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samedi 12 septembre 2020

Warren Hayne 3

GOV'T MULE: Dose: Avis/Chronique

La batterie déclenche des détonations sismiques, la guitare hurle comme une sirène annonçant l’apocalypse. Cette ouverture sur blind man in the dark est chargée de toute la puissance accumulée lors de la dernière tournée. Second album du groupe , Dose ne pouvait trouver meilleure introduction. Le groupe déclenche une tempête heavy rock, broie le fantôme de l’Allman Brother Band dans un riff sanguinaire. Déjà joué lors du concert au roseland balroom , trane est une poudrière menaçant de s’enflammer. Tout le charme de ce titre tient dans son groove pesant, sa noirceur menaçante.

Les chorus de guitare rugissent comme une bête prête à mordre , la batterie semble marquer le pas d’une procession funèbre. Dose est un second disque tendu , ses jams sont tranchantes comme un solo de Ritchie Blackmore. Thelonious Beck transforme le boom boom de Hooker en explosion heavy rock , un séisme donnant à chaque pulsation de batterie des airs de décharges dévastatrices. Warren Hayne ne retient plus ses coups , ses solos tonnent désormais comme des décharges de canons frappant le mur de la tradition sudiste. Entre deux éruptions, des titres comme game face laissent la mélodie s’envoler dans des bulles aériennes , doux relent psychédélique réveillant les grandes heures de San Francisco.

La violence de Gov’t mule n’est pas un artifice pour impressionner le chaland, c’est un ingrédient dans son tableau rempli de contrastes. Cette violence accentue la grandiloquence des refrains, donne au chant des airs de supplication face à l’apocalypse , et la puissance reste un émissaire au service de la mélodie.

La ballade towering fool annonce une seconde partie plus apaisée. La mélodie est douce , presque tendre , c’est un ange que le groupe n’ose brusquer. Les solos rendent hommage à ce blues tranquille , ils s’élèvent comme David Gilmour sur Confortably numb. Ce genre de blues rêveur fait le lien entre le monde virtuose du Floyd et la rugosité sudiste , il rappelle que Gov’t mule se nourrit à ces deux mamelles antagonistes. La basse de « Birth of the Mule » sonne d’ailleurs comme la contrebasse de Charle Mingus , dirigeant ainsi un free jazz heavy, dont les saccades boogie saluent la naissance du rock sudiste. Là-dessus, la guitare hurle comme une âme damnée,  elle fait penser que le Black sabbath des premières heures s’est joint à cette improvisation folle.

La gloire de Warren Hayne se situe justement dans cette capacité à marier la carpe et le lapin , en restant fermement enraciné dans le passé. Il faut entendre son groupe reprendre John the revelator de Blind Wille Johnson pour comprendre. Ce qui était un gospel blues terreux devient une grande messe voodoo aux accents bluegrass.

Pris dans ce tourbillon mystique , les lamentations de Warren Hayne semblent tutoyer les grands esprits. La tradition danse une valse fascinante, les fantômes du passé accouchent d’une mélodie unique. Les mélodies de Gov’t mule ont le charisme de ces vieux disques qui dorment dans les caves des grands labels, ces documents retraçant une époque où tout était à inventer.

Les critiques pourront toujours chercher , dans le moindre solo ou la moindre note , les traces d’un plagiat de classiques du passé. Cette recherche laborieuse ne fera que faire grandir leur admiration face à cet édifice novateur fait d’un bois venu d’un autre âge. Si le groupe parvient à rapprocher des éléments en apparence opposés , c’est qu’il joue comme si tout restait à inventer.

Après tout , Chuck Berry n’a fait qu’accélérer le blues , Sun Ra a joué du bebop pendant des années , et les premiers hard rockers n’étaient que des bluesmen blancs. Mais ceux-là s’étaient approprié ce patrimoine , et l’emmenaient progressivement sur des chemins de plus en plus inexplorés. C’est exactement ce que fait Gov’t Mule avec ce Dose.

Ce second album est aussi le début d’une période de maturation qui va, progressivement, mener la mule à produire des mélodies de plus en plus riches.

Après la sortie de Dose , Gov’t Mule effectue une série de concerts monumentaux , où il réinvente ses standards entre deux titres de ses albums. ZZ top , Black Sabbath , Neil Young , les classiques se réinventent ainsi dans des prestations qui n’ont rien de nostalgiques. Sorti après cette série de concerts triomphaux , life before insanity est un disque plus anglophile que son prédécesseur. Le boogie le plus gras côtoie ainsi les mélodies tolkenniennes de Led Zeppelin , les ballades font preuve d’une douceur pop digne des sixties. Il y a un monde entre wandering child et life before insanity , Gov’t mule dessine de nouvelles contrées et nous guide à travers ses décors.

La mélodie féerique de « life before insanity » rappelle les paysages fantastiques d’house of the holy, alors que bad little doggy suit les leçons de Led Zeppelin IV. La rythmique s’emballe , ralentit brusquement, change de direction brutalement , et les solos décollent au milieu de cette terre pleine de cratères impressionnants. Cette alchimie musicale est celle qu’initia Jimmy Page, grand druide du hard rock alliant l’ombre menaçante du rock le plus dur , et la beauté lumineuse de mélodies épiques.

