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lundi 4 janvier 2021

Tangerine Dream à la Cathédrale de Reims


Alors que son concert triomphal au rainbow l’a fait entrer dans la légende du rock, Tangerine dream se dirige vers la prestation la plus marquante de son histoire. En ces années 70 , les dogmes n’ont plus réellement d’emprise sur le vieux continent. Plus occupée à se libérer de la vieille morale catholique qu’à fréquenter les églises, l’Europe n’en est pas moins friande de nourriture spirituelle. Certains la trouvèrent dans le mouvement hippie, d’autres suivirent l’enseignement de quelques yogi plus ou moins véreux. La religion n’était plus là, mais il fallait bien quelque chose pour fuir un peu la triste réalité. Les rockers, eux , ont trouvé leur nouvel opium depuis que les Beatles initièrent une vision plus large du rock.

C’est ce public qui applaudit Tangerine dream au rainbow , poussant le groupe à devenir un des papes de cette nouvelle religion musicale. Alors, ils prirent d’assaut la cathédrale de Reims, où Clovis se convertit au catholicisme pour réunir ses hordes barbares. Le franc actait ainsi  le début de plusieurs siècles d’hégémonie catholique en Europe, période que les allemands viennent achever en jouant dans cette cathédrale historique. Si les rois s’y rendaient pour se présenter comme les représentants de dieu sur terre, Tangerine  dream va donner un aperçu de ce que pourrait être la grâce divine.

Dans la cathédrale, les murs semblent répéter les échos de ses chorales mécaniques , comme si les fantômes des grands hommes sacrés ici, se mettaient à reproduire ce cœur synthétique. Si il y a bien un jour où la musique de Tangerine dream parut transporter ses auditeurs hors du monde, c’est bien ce jour-ci.  Ce décor grandiose enfermait les spectateurs dans un écho formidable, les spectateurs avaient réellement l’impression  que la cathédrale était plantée quelque part dans le cosmos.

Imaginez l’effet formidable que pouvait faire un orgue aussi grandiloquent que le mellotron d’Edgard Froese, l’impression que pouvait donner des synthés sifflant comme des torrents nuageux , ou grondant comme des comètes en pleine traversée du cosmos. Aucun enregistrement officiel ne viendra documenter ce moment historique, et quelques bootlegs de qualité variable s’échangent encore à prix d’or.

Ces bandes doivent pourtant dormir dans les caves d’une maison de disques , mais personne n’a encore voulut les exhumer. Il ne nous reste alors qu’à réécouter en boucle les enregistrements de cette période, chercher dans Oedipus tyrannus , Phaedra, et les live précédents , un aperçu de ce qu’a dû être ce concert. Il nous manquera toujours l’essentiel : le son de la cathédrale, symbole du triomphe du mysticisme sur un dogme réducteur.

Car c’est bien de ça qu’il s’agit, du triomphe du rock sur la bible. Et Tangerine dream enfoncera plusieurs fois le clou, avec la bénédiction d’un Vatican, qui voyait sans doute dans ces concerts le moyen de ramener à lui ses brebis égarées. Elle ne comprenait pas que faire jouer ce groupe dans les cathédrales et autres lieux de culte fut sans doute l’acte le plus anarchiste de la pop moderne. L’anarchisme n’empêche pas le mysticisme, bien au contraire. L’homme a besoin de croire en une beauté ou une sagesse supérieure, qu’elle se nomme Art, Science , Littérature ou Musique. En entrant dans cette salle Tangerine Dream lui donnait un émerveillement qui le détournait encore plus des religions organisées.

Touché par cette grâce, il pouvait ainsi redécouvrir le monde en homme libre.             

samedi 2 janvier 2021

Tangerine Dream : Live at Rainbow ( Londres)

Jimi Hendrix y brula sa guitare pour la première fois, avant que Ziggy Stardust n’y célèbre l’avènement du glam rock. Au départ, le rainbow était une salle de cinéma, c’est aujourd’hui un symbole du rock. Arrivé sur place quelques jours après l’enregistrement d’oedipus tyrannus , le groupe subit d’abord la fraicheur de cette salle. Quand Edgard Froese ose enfin demander si il est possible de mettre un peu de chauffage, les techniciens lui répondent comme si cette demande était une insulte. Pour eux, si ces boches ne sont pas satisfaits de la température de la salle, il leur suffit de réparer eux-mêmes un chauffage, qui n’a pas du fonctionner depuis la dernière guerre.  

