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dimanche 3 mai 2020

The Jim Jones Revue : Burnning Your House Down


The Jim Jones Revue - Burning Your House Down (2010, Vinyl) | Discogs

Jim Jones rejoint ses premiers groupes à partir de 1988. Le rock se réveille alors de son long cauchemar grâce à la résurrection du hard rock. Les guns ont commis le casse du siècle avec appetite for destruction , et tout le monde réclame sa part du butin. Il y’a les vieux routards d’abord, qui se libèrent de la guimauve radiophonique, pour retrouver la verve de leurs débuts.  Le « groupe le plus dangeureux d’amérique » a aussi entrainé toute une arrière garde au succès aussi rapide qu’éphémère.

Symbole de de ce revival, le passage des guns à Paris en 1992 fut le théâtre d’un duel historique entre Slash et Joe Perry.  Le rock avait repris confiance en lui, et les riffs des White Stripes prirent la relève au début du 21e siècle.

Pendant ce temps, les groupes de pop garage de Jim Jones végétaient dans une Angleterre obnubilée par la britpop des frères Gallagher. Las de prêcher dans le désert , Jim Jones plaque tout , il a trouvé un alter ego plus proche de ce qu’il veut jouer. Rupert Orton partage la même passion pour le rockabilly et le son de Détroit, un cocktail qui vit pour la première fois le jour grâce au MC5.

Le son de la Jim Jones Revue s’est mis en place de façon instinctive, Jim Jones enfourcha sa guitare, et le groupe le suivit instinctivement.

Premier essai : Boom Boom Badoom Boom
Second essai : Boom Badoom Boom Boom

De toute évidence ces musiciens tenaient une formule parfaite . LA formule parfaite du rock n roll. Il leur suffisait désormais de rester callés sur ce modèle , accélérant et ralentissant le rythme selon leur instinct , alors que leurs guitares subissaient les pires outrages. Après tout, les grandes figures du rock originel qu’ils aiment tant n’ont rien fait d’autre. On peut d’ailleurs constater que, le MC5, c’est surtout le rock des origines agrémenté d’une fureur nihiliste à faire s’écrouler les usines de Détroit.

Ils s’en sont d’ailleurs bien rendus compte quand, en 2009, Chuck Berry les a embauchés pour effectuer la première partie de sa tournée anglaise. Leur musique contenait la même énergie que la musique du premier maitre du riff. 

Lorsqu’il entrèrent en studio, pour graver ce fire on the floor , les producteurs se frottèrent les mains. Pour eux, le groupe a la puissance primaire de the go , premier groupe d’un Jack White en pleine ascension. Alors ils vont se charger de donner à cette fureur un écrin correct, qui ferait presque dire que Jim Jones revue a remplacé la fureur crasseuse de the go par une certaine classe rugueuse. 

Ici, on ne fait pas dans la dentelle . Le swing belliqueux est souligné par un piano qui semble tenu par le killer (Jerry Lee Lewis) lui-même. « Burnin your house down » sonne comme les stray cats boostés aux amphétes , c’est le son d’une bande de guerriers déchainant les foudres d’un rock qui fut foudroyant avant de devenir heavy. 

Dishonest John semble sorti des grandes heures de Détroit, high horse donne des leçons de boogie à foghat , et cette pression ne redescend jamais. Jim Jones éructe comme une version ultra virile de l’iguane, poussé au cul par un beat binaire à réveiller les morts. Pendant les rares moments où la guitare s’attarde dans de petites envolées solitaires, ses hurlement métalliques ne font qu’accentuer la puissance de l’éruption.

« Burning your house down » n’obtiendra malheureusement qu’un succès d’estime, le rock commençant déjà à se terrer dans l’underground. Qu’importe, ces quelques minutes montrent que, cette année-là, la Jim Jones revue représenta le rock dans ce qu’il a de plus direct.     

vendredi 1 mai 2020

Beth Hart : Fire On the Floor



Fire on The Floor: Beth Hart, Beth Hart: Amazon.fr: Musique

Depuis 2015 , Beth Hart a atteint un succès devenu rare dans le milieu du blues rock. Invité par Jeff Beck ou Joe Bonamassa, la Californienne a ressuscité une ferveur qui semblait enterrée depuis des années. On évitera pourtant de la cantonner aux formules immuables du blues du delta, tant Beth Hart aime aussi flirter avec le jazz , la country , et bien sur le rock n roll.

