point de passer en radio - car hormis « smells like teen spirit » la radio reste toujours tiède au rock qui arrache - mais au moins cela a remis la guitare au centre de la pop/rock, un temps encore avant l’arrivée de l’électro). Et ce « Troublegum » en est un parfait exemple.

Après deux mini LP, plus qu’intéressants pour ne pas dire très bons « Babyteeth » (1991) et « Pleasure death » (1992) entre pop/rock, noise et punk expérimental, sortis sur un petit label indépendant et engagé Wiiilja Records,  les irlandais de Therapy ? avait enregistré leur premier véritable album « Nurse » (1992), correct  à défaut d’être génial, pas totalement convaincant toutefois,  avant de nous délivrer en 1994 leur chef d’oeuvre « Troublegum » , parfaitement abouti, mélange bien dosé de « punk » mélodique et de pop agressive, de rock destructeur,  et de mélodies efficaces qui restent gravées dans la tête longtemps après l’écoute du disque.
Therapy ? toutefois a effectué un léger changement de cap : les compositions « bizarres » de leur tout début ont donc laissé place à une pop survitaminée et énergique, des refrains et des riffs accrocheurs qui claquent ; c'est plus consensuel, conventionnel mais c'est terriblement efficace.


Il n'y a quasiment que des "tubes" potentiels dans ce disque, les compositions sont excellentes : au hasard on peut citer « Knives », « Nowhere » (ma préférée) , «Unbeliever », « Trigger inside », « Stop it you're killing me », « Lunacy booth »...parmi d'autres. La guitare envoie des riffs d’une grande efficacité. IMPARABLE !
En fait paradoxalement seule « Isolation » reprise de Joy Division est un peu ratée. En plus Therapy ? bénéficie en outre d’un bon son, d’une bonne production.
Avec cet album le groupe reçoit enfin la reconnaissance des critiques ET du public, et connait son apogée.


« Troublegum » peut facilement plaire aussi bien à un fan de punk, de métal ou de pop/rock traditionnel (par exemple de U2 ou Oasis).
Ceux qui préféreront quelque chose de plus original iront écouter « Baby teeth » et « Pleasure death ».
Ensuite le groupe tout en sortant malgré tout, de temps en temps, de bons albums n’arrivera plus à un tel niveau d’excellence, surtout que le suivant « Infernal love » sera quelque peu décevant, moins irrésistible.

jeudi 12 mars 2020

Rolling stones blues : épisode 1



Le train arrive enfin à la gare de Londres , La ville où Keith va rencontrer son avenir. Enfin viré d’une école d’art qu’il n’appréciait que pour ses passionnés de blues, il ressort d’un premier entretien d’embauche. A l’époque, le gouvernement avait mis en place des bourses, ce qui permettait à une bande d’enfants de prolos d’user leurs fonds de culottes sur les bancs des universités.

Les universités d’art ont ainsi vu passer une poignée de futures gloires du rock, comme Roger Daltrey, Roger Waters et lui-même. Dans ces facultés, on tentait d’apprendre à Keith le graphisme. Ses talents de dessin devaient encourager le consommateur à claquer son maigre salaire dans un produit dont il n’a pas forcément besoin.

Calé dans son siège de bureau, son potentiel employeur le toisait avec l’air sévère de ceux qui choisissent les élus pouvant accéder au bonheur creux de la société de consommation.

-          C’est prometteur ! Mais il me faudrait plus de matière pour vraiment juger votre travail à sa juste valeur. Pouvez-vous m’apporter un autre book demain ?  

Les employeurs sont ainsi, le temps est de leur coté, et ils en profitent un maximum.

-          Non, et je ne vais certainement pas en refaire un pour vendre des nouilles , des godasses , ou je ne sais quelle autre cochonnerie.
-          Comment ?

Le visage de l’entrepreneur s’était fermé, il paraissait encore plus ridiculement solennel qu’auparavant. Comme si il était un empereur attendant le repentir de son subalterne.

-          Tu as très bien entendu.

Et Keith sortit, après avoir balancé son book à la poubelle sous le regard interloqué de son interlocuteur ahuri. Il cherchait désormais une porte de sortie. Ses 18 ans approchaient, et ses parents ne manqueraient pas de le mettre face à ses responsabilités, quand il aura atteint l’âge fatidique.