Ne souhaitant pas provoquer une dispute pour si peu, les musiciens effectueront leur balance en gardant leur épais manteau. De toute façon, cette opération ne sera pas très longue , l’objectif étant simplement de caler le matériel sur une certaine tonalité. Comme nous l’avons vu précédemment, la machinerie de Tangerine dream se dérègle assez facilement, ce qui les oblige à improviser chacune de leurs prestations. Certains se souviennent encore de ces soirs, où la magie habituelle semblait avoir disparue, transformant la symphonie robotique du trio en cacophonie électronique.

Alors que nos musiciens venaient boucler les derniers réglages de sa machinerie, John Peel entama son discours d’introduction. Pape des DJ , John Peel est un guide qui a largement participé au succès du groupe. Le discours terminé, Tangerine dream s’engage dans une nouvelle lutte pour dompter la machine. Lors des précédents concerts, la bataille a parfois tourné à son désavantage, mais ce soir la bête est plus docile. Le groupe a d’abord planté un décor sombre et envoutant, enfermant la salle dans la noirceur lumineuse chère au groupe. Les bruits électroniques entrent en harmonie grâce aux nappes de mellotron , soleil musical régissant les mouvements de cette galaxie sombre.

Plus présent que jamais, le mellotron s’embarque dans un crescendo spirituel, sur lequel le synthé fait souffler un vent emportant les esprits au sommet d’un nouvel Olympe. Ce décor s’assombrit et s’illumine, s’agite et s’apaise. Les machines feulent comme des bêtes traquées, avant de ronronner comme un gros chat métallique. Ce soir au rainbow , le temps s’arrête de nouveau , ces trois mages reprennent possession de l’horloge régissant nos vies , et des décors que nous explorons. Dans la salle, aucun bruit ne vient perturber cette communion entre l’homme et la machine, aucun homme n’ose perturber ce moment de grâce.

Penchés sur leurs tableaux de bord, les membres de Tangerine dream semblent diriger un vaisseau toujours prêt à s’écraser. Leur fusée flirte dangereusement avec des météores en fusion, ses réacteurs frôlent de prêt la comète de la cacophonie.  Et pourtant, les sons se marient parfaitement, des manœuvres que notre ignorance de ce monde nouveau trouve suicidaire créent une harmonie parfaite. Plus bruitiste au début, la fresque qu’improvise Tangerine dream se déploie ensuite autour d’un beat binaire et froid, comme un boa s’enroulant autour d’une tige métallique.  On est alors endormi par un mantra électronique, avant qu’un mirage sonore ne définisse le scénario de nos rêves.

D’ailleurs, si la religion n’est qu’un rêve éveillé, un opium déviant le peuple de sa triste réalité, Tangerine Dream est désormais la seule religion capable d’émerveiller ses disciples. En ces années 70 , alors que l’occident commence à rejeter ses vieilles racines chrétiennes, cette musique constitue un nouveau moyen d’évasion. Après avoir conquis le temple des rockers, Tangerine dream devait donc prendre possession des lieux où sa musique peut pleinement s’épanouir, c’est-à-dire les symboles de l’âge d’or du catholicisme et du christianisme.

Oui , le rock va désormais à l’église , mais ce n’est que pour perpétuer son travail de libération des masses.           

vendredi 1 janvier 2021

Tangerine Dream : Oedipus Tyrannus


Nous attaquons maintenant le graal du répertoire de Tangerine dream. Joué en 1974 , lors du festival de Chichester , Oedipus Tyrannus ne sera publié officiellement qu’en 2019 , dans le coffret in search of the hades. Plongé dans une tournée triomphale en Angleterre, avant de travailler sur rubycon , le trio a préféré mettre les enregistrements de Oedipus tyrannus de côté. On ne lui en voudra pas, tant le recul que nous avons aujourd’hui nous permet de mieux apprécier cette œuvre charnière.