Toujours entourée de pointures , elle prêche l’élitisme autrefois incarné par les grands labels de motown et autres maisons de disques légendaires. Ecouter un disque de Beth Hart, c’est se replonger dans une époque où un grand disque de Miles Davis succédait à un classique de John Lee Hooker , où les styles se croisaient et se mélangaient dans une éruption impressionnante.

La liste des musiciens présents sur ce « fire on the floor » annonce d’ailleurs la couleur. On y retrouve l’élite des cadors de studios, des hommes ayant aussi bien travaillé pour Iggy Pop , que pour le grand Miles Davis , Joe Cocker , et John Lennon. Tous sont réunis pour donner à cette voix le tremplin qu’elle mérite, c’est un orchestre capable de l’aider à explorer tous ses registres. 

Sur les titres les plus langoureux, comme jazzmen et love gangster, elle célèbre les retrouvailles du jazz et du blues. Ces deux facettes de la musique américaine sont faites pour se compléter. Lou Reed voyait le blues comme un jazz en trois accords, c’est oublier qu’une bonne section de cuivres transcende le feeling irrésistible du grand blues. Bonamassa l’avait bien compris, mais se servait plutôt de ses cuivres pour donner à son blues rock une ambiance de music hall. Beth Hart part dans un registre plus introspectif, et la chaleur jazzy sert surtout à renforcer ses mélodies sombres.

On a ensuite droit à une série de riffs brulants, un retour au registre exploré sur les disque de reprises de Bonamassa , et sur scène en compagnie de Jeff Beck. La guitare, puissante sans être extravagante, réconcilie le feeling stonien avec la puissance de bombardier de Jimmy Page. A ce titre, le riff de fat man pourrait faire le pont entre le blues et le hard rock. Son riff primaire part dans des envolées corrosives, rappelant que led zepp et autres withesnake étaient surtout des bluesmen fous de gros son. 

Du rock au rythm n blues il n’y a qu’un pas, que Beth Hart franchit magnifiquement sur my baby shot me down. On est alors transporté dans les bars louches du Mississipi , le pianiste swingue comme si sa vie en dépendait, et la voix rageuse de la chanteuse se mêle au rugissement électrique de la guitare sur un rythme presque boogie. 

On fait ensuite un détour du côté de la pop, mais il ne s’agit pas de la pop sirupeuse qu’on nous sert depuis les années 80. La voix se fait alors plus douce, la guitare plus discrète, mais c’est encore à la grande Janis que « Good day to cry » et « woman I’ve been dreamin of » font penser. Si vous ne pensez pas à « cry baby » * , quand la voix de Beth atteint des sommets à vous donner la chair de poule , c’est que vous êtes amnésique.

Ces ballade plus sombres annoncent la direction que Beth prendra sur l’incompris « war on my mind ». On ne saurait dire si elle est plus à l’aise sur la légèreté pop de « coca cola », le rythm n blues orgiaque de « my baby shot me down » et « fat man » , ou les apitoiements poignant de « no place like home ».

Ces sonorités forment une seule matière , à partir de laquelle elle transforme ses tourments en beauté universelle. De cette manière, elle est aujourd’hui une des musiciennes les plus intéressantes de notre époque.

*titre issue de Pearl , l’album posthume de Janis Joplin

mercredi 29 avril 2020

BAD BRAINS : Bad Brains

Formation
H.R : chant
Dr Know : guitare
Darryl Jenifer ; basse
Earl Hudson : batterie



Imaginez : nous sommes à la fin des 70's, non vous ne rêvez pas il y a bien quatre types, quatre noirs, quatre rastas jouant du punk hardcore hyper rapide, hyper violent comme jamais et vous avez Bad Brains, groupe atypique s'il en est ! (et dont le nom vient d'un titre de l'album Road to ruin des Ramones).
Formé en 1977 le quatuor a galéré un moment jusqu'à ce « Bad brains » véritable premier album sorti en 1982 (même si certaines démos, les fameuses « Black dots », datent de 1978), l'album qui a fait découvrir le groupe, celui qui contient ses classiques.
Le groupe a également eu un petit coup de pouce de Martin Scorcese en 1985 en participant à la bande son du film After hours avec « Pay to cum » leur titre phare, une tuerie (vous savez la scène qui se déroule qui un club un peu glauque avec un groupe de « malades » sur scène et bien ce groupe c'est Bad Brains).
Comme je le disais précédemment les classiques sont présents : du punk hardcore dévastateurs, des morceaux courts, sans fioritures : « Sailin on », « Attitude », « Banned in DC » (dans lequel le groupe raconte ses déboires pour jouer à Washington), « Fearless Vampire Killers », « I », « Rock brigade » et Pay to cum ; sur « Pay to cum » et « Banned in DC » les deux brûlots, les Bad brains font carrément parler la foudre avec une guitare qui crache du feu.