Your Burden Down permet à Gov’t mule de ramener cette magie en Amérique, d’appliquer ce procédé aux terres plus traditionnelles de la musique américaine. Le synthé purplelien entre dans une chevauchée sanguinaire , qui donne au boogie blues un tranchant inédit. Incantation de l’esprit d’Howlin Wolf dans un chaos heavy , le titre est un puissant hommage aux martyrs des champs de cotons.

Puis vient ce qui restera comme le sommet de la première période de la mule , fallen down. Ce titre dépasse toutes les étiquettes , c’est une pop solennelle comme les vieux blues , un blues drapé dans la finesse séduisante de la pop, une homélie musicale appelant Dieu sur un solo céleste. Autant l’avouer, la mule n’a jamais fait mieux que ce titre , ce qui ne veut pas dire que life before insanity est son meilleur album. Ce troisième disque montre encore un groupe à peine sorti de l’œuf, il fait encore partie des premiers pas d’une formation qui ne demande qu’à mûrir.

Life before insanity montre  un groupe qui s’emballe dans de grandes orgies heavy , des éruptions impressionnantes sans être complétement maitrisées. Si beaucoup considèrent les trois premiers albums de la mule comme des sommets indépassables, c’est par attachement à la formation originale.

La fin brutale de la première formation de la mule a entrainé une forme de nostalgie qui a beaucoup nuit à la suite de la carrière du groupe. Quand, quelques mois seulement après la sortie de Life Before Insanity , Allen Woody fut retrouvé mort d’une overdose , tout le monde savait qu’il emportait l’identité du trio dans la tombe.

Si il est vrai que les trois albums qu’il a produit avec le groupe sont des classiques incontournables , que le groupe ne sonnera plus jamais de la même façon , il entame tout de même une seconde partie de carrière brillante.

Mais avant la renaissance vient le temps du deuil.                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                

Warren Hayne 2

Gov't Mule: Gov'T Mule: Amazon.fr: Musique 

 « Don’t you mind people grinin in your face »
Warren Hayne déclame ses paroles avec la ferveur du premier communiant. Il est le loup hurlant qui a perdu son choral gospel, un ange mystique perdu sur terre. Toutes les grandes musiques sont mystiques, la musique n’est d’ailleurs rien d’autre qu’une religion qui crée ses dieux. Devant une telle ferveur, les musiciens restent muets , ils savent que leurs instruments ne feraient que déranger cette communion. Ce chant à capela est aussi puissant que Billy Holiday chantant le blues des victimes du KKK sur strange fruit . Cette complainte fait partie de la grande expression de l’âme humaine.
Premier album de Gov’t mule ,  cet album éponyme est un hommage à cette mère universelle, cette terre d’Amérique dont les paysages accouchèrent de tout ce que la musique compte de grandiose. Après la prière a capela de son leader, le trio développe une puissance digne des power trios légendaires. Ce qui frappe avant tout , c’est ce groove gras et rugueux , cette locomotive heavy qui semble tirer toute une partie de l’histoire musicale du sud.

La batterie apache dirige la cérémonie, les riffs dansent autour de ses incantations comme la tribu de Geronimo en pleine fête voodoo. Dans un chaos paroxystique, la guitare entre en transe , grande dévote au service des grandes icônes noires. On sent déjà, dans la mélodie et les instrumentaux rêveurs, une envie de sortir des clichés liés au rock sudiste. La tentative est encore timide, le trio battant un fer brûlant qui ne lui autorise aucun calcul.

Alors Gov’t mule donne quelques pistes permettant de deviner ses futurs coups d’éclat , il esquisse le plan du prochain voyage.  Les riffs lâchent parfois quelques bulles psychédéliques , qui éclatent avec une grâce Gilmourienne. Sur trane , le groupe cherche un peu son groove , fait un détour du coté de Macon , terre natale des frères Allman. Puis le rythme s’emballe, le déluge s’intensifie, et l’âme d’Hendrix ressuscite dans un brasier free jazz rock. Gov’t mule a retrouvé le cœur d’un puissant cratère, et joue comme si sa puissance permettait d’en entretenir la puissance flamboyante.
Ce qui s’exprime ici, c’est la terre et le ciel, la rigueur de la tradition et la recherche dévote d’une beauté mystique . C’est une force supérieure descendant sur cette terre qui a porté tant de grands hommes. Dans ce contexte, Mr Big est bien plus qu’un hommage au groupe Free, c’est le point d’orgue que le groupe de Paul Kossof n’a pu atteindre.  Même quand il rend hommage à un groupe anglais, Gov’t mule garde cette ferveur groovie que seuls les américains savent entretenir.
Gov’t mule est un premier album qui a déjà des airs d’aboutissement, un pavé issu d’une époque où la musique était un totem sacré. Ainsi naquit Gov’t mule , glorieux gardien d’une flamme céleste.
 Le premier album ayant eu un succès honorable, Gov’t mule s’embarque dans une grande tournée américaine. Conscient de la puissance qu’il déploie en concert, le trio enregistre son premier live au Roseland Balroom.

