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dimanche 17 mai 2020

Beth Hart and the ocean of souls : 1993 original recording


BETH HART: Beth Hart And The Ocean Of Souls: AVIS/CHRONIQUE

Je veux aujourd’hui quitter les rives du missisipi , abandonner temporairement leurs mythiques troubadours misérables , pour revenir sur les plaines de woodstock. Le nom évoque déjà l’image iconique de milliers d’utopistes, venus vivre la plus belle expression de liberté du monde moderne. Et puis Janis Joplin arriva, dans ses apparats de reine hippie, et sa voix hypnotisa littéralement l’auditoire.

Je veux revivre cet instant suspendu, cette force lyrique que les hard rockers ne cesseront de déformer, pour le meilleur et pour le pire.  Janis avait un avantage sur eux, ses accompagnateurs savaient rester à leur place. Le culte du guitar hero n’était pas encore devenu une religion musicale, et sa voix n’avait pas à lutter avec une six cordes trop bavarde. Résultat, ses gémissements donnaient plus de puissance émotionnelle au blues , ils l’éloignaient de la philosophie plaintive de ses débuts.

Derrière elle, les musiciens étaient de bons artisans, chargés d’habiller ses lubies du moment . Le blues , elle le chanta dans un décor psychédélique, cuivré , ou groovy. Mais toujours avec une conviction dévote, qui ferait passer Howlin Wolf pour un fonctionnaire apathique. Et puis la formule a disparu en même temps que sa représentante, le blues se repliant dans un traditionalisme un peu snob. Il faut dire qu’il y’avait désormais led zepp et deep purple , et le blues ne voulait pas se noyer dans leurs brulots tapageurs. 

Pour retrouver la puissance vocale de Pearl, il fallait donc regarder dans le rétro , se consoler en écoutant plus attentivement Grace Slick ou Ruth Copeland. Le blues passait de Muddy Waters à Johnny Winter, avant le succès inattendu de Bonamassa. Ses protagoniste étaient brillants , mais rares sont ceux qui s’éloignaient du boom boom habituel, et aucun ne tentait de placer le chant au même niveau que le reste.

Et puis, en Californie , une femme préparait le retour de la splendeur perdue. Beth Hart fait d’abord des études de musique, mais sa passion est ailleurs. La jeune fille est fascinée par le jazz, et ne prend pas longtemps avant de nourrir le même amour pour le blues. Les deux genres ont toujours fait très bon ménage, et son caractère très sociable lui permet de rapidement monter un groupe. Vient alors l’éternelle épreuve des clubs, où il faut lutter pour trouver l’attention de son premier public.

Pour elle, le combat ne sera pas trop compliqué , son accoutrement excentrique rappelant les premiers pas de la reine de woodstock. La voix de Beth Hart est plus douce, elle n’a pas ce timbre taillé au Jack Daniels, ce qui lui permet de développer un chant plus mélodique. L’auditoire est rapidement conquis et, dans un endroit comme Los Angeles, les rumeurs courent vite. Beth Hart et son groupe atterrissent donc  sur les plateaux télé, où sa voix chaleureuse et puissante pénètre lentement dans des millions de foyers Américains.  

Ce n’est pas encore réellement le succès, mais c’est suffisant pour pouvoir enregistrer un premier disque. Si les bandes sont sorties, le retentissement fut très faible. Le blues venait de vivre un moment historique dans l’indifférence totale. Les producteurs ont pourtant soigné leur coup , donnant à la jeune femme une production typique de l’époque. Après être revenues des fourvoiements synthétiques des années 80 , les maisons de disques privilégiaient désormais un son léché mais puissant. Les solos jaillissent glorieusement au détour de chœurs fervents , rappelant au passage que Beth Hart flirte aussi avec le gospel. Ce son est lumineux sur « love surfer all » et « I felt him cry » , c’est la finesse pop de Tom Petty portée par une voix langoureusement bluesy. 