Et comme à chaque album Bad Brains délivre quelques reggae de bon niveau / « Jah calling » Leaving babylone » « I luv I Jah » qui font figure d'interlude entre deux déflagrations.
Parfois le punk se fait un peu plus mélodique et cela donne « Big take over ».
On reste globalement proche Dead Kennedys, MDC ou Minor threat, du punk/hardcore sans concession qui annonce les vagues déferlantes venues de Boston et de New York ; Bad Brains est un vrai pionner, un des fers de lance du punk / HC americain (auquel on peut rajouter Black Flag) mais pas toujours reconnu à sa juste valeur car les 4 rastas font sans contestation possible partie des trois ou quatre groupes qui ont inventé le genre...tout en étant souvent oubliés !


Je ne suis pas loin de penser que si le groupe était blanc son influence majeure dans le mouvement punk serait encore davantage reconnue (mais ça on le saura jamais).
Quant aux textes ils naviguent entre prises de position politique, sociale avec une partie centrée sur la religion rastafari mais pour être complet il faut aussi préciser que le groupe a été accusé d'homophobie.
Et puis n'oublions pas « Pay to cum » l'un des 5 meilleurs morceaux punk hardcore de tous les temps.


Les Bad Brains sont de redoutables musiciens aussi bons dans le punk hardcore, le reggae que plus tard dans d’autres style (par exemple sur l’album Quickness sorti en 1989 avec une sorte de rock lourd et presque expérimental difficile à classer) notamment le guitariste dont les riffs tranchants sont plus que travaillés pour du punk hardcore.Quant au chanteur avec son phrasé très saccadé sa voix surprend donnant encore un plus d’originalité.
Après leur âge d’or (1980-1986) là suite de leur carrière est un long fleuve pas vraiment tranquille, ponctué de hauts et de bas, problèmes judiciaires, hospitalisations, histoires de drogues et d’embrouilles entre membres avec toutefois quelques sursauts et retours en force mais ceci est une autre histoire...

Toutefois Bad Brains, quoi qu'il arrive, restera un groupe unique dans l'histoire du punk rock.

John Lee Hooker : Endless Boogie


Endless Boogie: John Lee Hooker: Amazon.fr: Musique

John Lee Hooker est un des piliers de ce qui deviendra le rock n roll, un bluesmen converti à la magie de la fée électricité. Il naît en 1917, dans un environnement très corseté. Le père de hoocker est pasteur, et refuse que ses fils jouent de la musique en dehors des chorales gospels. La censure va heureusement prendre fin quand sa mère se débarrasse de ce gourou illuminé. Elle se console alors dans les bras de Willie Moore, un solide travailleur agricole, qui exprime les peines liées à son dur labeur à travers le blues.

Tous les soirs, il sort sa guitare pour déployer ce cri de l’âme qui fascine le jeune John Lee. Son beau-père va donc l’initier, lui donner l’amour du riff primaire, lui montrer la puissance d’un beat monotone et hypnotique. Dans le coin, on prétend que le jeune Robert Johnson aurait vendu son âme au diable pour maitriser ce feeling.

Diable ou pas , cette musique va devenir l’obsession de Hooker. Pour atteindre ce graal , il faut prendre la route , suer sang et eau dans des boulots sous payés , connaitre la faim et la solitude. John Lee quitte donc la maison familiale et, alors qu’un deuxième conflit mondiale fait rage, il va de Memphis à Cincinnati sans rien trouver d’autre que la misère.

Il continue donc sa route vers Detroit, la nouvelle capitale de l’industrie automobile, où les ouvriers tentent de vivre le rêve américain. On ne lui offre même pas une place sur les chaînes de production, et Hooker devient concierge de l’usine.  Cette suite de déboires n’est pas vaine, le jeune homme a mûri. Travaillé tout au long de son périple, son jeu est devenu plus incisif, commence à prendre la forme qui changera l’histoire du blues. 