 Ouvert en 1917, cette salle était à ses débuts réservée aux blancs. Les bourgeois venaient y danser sur des airs pompeux, inconscient de la révolution culturelle qui s’apprête à envahir leur salle. Dans les années 20 , le jazz déploie ses ailes d’or , et ses noires magnifiques défoncent les barrières ségrégationnistes à grands coups de swing. De la douceur de Neil Armstrong , à la tristesse éblouissante d’Ella Fitzerald , le jazz est la force irrésistible qui permet à la musique noire d’envahir une première fois les radios et salles de concerts. La révolution en marche atteint vite le roseland balroom , où l’on vibre désormais au rythme du dixieland.

 Quand on sait que Gov’t mule doit son nom à un décret qui promettait à tout esclave libéré une terre et une mule pour la cultiver, enregistrer son premier concert ici sonne comme une évidence. Le rock est le prolongement du jazz et du blues, l’achèvement d’un combat culturel entamé dans les années 20. Après avoir lutté pour imposer leur culture, les dieux du jazz et du blues donnaient naissance à des enfants blancs , caucasiens et noirs se lançaient dans un groove métisse.
 Quand Gov’t Mule découvre le roseland Balroom , il voit d’abord une de ces façades grisâtres qui forment le décor des vieux films américains. Sur le fronton,  le nom de la salle s’affiche en grandes lettres rouges , seule couleur sur un mur sinistre. Le groupe s’installe, la salle commence déjà son grondement dévot, et le rideau s’ouvre. En lançant les première notes, Warren Hayne est impressionné par la disposition des spectateurs. Devant lui, le public forme un gigantesque entonnoir qui semble prêt à l’engloutir. Un étage supérieur est placé sur les côtés de la salle enfermant le trio dans une avalanche de clameurs.

 Une foule pareille ne se maîtrise pas avec des berceuses, et la présentation du groupe laisse rapidement place à une rythmique de plomb. Gov’t mule prend alors le temps de construire son groove sismique, et les instruments hurlent sous la torture de musiciens déchaînés. Ce déchaînement n’est pas dénué d’une certaine finesse et, porté par la puissance de sa section rythmique, Warren Hayne décolle vers des sommets qui n’étaient plus explorés depuis la mort de Duane Allman. Gov’t mule déchire le blues , et Hayne se charge de lui passer la pommade , la grâce de sa guitare sort le groupe du bourbier assourdissant dans lequel trop de ses contemporains se complaisent. Longue improvisation de 16 minutes , Trane met le public à genoux dès les premières notes. Comme une grande apothéose céleste , cette longue divagation s’éteint sur le riff de St Stephen.

 Le San Francisco sound est ainsi repris à la sauce redneck , la cote hippie se réconcilie avec le sud sur un boogie lumineux. Ce soir-là, Gov’t mule redonne un avenir au rock, il défend son héritage sans l’ériger en monument intouchable.

Pour clore la fête, Voodoo child ressemble à l’incantation assourdissante d’une secte antique face au kraken. Cette fois, la force réveillée par cette incantation est le rock dans ce qu’il a de plus virulent. Les amplis tremblent encore lorsque les dernières notes de Voodoo Child s’éteignent, le rideau se refermant ainsi sur les débuts glorieux de Gov’t mule.

mardi 8 septembre 2020

Warren Hayne 1

Tales of Ordinary Madness: Warren Haynes: Amazon.fr: Musique

Ca y’est c’est fini ! Cette cochonnerie de pop a fini par avoir sa peau !
Ils étaient pourtant nombreux derrière Lynyrd Skynyrd , armée incorruptible au service d’une terre sacrée. Une bonne partie de la musique américaine est née ou a grandi dans le sud, cette terre est chargée d’une histoire que ses musiciens étaient prêts à défendre jusqu’au bout. Lynyrd fut le premier gardien du temple , celui qui n’hésitait pas à en venir aux mains pour préserver sa musique des calculs sinistres des producteurs. Les hommes se battent bien pour leur boulot , leur famille , leur patrie , ils doivent désormais se battre pour la musique.

 Une fois sa guerre gagné, Lynyrd a ouvert la voie à une armée de rednecks grandioses , le soleil du sud venait réchauffer un rock sortant de quelques années de psychédélisme pompeux. Point Blank , Molly Hatchet , Blackfoot , la liste des combattants sudistes est trop longue pour être résumé. Cette valeureuse armée a survécu au rock progressif , aux glaviots punk , mais elle ne pouvait résister aux années 80.
 Les années 80 voient l’émergence d’une nouvelle vision de la musique, plus uniforme et artificielle. C’est sans doute à cette époque que la musique a commencé à être perçue comme un divertissement, les clips confortant l’auditeur dans une niaiserie terne. Les synthés ont ensuite pris une importance démesurée, et les sifflements de ces infâmes serpents robotiques ont tué la grandeur du rock . Mélodie plate, chant grandiloquent et production proprette sont devenus la norme .Ce n’était plus de la musique que l’on produisait, mais un bruit de fond assez agréable pour isoler l’homme moderne d’un monde déprimant.