Si ses chœurs donnent au disque un vernis séduisant, n’allez pas croire que la pop a encore eu la peau du rock, c’est tous le contraire. Ce premier album est rempli d’envolées déchirantes , de grand-messes rock digne de l’intro de Cheap Trills. D’ailleurs tout le monde ne peut pas sortir une telle réadaptation de « lucy in the sky with diamond ». Entre les main de Beth and the ocean of soul , le titre qui annonçait le début de la grande fête psychédélique devient un gospel rock digne de Don Nix.
On a ainsi droit à une partie plus vintage, comme cette guitare moelleuse qui ressuscite le fantôme de Mike Bloomfield sur « Am I the one ».   

« 1993 original recording » est un disque à la croisée des chemins , donnant un coup de fraicheur au blues tout en étant solidement ancré dans son époque. Alors, insérez ce disque dans le lecteur, et laissez le son vous parcourir comme une énergie vitale. Cet album, c’est le retour inespéré d’une énergie que l’on croyait perdue.   

samedi 16 mai 2020

Le magazine de mai



Le magazine est de retour ( Cliquez sur la couverture pour le lire)



The Live Adventures Of Mike Bloomfield And Al Kooper


LA2

Al Kooper et Mike Bloomfield forment un des duos les plus cultes de l’histoire du rock. Réunis par Dylan, pour enregistrer higway 51 revisited , il lui offre un son unique. Au clavier , Al Kooper invente une mélodie parfaite , tranchante comme une lame de rasoir , et épique comme la prose de son barde. C’est lui qui crée la fameuse introduction de « like a rolling stones » , titre le plus emblématique du répertoire Dylanien. A ses cotés, Bloomfield se cale sur un rythme imparable, dans la droite lignée du rock n roll des origines. Si il s’en éloigne, ce n’est que pour tisser un solo délicieusement bluesy sur « ballad of a thin man ».

Après la tournée mouvementée qui suivit la sortie de l’album, le duo Kooper/Bloomfield se sépare pendant trois riches années. Devenue une figure incontournable de la guitare rock , Bloomfield lança le psychédelisme Californien , en écrivant east west. Le titre parait sur le second album du Paul Butterfield Blues Band, et montre la voie aux musiciens venus voir le groupe lors de son passage en Californie.

Bloomfield quitte ensuite Paul Butterfield , pour former son propre groupe. Il se rapproche alors de Buddy Miles , qui participera bientôt au virage funk de Hendrix. Les deux hommes créent un groupe nourri d’influences funk et blues, auquel ils ajoutent les sonorités psychédéliques découvertes par le guitariste. Electric se fait d’abord connaître en écrivant la bande son de « the trip » , un des films qui fit décoller la carrière de Jack Nicholson.

Puis vient a long time coming , disque dont la puissance blues funk ne manquera pas d’influencer toute une scène. Alors que son ex collègue enchaîne les classique , Al Kooper continue une modeste carrière de musicien de studio. Il ne sortira de l’ombre que pour former le groupe blood sweat and tears , qui sort « child is father to the man » en 1968. Ce disque est un classique d’un jazz rock qui commence tout juste à émerger. Electric flag et blood sweat and tears partagent cette chaleur cuivrée, qui ne va pas tarder à envahir le rock.

Alors au sommet, le duo Bloomfield/Kooper se retrouve la même année, pour enregistrer son premier disque. Malheureusement, l’aventure psychédelique a laissé des traces sur la psyché fragile du bluesman le plus doué de sa génération. Dévoré par la drogue et ses crises d’insomnies, Bloomfield ne parvient à enregistrer que la moitié du disque prévue. 

Stephen Still le remplace alors au pied levé , et donne à la seconde face de l’album un son beaucoup plus pop. Supper Session est un chef d’œuvre, mais il donne l’impression d’un rendez-vous manqué. Pour rattraper ce manque, les deux hommes donnent une série de concerts au fillmore. 

Les deux premiers soirs , le duo est à son sommet , et fête ses retrouvaille sur un blues jazzy , rock , ou funky , qui s’apparente à l’aboutissement de leurs explorations individuelles. Au détour d’un instrumental lumineux, le groupe fait un clin d’œil au rock bucolique du band , qui vient juste de démarrer une carrière sans Dylan.

