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dimanche 16 août 2020

Johnny Winter 3

Johnny winter/pochette cartonnee - Johnny Winter - CD album ...

Sobrement appelé Johnny Winter , le second album de notre albinos fait partie des joyaux définissant le blues rock. On retrouve ici la lutte entre le moderne et la tradition , qui faisait déjà la beauté de « the progressive blues experiment ». Mais la modernité a changé de visage , les échos hypnotiques ont fait place à des solos rapides et tranchants. Le tempo du rock a changé, des guitaristes comme Alvin Lee ou Hendrix ont remplacé les contemporains de Jerry Garcia, et la force et la vitesse sont devenues des principes sacrés. Pour être entendu, il faut désormais aligner un maximum d’accords , avec le maximum de puissance.


Johnny a donc aiguisé son jeu, mais n’allez pas croire qu’il a laissé tomber le feeling de ses modèles. C’est même tous le contraire, « Johnny Winter » est un pur album de blues , il atteint la frontière qui le sépare du barnum rock , sans jamais la dépasser. Mean Mistreater a d’ailleurs toute la puissance menaçante que Led zeppelin et Cactus reproduiront quelques mois plus tard. Contrairement à eux, Johnny ne tente pas d’embarquer cette puissance dans de longs délires sauvages. Il sait qu’il a atteint une limite indépassable, que toute fioriture sonnerait comme une trahison de son identité artistique.

Si il avait parsemé des titres comme I m yours and I’m her de solos interminables, nous le saluerions aujourd’hui comme le père du hard rock. Mais il ne veut pas de ce titre, et balance ses solos dans l’urgence, s’empresse de raccrocher son  riff à la rythmique pour préserver son swing. Une trop grande incartade à ses principes puristes aurait donné à « good morning little schoolgirl » , When I got a friend , ou « I’ll drown my own tears » des airs de symboles du passé.

Tout le charme de cet album est contenu dans cet équilibre fragile entre la violence de son époque, et la somptuosité de ses balades bluesy cuivrées. « Johnny Winter » est un album unique dans la carrière du texan, il ne retrouvera jamais cette sensibilité, cette classe dans la violence comme dans la douceur. « I’ll drown my own tears » donne d’ailleurs l’impression que Johnny rend hommage à cette Ella Fitzgerald qui fut à l’origine de sa vocation musicale.

Sur la pochette , son visage apparait d’ailleurs dans un décor lugubre , comme le visage d’Ella chantant le blues de Pete Kelly. Ce second album, c’est le blues d’un gamin qui a réalisé son rêve, et jette un dernier regard attendri sur le rétroviseur. Quelques mois avant la sortie de l’album, Columbia annonce à son poulain qu’il est à l’affiche du festival de Woodstock.

Arrivé sur le site, Johnny marche sur les décombres de ce qui devait être un guichet. Le festival devait être payant mais, débordés par la foule, les organisateurs n’ont pas pu faire payer les spectateurs. Quant au cachet des musiciens présents ce soir-là , il est si dérisoire que Johnny préfère penser à autre chose. L’enthousiasme de sa direction pour ce festival l’avait intrigué, et il avait décalé ses concerts pour assister aux premières performances.

Tout était fou à Woodstock , la foule , le manque totale de sanitaire, de nourriture , de boisson , l’organisation anarchique. Malgré la chaleur , il faudra attendre le deuxième jour pour que le site soit ravitaillé en eau et nourriture , et les concerts ne sont pas mieux organisés. Placé en ouverture, le pauvre Ritchie Haven fut renvoyé sur scène plusieurs fois pour occuper les spectateurs en attendant le groupe suivant. Heureusement, sa prestation fut grandiose , trois heures de folk mystique fascinante. Quand il acheva sa prestation sur « freedom » , il reçut une ovation unanime d’un public qui n’était pas encore descendu de ses sommets mélodieux. La suite fut un peu moins passionnante, les délires mystiques de ravi shankar ouvrant la voie aux miaulements prétentieux de Joan Baez. Le lendemain, country Joe dut tenir la scène équipée d’une simple guitare sèche, le chanteur de country joe and the fish redevint ainsi un chanteur folk moyennement convaincant. Heureusement, la provocation puérile de son « Fuck » repris par la foule sauva les apparences.

Le clown mexicain Santana vint ensuite plaquer ses solos interminables sur des rythmes cubains, et fut acclamé par les hippies, pour qui la moindre note exotique est signe de génie musical. On saura par la suite que, totalement sous l’emprise du LSD , le type n’a fait que délirer au milieu de percussions qu’il ne semblait pas entendre. Le salut vint enfin de Canned Heat , qui ramena tout le monde sur les rives magnifiques du boogie blues. Canned heat était le nouveau Butterfield blues band, il jouait le blues avec une justesse qui devenait de plus en plus rare.

Ce n’était décidément pas la soirée de la génération psychédélique et, après Santana et Country joe , ce fut au tour du Grateful dead de se perdre dans ses improvisations. Le groupe ne parvint pas à trouver son rythme, chacun moulinait dans le vide, et son rock planant devenait une sous folk soporifique. Il fallut toute la puissance du rock direct de Creedence cleawater revival pour réveiller des spectateurs assommés par les accords ronflant du dead.

La suite fut heureusement un feu d’artifice, qui atteignit son apogée lors du passage du Band. Ce soir-là, le groupe de Bob Dylan a atteint le sommet de sa splendeur bluegrass rock. Johnny passait juste après eux, ce qui était plus facile que de réveiller une foule assommée par les catastrophes psychédéliques précédentes. Arrivé sur scène, Johnny put étaler toute la puissance de son blues joué avec l’énergie du rock. Très bluesy , la première partie culmine sur un « be careful with the fool » qui atteint des sommets de groove nonchalant.

Puis Johnny se recula , laissant son frère Edgard prendre la direction d’une seconde partie de concert plus rock. Quand les dernière notes de « Johnny Be Good » s’éteignent, Martin Scorcese vient de filmer la naissance d’une des plus grandes fratries de l’histoire du rock.

L’album Johnny Winter sort quelques mois après ce triomphe, et son succès permet à Johnny de jouer dans la cour des grands. C’est ainsi que les tous jeunes musiciens de Led Zeppelin ont la mauvaise idée d’inviter le texan à effectuer la première partie de leur concert, dans sa ville natale. Une bonne partie de la ville était venue célébrer le retour de son fils prodigue. Sachant pour qui il ouvrait , Johnny gratifia les spectateurs d’une prestation très rock , tendue et puissante. Cet épisode trop peu raconté est un des grands moments de l’histoire du rock, une rencontre aussi historique que le passage de Hendrix en première partie d’Eric Clapton.

Ce soir là au Texas , le progrès musical changeait de visage , il renouait avec une certaine retenue , se focalisait de nouveau sur le rythme. Quand Johnny acheva sa prestation sur une version de highway 61 revisited boostée aux hormones , ses hôtes durent regretter de l’avoir invité.