 Paradoxalement, l’avènement de la pop moderne fut plus un coup de grâce qu’un véritable génocide du groove sudiste. Déjà en 1977, la mort brutale de plusieurs membres de Lynyrd Skynyrd avait entamé l’assurance de ses combattants privés de chef. Alors ils ont durci le son, pactisant avec les forces du hard rock pour survivre à la mort de leur emblème. « Beatin the odd » de Molly Hatchet sonnait presque comme du AC/DC, Blackfoot se transformait en Status Quo américain, et cette stratégie permit en effet à ces groupes de sortir des disques brillants . Mais le ver était dans le fruit et , si le rock sudiste s’était plié une première fois aux exigences de son époque , c’est qu’il était prêt à recommencer.
 1983 fut donc l’année de la grande capitulation, les sudistes produisant les mêmes mélodies niaises que les autres, pour ne pas être jetés aux oubliettes. La traversée du désert va durer 7 ans , et sera largement incarnée par la fameuse voiture rouge de ZZ Top. Cette génération était morte, détruite par les exigences de producteurs à qui elle a fini par céder trop facilement.

 Leur salut, les sudistes le trouveront dans leur passé, grâce au groupe qui a tout inventé. Les frères Allman étaient mort avec Duane , et les quelques bons disques qu’ils sortirent juste après sa mort n’étaient que les tremblements d’une formation à l’agonie. Il mirent des années à trouver celui qui, coincé au milieu de la scène locale, avait le charisme et la virtuosité capable de ressusciter la grandeur que les Allman avait atteint lors de leurs concerts au Fillmore. Après une série de formations dont l’histoire n’a pas retenu le nom, Warren Hayne a atterri dans le groupe de Dickey Betts , un des membres fondateur de l’Allman brother band.

Impressionné par son jeu fin et puissant , Betts réussit à l’imposer à Gregg Allman , et les pionniers du rock sudiste enregistrent ensuite shade of two word. Avec ce disque, les frères allman retournent le pâturage sudiste pour lui rendre sa fertilité , ils redonnent de l’air à une terre qu’ils furent les premiers à cultiver.
 End of the line est l’équivalent moderne de whippin post , le premier remet tout le monde sur les rails tracés par le second. Lynyrd et ses disciples n’ont jamais réellement atteint ce groove terreux, ils étaient trop attachés au rock anglais pour parvenir à ce niveau de pureté.  La génération de Lynyrd s’extasiait devant Cream et Free , alors que les Allman ne juraient que par les grands du blues.
Pour imposer son appropriation du blues, les Allman l’ont étendu lors de grandes improvisations inspirés de la virtuosité du jazz. Au fil des instrumentaux, leur mojo se faisait plus hypnotique , leur blues rock se colorait de psychédélisme séduisant les rockers de San Francisco. Shade of two word reprend à la lettre cette formule qui fit la légende des frères Allman.

 Boogie apocalyptique sur nobody knows , délire de mangeur de champignon magique sur midnight man , shade of two word part de sommets vertigineux, pour s’éteindre sur les notes chères au peuple du blues. Il fallait redonner forme à un modèle déformé, et Warren Hayne est le phare qui permet aux Allman d’y parvenir. Sa guitare slide flirte avec la chaleur des premiers blues , ses solos mènent une danse hypnotique et majestueuse , ses riffs redonnent au Allman brother la fougue des jeunes loups.
 Le signal est lancé, et il s’achève sur un blues qui flirte avec le « you gotta move » des Stones. Il ne faudra pas longtemps pour que ce signal soit entendu, et un autre groupe naît de ce groove quelques mois seulement après la sortie de shade of two word. Sortis en 1989 et 1991 , shake your money maker et  The Southern Harmony and Musical Companion placent les Black crowes en tête d’une nouvelle vague qui va déjà ramener les Allman au second plan. Avec ses deux disques , les jeunes texans n’ont pourtant rien inventé, ils se sont contentés de ressusciter le rock anglophile qui s’est étiolé après la disparition de la première formation de Lynyrd. Ils avaient un feeling stonien et une puissance digne de led zeppelin , le tout mâtiné de gospel  et porté par un groove sudiste irrésistible.

Doublé par ces jeunes à qui il a pourtant montré la voie, Warren Hayne profite d’une pause dans la carrière des frères Allman pour enregistrer « tales of ordinary madness ». Ce disque pourrait à lui seul définir cette « grandeur de l’échec » vénérée par Marc Edouard Nabe. Hayne avait coché toutes les cases , durcissant son jeu et flirtant avec ce hard rock que les crowes vénéraient. Les synthés étaient agressifs et puissants comme ceux de John Lord , les solos avaient la grandiloquence d’un Jimmy Page construisant son escalier vers le paradis. 