Concierge la journée, le Hook passe ses soirées dans les tripots, où il tente de faire entendre sa musique. Mais il comprend vite que, pour détourner les clients des prostituées , il lui faut un son plus puissant. A force d’économie, il parvient à s’offrir la toute jeune guitare électrique inventée par Monsieur Marshall, et la puissance de ses riffs commence à le faire connaitre.

Rapidement récupérer par un petit label, il sort « boogie chilen », qui peut être considérer comme l’an 0 du boogie blues que célébrera canned heat. Malheureusement pour lui, le chemin est plus dur pour un John Lee Hooker que pour un Elvis Presley. Rangés dans les bacs race record, que les blancs visitent encore rarement, ses singles ne se vendent pas. Alors le Hook compense en travaillant comme un damné, il sortira plus de 100 titres entre le début des années 50 et la fin des sixties. 

Lassé de cette ségrégation, qui le condamne à la misère, il est sur le point de ranger sa guitare pour devenir métayer. Il ne sait pas que, de l’autre côté de l’atlantique, les yardbirds et autre John Mayall ont initié toute une jeunesse à son beat rugueux. Conscient que le vieux continent devient un marché juteux, sa maison de disque l’embarque dans un avion en direction de l’Angleterre. Il fait alors le voyage avec Howlin Wolf et Muddy Waters, qui se demandent aussi ce qui les attend. 

Contre toute attente, cette tournée européenne est un triomphe, la jeunesse européenne réservant l’accueil qu’ils méritent aux pères spirituels de Clapton , John Mayall , et autres blues rockers en pleine gloire. 

Les jeunots ont fait le travail de retape et, de retour au pays , le Hook enregistre un disque incontournable en compagnie de Canned Heat. Mais l’histoire est parfois ingrate, et la célébration ne durera que quelques mois. Poussé sur la touche par le psychédélisme et un hard rock plus expressif, le blues redevient une musique underground.

Symbole du blues boom américain, Bloomfield lui-même passe le début des seventies à jammer discrètement du coté de San Francisco. Underground ou pas, le Hook est encore le père spirituel d’une génération de musiciens, et il compte bien s’appuyer sur eux pour revenir au sommet.
                                        
Il récupère donc la section rythmique qui enregistra Layla avec Eric Clapton, et renforce son rythme plein de variations en croisant le fer avec Jesse Ed Davis. Ce dernier a déjà posé sa guitare sur le premier album de Taj Mahall , autre classique, qui annonça cette courte époque ou le blues fut au sommet des ventes.

Trois batteurs, sept bassistes et sept guitaristes vont se succéder aux côté du maître du boom boom. Tous n’ont qu’un objectif, faire oublier Canned Heat pour inscrire leurs nom dans la grande épopée du Hook. Galvanisé par la dévotion de ses musiciens , Hooker fait monter progressivement la pression , ménage ses effets pour laisser un solo lumineux se développer au milieu de sa rythmique immuable. Le fameux boom boom de John Lee , c’est la monotonie élevée au rang d’hymne universel , un train rythmique accélérant et ralentissant sur des rails d’une régularité métronomique. Hooker profite de ce feeling irrésistible pour rendre hommage à Hendrix et Janis Joplin , disparue en cette triste année 1971.

Endless boogie étire le feeling si particulier de Hooker, dans de longs instrumentaux qui auraient pu séduire les fans des frères allman et du gratefull dead. Mais, contrairement à eux, le Hook garde cette régularité rugueuse typique du delta blues.

Peu encline à revenir en arrière, la génération woodstock boude cette superbe jam session bluesy. Le disque devient alors le secret vénéré d’une poignée de curieux, qui font encore résonner son feeling de nos jours. Une brillante tribu de stoner rocker continue d’ailleurs de rendre hommage à ses instrumentaux lumineux. Son nom ? Endless Boogie !                                                                                    
              

lundi 27 avril 2020

Sly and the family stone : There is a riot goin on

Sly & the Family Stone - There's A Riot Going On - Amazon.com Music


Sly Stone a baigné dans la musique dès sa plus tendre enfance. Comme tous ses frères , il commence vite s’initier au maniement de l’instrument. Mais, alors que toute la fratrie se trouve rapidement un instrument de prédilection, le jeune Sly s’avère aussi doué à la guitare qu’à la batterie et à l’harmonica.

Nous sommes en pays catholique, et la famille du jeune homme est très pieuse , ce qui permet à Sly d’ajouter une nouvelle corde à son arc.