Malheureusement, Bloomfield est vite rattrapé par ses démons et, épuisé par ses insomnies , il ne participera pas au second concert. C’est donc le jeune Carlos Santana qui le remplace pour la face la plus bluesy de l’album. Le groupe est aussi rejoint par Elvin Bishop , pionnier du blues rock , qui étire le blues sur un no more lonely night, qui semble tout de même trop court.  Quand Bloomfield fait son retour, le dernier soir, c’est pour signer un des plus grands moments de sa carrière. La dernière partie du disque est en effet la plus lumineuse, et s’impose comme le prolongement des supper session.

Reprenant le même principe d’improvisations sans filets , le groupe fait de Mr Fantasy une grande fresque pop , qui mène à une reprise éblouissante de hey jude. On revient ensuite au blues, Bloomfield étirant le swing de Chicago sur un don’t love you so strong que n’aurait pas renié John Lee Hooker.

En se réunissant, Mike Bloomfield et Al Kooper ont célébré les noces du jazz et du blues, et la cérémonie se clôt sur le furieux refugees. L’explosion finale sonne comme le crépuscule d’un groove, qui ne brillera jamais aussi fort qu’ici.  

mardi 12 mai 2020

Gov't Mule : Sco Mule


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La disparition violente d’Allen Woody , au début des années 2000 fut un choc pour tous les fans de gov’t mule. Le bassiste était le moteur du groupe , celui qui permettait à ce jams band de développer une énergie dévastatrice , capable de rivaliser avec la puissance zeppelinienne des black crowes. La tragédie se situe surtout dans le fait que, après un début de carrière tonitruant, le groupe commençait à se diriger vers un rock plus complexe. Timidement esquissé sur « life before insanity », ce virage prometteur permettait au groupe de produire des ballades aux arrangements fouillés.

On pensait que cette évolution n’avait pas eu le temps d’aller plus loin lors de la période Woody, mais une vidéo est venue tous chambouler. Publiant ses hommages au compte-goutte , Warren Hayne a diffusé un extrait d’un live que le groupe effectua au Roxy , en 1999.

Nous sommes quelques mois seulement avant la mort de son bassiste et, avide de découvrir de nouvelles sonorités , gov’t mule a invité John Scotfield à se joindre à eux le temps d’un concert. Le guitariste fait partie des pionniers de cette fusion entre le blues et le jazz, qui contamina le rock dans les années 60-70.Cette fusion, il la développait déjà en compagnie de Gerry Mullighan et Chet Baker, avant de rejoindre un John Duke qui ne jouait pas encore avec Zappa.

Nourri par ses deux influences, l’homme a publié une série de disques qui s’insèrent dans le revival jazz porté par zappa , soft machine , et autres fils du grand Miles. La rencontre entre l’icône du jazz et les représentants modernes du rock sudiste se fera autour d’une série de titres piochés dans le répertoire des deux artistes , de John Coltrane, et de James Brown.

La rencontre entre deux des plus grands guitaristes vivant auraient pu faire craindre un duel pompeux, une série de mitraillages visant à aligner le plus de notes possibles. Heureusement, il n’en est rien, et les musiciens oublient totalement leur ego. 

Charger de diriger les explorations de ce nouveau big bang , Allen Woody est étonnamment à l’aise dans ce registre plus groovy. Dans un premier temps, la puissance tout en finesse qu’il développe avec Matt Abbs fait forcément penser aux Allman Brothers. Le rythme sautillant, parcouru de divagations hypnotiques , est dans la droite lignée de ce que le groupe de Duane livrait sur « in memory of Elisabeth Reed ».

Mais Hayne et Scotfield ont aussi fait leurs classes dans un tribute band de grateful dead , ils savent comment faire évoluer une mélodie. Le rythme se fait de plus en plus doux , les instrumentaux deviennent de confortables édredons sonores , et l’odeur du jazz se fait fortement sentir. On ne dira jamais assez de bien de afro blues et devil like it slow , qui flirtent avec les grandes heures du mashavishnu orchestra.