 Mais Warren Hayne restait plus fin, plus mélodieux, plus mature que ses rivaux juvéniles. Comparer ce disque à ceux des Crowes , c’est rejouer l’éternel combat entre la maturité et l’énergie , la finesse et la puissance viscérale. Hayne ne s’inspire pas de Lynyrd , il a cette musique dans le sang , cette époque fut autant la sienne que celle de Steven Van Zandt. Oublié au milieu des terres où tout a commencé, l’imposant guitariste représente le réveil d’une génération qui n’est pas encore prête à mourir. L’anonymat a conservé la fraîcheur de son jeu, son rôle de second couteau lui a permis de mûrir sans vieillir.

 Plusieurs des solos présents ici sonnent comme des échos de free birds , Hayne salut les glorieux contemporains qu’il va désormais remplacer. Tale of ordinary madness était trop mélodieux, trop travaillé pour séduire les adeptes des Black crowes. Il reste tout de même un classique trop peu salué, un disque qui se nourrit de l’énergie de son époque sans oublier d’où il vient.
 Après ce coup d’éclat sorti dans l’indifférence générale, Warren Hayne fait la connaissance d’Allen Woody. Les deux hommes partagent la même vision de la musique, et décident rapidement de former le power trio qui va révolutionner une nouvelle fois la musique sudiste.      

mercredi 2 septembre 2020

Thelonious Monk Quartet

 Monk's Dream: Thelonious Monk, Thelonious Monk: Amazon.fr: Musique
Thelonious Monk représente, avec Mingus et quelques autres, la naissance du jazz moderne. Comme beaucoup de musiciens des années 30 à 50, son parcours musical démarre dans une église , où il plaque ses premières mélodies sur un vieil orgue poussiéreux. Ses progrès rapides lui permettent d’intégrer ses premiers Big Band, et d’en sortir avec la conviction que ces formations tapageuses ne sont pas faites pour lui.

Il en arrête donc ses errements collectifs, pour former son quintet , et trouve sa voie à force d’improvisations. Sa première inspiration, le grand Monk la trouve en se promenant en ville. Au milieu de bâtiments imposants, les automobilistes expriment leur empressement à grand coup de klaxon rageur. Ce son, qui pour le commun des mortels n’est que l’expression irritante de la bêtise d’hommes qui fonceraient dans les murs pour gagner quelques secondes , est la base du swing Monkien.

 Notons en passant que l’essor des moyens de locomotion a fait autant pour la musique américaine que n’importe quel instrument. Du côté du Missisipi , les travailleurs de coton passent leur vie à reproduire le rythme des trains pour accompagner leurs complaintes. De cette manière, le jazz et le blues furent liés dès leur origine , le premier représentant le swing urbain alors que le second entretenait un swing terreux et rural.

Après quelques années chez Blues note , qui publia le grandiose « criss cross » , Monk est enfin signé par Columbia. Ce label n’est pas une simple maison de disques, c’est un temple qui a abrité les plus grands artistes contemporains, d’Aretha Franklin à Bob Dylan, en passant par Miles Davis et Duke Ellington. C’est donc logiquement sur ce label que Thelonious Monk livre ce qui restera le sommet de sa classe dissonante.

Cette musique, c’est un édifice magnifique mais bancal, une beauté excentrique qui semble toujours sur le point de s’effondrer. Titre emblématique de l’album, Monk dream est le symbole de cet équilibre au-dessus du chaos. Monk joue comme un pianiste schizophrène , ses mains semblent dotées de deux volontés autonomes. L’une d’elles montre une discipline implacable, elle martèle le rythme autour duquel vient s’enrouler une charpente faussement bancale. La seconde main danse follement autour de son swing, elle initie une valse délirante que la basse et le saxophone vont bientôt poursuivre.
                           
La mélodie se dessine ainsi, fragile et mystérieuse , les silences accentuent les contours de sa fresque excentrique. Ce jeu sur les silences donne l’impression que Monk Dream (l’album), largement écrit et répété, est issu de l’improvisation hasardeuse d’un groupe en pleine exploration sonore. L’excentricité du piano passe pour une recherche de mélodie, les silences ressemblent aux hésitations d’un groupe qui ne sait pas où il va. Les mélodies jouent avec nos nerfs, mais tiennent comme par miracle.

Quand on parle de Jazz moderne, le blues n’est jamais loin, comme le montre five spot blues et bolivas. Ecoutez un peu ces notes dépouillées, cette rigueur minimaliste qui dit plus en trois ou quatre notes que la plupart de la concurrence en un disque. Aujourd’hui, on parlerait sans doute de blue jazz ou de jazz blues , comme si il fallait une étiquette pour rassurer l’auditeur inquiété par une trop grande originalité. Il suffit pourtant d’un mot pour qualifier ce disque : swing.

Quand la basse plaque ses accords répétitifs, quand le piano de Monk manie les dissonances comme un équilibriste au bord de la brèche, quand les silences laissent résonner les notes et vibrer la mélodie, c’est le swing qui est à la fête.

Malheureusement, Monk sera victime d’une vague terrible et irrésistible, celle du rock. Conscient que sa musique ne peut plus cohabiter avec le fils du blues, Monk devient de plus en plus irritable, il sent que la fin est proche. Même les plus grands artistes ne sont pas éternels et, voyant désormais le vieux jazzman comme un boulet , Columbia le vire sans ménagement en 1972.