Inscrit dans la chorale de son église, il y trouve le secret de cette ferveur mystique, qui fait la beauté de la musique afro américaine. L’air du temps va rapidement le détourner des chants pieux, pour lui permettre de vivre l’âge d’or de la musique pop. 

Les fifties sont un véritable cataclysme, avec Elvis comme œil du cyclone. L’homme au déhanché sulfureux attire la jeunesse, peu importe sa couleur de peau, dans les filets somptueux tressés par les musiciens noirs.  A une époque où l’apartheid impose une stricte séparation des races, voir de jeunes blancs se promener avec un disque de Chuck Berry sous le bras est une révolution salvatrice. Ces mêmes blancs becs ne tarderont pas à se presser aux concerts de BB King et Muddy Water , offrant ainsi un second âge d’or aux pionniers. 

Alors qu’il n’a que 9 ans, Sly enregistre un premier album de gospel en compagnie d’un de ses frères. Le disque est anecdotique, tant au niveau des ventes que du contenu, mais il lui met le pied à l’étrier. A l’époque, les radios ont besoin de DJ pour suivre les évolutions d’un marché du disque en plein âge d’or. Là, Sly Stone diffuse ses perles funk , blues , gospel , et fait partager son admiration pour la british invasion en cours . Cette programmation n’est pas anodine, et montre toutes les racines qui irrigueront son œuvre. 

Justement , un de ses collègues DJ cherche un musicien pour son label dédié au nouveau son de San Francisco. D’abord voué à une folk utopiste, le son de la baie est en train de muter. C’est l’histoire qui s’écrit sous les yeux du jeune musicien, le grateful dead cherche les fameuses portes de la perception dans de longues improvisations hallucinées, et les beau brummel repoussent les limites de la pop hypnotique initiée par revolver. 

Alors Sly rappelle son frère , et forme un groupe fait de femmes et d’hommes , de noirs et de blancs. Cette composition n’est pas anodine, Sly a les mêmes idées qu’une jeunesse qui aimerait laver l’Amérique de la tache puante de la ségrégation  raciale. Le jeune musicien a créé un portrait de son époque, et va en écrire la bande son à grands coups de funk tubesque , de soul pour gobeur d’acides.
                                             
Après un premier album passé inaperçu, Sly and the Family stones posent les bases du funk moderne sur dance to the music, qui sort en 1968. Le succès du disque lui permet d’obtenir sa place à la grande messe hippie de woodstock , où le groupe offre une prestation qui le fait définitivement entrer dans la légende. Boosté par cette consécration scénique, stand, son troisième album , atteint rapidement le sommet des ventes. 

Le disque est le sommet de cette fusion entre pop blanche et musique noire, que Sly avait imaginé en entendant les premiers succès anglais. Le sommet est atteint mais le groupe semble déjà se désagréger. 

Et, si Sly fut le bâtisseur de la gloire de son groupe, sa proximité avec les mœurs de son époque est en train de désagréger ce qu’il a bâti. C’est que l’idéal hippie semble déjà avoir vécu. Las de se voir maltraité par un pays qui leur impose une vie de mendiant, une partie des afros américains suivent les théories vaseuses du black panther party.

Même à l’époque , le « black power » ressemblait un peu à un nouveau racisme , avec ses milices armées dignes des pires juntes militaires. En adhérant à cette vision plus belliqueuse de l’anti racisme, Sly n’avait fait que suivre les changements en cours, et les exprimer à travers sa musique.

Certains titres de Stand font déjà écho à ce communautarisme radicale , mais il trouve sa véritable expression sur ce « there is a riot goin on ». « there is a riot goin on » est une réponse prophétique au « what’s goin on » de Marvin Gaye. Les propos ne prêchent plus l’amour et la tolérance, ils demandent aux afros américains de prendre les armes pour imposer leurs droits. 

Pour exprimer au mieux cette rage, la musique met de côté ses influences anglaises, pour se concentrer sur la soul, le gospel, et le blues. Ce faisant, elle devient une arme bien plus puissante que les diatribes sulfureuses qu’elle soutient.

La fête démarre sur un tempo à faire danser les morts. Propulsée par ces rythmes sensuels , la guitare groovy rend justice au trop décrié band of gypsys. Puis vient « just like my baby » , un groove vicieux et chaleureux , une mélodie lascive à vous hérisser le poil. Cette chaleur a un goût auquel Sly ne nous avait pas habitué, elle semble sortie des instrumentaux cotonneux de Miles Davis.