Le temps de ce disque, les séquenceurs sont mis au placard, et le groupe renoue avec le bruitisme fascinant de ces quatre premiers albums. On pense forcément à Zeit , dont la noirceur planante est ressuscité dans act 1. L’électronique se contente de nouveau de déformer les sons des instruments traditionnels. Sur act 1 Edgard Froese effectue d’ailleurs un glissando de guitare tutoyant les anges, que Jimmy Page ne faisait qu’effleurer avec son archer.

On entre de nouveau dans l’ambient pur, le mellotron, ou les percussions mécaniques de battle, nous aspirant dans une planète voisine de Zeit. On peut alors se demander si cet album n’est pas un acte de résistance au succès. Après tout, Phaedra avait montré une formule aussi lucrative que fascinante, et Tangerine dream aurait pu être tenté de reproduire ce schéma lucratif. Alors, pour éviter de se fossiliser dans les beats hypnotiques de Phaedra , le trio aurait produit son opposé. A moins que ce ne soit le fait de créer un fond sonore pour la pièce Oedipus tyrannus, qui ait poussé Edgard Froese à renouer avec ses atmosphères abstraites.

Dans tous les cas , Oedipus tyrannus redécouvre les possibilités infinies présentées par les quatre premiers albums de Tangerine Dream. Sympathique surprise, les flûtes font leur grand retour, et dirigent la danse sur le bien nommé act 2 : baroque , où l’ambiance est plus médiévale que spatiale. Puis un synthétiseur synthétiseur vient briser cette noirceur sonore. Ce sifflement est un paon qui séduit l’esprit, sa roue transporte nos pensées dans le cosmos. C’est là que le mellotron prend le pouvoir, décidant si nos décors seront rassurants ou inquiétants, mystiques ou rêveurs.

On constate alors que, si la plupart des groupes anglais ont figé le mellotron dans des mélodies symphoniques , jazz , ou pop , Tangerine dream semble réinventer cet instrument à chaque utilisation. 

Malgré sa proximité avec le vieux répertoire de ses auteurs, oedipus tyrannus n’est pas une œuvre passéiste. Plusieurs de ses passages seront d’ailleurs retravaillés sur des disques comme Encore ou Rubycon. Bien sûr, le séquenceur reviendra mettre un peu d’ordre dans  cet univers foisonnant. Tangerine dream repartira ainsi vers une musique plus construite, au détriment de ses décors planants.

Lettre d’adieu à un monde qu’il s’apprête à quitter, oedipus tyrannus est aussi l’oasis dans lequel ses auteurs viendront chercher la matière composant leurs futures symphonies futuristes. Devenu fan du groupe après avoir découvert leur premier disque, John Peel fait entrer cette musique dans des milliers de foyers, qui ne se doutent pas que ses auteurs sont déjà partis plus loin.               

jeudi 31 décembre 2020

Tangerine Dream : Atem


Si Edgard Froese a toujours refusé d’être associé au rock , c’est sans doute à cause de ce concert à Bayreuth. Quelques jours plus tôt , le trio avait repris ses guitares basses et claviers , pour livrer un ultima thule, qui dû ravir les fans de rock planant. Les enfants terribles de la musique cosmique s’abaissaient enfin au niveau des derniers hippies avides de paradis artificiels. Le virage est d’autant plus profitable que, alors qu’elle naissait à peine à leurs débuts, la scène planante allemande est en plein âge d’or.

Yeti , Tanz der lemming ,  Tago Mago , Kanguru , les psychotropes auditifs poussent dans les bacs des disquaires , comme une magnifique légion de champignons hallucinogènes . C’est donc sans doute après avoir entendu son dernier titre , plus proche de l’ère du temps , qu’un groupe rock de Bayreuth décida d’embaucher Tangerine dream en ouverture de son concert.