La plus grande férocité de sa prestation n’était pas un simple calcul , elle correspondait à un virage musical profond. Ce virage, c’est second Winter qui allait l’incarner. Sorti en 1969, la même année que le premier Led zeppelin , second Winter représente tout ce que les descendants de Jimmy Page détruiront. Ce n’est pas pour rien que le disque fait cohabiter « highway 61 revisited 61 » et « Johnny be good » , il se place dans la lignée de cette légèreté irrésistible. En compagnie de son frère Edgard et d’un groupe plus fourni, Johnny combat le hard rock sur son propre terrain, sans reproduire ses travers.

Les solos sont rapides et courts , comme si la guitare se dépêchait de renouer avec le rythme qui fait l’essence de son mojo. C’est que Uncle John Turner est particulièrement en forme, il ressemble à un John Bonham ayant troqué sa folie bestiale pour une rigueur métronomique. Huste down in texas annonce d’ailleurs les déchainements heavy de Deep purple , tout en atteignant une efficacité rugueuse dont le groupe de Ritchie Blackmore ne pourrait même pas rêver

Le hard rock a pourtant déjà gagné la bataille , les mômes sont devenus accros à ses effets de manche dès que Jimmy Page a commencé à balancer ses solos pachydermiques. Mais toute une arrière garde a décidé de défendre le bastion du heavy blues jusqu’à la fin. Cette fin d’années soixante voit ainsi débarquer dans les bacs crickelwood green et sssh de ten years after , le premier album de taste, et bien sûr let it bleed des Stones. Second Winter est un des plus grands épisodes de cette résistance désespérée. Si ce disque avait éclipsé le premier album de Led zeppelin, le heavy metal n’aurait sans doute jamais existé, et le hard blues n’aurait pas servi à désigner tout et n’importe quoi.

Malgré le fait qu’il représente déjà la fin d’une époque, second Winter obtient un grand succès , mais son auteur  veut ralentir le rythme infernal de ses tournées. La pause qu’il s’autorise lui permet de monter un nouveau groupe , et de préparer la suite de sa brillante discographie. Mis au chômage technique, son frère Edgard en profite pour enregistrer son premier album solo.

Plus progressiste que son frère, Edgard a le regard tournée vers l’Angleterre , il s’émerveille devant ces groupes tentant de créer un rock « adulte ». Les anglais ont déjà abandonné le blues puriste , ils se servent désormais de la musique symphonique et jazz pour élargir le spectre musical du rock. Dans sa progression, la première face d’entrance s’inscrit dans le sillon de la génération de Yes.

Cet enchaînement de titres sublimés par des chœurs mélodieux et les larmoiements de violons et de piano rappelle d’ailleurs la somptuosité rêveuse du groupe de Steve Howe. Cette grande fresque pop sera d’ailleurs largement pillée par Todd Rundgren, qui en tirera la splendeur de son album Todd.
                                                                   
La cohérence des premiers titres est irréprochable, et pourrait donner des leçons aux plus grands virtuoses anglais. N’allez toutefois pas croire que les deux parties du disque sont comme deux pièces clairement délimitées. Progressivement, la symphonie se durcit, s’épure, jusqu’à exploser dans le brasier funk blues de « back in the blues. La seconde partie arrive ensuite comme une apothéose déchirante, le rock revenu à ses instincts primaires.

Alors que son frère semble se battre pour préserver un rock sobre et épuré, son frère signe un premier album aventureux et moderne. Johnny et Edgard deviennent alors les symboles du combat qui déchire les rockers en cette fin sixties début seventies.    
              
                                                                                                                                                                 

samedi 15 août 2020

Johnny Winter 2

Live at Bill Graham's Fillmore West 1969: Bloomfield, Gravenites ...


«  A une époque où tout fout le camp, dans un enfer où les gosses délirent sur des mélodies gluantes, Johnny Winter crée un oasis pour les derniers hommes sensés. Le rock n roll est comme les héros de ces saloperies de comics. Il peut se faire massacrer, torturer par des psychopathes meurtriers, recouvrir des pires immondices imaginables, il se relèvera toujours pour botter les fesses de ceux qui l’ont outragés. Le premier album de Johnny Winter ne représente rien d’autre que ce retour salutaire. C’est bien simple , depuis que Mike Bloomfield s’est mis à délirer sur east west , Johnny Winter est le dernier homme qui permet au rock de garder un peu de dignité. »

L’intéressé jubilait, un tel éloge réussit presque à faire rougir sa peau d’albinos. Il partageait en partie l’avis de son admirateur, mais aurait aimé pouvoir nuancer sa critique de Bloomfield. Le premier album du Butterfield blues band réussissait l’exploit d’apporter le Chicago blues aux masses.  Bloomfield et Paul Butterfield avaient jammé avec les grands prophètes du blues, et les avaient tant impressionnés qu’Howlin Wolf leur légua son groupe. On ne mesure pas l’ampleur du séisme déclenché par ce premier disque, le nombre de petits frères qu’il eut ensuite au pays et en Angleterre. Clapton, Canned Heat , et même Creedence clearwater revival , tous perpétuaient le swing électrique de ce premier disque.

Ce swing , Le Butterfield blues band l’a dans le sang , et il n’a pas disparu avec les expérimentations d’east west. La première face de l’album était d’ailleurs trempée dans le même mojo sacré que le premier album. Si la seconde face était plus aventureuse, le message donné aux autres musiciens restait clair : « Emmenez le truc où vous voulez mais n’oubliez pas votre swing en route ! »

Et ce swing , Bloomfield ne l’a jamais perdu , ses fils spirituels étaient d’ailleurs là pour le prouver. Un peu plus tôt , dans un disquaire du coin , Johnny avait pu écouter Happy trail de quicksilver messenger service , et le premier grateful dead. Ces deux disques étaient dans la droite lignée de ce que Bloomfield a engagé sur east west. Ce mojo là était plus mystique, ses échos devenaient hypnotiques, mais on était loin du saccage décrit par certains. Il s’agissait juste d’une génération se réappropriant le blues, pour remplacer le spleen des grands bluesmen par les rêves d’évasion de la jeunesse hippie. Si il défendait une vision beaucoup plus pure du blues, Johnny trouvait cette réappropriation saine.

Alors qu’il était dans ses pensées , un roadie vint enfin lui annoncer qu’il était temps de monter sur scène. Perdu dans ce bar, après que ses insomnies lui ait imposé une nouvelle nuit blanche, Mike Bloomfield n’en croyait pas ses yeux. Le guitariste au teint livide enchaînait les riffs à une vitesse folle, tout en réussissant à entretenir ces fameux échos, qui font la grandeur du blues. Se convulsant au rythme de ses accords, il criait ses refrains à contretemps, avec la conviction du grand Wolf au sommet de sa grandeur. Ses doigts émaciés parcouraient le manche de sa guitare avec une précision telle, qu’on avait l’impression que ses doigts étaient attirés par des aimants incrustés dans le manche.