C’est que le jazz s’est invité à la célébration, et les cuivres donnent à un titre comme « family affair » un feeling plus cool que Steve Mcqueen. Ces mélodies, c’est la grandiloquence de Marvin Gaye et la chaleur du jazz s’enlaçant dans une ambiance de bar louche. Et, quand la cadence s’accélère, c’est pour représenter cette symbiose de toutes les musiques noires de façon plus virulente.

La batterie tribale s’enroule alors dans des solos chauds comme le soleil brulant l’herbe des grandes plaines africaines. Ike Turner et Billie Preston sont aussi de la partie, ils ne pouvaient rater un tel festival groovy. Avec cette formation trois étoiles, même une mélasse hallucinée digne d’un sous spirit (caugh me smilin) sonne comme un grand trip acide au milieu d’un bar funk.        

Toute la musique noire se déverse ainsi dans une grande messe Voodoo , une fiesta mystique, porteuse de toute la tension d’une époque prête à s’embraser.

samedi 25 avril 2020

Warren Hayne : Man In Motion


Man In Motion de Warren Haynes sur Amazon Music - Amazon.fr

Il a redonné à l’allman brothers band un éclat qu’il avait perdu depuis le trépas de Duane Allman, avant de s’appliquer à quitter le purisme sudiste. Gov’t mule fut créé pour ça, et la transformation fut encore plus radicale après le trépas de son bassiste. A ses débuts, la mule était limitée par sa formation en power trio, qui la condamnait à reprendre le groove sudiste avec une puissance digne de cream.

Adepte des jams sans filet, la mule était une curiosité coincée entre la virtuosité des frères Allman , et le blues anglophile de Lynyrd Skynyrd. C’était aussi ce qu’il fallait au rock sudiste de cette époque, et l’urgence de poudrières tels que « gov’t mule » et « dose » ont fait autant pour la résurrection sudiste que les grands disques des black crowes.  

Et puis le temps a passé, l’engouement s’est amenuisé, et la mule a radicalisé sa maturation. On a dit beaucoup de mal de déjà vodoo, la cicatrice laissée par le départ tragique d’Allen Woody était encore à vif. Le public rock est sentimental, et s’attache rapidement à ses formations préférées. Tout changement est alors pris comme une trahison, elle empêche l’objet de sa fascination de rester figé dans le marbre.

Si on prend déjà voodoo avec le recul que nous autorise le temps, on se rend compte qu’il ne fait qu’exacerber ce que le groupe initiait timidement auparavant. La palette de ses musiciens était, dès le départ, extrêmement large. Il la déployait sur scène, à grands coups de reprises déchainées. Black Sabbath , Hendrix , Neil Young , Fleetwood mac , une bonne partie de la mythologie rock est passée entre leurs mains dévotes. 

En studio , life before insanity montrait déjà un groupe plus appliqué , soignant ses arrangements et ménageant ses effets. Je l’ai dit au début de cette chronique, la mule était le vaisseau permettant à Hayne de revistier son héritage , ses multiples virages étaient prévues dès le départ.

Il ne faut pas mettre de frontière entre son œuvre et celle de son groupe, les deux se complètent. C’est d’ailleurs sur « tales of ordinary madness », sorti en 1993 , que Hayne annonçait les débuts sulfureux de la mule.

Il n’y a donc pas eu, comme certains l’ont écrit, plus de dix ans de blanc entre « man in motion » et le précèdent album de Hayne. Man in motion est la suite de « shout » , « dark side of the mule » , « stone side of the mule » et « sco mule » , il s’inscrit à la suite de ces explorations sonores.

Pour Man in motion, Hayne veut atteindre les terres de la motown , et la soul irrésistible promue par le label stax.  Pour toucher son but, il s’est entouré de pointures ayant côtoyé Keith Richards au sein des X pensive winos , et de grandes figures du Jazz et du funk. On ne s’étonnera donc pas d’entendre un monstre de groove, une chaleur dansante et orgiaque digne de James Brown ou Marvin Gaye. 