Ce n’est pas pour rien que ce disque est totalement instrumental, toute parole aurait brisé la beauté de cette symbiose virtuose. Les musiciens n’effectuent pas des reprises dans le sens le plus strict du terme , mais plutôt dans la tradition des grands big bang de jazz. Le titre est un repère, une base qui permet aux musiciens de progressivement construire une symbiose unique. La musique devient alors l’expression d’âmes unies dans un combat visant à maintenir la force mystique qu’ils ont créé.   
Cette symbiose permet au groupe de développer une version plus raffinée du groove de funkadelique, sans que l’on ait l’impression de changer d’univers.  




lundi 11 mai 2020

Ian Dury and the blockheads : New Boots And Panties


Ian Dury - New Boots And Panties!! | Références | Discogs

1976, les sex pistols sont à l’affiche du Wollhampton assembly theatre . Bien que nevermind the bollocks ne soit pas encore sorti , les concerts chaotiques des mercenaires de Mclarren les ont placés en tête de l’invasion punk. Le public présent ce soir n’est pourtant pas venu pour eux, mais pour les looser de Killburn and the Hight Road.

Crée depuis plusieurs mois, le groupe n’a pas encore réussi à publier un disque, mais il rassure sans doute les organisateurs. Vénéré par quelques Teddy Boy , il est mené par Ian Dury , une sorte de Skinhead fan de Gene Vincent. La polio lui a taillé un physique de pantin punk, qu’il accentue pour profiter de la révolution en marche. Les moqueries dont il faisait l’objet dès ses sept ans l’ont aussi mené à développer un humour absurde, qui achève de le faire ressembler à une incarnation du nihilisme no future.   

Le punk est composé de jeunes pecnos, qui se faisaient les dents sur la musique qu’il jouait avant eux. Les chroniqueurs ont appelés ça pub rock , et ont préféré saluer le down by the jetty de Dr Feelgood, que les rock vintage que son groupe jouait dans les bars. Ces types pensent avoir découvert le fil à couper le beurre, et nomme ce proto punk « pub rock ».

En réalité, il n’y avait rien de nouveau sous le soleil, et, si Gene Vincent vivait toujours, il jouerait sans doute avec Wilco Johnson. Il pourrait aussi bien jouer avec les sex pistols , tant tous ces musiciens ont eu leur révélation en écoutant le rock des origines , et découvraient que tout ce dont le rock avait besoin était là.

Alors, quand Ian Dury a vu arriver les pistols , il a senti qu’il tenait sa revanche, et ça n’a pas manqué. Quelques mois après sa performance introduite par les sex pistols , il formait les blokheads , et sortait enfin son premier disque. Les têtes de cons (blockheads) furent rapidement adopter par une génération de crétins (traduction de punk), et le disque fit un carton. 
                                                                    
Sur la pochette le pantin punk semble déjà penser aux chemises qu’il espère sur le titre de son album. Finit les séances de relooking dans les friperies, le chanteur allait enfin pouvoir se procurer des habits neufs.

Le disque est culte dès ses première minutes, qui introduisent un riff clashien en diable. On retrouve ici l’humour grivois de little Richard , qui n’aurait pas renié cette histoire d’homme se levant avec « un cadeau pour le genre féminin » , et suppliant sa femme de le soulager de son érection matinale. Ian Dury ne renie pas ses influences , mais il sait comment les vendre. Des titres comme « blackmar men » ou « blockead » sonnent comme du Chuck Berry joués sur un tourne-disque réglé à la vitesse maximum. Le rythme se pose ensuite sur une mélodie doo woop , qui va vite partir sur une décharge de pur rock n roll , le tout en hommage à ce « sweet Gene Vincent ».