Reprenant la tradition des grands troubadours noirs, il annonçait ses titres comme si l’idée lui était venue sur le moment. Bloomfield eu droit à un dépoussiérage du patrimoine blues, « back door man », « Hoochie coochie man » et « the hunter » retrouvant toute leur vitalité originelle entre les mains de ce virtuose au teint livide.

Après le concert, Bloomfield monte sur scène et demande une guitare. Spontanément, Johnny lui prête sa gibson , et sort de son étui une guitare blanche, qui sera immortalisée sur la pochette de captured live. Bloomfield entame spontanément le riff de catfish blues, et un dialogue s’installe entre les deux guitaristes. Après avoir rallongé ce boogie blues lors de longues minutes , Bloomfield dit simplement à Johnny de venir faire sa première partie au Fillmore le lendemain. Johnny n’eut pas besoin de répondre, les deux hommes s’étaient tout dit lors de leur passe d’armes bluesy.

Johnny Winter ne put fermer l’œil de la nuit, la pression liée à cette invitation lui interdisait tout repos. Le fillmore n’est pas une simple salle de concert , c’est un temple. A sa tête , Bill Graham annonce la musique de l’aire moderne. Par la seule force de son caractère légendaire, ce survivant de la shoah avait bâti un véritable empire , inventant ainsi le rock business. Les hippies le détestaient, et le décrivaient régulièrement comme un businessman venu profiter de la popularité du rock. Mais un homme uniquement attiré par le business n’aurait pas pu ouvrir sa salle en invitant un panel de musiciens inconnus. Les mother of invention, les allman Brother , et une bonne partie de la scène de San Francisco n’était rien avant de jouer dans sa salle. Bill leur a donné la chance qui leur permit de conquérir le monde, et les labels ont fait de sa salle un de leur terrain de chasse préféré.

Bref, c’était l’endroit où un groupe américain devait réussir, si il ne voulait pas finir sa vie dans les bars miteux. En plus, le concert que Johnny devait ouvrir promettait de devenir le plus grandiose de Bloomfield. Après quelques jours d’absence , le guitariste du Butterfield blues band avait invité Nick Gravenite. Le petit homme rondouillard était déjà une sommité dans le monde du blues , où on vantait sa voix envoutante et ses talents de songwritter. Des rumeurs annoncent d’ailleurs qu’il travaille sur des morceaux qui seront chantés par Janis Joplin.

Bref , il allait servir d’introduction au grand retour du plus grand bluesman de son temps. Il passa ainsi la nuit et la journée du lendemain à jouer le blues, jusqu’à atteindre la perfection. De cette manière, l’heure fatidique arriva vite et, en entrant dans la salle, il se sentit écrasé par l’immensité du bâtiment . Bill Graham l’accueillit en personne, lui montra comment brancher sa guitare à l’incroyable mur d’enceintes placé au fond de la scène , et essaya de le rassurer.

« Ne t’inquiète pas , tu joues sur la meilleure sonorisation de tout le pays . La seule chose que je te demande, c’est de faire au moins un rappel. Le seul qui ait essayé de refuser quand il est passé ici, c’est Mick Jagger. Je peux te dire que j’ai renvoyé ce con sur scène ! Stones ou pas , quand le public demande un rappel on lui donne ! »

Il n’osa préciser que sa position de première partie ne lui donnait pas forcément la liberté de prolonger sa prestation, et fut rassuré par l’ovation qui accueillit l’entrée de ses deux musiciens. Le groupe qui jouait sur « the progressive blues experiment » n’existait déjà plus, Johnny l’avait viré pour coller à la mode du power trio.

Comme souvent, cette tendance était venue d’Angleterre, où Cream dépassait les frontières de l’acid blues lors d’improvisations interminables. Féru de Jazz , Ginger Baker était le moteur de ces explorations sans filets, et son inventivité rythmique ne tardera pas à influencer une nouvelle génération de batteur.

Et puis il y’avait eu l’experience , le trio le plus emblématique de cette fin de sixties. Johnny avait été ébloui par « are you experience » , mais il savait que cette virtuosité unique ne pourrait qu’être caricaturée. Avec ses distorsions grandiloquentes, Hendrix avait initié une vision du guitar hero bien loin de sa finesse. Tous les magazines vantaient ainsi cette puissance déchirante, et une vitesse d’exécution à faire pâlir Alvin Lee.  On commençait déjà à voir débouler des groupes comme Blue cheers , Pink fairies , dont les guitaristes avaient pris les délires des journaux un peu trop au sérieux. Hendrix parvenait à donner à chacune de ses notes un écho passionné, comme si sa guitare n’était que le moyen d’expression de son âme voodoo, et cette virtuosité ne peut que disparaître avec lui.  

Dans cette époque, il y’avait une place à prendre pour un bluesmen comme Johnny Winter , et il comptait bien en profiter. A la batterie, John Turner imprime le rythme de « I’m yours and I’m her » , premier titre d’un second album que le trio espère enregistrer au plus vite. C’est un rock réduit à l’essentiel, un riff qui suit la tradition binaire de Chuck Berry, et dont Johnny ne s’éloigne jamais longtemps. C’est le début d’un round où Johnny travaille la foule au corps , lui réapprend à apprécier l’efficacité d’un rythme simple amplifié par un riff tranchant.  
Là où les autres ne font qu’accélérer au fur et à mesure de leurs prestation, Johnny semble au contraire ralentir le tempo, il laisse progressivement plus de place au groove originel.  Long Tall sally, summertime blues , back door man, tous ces titres sont joués avec le charisme nonchalant des grands du Missisipi. Ce soir, le blues reprend le contrôle de son enfant terrible, et copule avec lui dans une grand-messe vouée au mojo. Quand il achève sa prestation sur « I ‘ll drown in my tears » , il ressemble tout à fait à ses maîtres exploités.

Après une telle prestation, alors qu’il range sa guitare, un homme rondouillard s’approche de lui backstage.

-          Je me présente, Bruce Houghton, manageur et chercheur de talent pour Columbia.
-          Vous allez enregistrer mon second disque ?
-          Tu es direct gamin ! J’aime ça. Justement, pendant que tu jouais j’ai contacté les studios d’enregistrement. Ta place est réservée, tu signeras ton contrat là-bas.
-          Vous m’emmenez ?

Après avoir rameuté son trio, Johnny partit directement en studio. L’énergie de son concert n’était pas encore retombée, et il fallait capturer ça tant que le fer était encore chaud.          

mercredi 12 août 2020

dossier johnny et edgard winter partie 1

The Progressive Blues Experiment - Wikipedia

Né albinos comme son frère Edgard , John Dawson Winter entre pour la première fois au cinéma San Antonio. A une époque où la télévision n’est pas encore dans tous les foyers, le grand écran transmet des histoires qui font rêver toute une jeunesse. Ces années 50 marquent l’âge d’or du western, et les enfants se rejoignent régulièrement pour reproduire les grandes scènes de règlement de compte à OK Coral , Rio Bravo , ou la prisonnière du désert. Les gosses singeaient les postures de John Wayne et rêvaient de devenir cet homme courageux fort et intègre.