Warren Hayne se hisse littéralement au niveau de ces chanteurs iconiques , mesurant sa voix pour ne pas brusquer son groove cuivré. Il y’a un peu du band of gypsys dans le riff dansant d’on a real lonely night, une part de Sly and the family stones dans les chœurs enjoués qui composent cette chaleur groovy.  Mais les groovies children tel que funkadelique ne disposaient pas de ces cuivres jazzy pour réchauffer leurs fiestas.  Alors, bien sûr, sur des titres comme man in motion, les enfants du funk peuvent remuer du popotin, en pensant à leurs jeunes années, mais là n’est pas le seul charme de ce disque. 

Warren Hayne reste avant tout un bluesman, et ses couleurs funk jazzy vont raviver la splendeur du spleen venu du Mississipi. Hatesburg Husle va encore plus loin, c’est la fusion parfait de la musicalité soul et de la sensibilité blues. C’est aussi cette union qui fait la grandeur de « a friend to you » , « river gonna rise » ou « your wildest dream ».

La guitare y oublie toute agressivité, elle se fait délicate pour se fondre dans ses mélodies venues de Memphis. Même quand Hayne revient aux rythmes enjoués qui ouvrent le disque , les interventions solistes de Hayne restent mesurées. Le guitariste attend patiemment son tour, et débarrasse la virtuosité hendrixienne de ses distorsions stridentes. 

Le voyage se termine sur une gravité plus sobre, « save me » se contentant d’un orgue et d’un piano pour soutenir la ferveur de Warren Hayne. On retrouve alors la splendeur éternelle du gospel blues, une homélie musicale qui semble enregistrée au milieu d’une église.

Au final, en explorant une nouvelle parcelle de l’histoire musical américaine , Hayne produit un disque sur lequel le temps n’a pas prise. Ses mélodies cuivrées et rythmes funky forment une patine qui lui donne le charme de ces vieux meubles en bois , auxquels l’artisan semble avoir insufflé une partie de son âme.

Man In Motion aurait pu être produit il y’a trente ans, et on pourra encore l’écouter dans trente ans avec le même émerveillement.

    

vendredi 24 avril 2020

Gun : Gunsigh


Gun* - Gun Sight | Références, Avis, Crédits | Discogs

Dans une série de vidéos faisant la promotion de quelques compiles éditéEs par rock et folk , Philippe Manœuvre détaillait sa vision de l’histoire du rock :
« On a, environs tous les 10 ans, une vague qui balaie la précédente. »

Cette réflexion, en plus de lui permettre de sortir un disque par décennie rock, est une marque d’allégeance au modernisme ambiant. Dire chaque époque a fait table rase de la précédente, revient à le résumer à un grand supermarché , où chacun est libre de choisir son rayon.  On retombe dans la religion du « tout se vaut » , et du « c’est mon choix » , qui transforme la jeunesse en ramassis d’incultes abrutis.

Le chroniqueur devient donc représentant de commerce, son récit une campagne publicitaire. Je ne blâme pas ici les chroniques de Manoeuvre en elles-mêmes, qui me firent tant aimer le rock, mais bien la vision d’ensemble.

Qu’on le veuille ou non, l’histoire du rock s’est faite par étapes successives et indissociables. Si le discours moderniste passe, c’est paradoxalement parce que certains sont restés bloqués dans les sixties. A l’époque, les innovations se succédaient à une telle vitesse, que même l’esprit le plus brillant ne pouvait analyser ce magnifique déferlement.

C’est donc des maisons de disques au sommet de leur gloire qui choisissent ce qui serait à la pointe de la révolution en cours. Influencées par le succès fulgurant des Beatles, elles propulsent au sommet les artistes les plus ambitieux.

C’est l’époque bénie où les who inventent l’opéra rock, où ten years after enregistre des disques impossibles à jouer sur scène , et les beach boys affrontent les beatles sur le terrain d’une pop devenue adulte.  

Le succès des Beatles est une bénédiction car il ouvre la voie à une magnifique invasion, mais c’est aussi une malédiction. Comme toute œuvre marquante, celle des fab four a influencé le son d’une époque, et la pop anglaise trouve un écho dans le psychédélisme Américain.  

Les mélodies se déforment sous l’effet de l’acide, et chaque groupe tente d’approcher le royaume du grand sergent pepper. Pas de place pour ceux qui refusent de se soumettre à la débauche de moyens de l’époque , le minimalisme est fui par le grand public. Cette mode fera un carnage, poussant des groupes comme le velvet underground, les pink fairies , et the gun dans le tombeau. 