Certes , le service militaire avait disparu , mais les parents anglais n’étaient pas prêts à entretenir leurs progénitures deux ans de plus. C’est à tous ces problèmes que Keith pensait, avant de tomber nez à nez avec un jeune homme, qui se promenait avec ses vinyles de Chuck Berry sous le bras.

Il reconnut aussitôt Mick Jagger, qu’il avait croisé pour la première fois quand il était encore en culotte courte. Il vit dans cet homme un compagnon de misère , avec qui il se mit rapidement à reproduire les grands classiques du rythm n blues et du rock.

 La sauce commence à prendre quand il croise la route de Dick Taylord , un bassiste ayant une vision très conservatrice du blues. Entre un Taylor vomissant le mercantilisme rock , et un Keith ayant découvert sa passion après avoir entendu « heartbreak hotel », les relations n’étaient pas toujours au beau fixe.

Mais ce nouveau gang commençait à trouver ses premiers concerts , et Keith fut subjugué par le charisme flamboyant de son chanteur. Le groupe jouait dans des salles plus que pourries, des trous où on ne leur laissait qu’un espace ridicule.

Certains soirs, la largeur de la scène ne devait pas dépasser celle d’une table, ce qui n’empêchait pas Mick de virevolter comme un James Brown du blues. Il fallait le voir se tortiller sur son petit espace, luttant en première ligne pour imposer un gang qui n’avait pas encore de nom.

D’ailleurs , la formation n’était pas fixe non plus , et l’histoire n’a pas retenu le nom des batteurs et guitaristes ayant rejoint notre trio le temps d’un soir. Un jour de relâche , Mick et Keith partirent mesurer la concurrence dans un pub Londonien. Sur scène, un lutin blond chantait « dust my brom » comme si il était possédé par les fantômes du Bayou Louisianais.
Derrière lui, un batteur au jeu jazzy donnait à sa musique un swing imparable.

Le meilleur moyen de réunir des musiciens est de les faire jouer ensemble et, quand les dernières notes de « dust my brom » se furent évaporées, Keith et Mick montèrent sur scène. Keith lança spontanément le riff de Johnny be good , et c’est comme si sa guitare avait connecté des hommes qui n’avaient jamais joué ensemble.

La batterie se calait magnifiquement sur son jeu rythmique, et Brian Jones était si synchrone que les deux guitares sonnaient avec une force incroyable. C’était l’harmonie parfaite au service du rock n roll. Après ce concert historique, les musiciens ne se quittèrent plus, et la maison de Brian devint le monastère où ils apprenaient à maitriser leur art.

Entre temps, Dick Taylord avait quitté le groupe, il refusait de céder aux sirènes du rock. Ironie de l’histoire, le musicien fondera par la suite les pretty things , qui seront qualifiés de sous stones quand le  groupe de Mick Jagger sera au sommet.

Pour le remplacer, les musiciens restant choisirent Bill Wyman. L’homme avait un ampli, et le groupe n’avait pas le temps de faire la fine bouche. Brian Jones contacta ensuite la rédaction de Jazz News , un magazine qui publiait des petites annonces, pour aider les musiciens à la recherche de lieux où jouer.

Le journaliste leur demande donc le nom du groupe, instaurant ainsi un silence de quelques minutes. Trop occupés par leur son, les apprentis rockers n’avaient pas pris le temps de se choisir un nom. Dans le bazar sans nom de l’appartement, Keith remarque un vieux 45 tours de Muddy Waters nommé « rollin stones blues », il s’appelleront donc les rolling stones.

Le futur plus grand groupe du monde est enfin prêt à lancer l’invasion anglaise.

mardi 10 mars 2020

Ten Years After : Crickelwood Green


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Alvin Lee , comme beaucoups d’enfants des sixties , a commencé sa carrière dans le blues. La vision « traditionnelle » de cette musique ne convenait pas à son jeu, et ses premiers groupes furent des échecs cuisants.