 Pourtant, John préférait voir Pete Kelly Blues, la réadaptation cinématographique d’une série télévisée à succès. Sombre histoire de clarinettiste tentant de faire survivre son groupe , au milieu des mafias et sous la prestation de syndicats corrompus , le film tranche avec les grands succès de l’époque. L’histoire se déroule à l’époque de la prohibition, et contient toute l’imagerie que l’on reliera plus tard au peuple du blues. Le héros n’est plus un gardien inflexible de l’ordre, mais un homme presque normal, qui se contente de survivre dans un environnement qui veut le détruire.

 Dans le rôle de Pete Kelly , Jack Webb singe l’air tourmenté d’un Humphrey Bogart, ce qui colle parfaitement à son rôle de musicien persécuté. Comme pour les bluesmen, la musique agit sur Pete Kelly comme un calmant, elle semble contenir une violence terrible. Derrière ses airs perdus, son regard triste, et ses mélodieux enchaînements de clarinette, Pete Kelly cache un passé terrible, que même le film n’osera dévoiler.

 Mais, plus que la poésie de cet homme seul contre tous, c’est la musique qui va marquer le jeune John. Plus précisément ce passage où, planté devant Ella Fitzgerald comme devant une divinité descendue sur terre, Pete Kelly écoute religieusement le titre qu’elle lui dédie. Comme son nom ne l’indique pas, Pete Kelly blues est un Jazz mélodieux, comme une lumière au milieu d’une scène particulièrement sombre.
 Le blues ayant pris la relève du Jazz, John passe les mois suivants à affiner son jeu de guitare. 

Pendant des heures, il se fait les dents sur les grands classiques du blues, épaulé par un frère multi instrumentiste, qui l’accompagne souvent au saxophone. Vite repérée lors de concours musicaux locaux, la fratrie sort un premier single sur un petit label. Intitulé school day blues , ce titre est le portrait d’un blues qui n’a pas encore totalement basculé dans le rock n roll. La notoriété du groupe de celui qui se fait désormais appeler Johnny Winter ne fait que grandir, mais elle reste encore cantonnée à son Texas natal.

 La vie du jeune texan va totalement basculer lorsque BB King vient jouer à Beaumont. L’homme est un dieu du blues, il fait partie des premiers bluesmen ayant flirté avec la fée électricité. D’ailleurs, BB voue un véritable culte à sa guitare électrique, et lui a dédié la chanson Lucille. Parler de BB King , c’est raconter la genèse de ce rythm n blues qui résonnera jusqu’en Angleterre. Ce n’est pas pour rien que, après la sortie de « the trill is gone », en 1969, les Stones s’empresseront d’inviter un de leur père spirituel à jouer avec eux.

 Pour l’heure, nous sommes en 1962 , et ses tubes ont surtout marqué les mordus de blues. Suite aux tubes qu’il sort à la chaîne, un nouveau label l’a récupéré, et il se prépare à fêter ça en sortant un live historique. Son heure est proche , et BB king en est conscient. Il traverse les spectateurs avec la classe grandiloquente du maître entrant dans ses appartements. Sa guitare, assortie à son smoking, est comme une partie de son corps imposant.

 Alors qu’il passe à côté des premiers rangs, une main lui attrape fermement la manche. Vaguement surpris , BB King gratifie le perturbateur d’un sourire chaleureux.
 
-          Allons gamin. Tu ne vas pas priver le public de sa dose de blues.
-          Non je vais lui offrir avec vous !

Les cheveux courts parfaitement coiffés, Johnny porte le même costume que son modèle, comme si il savait en entrant qu’il jouerait avec lui. Dans son autre main, l’albinos tient fermement sa guitare Gibson, et ses doigts semblent déjà former un accord. Ce n’est pas la première fois que Johnny interpelle ainsi un autre musicien, c’est même devenu une tradition dans les bars texans. Les musiciens blues ont compris que, si il ne veulent pas que le blues subisse le même déclin que le jazz , il faut qu’ils transmettent leur toucher aux jeunes.

 C’est ainsi que, dans plusieurs bars américains, de jeunes blancs becs portent un grand coup à la ségrégation , en jouant le blues avec leurs modèles noirs. BB King savait que ce partage existait, il savait que le blues devait beaucoup à ces rencontres inattendues , et il invitât le jeune homme à monter sur scène. Après lui avoir demandé son nom, BB cria comme pour adouber son poulain du jour :
 -          Mesdames et Messieurs faites un triomphe à Johnny Winter !

 Il s’aperçut vite que son invité était loin d’être un rigolo , même si son toucher lui paraissait un peu rapide. Il y’a, chez beaucoup de bluesmen, un culte du silence. Une note ne se brusque pas, il faut la laisser résonner et s’épanouir dans de grands espaces vides. C’est la loi sacrée du blues , le feeling , et ce n’est pas parce que BB était passé à l’électricité qu’il l’avait oublié. Mais ce jeune-là avait quelque chose, il sonnait un peu comme Chuck Berry sans réellement s’éloigner du feeling des pionniers.

 Les titres  s’enchaînent à une vitesse folle, le toucher du jeune homme en augmente l’énergie tout en restant respectueux du groove originel. A la fin de Lucille, BB se contente de dire à Johnny « tu iras loin si tu ne te laisses pas grignoter par le succès ». Johnny aura tout le temps de comprendre cette remarque quand le succès en question viendra à lui. Après cette rencontre, Johnny parvient à jouer avec Muddy Waters et quelques gloires du Chicago blues , avant d’enregistrer son premier album pour un label local.

 Nous sommes alors à la fin des sixties, et le psychédélisme commence à produire ses premiers chefs-d’œuvre. Diffusé par les Merry Prankers , le LSD a fini entre les mains de Mike Bloomfield , qui a suivi son influence pour écrire east west. Le disque du même nom est sorti en 1966, et la scène de San Franscico a eu une révélation en écoutant Bloomfield jouer son chef d’œuvre lors d’un concert du Paul Butterfield Blues band.

 Le Grateful dead suivit cette voie sur son premier album, et fut rapidement rejoint par Quicksilver messenger service et autres country joe and the fish. Dans ce contexte, « the progressive blues experiment » ne pouvait sonner comme un disque oublié d’Howlin Wolf. L’introduction de rollin and tumbling suit donc le nouveau mojo inventé par Bloomfield. Son riff est un mantra enivrant , un tourbillon dans lequel le blues trouve une nouvelle mystique.