Arrivé sur place, le trio installe l’attirail électronique qu’il a lui-même conçu, et part dans ses expérimentations assourdissantes. Face à eux, les mangeurs de choucroutes planantes ne semblent pas apprécier cette cacophonie stridente. La foule commence à gronder comme une bête enragée, mais les musiciens sont trop concentrés sur leurs expérimentations pour s’en rendre compte. Exaspérés, ces amateurs de paradis artificiels, ces rockers se détruisant le cerveau à coup de substances toxiques bombardent les musiciens … De bouteilles de jus de pommes !

Déstabilisé par cet attentat fruitier, le rêve d’orange devient un cauchemar sentant la pomme, et les responsables de ce courroux doivent fuir la Francfort entre les jambes. La lutte n’aura duré que 15 minutes. Dégouté par cette débâcle lamentable, le promoteur appelle la police pour faire fuir ces fous à lier. Le groupe ne parvint même pas à se faire rembourser l’essence utilisée pour se rendre sur le lieu du concert. La France sera heureusement plus accueillante.

Ce soir, là, après ses nombreuses expérimentations électroniques, le groupe semble être devenu maître des éléments. Sur la scène, des images fantastiques semblent raconter un âge d’or fantasmé, saluer la beauté d’un Atlantide perdu. Véritables surhommes tels que Nietzche aurait pu les imaginer, Tangerine dream manie des machines ayant l’allure d’objets sacrés. La musique qu’il en tire coule, limpide comme une eau capable de liquéfier la roche. A travers ce torrent se déverse un océan d'émotions et d’images, une beauté mystique et fascinante plongeant le public dans une rêverie magnifique.

Les spectateurs sont déchirés par l’orage, se laissent purifier par la pluie, les musiciens qu’ils écoutent sont des dieux les emmenant dans leurs décors. Et puis la connerie la plus vulgaire fit irruption au milieu de cet océan de sagesse.

Pour montrer leur colère, les babouins lancent leurs déjections sur leurs opposants. Cette fois ci, le primate qui interrompit cette méditation envoya un plein sac de marmelade, fiente confite sucrée comme un diabétique obèse, sur le clavier. La protestation la plus vulgaire, la violence la plus barbare, vient toujours à bout de la fragilité d’un artiste en pleine création. Pour résumer la situation, on peut dire qu’un con sachant viser va parfois plus loin qu’un intellectuel sans protection.

Le sachet répand donc son écœurant contenu sur la précieuse machine d’Edgard Froese, qui ne peut que regarder la substance s’incruster dans les creux autour des touches. Les métastases confites atteignent rapidement le cœur de la machine, qui meurt vite de ce cancer sucré. Malgré l’incident, le public retiendra que, pendant quelques heures, Tangerine Dream a atteint le sommet de son art.

Revenu de ses émotions contradictoires , le trio enregistre Atem en 1973. Dès sa pochette, représentant un enfant sortant d’un œuf coloré, ce disque annonce une musique très éloignée de Zeit.  Pour son enregistrement, Edgard Froese a testé un système de prises de son en quadriphonie. Bientôt testée par les Who , cette technique lui permet d’inclure plus d’instruments , dont les percussions, qui éloignent Atem des monolithes sombres de son prédécesseur. Après ses premiers albums, certains reprochaient à Tangerine dream son bruitisme , son absence de structure musicale étant comparé à un monstre sans colonne vertébrale. Mais ce n’est pas parce que certains ne comprennent pas une logique qu’elle est absente.

D’ailleurs, la musique d’Atem ne se comprend pas , elle se ressent. Si Zeit vous fixait des œillères déprimantes, vous immergeait au fond d’un océan de tourments merveilleux, Atem vous sort de ce bain glacial à grands coups de visions lumineuses. Atem vous ouvre les yeux sur un monde lumineux , vous berce d’images rassurantes et de rythmes rêveurs. Comme ce bébé, vous avez l’impression de découvrir le monde pour la première fois, et celui-ci à la chaleur de parents saluant votre naissance. Il y a, dans ces mélodies charmeuses, dans ces percussions formant des mantras hypnotiques , ou célébrant des messes saturniennes , quelque chose qui vous fait renaître .