Il y’a aussi chez notre cockney un coté pop digne des kinks. Dury ne se contente pas d’une énergie brute et puérile, il emballe le tout dans un vernis classieux qui sort du lot. Ce n’est pas pour rien que Paul Mccartney reprendra plus tard « I’m a partial to your abracadabra », il sonne comme une version protéinée de ces « chansons de grand mères », haïes par John Lennon. Ian Dury réussit à donner au punk l’attrait des vieux tubes pop anglais. On pense d’ailleurs encore aux Kinks , quand son accent cockney introduit la gigue obscène « billbiway dixies ». Consécration ultime, cette mélodie fait furieusement penser à « David Watts » , le classique des frères Davies.

Ian Dury , malgré l’air léger de ses titres , donne aux punks la finesse qui leur manquait jusque-là. Plus sérieux, le ska punk de my old man achève de le placer parmi les artistes les plus intéressants de sa génération.

Quelques jours plus tard , il fera l’erreur de publier « sex drugs and rock n roll » en single. Sur disque, le titre aurait été la cerise sur le gâteau, il ne deviendra qu’un single culte.

La version cd répare cette erreur, en l’ajoutant en bonus. On peut alors apprécier à sa juste valeur ce sergent pepper de la génération « no future ». Car, si le punk était une tarte lancée au visage d’un rock trop prétentieux, new boots and panties est la pièce montée qui écrase sa rage juvénile.        


jeudi 7 mai 2020

Gov't Mule : The Georgia Box Bootleg

The Georgia Bootleg Box: Gov't Mule: Amazon.fr: Musique

Ces derniers temps, je reviens souvent à l’idée selon laquelle les frontières entre le blues, le jazz, et le rock sont bien minces. Chuck Berry était un fan des grands jazzmen, qui lui mirent un coup de couteau dans le dos historique, sur le film « jazz on a summer day ». Au début les musiciens défendaient leur chapelle, autant pour préserver leurs gagne-pains que par conviction. En perte de vitesse dès la seconde partie des années 50, les jazzmen ne tenaient pas à être enterrer par des manchots toit juste capables d’aligner trois accords.

Mais il y’avait, dans ces éructations libidineuses , une énergie increvable. Plus opportunistes et rationnels, les grands bluesmen reconnaitront leurs héritiers, et profiteront largement de l’explosion du rock. Salués comme les inventeurs de cette puissance libératrice , Muddy Water , John Lee Hokeer, et autres vieux routards, connaissent un second âge d’or dans les sixties.

Le blues ne sera pas le seul à être récupéré par des anglophones en pleine boulimie d’innovation sonore. Le Jazz , lui aussi , ressuscite via les mélodies délirantes de soft machine , la folie sauvage des stooges trouve ses fondement dans le free jazz, et Zappa part dans des improvisations interminables , suivant ainsi les enseignements de Miles Davis et Coltrane.

La conquête est totale, l’harmonie entre les genres parfaite, et c’est au tour du grand Miles de se frotter à sa descendance. En pleine enregistrement de Bitches Brew , il affirme solennellement avoir réuni le meilleur groupe de rock de tous les temps. 

A l’origine de ce flirt jazz rock, on en revient encore au sud-américain. Lieu béni où tout a commencé, la terre natale de Muddy Water et Elvis accouche ensuite de l’allman brother band.   

Sorti en 1969, le premier album du groupe est l’annonciateur d’une virtuosité qui s’épanouit glorieusement sur « live at fillmore ». Là, sur la scène d’une salle qui annonce la musique de demain, l’allman brother band se livre sans filet. Le groupe est un vaisseau rutilant, qui démarre sur un blues rock carré , avant que Duane ne fasse décoller sa carcasse à grand coup de solos vaporeux. 

Si les Allman Brother sont les jazzmen du blues , alors Duane est leur Miles Davis , celui qui transcende le tout en plaçant ses notes au moment clef. Cette grâce virtuose, cette union solenelle de musiciens connectés à la perfection dans un groove blues jazz, le groupe va la perdre avec son soliste.

Lynyrd prend alors la suite quelques années plus tard, mais la formule n’est plus la même. Tout évolue très vite, et le groupe de Vand Zant est déjà le fruit d’une autre époque. Fasciné par le blues boom anglais , Lynyrd part dans une direction plus pop. Pour lutter à armes égales avec led zeppelin ou les who , les guitares sont plus incisives , les improvisations plus tonitruantes, le jazz se fait la malle. 