 Mais Johnny ne sera pas un de ces hippies réinventant le blues , cette ouverture est avant tout une feinte pour ramener tout le monde au bercail.  Nommé « tribute to muddy » sa reprise de catfish blues rétablit le mojo originel , elle est la première étape dans son entreprise de nettoyage du blues. Ses riffs décuplent le tranchant de ses modèles les plus féroces, font passer Bo Diddley et John Lee Hooker pour des musiciens de bal.

 Cette violence lacère le rêve psychédélique, montre au blues qu’il peut se réinventer sans se renier. « the progressive blues experiment » est le disque d’un homme qui a décidé de défendre férocement le bastion de la tradition, et qui décoche ses riffs comme des flèches visant les modes éphémères.
 Les fans de l’albinos diront peut être de nos jours que ce premier disque était un premier essai un peu mou, que sa  guitare parait bien polie par rapport aux dynamites qui suivront , et qu’un disque de reprises ne peut être considéré comme un classique. C’est faire preuve d’un anachronisme impardonnable.

 Comparez ce disque aux autres albums de blues de cette année-là , et vous comprendrez où réside son génie. A part du côté des anglais, aucun autre ne sort des riffs si tranchants , et ceux qui y parviennent ne le font jamais avec un tel respect pour le blues originel. Lors de la tournée de promotion, Johnny Winter passe par San Francisco, où un certain Mike Bloomfield est présent pour juger le « phénomène texan ».
          
                                                                                        

dimanche 9 août 2020

Rock Hippie 5



Arrivé sur le lieu du concert, Clint voit les angels bien en place, leurs motos positionnées devant la scène en guise de barrière. Cette disposition est déjà un mauvais présage. Si les angels cherchaient vraiment l’apaisement, ils n’auraient pas exposé ce qu’ils ont de plus précieux à une foule qui promettait d’être agitée. La moto est le bien sacré du angels , le totem pour lequel il peut tuer ou mourir. Comment imaginer que cette foule, qui semble déjà agitée alors que le concert n’a pas encore commencé, ne va pas bousculer un des précieux engins ?

Santana est chargé d’ouvrir la soirée, dans une ambiance où plane déjà une tension menaçante. Clint a déjà vu le guitariste à Woodstock et, si tous semblaient admiratifs devant ses improvisations alambiquées, son rock au rythme cubain l’avait laissé de marbre. Il ne voyait là-dedans qu’une tentative maladroite de rapprocher le rock avec un exotisme qui lui était étranger. Pour lui, les percutions cubaines n’étaient qu’un faire-valoir, un gadget pour impressionner le chaland. C’était à peu près aussi ennuyeux qu’un George Harrison prenant des leçons de raga indien auprès de Ravi Shankar.

Le public semblait apprécier ce barnum , mais la pression exercée par les derniers rangs laissait craindre un accident qui n’allait pas tarder. Alors que Santana est en plein milieu de l’improvisation tapageuse qui clot « soul sacrifice », le premier rang cède. Excédé , un des spectateurs pousse une des motos servant de barrière. Placés les uns contre les autres, tous les véhicules s’effondrent comme une série de dominos. Alors que le dernier d’entres eux n’a pas encore touché le sol, c’est une marée sanguinaire qui s’abat sur le public. Terrifié Santana n’ose interrompre une prestation qui, de toute façon, touche à sa fin.  

Arrivé après ce massacre, Jefferson Airplane n’aura pas la même retenue. Les musiciens s’installent après la bataille, quand des scènes proches d’une petite guerre civile ont laissé place à un calme menaçant. Altamont était devenue comme une bonbonne de gaz sous pression, et il suffirait d’une étincelle pour que tout s’embrase. Cette étincelle viendra d’un fou qui, pour se venger de l’attaque ultra violente des angels , met le feu à une de leurs motos.

Les bikers n’ont pas identifié le vandale, mais un blasphème pareil ne peut rester impuni. Armés de queues de billards, les sauvages foncent de nouveau dans la foule. Leader de l’Airplane , Maty Balin est si aveuglé par son idéologie qu’il oublie une des règles de survie les plus élémentaires. Ses premières harangues pacifistes n’avait provoqué que le rire amusé des agresseurs , montrant ainsi le fossé existant entre les utopies du musicien et la situation réelle. Cette réalité, Marty Balin ne pouvait la supporter et, comme il le sait très bien l’incompréhension engendre la violence, et ce même chez les plus irréprochables pacifistes. Le voilà donc qui éructe, pendant que son groupe n’ose s’arrêter de jouer.

« Hé tas de crétins crasseux vous allez arrêter votre cirque. On n’est pas dans une de vos cages à chimpanzés ! »

On ne résonne pas un barbare avec des mots et, si le  fou en arrive à l’injure, sa témérité se transforme en suicide. Clint n’en revenait pas, même quand certains angels commençaient à s’approcher de lui, Marty les injuriait avec une violence inouïe. Le musicien pensait sans doute que sa morale le mettait à l’abri d’une armée aussi primaire, mais un con qui cogne viendra toujours à bout d’un intellectuel qui se laisse cogner. Marty Balin s’est pris pour dieu, son martyr sera spectaculaire, un véritable lynchage en public. On en arriverait presque à s’étonner qu’un corps aussi chétif puisse supporter de tels outrages, l’être humain est décidément plein de ressources.

C’est là que les Stones débarquent, mais l’hélicoptère ne peut les déposer trop près de la scène. Impressionné par la tension palpable, le groupe traverse nerveusement la foule. Au milieu du périple, un homme frappe violement Mick Jagger au visage. Conscient de la gravité de la situation, la chanteur de « Street Fighting man » décide d’ignorer l’incident. Arrivé sur scène, des angels alcoolisés ont pris la place de l’Airplane, et ne semblent pas décidés à libérer l’espace. Un communiqué annonce alors à la foule que les Stones ne démarreront le concert que lorsque la scène sera libre. Les gangsters acceptent donc de quitter la scène, après avoir imposé une attente qui n’a fait qu’accentuer la pression qui règne sur le site.

Planqué backstage , Clint a déjà contacté les hélicoptères chargés de sortir tous les musiciens de cet enfer. Il ne veut pas devenir un martyr du rêve hippie, mais il sait aussi que les stones ne pourront décoller avant la fin de leur prestation. Un départ précipité ne ferait que transformer Altamont en champ de bataille, ce qui ferait dire à beaucoup que les stones sont responsables d’un massacre. Pendant la prestation, les bagarres se multiplient, les angels poursuivent leurs expéditions punitives d’une violence inouïe. Déjà secoué à son arrivée, Jagger est trop effrayé pour que ses mots apaisent les esprits, il sort les mêmes slogans creux que Balin sans aucune conviction.