Dans les passages les plus méditatifs, le mellotron souffle comme une brise gracieuse et Genesis n’a jamais atteint la beauté féerique de ce grand final aux airs champêtres. Ce qui émerveille autant, dans ces ambiances aussi légères que complexes, c’est justement ces sons se succédant comme d’heureux événements, guidés par un hasard merveilleux.

L’homme a besoin de repères. Tout phénomène doit, selon lui, avoir une explication. Pour ce que la science n’a pas encore réussi à expliquer, il a trouvé dieu, triste canne sur laquelle il s’appuie quand une peur le déséquilibre. Si Huxley a écrit « les portes de la perception » pour protester contre ces visions rationalistes et dogmatiques du monde, tout en décrivant les effet du LSD , son raisonnement s’applique parfaitement ici. Je conclurais donc cette chronique en m’inspirant de son livre culte.

Atem crée sa propre conception de la beauté musicale, détruit tous les repères qui formaient la culture du mélomane. Plongé dans ce bain de sonorités  apparemment illogiques , l’auditeur est prié d’oublier tout ce qu’il sait. Débarrassé de ses vieilles notions, il commence à ressentir les bienfaits de cette musique, à méditer rêveusement sur ces décors. Ayant retrouvé son innocence d’enfant, la musique lui apparait de nouveau telle qu’elle est, infinie et sans limites. Et le mélomane peut de nouveau pousser son premier cri d’extase.            

mercredi 30 décembre 2020

tangerine dream : electronic meditation


Pour comprendre tangerine dream , il faut d’abord se pencher sur l’histoire d’Edgard Froese. Né en Russie , il apprend d’abord à jouer du piano , avant de s’intéresser à la peinture et la littérature. Dès son plus jeune âge, ces disciplines cohabitent dans son esprit, au point qu’il ne met pas réellement de barrière entre elles. 

Qu’il s’exprime par l’écriture, la peinture, ou la musique, l’homme créatif se met toujours au service de cette expression du génie humain qu’est l’art. Séparer ses composantes, traiter la peinture, la littérature, et la musique comme des entités distinctes et irréconciliables , est pour lui une simple preuve de fainéantise intellectuelle. D’ailleurs, alors que les sixties sont l’âge d’or du rock, Edgard ne se voit pas forcément devenir la nouvelle poule aux œufs d’or d’une industrie du disque florissante. 

Il a bien sur entendu et apprécié Hendrix , Pink floyd , et Cream , il a conscience que ces artistes sont les phares d’une musique explorant tous les territoires , mais ces musiciens lui paraissent encore trop limités. C’est donc la peinture, sous les traits de Salvador Dali, qui lui montrera le chemin qu’il cherche. Le peintre le plus connu du surréalisme l’a déjà invité à plusieurs de ses performances artistiques, et pense naturellement à lui pour composer la bande-son accompagnant sa dernière création. Composé de barils de métal, et de vieux vélos, sa statue du christ devra malheureusement trouver un autre fond sonore.  

Trop porté sur l’expérimentation, Froese ne parvient pas à réunir des musiciens capables de donner vie à la musique qu’il souhaite offrir à son illustre commanditaire. Il s'exile alors en Allemagne, où le traumatisme du nazisme semble avoir poussé la jeunesse vers des sonorités hypnotiques, des rêves sonores fascinants. 1968 marque le début de cette fuite des réalités. Assommés par la découverte du premier album du Velvet , une bande de virtuoses allemands tentent d’oublier leur solfège , pour retrouver l’énergie primaire du groupe de Lou Reed. Ils se nommeront Can , et Amon Dull et autres Guru guru viendront bientôt grossir leurs rangs d’allemands traumatisés par la découverte de la musique américaine et anglaise.

Pour Froese , l’Allemagne sera une formidable terre d’accueil , où il réunit une première version de Tangerine Dream dès 1968. Le groupe commence à se produire à Berlin, où il croise la crème de l’underground mondial , comme Frank Zappa ou les Fugs. Cette première incarnation de tangerine dream ne produira aucun disque, seul un album live se vend à prix d’or chez les bootlegers.