Loin de moi l’idée de dénigrer un groupe aussi essentiel, ou de relativiser l’importance de la vague qu’il a entrainé. Je souligne juste qu’il mettait fin à une certaine vision de la musique sudiste. Les Allman Brother n’ont absolument pas été régénérés par leur descendance, bien au contraire. Mené par un Gregg Allman ayant trouvé refuge dans la boisson, le groupe décline progressivement. Même l’excellent « brother and sister » n’a pas intéressé grand monde , et rares sont ceux qui écoutent les albums suivant.
                                          
Et puis le groupe va trouver un nouveau moteur en la personne de Warren Hayne. Aussi doué en soliste qu’a la slide , Hayne entraine l’ABB vers un retour aux sources. Régénéré , l’ABB sort d’abord « shade of two word » , qui renoue avec la beauté chaleureuse de leurs débuts. Mais Hayne est aussi un improvisateur inventif, autant friand de blues binaire que d’épanchement jazzy, et le live au beacon theater fait renaître la flamme perdue depuis la sortie du live at fillmore. 

En parallèle, l’Amérique s’est lassée des mélodies mielleuses des années 80, et l’authenticité revient à la mode. C’est d’abord le sud post Allman qui en profite avec le succès des black crowes. Les riffs à mi-chemin entre les stones et led zeppelin montrent un groupe faisant renaitre l’héritage de Lynyrd Skynyrd. L’histoire bégaie, mais la musique portée par l’ABB n’en sera pas une nouvelle fois victime. 

Warren Hayne est plein de projets , et profite de ce contexte favorable pour les réaliser. Sorti en 1993, son premier album solo ne s’est pas vendu autant que les premiers succès des black crowes, mais l’essentiel n’est pas là. Tout en puissance groove , le disque posait les bases du projet qu’il réalise ensuite avec Allen Woody. 

Les deux hommes partagent le même amour du blues virtuose, amour qui nourrit la puissance du premier album de gov’t mule. A une époque vouée à la puissance sonore, on se pâme sur cette violence crue , qui fait dire à beaucoup que le jimi hendrix experience a trouvé un nouveau descendant. Comme l’Allman Brother Band , gov’t Mule privilégie l’efficacité sur ses disques , qui paraissent presque pâles à coté de ses prestations sur scène. C’est d’ailleurs le groupe des frères Allman qui lui met le pied à l’étrier, en l’invitant à faire sa première partie.    

Les premières minutes que le groupe passe face à son public sont capitales, elle conditionne ce que sera le reste de sa carrière. Et c’est précisément ces premières minutes que l’on découvre sur « the georgia bootlegs box ». Pour marquer le coup, le riff de blind man in the dark sonne comme une sirène annonçant le règne de nouveaux conquérants. On pourrait rapprocher cette puissance menaçante avec l’immigrant song de led zeppelin , le groove en plus. On découvre d’emblée à la face la plus direct de la mule, celle qui pointait si bien son nez sur le premier album. Cette force, gov’t mule la revendique clairement lorsqu’il reprend le pachydermique « don’t step in the grass sam »,  le brûlot proto hard rock de Steppenwolf.   

Mais la Mule ne partage pas la précipitation fulgurante du groupe de John Kay. Sa puissance, il lutte pour la perpétuer dans de longues improvisations, où il salut Zappa , pink foyd et grateful dead au détour d’instrumentaux plus apaisés. On passe du Mississipi à la Californie, de la hargne hard blues à la folie psyché prog.

Et puis l’envie de faire parler la poudre se fait de nouveau sentir, et le groupe entérine sa conquête sur un young man blues à faire rougir Towshend , avant de saluer la puissance irrésistible de Billie Gibons sur « just got paid ».
En cette année 96 , Gov’t mule achevait de réhabiliter cette vieille virtuosité sudiste. Le Jazz et le blues flirtait de nouveau sous le regard bienveillant de la fée électricité, et Duane Allman aurait sans doute regardé ça avec un sourire plein de satisfaction. 