Dans le milieu du jazz, son comportement colérique permet aux snobs de faire courir la rumeur qu’il serait idiot, et que son génie ne serait que le fruit d’un don inné. Cette rumeur ne fait que renforcer le mythe Monk. Elle permet à Monk Dream de s’imposer comme le chef d’œuvre d’un homme qui, à force de travail acharné, a atteint une forme de beauté que ses contemporains ne peuvent expliquer de façon rationnelle.  


lundi 31 août 2020

LUNACHICKS : Jerk of all trades (1995)

Formation :
Theo Kogan : chant
Sidney « Squid » Silver : basse, seconde voix
Gina Volpe : guitare
Sindi Benezra Valsamis : guitare
Chip English : batterie


Après un « Babysitters on acid » et un « Binge and purge » corrects mais sans plus, quel choc que ce « Jerk of all trades » démentiel  à tout point de vue (son, compositions, voix, originalité).
Formé à la fin des années 80 par cinq new-yorkaises le groupe a sorti pas mal d'enregistrements (EP, LP, live) mais deux sortent du lot « Jerk of all trades » et « Pretty ugly » l'album qui suivra.
16 titres, 16 réussites, rien à jeter, tous les titres sont bons ; on pourrait en faire 16 « tubes »  punk rock  !

Sorti sur le label Go Kart ce disque est l'un des dix meilleurs albums punk rock (au sens large) de tous les temps !
C'est tonique, rafraîchissant, neuf, au delà du punk rock.
Lunachicks nous surprend, nous étonne, c'est souvent imprévisible.
Pour résumer : énergie + mélodies/refrains au top + gros son + originalité + trouvailles dans les compositions travaillées (musique et surtout la voix) et qui marquent les esprits.
Lunachicks assimile , absorbe aisément ses influences rock, punk, métal et garage pour prendre le meilleur à chaque fois et pour sortir quelque chose d'assez unique, quelque chose qui se démarque de ce qui avait déjà été fait dans le genre, sans oublier l'humour, le look, les paroles décalées, l'attitude, les pochettes, leur amusement à s'enlaidir (y compris sur scène), le côté loufoque et « provoc » second degré du meilleur goût que j'adore.

Je soupçonne la chanteuse Theo Kogan d'avoir un peu écouté (voir beaucoup écouté) Nina Hagen, source d'inspiration évidente avec la volonté de trouver de nouvelles tonalités et intonations vocales, de nouvelles subtilités dans la façon de chanter et d'une part ça fonctionne et d'autre part cette influence est loin de me déplaire.
En tout cas Théo est sans doute la meilleure chanteuse punk depuis Nina.
Si la musique tient (bien) la route et assure sans problème le côté vocal / harmonies / est vraiment le plus du groupe.
Au niveau musical la marque de fabrique du groupe sont les nombreux changements de rythme, qui donnent de la vigueur aux chansons et qui font qu'aucune n'est monotone, des breaks au moment où on ne les attend pas, toujours dans la surprise d'où l'originalité (par exemple de la guitare « flamenco » sur « Drop Dead » ou du cor de chasse sur « Jerk of all trades » !!!).

On trouve trois morceaux hyper rapides du vrai punk qui arrachent « Drop dead », « Buttplug » et « Jerk of all trades » (ah ce titre ! Implacable, imparable, une grosse claque !).
Le reste des titres est à géométrie variable c'est à dire alternance de tempos quasiment à chaque titres par exemple « Spoilt », « Bitterness Barbie », «  Insomnia », « Dogyard »...
Tous les titres sont bons donc mais mes morceaux préférés sont « Drop dead », « Fingerful », « Dogyard », « Insomnia », « Jerk of all trades » , « Brickface + stocco » mais le must du must reste l'enchaînement du génial et hallucinant « Bitterness Barbie » avec « Deal with it » (vocalises sublimes, effets de voix de haute tenue).

Plus original que L7, Babes in Toyland ou Hole davantage marqués grunge, plus déjanté aussi mais surtout plus créatif dans la démarche et dans ce que le groupe arrive à produire.
Une réussite incontestable, un groupe trop méconnu et qui mériterait d'être redécouvert y compris dans les milieux du punk et du rock alternatif (mais l'album est sorti sur un « petit » label c’est vrai et c’est l’éternel problème de nombreux groupes punk talentueux mais qui ont, volontairement ou non, fui les majors et sont victimes d’une distribution souvent limitée - et encore Go Kart n'est pas le plus petit d'entre eux).
Et n'hésitez pas à jeter une oreille sur « Pretty Ugly » l'autre super album des Lunachicks.
Un coup de maître et un de mes coups de cœur…mais peut-être que sur ce coup là vous ne me suivrez pas !




vendredi 28 août 2020

Sun Ra : Jazz In Silhouette

Sun Ra: Jazz in Silhouette Label: Saturn LP 5786 12" LP 1958 | Musique


Depuis les années 40 , Chicago est la capitale mondiale du swing , l’épicentre de ses deux avatars Jazz et Blues. Dans ce décor dangereux, Howlin Wolf crie ses douleurs de damné de l’Amérique, et les bluesmen de sa génération prennent la place d’un Jazz qui se marginalise. Il ne faut pourtant pas voir dans ce changement le triomphe du blues sur un style obsolète , tant le rêve cuivré de Neil Armstrong ne cesse de déteindre et d’être influencé par son petit frère. Ce n’est pas pour rien que , sur le grandiose live at regal, BB king est apparu avec une section de cuivres digne d’un big band de jazz.