Tangerine dream ne naît vraiment que quand Edgard Froese croise la route de Klaus Shultz et Conrad Schnetzer. Le premier est un percussionniste qui souhaite s’échapper du boom boom prévisible imposé par le succès du rock. Conrad, lui, a suivi des études d’art, et s'est fait remarquer en produisant une musique expérimentale avec toute sorte d’ustensiles non musicaux. Le trio s’enferme dans une usine de Berlin, où il enregistre une suite expérimentale nommé « electronic meditation ».

Personne ne sait comment une musique aussi aventureuse, a pu se retrouver sur le bureau du gérant d’une des plus grandes maisons de disques allemande, toujours est-il que ce qu’il entendit lui plu. Etonné par sa proposition de publier ses bandes, Edgard Froese complète son œuvre avec quelques parties de guitares et d’orgue, et le disque sort en 1970.

Ecouter electronic meditation , c’est être happé par une musique qui vous impose ses images. D’abord, les violons partent dans un cérémonial tribal, la batterie et les sifflements d’une espèce de flûte astrale rendent hommage à un dieu païen. Il y a quelque chose de mystique dans le fond sonore entretenu par les musiciens , c’est le bas fond d’où l’orgue s’élève vers des sommets stratosphériques. 

Electronic méditation ouvre les portes d’un univers à explorer, il représente le premier astre d’une galaxie que le groupe ne cessera d’enrichir. Cette musique est une véritable toile sonore, un tableau fait de sons , et dont on ne se lasse pas de redécouvrir les détails.

Espace lunaire, grandiose prison aquatique que la batterie vient parcourir d’impacts de météorites rythmiques , fusée futuriste qu’une guitare vaguement Hendrixienne envoie sur orbite, les images suggérées par cette musique sont fascinantes. Dans cette atmosphère, la guitare électrique peut aider le rocker à ne pas se noyer dans des eaux qu’il peut trouver hostiles. 

Il faut pourtant qu’il lâche prise, qu’il laisse ce torrent de rêves l’emmener loin des terres qui lui sont familières. C’est à ce prix qu’il pourra dépasser ses limites culturelles, pour se mettre à la hauteur de l’œuvre qu’on lui propose. Qu’il se rassure, la récompense qu’il obtiendra justifie largement qu’il consente à ce petit sacrifice.             

mardi 29 décembre 2020

Tangerine dream : Live at Victoria palace


A une époque où la drogue était encore vue comme un moyen d’évasion, la musique de Tangerine Dream devient les psychotropes favoris du vieux continent. La première tournée mondiale du trio fut un triomphe, l’époque où le groupe se faisait lapider par les rockers parait déjà loin. En ce mois de juin 1974, tangerine dream conquit même l’Angleterre, capitale mondiale de l’avant-garde pop.

Les anglais ont réellement pris goût à la musique cosmique quelques années auparavant, lorsque Pink Floyd partit visiter la face sombre de la lune. Grande réflexion musicale sur la mort, le temps qui passe, notre place dans l’univers, dark side of the moon ouvrit la voie à une série de délires atmosphériques. Musique futuriste et rêveuse, l’électro de Tangerine dream est faite pour combler les désirs d’évasion de la jeunesse anglaise. 

Le trio arrive donc au Victoria Palace , où il doit donner un concert en cette chaude soirée de juin 1974. Vue de l’extérieur, la salle a des airs de cathédrale, son toit trônant à une hauteur faisant passer les autres bâtiments pour des maquettes miniatures.  A l’intérieur, la salle se présente comme une version couverte des grands théâtres antiques. Dans ce décor, la musique de Tangerine dream déploie toute sa grandeur mystique.