Bizarrement, la prestation des stones est parfaite, comme si la violence nourrissait leur blues subversif. Keith Richard jouait ses riffs avec une justesse métronomique, Charlie Watt était au sommet de son swing, et Jagger oubliait sa peur pour se laisser emporter par « la musique du diable ». Dans la foule, un dandy sous amphétamine sort son flingue, sans que personne n’ait le temps de comprendre ce qu’il voulait viser. La réaction des angels fut aussi fulgurante que radicale. Poignardé une première fois au milieu de la foule, Meredith Hunter est emmené un peu plus loin pour être achevé.

Filmé par les caméras chargées d’immortaliser ce « nouveau woodstock » , l’évènement représente l’assassinat du rêve hippie. Sur scène, les stones n’ont rien vu, et s’empressent de lancer les dernières notes de « sympathy for the devil ». Alors que les derniers échos de cette salsa diabolique ne se sont pas encore éteints , tous les musiciens sont déjà dans l’hélicoptère qui doit les mener en lieu sûr.  

Assis face au Grateful dead et Jagger , Clint aimerait les insulter , leur dire à quel point leur faute est grave , mais les mots lui manquent.

« Déposez moi dans le premier avion pour Détroit ».

Jerry Garcia le regarde interloqué.

«  Que veux-tu faire là-bas »
« Renouer avec le réel . Avec un peu de chance je parviendrais à mettre assez d’argent de côté pour ouvrir mon disquaire. »  

Jerry Garcia ne protesta pas et, arrivé à l’aéroport , il insiste pour payer le voyage de son ami. Il savait que Clint n’était pas comme lui, seuls les musiciens peuvent vivre éternellement en dehors de la réalité. Le mouvement hippie avait fait croire à Clint qu’une autre vie était possible, plus libre et palpitante, le massacre d’Altamont venait de briser ce rêve.  

Il allait donc faire son deuil en se plongeant dans les usines sordides de la motor city.                
                                                                                                                                  

samedi 8 août 2020

Nouvelle rock hippie 4

Mon chien est athée : il ne croit plus en moi.
François Cavanna

Le disque à peine sorti , Lou convoque Clint et son manager dans un bar du centre-ville.
Steve Seasnick a pris la place de Warhol , qui a été viré sans ménagement dès son retour de voyage. Quand Lou lui a annoncé son éviction, le publicitaire excentrique s’est mis à hurler comme un cochon qu’on égorge.

« C’est mon groupe ! Sans moi vous ne seriez qu’une bande de ratés ! »

Le premier disque s’était vendu à un nombre ridicule d’exemplaires, mais Warhol pensait encore que son rôle dans le groupe a été déterminant. Il est vrai qu’il a créé la première version du Velvet, mais le second album a montré que ce n’était pas la version la plus aboutie. Ce qui inquiétait Clint, ce n’était pas le départ de Warhol, dont la potiche allemande commençait à agacer tout le monde, mais le caractère de Seasnick.

Cet homme est une serpillère, il croit fermement que le velvet va devenir un groupe énorme, et est prêt à tout accepter pour avoir sa part du gâteau. Depuis son arrivée , il sire les pompes de Lou , vantant sans cesse sa prose et la moindre de ses trouvailles. Ses compliments sont le virus qui infecte un esprit déjà mégalomane, et ce qui devait arriver arriva.

Comme Clint l’a déjà remarqué, Lou est un mégalomane, et l’éviction de Warhol neutralise le seul frein à ses ambitions. Assis face à son interlocuteur, il les regarde avec le sourire narquois des mauvais jours.

« Je veux que John Cale dégage. »

La phrase claque comme un coup de fouet, et laisse Clint et Seasnick assommés quelques secondes. Il est vrai que les expérimentations de Cale avait déjà mené à de nombreux accrochages dans le groupe. Un jour, il avait tenté de jouer sur un ampli plongé dans une bassine d’eau, faisant ainsi exploser le matériel. Mais Lou ne sera plus jamais aussi grandiose qu’avec John Cale, il est le seul à pouvoir mettre de telles mélodies sur ses mots. John Cale et Lou Reed sont l’équivalent américain du duo Lennon McCartney , leur rencontre a marqué le début d’une nouvelle ère pour la pop.

Seasnick se décide enfin à contredire son maître. Mais sa voix est tremblante, sa main est secouée par l’émotion, et son cri ressemble plus à la plainte d’un enfant effrayé par la colère de son père, qu’à une réaction autoritaire.
                                                                                                                                          
« C’est hors de question ! Tu ne peux pas faire une chose pareil ! Le groupe n’y survivrait pas ! »

Lou est assez intelligent pour comprendre qu’il est en position de force, et qu’il faut achever la bête avant qu’elle ne se réveille.

« Le groupe peut survivre au départ de John , mais pas au mien. Si tu penses le contraire , je te laisse le choix , si John reste c’est moi qui partirais ».

La réponse de Seasnick était évidente, le Velvet est l’incarnation de la prose tourmentée de Lou, sans elle il n’avait plus de raison d’exister. Dégoûté par ce chantage lamentable, Clint part sans dire un mot , son passage à New York se terminait par une autre déception .  En sortant de la pièce, il décida de retourner à San Francisco, en espérant y trouver autre chose que des utopistes défoncés.

C’est encore une dépêche qui lui donne un mauvais pressentiment : « Les stones préparent leur Woodstock à Altamont ». A part le lieu, peu d’informations étaient disponible sur ce concert , qui devait se dérouler au mois de décembre. Il était à New York quand, quelques mois plus tôt, le miracle de Woodstock était diffusé sur toutes les chaines de télévisions. Cet événement représentait quelque chose de magnifique, c’était les trois seuls jours durant lesquels l’idéal peace and love s’est réalisé. Les organisateurs ne voulaient pas que le festival soit gratuit, mais l’organisation fut si calamiteuse que personne ne prix le risque de tenir la caisse.

La foule énorme était entassée dans le bazar le plus complet , privée de sanitaire et mal ravitaillée par hélicoptère . A cause du retard des autres artistes, un chanteur folk a dû tenir la scène des heures durant , et seul son charisme mystique semble avoir permis d’éviter une émeute. Non seulement personne n’a pété les plombs , mais la scène vit défiler les meilleures prestations des nouveaux géants du rock moderne.

Sly and the family stones furent plus groovy que jamais, Hendrix n’a jamais autant mérité son surnom de Voodoo Child, et je ne parle même pas d’Alvin Lee et Johnny Winter redéfinissant le blues devant une foule médusée. Très attendu ce soir-là , Grateful dead fut un des rares groupes à rater son rendez-vous avec l’histoire. La pluie battante avait assommé un public affaibli par la faim, et les improvisations du groupe de Jerry Garcia se transformaient en folk soporifique. Il fallut toute l’énergie du rock puriste de Creedence Cleawater Revival pour ranimer une foule achevée par cette prestation calamiteuse.

Woodstoock aurait dû être unique, sa force était celle d’un mouvement en train de s’éteindre. Mais « le plus grand groupe du monde » n’avait pas eu son événement historique, et Mick Jagger voulait transformer l’expression de l’utopie d’une génération en monument à sa gloire. Il comptait bien en apprendre plus en retournant sur les terres où son histoire a commencé.  