Le blues , le vrai , exige de la retenue et de l’abnégation , chaque note doit s’épanouir dans de grands silences. Lee était trop agressif, sa guitare trop bavarde. Le blues boom anglais a construit sa grandeur sur des musiciens comme lui, de piètres bluesmen obligés de trouver un chemin neuf. Incarné par Clapton, qui reviendra à un son plus pur par la suite, ce foisonnement a donné naissance au psychédélisme et à un rock plus puissant.

L’amérique , elle , aura Hendrix , le fils voodoo venu imposer le culte du guitar hero. Enfin non , le mythe du guitare hero fut en réalité initié par lui , Clapton , et Alvin Lee, et célébré de manière grandiloquente à woodstock. C’est là que, juste après la chappe de plomb que constitue la musique lourde de mountain, Alvin Lee impose son image de guitariste le plus rapide du monde.

Ten years after était surtout un groupe de scène, et ses premiers disques visaient simplement à reproduire la puissance qu’il déployait sur scène. Et puis ils ont affiné leur jeu, qui culmine une première fois sur la fresque musicale ssssh.

Plus traditionnel que celui de Hendrix, le jeu d’Alvin Lee transcendait la vitesse des rock de Cochran et Chuck Berry, montrant ainsi la voie à Humble pie et aux faces. Cette violence entrait aussi en résonance avec une époque placée sous le signe de la fureur électrique.

Nourris aux mêmes mamelles bluesy , les marmots hurlant du hard rock revendiquent le trône de roi du rock assourdissant. Alors les mordus de traditions s’adaptent, Johnny Winter parvient même à voler le show à led zeppelin lors d’un concert mythique. Les stones , eux , se contentent de retrouver leurs racines musicales , la classe de « beggars banquet » et « let it bleed » suffisant à mettre les jeunots à genoux.

Ten years after , à l’image de Johnny Winter, va radicaliser sa musique, laissant ainsi le jeu fulgurant d’Alvin Lee s’exprimer sans retenue. Les huit titres de « crickelwood green » font partie des derniers sommets d’une époque mourante, le brûlot d’un groupe écartelé entre deux époques.

Ten years after se place d’abord dans le rang du psychédélisme paranoïaque porté par the gun , blue cheers , et autres pink fairies. Requiem du rêve hippie, ce son-là est celui de groupes qui ne se sont pas encore soumis à la férocité qui vient. Ils ont gardé l’inventivité et la recherche propres aux sixties, mais s’en servent désormais pour défoncer le mur du son.

Puis le blues reprend ses droits , un blues accéléré, poussé dans ses dernières limites, et qui donne des leçon de grooves aux tacherons de deep purple sur un titre comme « working on the road ». Les riffs sont un Vésuve sonore, et l’éruption arrive bientôt à son zénith dévastateur.

« 50000 miles beneth my brain » semble sorti de la même fosse infernale que « sympathy for the devil », le brûlot dantesque des stones. Le riff ultra rapide de Lee transforme la samba rock de Keith Richard en avalanche, dont la puissance monte crescendo jusqu’au déluge final.

C’est mountain qui tenterait de copier la classe bluesy des glimmer twins, led zeppelin parti en voyage en Amérique. A part « race with the devil » de the gun , on a rarement entendu une telle ascension électrique , et les gun n’avaient pas cette classe si anglaise.

La pression redescend ensuite un peu, et laisse le temps au groupe de retrouver les chemins d’un rock plus rythmique. « Taj Mahal » n’aurait d’ailleurs pas renié la puissance simple de « me and my baby », un des titres les plus sobres et carrés de l’album.
                                             
La pression remonte tout de même rapidement, « love like a man » développant un son plus lourd, qui ne fait que monter en puissance. Pour ce titre, le voyage commence sur un riff flirtant avec le charisme minimaliste de John Lee Hooker, avant de décoller vers des sommets inconnus des hardos les plus féroces.

Car, pour atteindre le sommet de leur violence, deep purple et autres black sabbath ont souvent tendance à abandonner le feeling contraignant du blues. Ten Years After , lui , l’emmène dans ses dernières limites , accentuant sa violence sans en perdre le feeling.

Derniers clous plantés dans le cercueil des sixties, crickelwood green botte le cul du blues avec une force que même les groupes suivant peineront à égaler.       