 Le blues est un jazz qui ne s’est pas embarrassé de progressions harmoniques , c’est là que réside sa force et son plus grand complexe. La génération de Muddy Waters et Howlin Wolf  n’a gardé que ces deux ou trois accords, qui forment l’épicentre sacré du swing. Le bluesman joue 3 accords devant 3000 personnes , le jazzman c’est l’inverse. Cette simplicité a crée un complexe qui perdure encore dans le blues moderne , et s’exprime à travers le spleen cuivré de Warren Hayne , Beth Hart , ou Joe Bonamassa.

 Le jazz n’est pas moins envieux, et les accords de contrebasse de Mingus ont parfois des accents bluesy. Le blues a succédé au jazz, et le bebop a tenté de redorer son blason , accélérant les rythmes pour montrer qu’il était le maître du swing. Dans « au régal des vermines » ,  Nabe fait du bebop le seul gardien du swing, créant  ainsi une bataille de chapelle qui n’a pas lieu d’être. Nabe est un enfant des sixties, il a vu le blues accoucher d’un enfant terrible, qui termina le travail de marginalisation du jazz entamé par son aîné.  

 Le rock a englouti le jazz, d’abord en déployant une énergie qui le transformait en totem du passé, puis en se servant de sa virtuosité pour agrandir le monument à sa gloire. Le jazz devenait une couleur ajoutée à la grande palette du rock triomphant , Zappa , Soft machine et King Crimson inventant un monstre hybride , mais qui restait plus rock que jazz. Si tous ces artistes ont eu l’idée d’électrifier leurs musiques cuivrées , c’est sans doute sous l’influence de blue train , le disque que Coltrane sortit en 1957. 

 Coltrane avait digéré la verve de Chuck Berry, accéléré ses rythmes, et livré ce jazz dit « libre » aux masses impressionnées. Miles Davis enfonce le clou avec Bitch Brew mais, impressionné par le charisme mystique de Hendrix, il préfère se vanter d’avoir réuni « le meilleur groupe de rock n roll du monde ».  

 Entre temps , Sun ra a débarqué à Chicago , et fait ses classes avec Thelonious monk . Il s’est ensuite équipé d’un enregistreur pour produire lui-même ses albums. Fils de la déchéance du jazz , il sort trois disques baignés dans le même chaudron magnifique que les grands disques de Monk et Mingus. « Jazz in silhouette » est le dernier clin d’œil de Sun  Ra à ses contemporains, le disque qui complète le spectre du jazz traditionnel, tout en montrant discrètement une nouvelle voie.

Le saxophone de Enlightement pose les bases d’une mélodie céleste, une beauté crépusculaire portée par des cuivres nonchalants, dont la beauté illumine longtemps l’esprit de l’auditeur. Puis le rythme s’accélère, flirte avec l’énergie du rock n roll sans en reproduire la violence.  Dans leur enthousiasme, les cuivres atteignent les limites de la justesse, flirtent parfois avec la dissonance sans jamais s’y vautrer. C’est un numéro d’équilibriste jouant avec nos nerfs, une série de mélodies jazz où l’influence du rock et du blues menace de tout faire basculer dans le chaos.
Se contentant pour l’instant de rythmes tribaux, les percussions  annoncent le virage afro futuriste que prendra Sun Ra après ce disque. Entrer dans cet album, c’est saluer une belle île désertée, et dont on s’éloigne avec regret, c’est admirer la beauté de ce qui fut tout en apercevant la promesse de lendemains glorieux.

Jazz in Silhouette était trop élaboré, trop mélodique, trop unique pour « le bon vieux temps du rock n roll ». L’époque était celle de Chuck Berry , Elvis , et autre Bo Diddley , elle posait les bases d’une culture qui allait écraser le passé.
 A l’écoute de ce disque, on regrette presque que Sun Ra n’ait pu imposer une nouvelle version du Jazz , comme Bo Diddley et Chuck Berry ont imposé une nouvelle vision du blues.    


mercredi 26 août 2020

Johnny Winter fin

Hard Again" - Muddy Waters - Rock Fever

Depuis les années 60, Muddy Waters s’amuse de voir tout ces blancs-becs jouer sa musique. C’est grâce à un de ses titres que les Stones ont choisi leur nom, et ils ont posé leurs premiers accords en imitant sa musique. Depuis, son mojo se répand dans le rock comme une traînée de poudre , et le vieux bluesman a désormais plus de descendants que Gengis Khan. Conscient du tremblement qu’il a déclenché, Muddy annonce à qui veut l’entendre que « si ces types peuvent jouer ses riffs , ils ne seront jamais capables de chanter comme lui. ». Ce chant , c’est l’expression poignante d’un homme qui a passé sa jeunesse les pieds dans la boue et le nez dans sa misère.