Une affiche placée près du Fillmore lui annonce fièrement, « le retour du plus grand groupe de la côte à San Francisco ! » Le Grateful dead a décidé de se régénérer sur ses terres , et Clint s’empresse de rejoindre le lieu indiqué pour assister à sa résurrection. Rien ne semblait avoir bougé depuis son retour, et la foule était toujours composée de freaks chargés aux sourires béats.

Le groupe a pris quelques minutes à trouver son rythme, ses improvisations montaient doucement en pression , jusqu’à atteindre la symbiose que tout le monde attendait. La musique du dead est portée par une formule qui dépasse toute logique, c’est la beauté qu’atteignait parfois les big bang de jazz au terme de longues minutes d’improvisation. Aucun de leurs titres n’est joué deux fois de la même façon , et dark star ne sera jamais aussi fascinant que ce soir-là. Elle était enfin face à lui cette musique tant fantasmée, qui devait ouvrir l’esprit du public en coupant tous ses liens avec la laideur du réel.

A la fin du concert , Jerry Garcia se précipite sur Clint, alors qu’il n’est visiblement pas bien redescendu des sommets qu’il a visités.

« Tu as vu ! On a atteint le sommet de la montagne découverte par le Butterfield blues band ! »
«  J’ai entendu ça . Personne ne pourra faire mieux »

Jerry Garcias remarque soudain les disques que Clint tient sous le bras, les deux premiers Velvet et le premier Doors , qui sont comme des trophées qu’il ramène de son long voyage.

«  Tu sais que les Doors sont passés dans le coin pendant ton absence ? Morrison a mis la foule dans un état de démence ingérable. Heureusement, personne n’a été blessé, mais ce type a un charisme diabolique. C’est à cause de type comme lui que notre rêve d’harmonie fout le camp. »

Clint allait répondre mais, comme si il devinait sa protestation, Jerry Garcia lui coupe la parole.

« Tes albums m’intriguent. Vient dans notre refuge, on a récupéré la sonorisation des acides test et un tourne disque. On passera tes disques pendant que tu racontes ton périple. »

Le refuge était en réalité une grotte au milieu du décor de western qui marquait le début de notre histoire. Pendant la longue marche qui les mène au refuge, Jerry Garcia raconte la découverte de ce nouveau repaire de musiciens égarés.

« Un jour , alors qu’on marchait dans le désert défoncé à l’acide, une espèce de blues voodoo sortait de cette grotte. Le type qui produisait cette musique se faisait appeler Dr John , et il venait du Bayou Louisiannais. Je te ferais écouter son album, c’est une véritable réinvention du mojo du père Muddy. »

Le groupe arrive enfin à destination , Garcia s’allonge face au dispositif sonore , et demande à son invité de mettre « cet album bizarre avec une banane ». Clint pose délicatement l’aiguille sur le sillon, et les premières notes de « Venus in furs » se diffusent en un écho hypnotique. Jerry Garcia écoute sans bouger , mais son regard concentré montre une intense activité intellectuelle. Il restera ainsi pendant toute la durée du disque, et sortira de son mutisme avec un sourire amère.

« La beauté a changé de camp. »
                                                                                                                                                         
La réaction de Garcia permit à Clint de comprendre pourquoi Warhol avait imposé Nico au Velvet. Son timbre mélancolique était assez proche de celui d’une Grace Slick, pour que les freaks acceptent l’évidence. Elle permettait au Velvet d’annoncer la fin d’une époque en douceur, elle faisait accepter la fin d’un rêve que tous pensaient éternel. Ce constat rendait l’album encore plus mythique, on avait bien affaire à une œuvre maudite, qui a échoué en ayant tout pour réussir.

Jerry Garcia regarde ensuite les deux autres disques posés sur la platine. 

« Les deux autres sont du même groupe ? »
«  Seulement un . »
« Met le . »

Clint  n’ose prévenir son ami du choc qui l’attend, et se contente de poser l’aiguille sur le premier morceau de « White light white heat ». C’est un son agressif qui s’échappe soudain des enceintes, comme le crissement insupportable de tôles que l’on froisse. 

Tout le dead commence à avoir un bad trip , et ils hurlent à l’unisson pour demander la fin du massacre.
« Arrête cette horreur ! On n’a jamais entendu un truc aussi insupportable ! » 

Avec ce second disque , le velvet mettait les hippies face à une réalité qu’ils ne supportaient pas , il exprimait une violence refoulée qui ne demandait qu’à se déchaîner . Le rock avait désormais ses frontières culturelles, et un junkie de New York n’avait plus rien à voir avec l’hédoniste de San Francisco. Leurs réalités se séparaient car San Francisco avait du retard sur le reste du monde, et si les frontières culturelles resteront, chaque mouvement allait bientôt exprimer la même violence.

Jerry Garcia ne le savait pas, mais il était déjà le vétéran d’une guerre perdue, le porte-parole d’un pacifisme devenu hors sol. D’ailleurs, le visage de Jerry Garcia prend soudain un air grave.

-          Je dois te parler sérieusement. Tu étais à Woodstock ?
-          Non , mais j’ai vu les images à la télé , comme tout le monde. 
-          Pour le dead , ce fut un enfer.
Sa voix montait progressivement , et son regard de fou désespéré lui donnait l’allure d’un ayatollah prédisant la fin du monde.

-          On a commencé au milieu d’une pluie torrentielle ! Comme si dieu lui-même voulait anéantir notre prestation ! Nos frères et sœurs étaient assommés par la faim et le manque de sommeil ! La terre se liquéfiant sous leurs pieds, comme une bassine pleine de vase ! On aurait dû représenter un oasis au milieu de l’enfer ! Au lieu de ça on a été les responsables d’une torture collective ! On n’a pas trouvé la porte ! On a raté cette putain de porte !!!

Essoufflé, Jerry Garcia tremble de rage , il a vécu ce soir-là l’échec que chaque homme vit au moins une fois , cette tache dans le récit de notre existence qu’on ne se pardonne jamais. Pour certain, cet échec prend les traits d’une femme, d’une voiture, d’un poste , ou d’un match de foot, pour Jerry Garcia il se nomme Woodstock. Il reprend ainsi son récit d’une voix douce et plaintive.

-          Tu sais , chaque groupe joue pour avoir accès à UNE chance . Tout le monde sait que la deuxième n’existe pas.

Après avoir dit ça, le visage de Gerry Garcia s’illumine de nouveau, prouvant que l’optimisme de l’homme est aussi immortel que son orgueil.

-          Les Stones m’ont contacté , ils cherchent un service d’ordre pour le concert qui immortalisera leur gloire. Avec les ennuis qu’ils ont en Angleterre, les stones ne supportent plus les flics, ils veulent une solution alternative.
                                