                                              

dimanche 8 mars 2020

Hard Working Americans : The first Waltz


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Ils étaient venus pour une grande fête musicale, un plaisir de vieux routard prenant enfin le temps de retrouver la joie simple de jouer. Beaucoup d’histoires commencent ainsi dans le rock. Le musicien est un mage, dont le charisme dépend de ceux qui le soutiennent. Alors il erre, à la recherche de confrères capables de créer une harmonie sonore.

Il est vrai que, quand les confrères ont quelques années de route derrière eux, la plupart en compagnie de pointures tel que blackfoot ou Chris Robinson, l’harmonie doit être plus simple à trouver. Les sudistes ont toujours eu cette tendance au brassage, c’est une armée modifiant régulièrement ses divisions pour survivre aux assauts du temps.

On se souviendra surtout des exemple les plus frappants , comme ce jour béni ou Rickee Medlocke mit la carrière de Blackfoot en veille , pour devenir la troisième lame de la section Lynyrd Skynyrd. Aujourd’hui, ce rock sudiste est mort, et il n’en reste que quelques brillantes étincelles au milieu d’un brasier plus que tiède.
                         
Mais la flamme du sud ne s’est pas éteinte, elle a simplement changé de forme, et ne se limite plus aux groupes de rednecks mordus de hard blues. Pour surfer sur la déferlante « classic rock », les groupes revendiquant l’héritage sudiste ont élargi leurs influences. Chris Robinson fait dans le revival psyché folk rock , Warren Hayne passe du funk au jazz , et blackberry smoke alterne hard blues et country rock à la Steve Earl.

L’époque forge les artistes, et c’est justement ce grand élargissement du traditionalisme rock qu’exprime les hard working americans. Tout le monde les a d’ailleurs pris pour des jeunes loups , les chemins du purisme musical n’attirant plus le grand public depuis des années.

Il faut donc qu’ils reprennent tout de zéro, et passent l’épreuve de la scène pour imposer un nouveau projet musical. Les hard woking americans se voient comme une bande de mercenaires au service d’une certaine vision du rock. Ils ont le courage vindicatif qu’avaient les grands groupes à leur début , l’envie de balancer un set dont le groove effacerait tous les errements du music business.

Le riff chaloupé de « blackland farmer » annonce tout de suite leurs intentions, ramener le rock sur ses terres natales. Le titre montre une énergie boogie blues que n’aurait pas renier les blackberry smoke , c’est d’ailleurs le seul qui se rapproche du groupe de Charlie Starr. 

Pour le reste , on se délecte surtout de ces mélodies teintées de douceur Californienne, une musique qui voit s’accoupler la rugosité des bayous de louisianne, et les rêveries country folk chères à Johnny Cash. 

On retrouve donc le son des grands oubliés de l’histoire, la douceur nostalgique de Don Nixx mélangée au groove rustique du band. Si l’époque n’était pas aussi désespérante, ces titres pourraient presque nous faire croire à un retour de cette tradition au sommet des hits parades. Cette musique ne raconte pas l’Amérique , elle est l’Amérique, presque plus que la statue de la liberté ou le mont Rushmore. 

Ces sonorités-là étaient celles qui rythmaient les migrations des damnés de la grande dépression, celles qui exprimaient le spleen des travailleurs de coton, où le désespoir des prisonniers de folssom. De Johnny Cash à Bob Dylan, de Muddy Waters à Aerosmith, elle est le fil conducteur qui relie toutes les grandes figures de la musique américaine.

Cette responsabilité perdue , Hard working americans semble la porter comme une mission sacrée. Quand Guaranteed démarre sur l’intro foudroyante de « born to be wild » , le riff de Steppenwolf sonne comme le cri de guerre d’un gang affirmant que l’histoire n’est pas terminée. Il peut exprimer son énergie avec d’autant plus de conviction que le terrain est déjà conquis. Le refrain de Straight to hell est ensuite repris par une foule aux anges , une foule charmée par ces bluettes à l’arrière-goût psyché, par cette capacité à jouer des refrains fédérateurs avec un talent d’improvisation digne des grands jam bands.