The gun se forme à Londres , en 1967 , année de transition qui est trop rapidement racontée. 1967, c’est l’année de sortie de disraeli gears et are you experience , deux disques qui commençaient à trancher avec la douceur ambiante. Hendrix et Clapton annoncent le culte du guitar hero , mais ils le font naitre de deux façons différentes. 

Le premier se réapproprie le patrimoine blues , augmentant la puissance de cette musique sans la dénaturer. Il peut ainsi caresser dans le sens du poil un public blues très vivace, le mouvement vivant un dernier âge d’or depuis la sortie du premier disque du Paul Butterfield blues band.
Clapton, lui , est plus opportuniste , et « disraely gear » surfe à fond sur la vague psychédélique. C’est d’ailleurs cette pop psyché qui fit de « sunshine of your love » un tube. Hendrix et Clapton représentent donc, à cette époque, le bon vieil affrontement entre la tradition et le modernisme. Mais surtout , leurs concerts et disques suivent le sillon d’une musique plus puissante , libre, et direct. 

The gun aurait sans doute pu profiter de ce timide virage, si sa musique n’avait pas été aussi radicale. Dessinée par Roger Dean , la pochette de leur premier album annonce déjà la couleur d’un disque particulièrement agressif. Gommant même le The propre aux groupes anglais, le gang de Paul Gurvitz joue une musique qui ressemble à du Hawkwind débarrassé de ses ambiances dystopiques.

Porté par un riff furieusement moderne, race with the devil devint un hymne d’initiés, mais agressa les oreilles de la génération peace and love. Résultat , le disque rejoint le rang des chefs-d’œuvre honteusement jetés dans les bacs à soldes. 

Gun cherche donc un moyen de faire accepter le tranchant de ses riffs , un plan d’attaque capable d’imposer son son unique. Il enregistre ainsi un disque historique, une des magnifiques digues raccrochant ce que le rock fut à ce qu’il devient.

Sur la pochette, le groupe semble prêt à en découdre, sa puissance de feu n’a pas changé mais il a modifié son plan d’attaque. La charge commence par le riff furieusement moderne de head on the cloud. 

Cette chevauché reprend les choses là où « race with the devil » les avait laissées, pendant que le refrain repris en chœurs tente de rendre cette violence sanguinaire plus accessible. On ne joue plus ici sur un seul registre, et drow yourself in the river s’ouvre sur quelques arpèges country. 

L’intro presque mélodique flatte l’oreille du chaland, et mène naturellement à une autre cavalcade sanguinaire. Le groupe a compris qu’il doit ménager ses effets , et ose s’aventurer sur les terres des moody blues, et autres icones de la pop distinguée. La guitare se fait plus caressante, sa force menaçante devient une puissance épique épousant la tendresse des violons.

Le tonnerre peut ensuite résonner de nouveau, dreams and sreams étant sans doute un des titres les plus violents de nos pistoleros, une puissance motoredienne avant l’heure. Et encore, le groupe de Lemmy n’atteint même pas ce niveau de puissance sanguinaire sur ses boulets les plus destructeurs.

Ce titre a été soigneusement placé au milieu de quelques réussites plus mesurées , pour mieux corrompre les codes de son époque. Cette façon de jouer un rock psychédélique paranoïaque sera bientôt reprise par le Edgard Broughton Band quelques mois plus tard.

Coincé entre son désir de reconnaissance et sa personnalité atypique, gun varie les registres avec une réussite impressionnante. « hobo » part d’ailleurs dans un psychédélisme théâtral qui n’est pas sans rappeler les pretty things, et certaines grandes pièces de Spirit. Ce retour à un registre plus classieux ouvre la voie à une nouvelle accalmie, oh lady flirtant avec la folk Californienne. Encore une fois , cette tendresse n’est là que pour préparer la prochaine décharge , et on revient rapidement à une théatralité proche des pretty things. Puis les chœurs se font plus fervents, et la guitare part dans un solo proto hard rock réduisant mountain au rang de bluesmen amorphes. 

On tient ici un disque historique, le glorieux représentant d’une série de chaînons reliant les sixties aux seventies. Mais, encore une fois le public n’est pas au rendez-vous , et the gun disparait aussi vite qu’il est apparu.

Le groupe se reformera par la suite, mais même Buddy Miles ne parviendra pas à lui redonner cette flamboyance sulfureuse. Gun fut, pendant quelques mois , un des groupes les plus brillants d’Angleterre. Mais personne ne le savait.