Même au moment où toute une génération le vénère comme un dieu, le souvenir de ses années noires nourrit sa musique. Il surfe alors sur la vague du rock, reprenant let spend the night together en compagnie de Mike Bloomfield, sur l’album father and son. En 1972, c’est Rory Gallagher et Steve Winwood qui sont adoubés par le père du mojo, sur le live London session.

Mais la gratitude est le plus éphémère des sentiments humain et, alors que ses descendants continuent de lui rendre hommage , le label de Muddy met la clef sous la porte. Ayant eu vent de cette déchéance, Johnny parvient à convaincre son label de produire le disque qu’il va enregistrer avec Muddy. Sorti en 1977, Hard again est un monument blues sorti au milieu des cris hystériques de la vague punk.

Johnny et Muddy se connaissent, ils ont déjà eu l’occasion de jouer ensemble à plusieurs reprises. Connaissant la virtuosité de son sauveur, Muddy décide de se concentrer sur le chant, et sa voix atteint ainsi le summum de son charisme virile. Derrière lui , les meilleurs guitaristes de blues vivants sont au sommet de leur art.

Déjà présent lors du légendaire concert de Muddy à Newport , James Cotton envoie ses riffs fleurant bon le bayou avec la force nonchalante des damnés de Chicago. Si Manish Boy dépasse les versions culte de Willie Dixon et Son House, c’est avant tout grâce à la ferveur de ce groupe habité par le mojo. Pour accentuer cette énergie, Hard Again a été enregistré en deux jours, lors de bœufs improvisés.

Certains regretteront que cette liberté incite Johnny à partir dans des solos un peu brouillons, que cette énergie s’exprime parfois à travers des improvisations un peu bancales. Mais c’est justement cette spontanéité qui fait la grandeur de ce disque. Alors que les Stones et leurs semblables tentent de créer une version bien propre de son swing , Hard Again ramène tout le monde dans les bars de Chicago , et affirme virilement que Muddy reste le modèle indépassable.

Johnny Winter vient de sauver sa carrière et, pour le remercier, le mannish boy lui permet d’enregistrer son prochain disque avec son groupe. Nothin but the blues sera donc le générique de fin de ce récit. Et quel générique ! Ce disque est le dernier chef d’œuvre d’un musicien qui, n’ayant plus rien à prouver, plonge totalement dans sa vieille obsession. Grâce au groupe de Muddy , l’albinos immortalise son rêve , sonner comme les géants de la grande époque du blues.

La flamme ravivée par hard again n’est pas encore éteinte, et elle inspire notre guitariste livide, qui a écrit la quasi intégralité des titres de nothin but the blues. Le blues a pris possession de son corps squelettique , et raconte sa glorieuse épopée à travers chacun de ses titres. Calmé par cette héritage imposant, le jeu de Johnny Winter se fait plus sobre que jamais. Cette réserve lui permet de jouer sur les variations, de changer d’époque en accélérant ou en ralentissant ses tempos.

Tired to try et TV mama ramènent l’auditeur dans ces rues , où boogie chillen et spoonfull résonnèrent pour la première fois. Johnny prend alors possession du blues d’avant-guerre, et parvient à lui donner une beauté éblouissante sur le slow I was rainnin. La guitare électrique s’enroule ensuite autour d’un riff acoustique , et nous ramène à l’époque où certains bluesmen découvraient l’électricité sous les huées des puristes. On saluera au passage la splendeur de ce groupe, déjà grandiose sur hard again , et qui permet à Johnny de sonner comme il a toujours rêvé de sonner.

Après avoir sauvé son modèle de l’oubli, Johnny Winter rend hommage à son mojo lubrique. Nothin but the blues est l’aboutissement d’un cheminement commencé sur the progressive blues experiment , et qui a finalement ramené notre albinos sur sa terre promise. Muddy Waters a permis au rock d’accoucher du rock n roll , et grâce à Johnny Winter le rock a maintenu en vie son père défaillant.

Cher lecteur ,

Pour des raisons de cohérence, je tiens à parler ici de deux disques que j’ai volontairement exclu de ce dossier.
Sorti en 1978 , White hot and blues est un disque un peu plus secondaire dans la discographie de l’albinos , qui était alors trop pris par son travail avec Muddy pour sortir un grand disque. C’est tout de même un  album bien sympathique que tout fan de l’albinos se doit de posséder.
Quand à Raisin Cain , j’avoue que ce disque m’enthousiasme un peu moins. Johnny y surjoue le rôle du vieux gardien de l’âge d’or du rock n roll , et la production surfaite lui donne des airs de has been pas encore prêt à mourir. Il faut tout de même avouer que sa version de Like a Rolling stone est impressionnante, et que l’ensemble se tient bien mieux que la suite de sa carrière.
Voilà, tu es donc arrivé au bout du récit de deux des parcours les plus impressionnants des 60’s/70’s. Deux visions du swing qui se sont magnifiquement complétées et affrontées pendant près de 10 ans. Johnny et Edgard Winter feront à jamais partie de la grande histoire du rock , dont ils incarnent la grandiose diversité musicale.