Sur la pochette, le groupe affirme une dernière fois l’idée qu’il est venu défendre : « Jerry Garcia est aussi important que Benjamin Franklin ». Ils réadaptent ainsi la phrase d’Auguste Comte « Les morts gouvernent les vivants ».

Espérons que , comme le Dead influença ce live , plusieurs générations de musiciens reprendront la formule brillante des Hard Working Americans.          

jeudi 5 mars 2020

COS : POSTAEOLIAN TRAIN ROBBERY (1974)


Formation
Pascale Son : chant, hautbois
Daniel Schell : guitare, flûte
Alain Goutier : basse
Marc Hollander : claviers, clarinette, saxo
Guy Lonneux : batterie




De temps en temps dans l’histoire du rock il y a des ovnis qui passent, qui disparaissent et qu’on redécouvre parfois, lorsqu’ils sont de bonne qualité, des années plus tard.
Cet album de COS, leur premier, est une petite perle oubliée comme on en rencontre de temps en temps en temps dans tous les styles musicaux d’ailleurs, soit en cherchant minutieusement soit par hasard ou avec l’aide d’un connaisseur qui vous fait partager ses pépites.

Une belle découverte donc que ces belges de COS et cet album « Postaeolian Train Robbery » sorti en 1974 ; merci à Epitaph, un incollable et grand spécialiste du rock progressif sur Sens Critique de m'avoir conseillé ce disque car il y a quelques mois je ne connaissais pas. Ni même le groupe d'ailleurs.
A la première écoute beaucoup diront que c’est effectivement pas mal mais qu'il y a ici ou là des imperfections par rapport aux ténors du genre : Oui et alors ? Cela donne un charme supplémentaire et puis franchement cela tient la route sans problèmes. Car justement musicalement parlant il y a un côté « jam entre potes » qui donne un supplément d'âme, on sent que les morceaux n'ont pas été enregistrés 50 fois avant de garder la bonne prise...et c'est aussi un des intérêts de cet album. Un groupe qui ne cherche pas à obtenir le son « parfait » mais qui préfèrera plutôt partager ses émotions avec nous.


COS oscille entre jazz rock, rock progressif , avec une influence indéniable du Zeuhl mais le groupe a su créer son univers propre avec ses particularités, ses délires, même si cela rappelle effectivement parfois Magma notamment pour les voix (la chanteuse Pascale est surprenante, excellente, il suffit d'écouter « Populi », on tutoie les sommets – mais difficile de savoir en quelle langue elle chante, tout est axé sur les intonations et la phonétique, sa voix accompagne magnifiquement la musique) - et les musiciens ne sont pas des manchots loin de là, la rythmique donne le tempo où viennent se greffer le piano, la guitare et même le xylophone; du prog' qui sort de l'ordinaire avec une pointe de folie que j'apprécie bien.


Les longues plages instrumentales sont très réussies, l'impression d'improvisations comme il y en avait beaucoup à la fin des années 60 / début 70 ajoute un plus (personnellement il y a juste les passages « piano jazz » qui ne me branchent vraiment pas trop, par exemple l'intro du très jazz rock « Coloc » mais dans le même titre la guitare nous envoie un solo planant excellent et Pascale vient faire quelques apparitions où se voix sonne comme un instrument), donc un peu trop jazzy parfois mais c'est seulement un sentiment qui n'engage que moi, rien de bien grave.
Mes préférences allant néanmoins vers « Cocalnut » et « Amafam ».
Si la parenté avec l'école de Canterbury est évidente j'y vois encore une fois beaucoup de filiation avec Magma, qui pour moi reste le sommet de créativité. Et un « modèle » d'innovation…
La partie bonus du CD est plus expérimentale mais toujours intéressante (avec le très bon « Achille »).


En tout cas le vrai bonheur d'avoir découvert un très bon album, une perle disparue en quelque sorte qui n’aurait pas dû tomber dans l’oubli. Pas un chef d’œuvre non, mais une œuvre plus qu’intéressante pour passer un très bon moment.

En 1976 le groupe a sorti un second album "Viva boma" un peu moins bon, moins créatif puis trois autres jusqu'en 1983, avant la séparation définitive.