  

Whiskey Myers : Firewater

Firewater : Whiskey Myers: Amazon.fr: Musique

Qu'est ce que la musique ? Chacun a sa réponse à cette question essentielle , mais tous devraient s'accorder sur le fait qu'il s'agit d'une peinture sonore , un poème dont les accords forment les vers. Un bon disque, comme un bon livre ou un bon film, n'a de valeur que si ce qu'il exprime transcende son époque. On lira encore Buckowski et Camus dans cent ans, tout comme la bibliothèque du congrès conserve précieusement les plus grandes œuvres de Dylan et des Beatles. 

Ce qui manque le plus aux musiciens aujourd’hui, c'est ce qui paraissait évident pour les maisons de disques mythiques. Cette idée est d'ailleurs parfaitement résumé dans "walk the line", le biopic sur Johnny Cash, qui est aussi le meilleur biopic de tous les temps. Nous sommes donc dans les années 50 et, après avoir effectué son service militaire, Cash décroche enfin sa première audition. 
                     
Il entame donc un de ces gospels cuculs qui pullulaient à l’époque, et le producteur l’interrompt après quelques notes. Quand Cash proteste , l'employé du label sun lui lance cette diatribe géniale:
"Quelle est LA chanson qui vous résume totalement, LA dernière chanson que vous chanteriez ? Parce que c'est celle-là que les gens veulent entendre!" Alors Cash entame Folsom prison blues , un titre qu'il écrivit lors de son passage dans l'armée , et qu'il joue pour la première fois. Les mots du producteur prennent alors tous leurs sens. Cash n'interprète plus sa chanson, il la vit. 

Le sud-américain a d'ailleurs toujours été proche de cette authenticité , qui lui a permis de donner à l’Amérique les plus beaux chapitres de son histoire musicale. Le sud, c'est la terre natale d’Elvis. Ses bars furent les témoins du parcours désespéré des contemporains de John Lee Hooker, avant de voir Lynyrd combattre ses producteurs, pour imposer sa vision du rock. 

Whiskey Myers démarre sa carrière en creusant le sillon d'une country redevenue cool après les derniers succès de Cash et Kenny Chenney. Si sa musique n'est pas vraiment dans le sillon des enfants de Lynyrd , il suffirait que les sudistes haussent le ton pour s'en approcher. La frontière entre country et rock sudiste a souvent était mince, et les années 70 ont vu plusieurs groupes flirter avec ses mélodies terreuses. 

On citera, à titre d’exemple, les excellents premiers disques des outlaws , et « brothers and sister » des frères allman. Whiskey Myers suit donc le chemin dessiné par ses ainés, et firewater le fait entrer de plein pied dans les terres ancestrales du sud. Le rock fait son entrée de façon tonitruante sur les rugueux « bars guitar and hony tonk » et « guitar picker ».

Les guitares acérées, chaudes comme un barbecue texan, secouent ensuite le blues avec un entrain que n’aurait pas renié Billy Gibbons. Il faut pourtant que nos pistolero ralentissent le rythme, pour tisser la traditionnelle fresque nostalgique. Comme « highway song » (de blakfoot) et « fall of the peacemaker » ( de Molly Hatchet) avant lui , « ballad of a southern man » est forcément un écho de free birds , mais c’est précisément ce genre d’échos qui nourrissent les mythes. 

« Mon premier fusil était un calibre  243
Que grand père a donné à papa qui me l’a donné
Et ils m’ont appris à tirer d’une main ferme
Je pense que c’est quelques chose que vous ne comprenez pas » (ballad of a southern man)

En dehors de toute opinion politique, on ressent dans ces mots la puissance d’un souvenir qui marque une vie, cette force décrite au début de cette chronique. Qu’il parcourt les terres du missisipi  à grands coups de riffs cadencés, qu’il dégaine un heavy rock à faire rougir Jimmy Page , ou qu’il s’achève sur un folk intimiste , firewater renvoie la même image. 

Celle d’une terre qui façonna la musique américaine, et lui permet encore de garder un peu de sa splendeur.