La dessus Jerry Garcia laisse un blanc , comme pour deviner l’arrivée d’une réaction qu’il redoute, tout en sachant qu’elle est inévitable. Clint ne réagit pas, son mauvais pressentiment se précise mais il veut que son hôte aille au bout de ses explications.  

-          Du coup j’ai emmené Jagger au QG des Hells angels , ils ont déjà assuré l’ordre pour quelques concerts de Janis Joplin , et ont accepté de le faire pour Altamont. Ils demandent juste à avoir accès à la bière gratuitement.

Cette déclaration fit pâlir Clint, il imaginait déjà une armée de Angels saouls massacrant la foule à coup de chaînes de fer.

-          Mais vous êtes malade ! Vous allez demander à des barbares d’assurer l’ordre tout en leur donnant de quoi se saouler !
-          C’est marrant Bill Graham a eu la même réaction, il a failli nous casser la figure quand on lui a annoncé.
-          Tu m’étonnes ! Vous allez envoyer des dizaines de jeunes à l’abattoir pour satisfaire vos égos. Mick Jagger a une excuse, il ne connait pas les Angels . Mais toi tu sais de quoi ils sont capables.
-          Justement ! Ramènes toi et tu verras qu’ils ne sont qu’un élément de la grande harmonie humaine.

Clint ne put retenir une grimace en entendant cette phrase , qui résumait tout ce qui le dégoûtait chez les hippies. Mais il fallait qu’il voit ça ,son instinct lui soufflait qu’il sera un électrochoc mettant fin à cette philosophie de bisounours
.
-          J’y serais. Mais j’espère que tu te rends compte du risque que tu prends.  
-          Je prends le risque d’entrer dans l’histoire.
-          Oui , reste à savoir le rôle que tu y tiendras.

La dessus tout le monde embarque dans le camping-car du groupe.
En route pour Altamont.

mercredi 5 août 2020

Rock In Progress numéro 8

YMC est de retour pour ce huitième numéros dédié à Spark!
Le magazine est téléchargeable ici ou en cliquant sur la miniature sur le coté du site .

mardi 4 août 2020

FAITH NO MORE : The real thing (1989)

Formation :
Mike Patton : chant
Jim Martin : guitare
Roddy Bottum : claviers
Billy Gould : basse
Mike Bordin : batterie



Années 80 : Faith No More vient de sortir deux albums, « We care a lot » assez anecdotique puis « Introduce Yourself » plus intéressant et qui figurent avec d'autres disques (de Red Hot Chili Peppers ou Fishbone notamment) parmi les albums précurseurs de la scène "fusion" qui va exploser dans les années 90s, mélange de métal, de funk, de rap voire de punk suivant les groupes.
Chuck Mosley, le chanteur, qui ne s’entend plus avec le reste du groupe part et est remplacé par un nouveau venu Mike Patton. Son arrivée apporte indéniablement un souffle nouveau et va révolutionner le groupe qui tout en restant dans le genre « fusion » et toujours ouvert à différents styles musicaux, va effectuer un virage métal.
D’emblée on sent que vocalement Mike Patton, qui en 15 jours compose l’ensemble des textes avant l’enregistrement, est supérieur à Mosley, le dépasse, avec un registre plus étendu, il amène une dimension nouvelle par ses capacités à s’adapter et à maîtriser presque tous les genres musicaux y compris l’expérimental (mais avant tout le métal et le phrasé rap) et surtout une voix un brin plus déjantée, plus démonstrative, expressive, moins monocorde, moins terne.

Le son également est nettement plus incisif sur cet album, ce qui le rend plus efficace qu’ « Introduce Yourself », plus puissant, mieux produit (pourtant le label et le producteur sont les mêmes – sans doute plus de moyens).
« Introduce Yourself » malgré ses imperfections était un album avec un charme particulier et une ambiance spéciale qu’on ne retrouve pas entièrement ici (certains ne seront forcément pas d’accord). Toujours est-il que si « Introduce Yourself » et « The Real Thing » ont une base musicale commune les deux albums sont assez différents.

« The real thing », le troisième album de Faith no more, sort donc en 1989.
FNM alterne les styles et les ambiances et on a déjà un aperçu de ce que sera leur chef d’oeuvre « Angel Dust » (où cette variation sera plus poussée et plus réussie encore).
On passe d’un genre musical à l’autre avec aisance même si le métal reste le fil conducteur (mais encore une fois Angel Dust poussera à tout point de vue les limites un peu plus loin dans la démesure et franchira un cap).
En tout cas FNM est le premier groupe a avoir mis une telle dose de rap et de funk dans son métal. C’est un nouveau Faith no more que déboule pour un album qui va s’avérer marquant.

Les riffs de guitares sont plus tranchants mais globalement – et c’est rare – le clavier et la basse sont loin d'être négligés, bien au contraire.
L’utilisation du clavier est magistrale (déjà sur l’album précédent il est vrai) : sur « From out to nowhere » le très bon titre qui ouvre l’album, « The real thing » et l’excellent instrumental « Woodpecker from Mars » notamment, il apporte une atmosphère et une coloration aux morceaux, leur donne une autre dimension, comme une touche de peinture qui change un tableau.
« Epic » est le single du disque avec son intro et ses passages rap métal très réussis, assez remarquable en intensité. Le style du groupe est parfaitement résumé dans ce titre. Du rap métal 3 ans avant Rage Against the machine.
« Surprise ! You’re dead » lui sonne quasiment thrash métal et ne ferait pas tâche sur un album de Metallica.

« Zombie eaters » c’est la pièce maîtresse de l’album, plus complexe, entre ballade et heavy rock, le meilleur titre avec « The real thing » et  « Woodpecker from Mars » , « The real thing » étant davantage dans l’expérimental et qui mixe ambiances à géométrie variables. Pour mieux désorienter l’auditeur.
« Underwater love » est le seul titre un peu faiblard et sans grande originalité de l’album.
L’instrumental « Woodpecker from Mars » est remarquable avec en avant – ce qui est rare – la basse et le clavier qui se taillent la part du lion ; changements de rythme, break, un grand morceau.

« War Pigs », la reprise de Black Sabbath est à la fois réussie et décevante; très bien certes mais beaucoup trop fidèle à l’original.
Quand on s’appelle Faith no more on doit prendre des risques sur ce genre de reprise et nous donner une version différente et plus déjantée qu’une simple copie.
Je m’attendais donc à mieux, dommage, étant entendu que War Pigs reste un immense morceau.

Enfin « Edge of the world » qui clôture l’album est une très belle ballade, qui montre que FNM est aussi doué sur ce style musical.
Si « The real thing » est moins original et moins diversifié que ne le sera l’album suivant « Angel Dust », moins dans la créativité (avec Angel Dust Faith no more rend une copie quasi parfaite) il est néanmoins très convaincant.

En tout cas un must du rock fusion de cet fin des années 80 et qui inaugure ces 90s où les barrières auront véritablement explosé entre les styles.