Quand Tangerine dream démarre sa méditation électronique, de petits films sont projetés derrière lui. Ces images ne racontent pas d’histoires, n’imposent aucun rêve, se sont juste des stimulants incitant le public à se laisser porter par la musique. Live oblige, l’improvisation que le trio effectue ce soir-là est moins structurée que Phaedra. On retrouve tout de même ces vagues sonores, ces marées synthétiques montant et descendant en suivant le rythme de deux notes, répétées comme un mantra acide. Au milieu de ces marées , un synthétiseur siffle comme une machine futuriste. Et puis il y a l’homélie martienne de l’orgue, imposante bête régissant la vie de ces abysses, et coupant les derniers liens reliant l’auditeur à la réalité.

Tangerine dream a toujours assumé de ne jamais jouer deux fois la même chose, ses œuvres sont des mirages s’évaporant aussi vite qu’ils sont apparus.  Ce concert au victoria palace est donc une œuvre à part entière, mais elle ne sera exhumée que plus de 30 ans après sa création. Comme elle, combien d’improvisations , de morceaux d’histoire sont tombés dans l’oubli ? Aujourd’hui disponible en streaming, et dans un monumental coffret, le concert de Tangerine Dream montre comment un groupe d'explorateurs allemands a conquis la perfide Albion.   

vendredi 25 décembre 2020

Richard & Linda Thompson

Dans une année où j'ai écouté énormément de metal j'ai aussi beaucoup écouté le duo folk rock composé de Richard and Linda Thompson. Ils ont sorti 6 albums studios entre 1974 et 1982. Focus sur le plus célèbre duo de folk rock des années 70.




Mais revenons en 1967, Richard Thompson rejoint un groupe formé de Ashley Hutchings et Simon Nicol. C'est la naissance d'un  des plus grands groupe de ce qu'on appelle le Folk Rock Anglais, inspiré du folk américain et du passage à la guitare électrique de Bob Dylan. Ce groupe c'est Fairport Convention, d'abord avec Judy Dyble au chant sur le premier album, puis avec Sandy Denny par la suite. En 1969, après plusieurs changements de line up , le groupe sort deux albums qui vont les faire rentrer dans une autre dimension : Unhalfbricking, qui sera suivi par un dramatique accident sur lequel nous reviendrons plus tard et Liege & Lief. Sandy Denny s'en va former Fotheringay après la sortie cet album. Et Richard Thompson suivra début 71 après la sortie de Full House, le successeur de Liege & Lief pour poursuivre une carrière solo.


Linda Peters naît en 1947, de son vrai nom Linda Pettifer, elle rencontre Richard Thompson en 1969. A l'époque sa réputation de chanteuse la précède déjà. Mais elle et Richard n'enregistreront rien ensemble avant 1972 qui est aussi l'année ou ils se marient. Ils resteront mariés 10 ans. Elle prend le nom de Linda Thompson professionnellement. En 1972, elle chante sur le premier album solo de Richard et sur l'album de The Bunch, un supergroupe formé des membres de Fairport Convention et qui reprend des standards du rock des années 50. Elle y est crédité sous le nom de Linda Peters.


Après ca, Richard et Linda décide de travailler ensemble à plein temps et en 1974 sort le premier album du duo Richard & Linda Thompson. Cet album c'est I Want to see the Bright Lights Tonight. Mais l'album passe inaperçu à la fois par la critique et par le public. Rétrospectivement cela à bien changé, l'album est unanimement considéré comme une des pierres angulaire du folk rock et c'est devenu aujourd'hui un classique. De nombreux morceaux de cet album ont été repris comme le morceau titre par Arlo Guthrie par exemple, D'autres morceaux ont été repris par Elvis Costello et Maria McKee.


Cet album contient déjà la marque de fabrique du duo a savoir des chansons folk rock articulées autour de la guitare (électrique ou acoustique jouée en hybrid picking) de Richard Thompson, excellent guitariste acoustique mais pour moi c'est en électrique qu'il prend toute sa mesure à la fois en rythmique et en soliste. Ses qualités de guitariste découvertes dans Fairport Convention ont aidé a posé les bases du folk rock. Richard et Linda se partage le chant, soit ensemble sur le même titre, soit séparément. Et la encore leur voix sont très différentes. Linda a une voix douce assez aérienne et Richard a une voix grave et moins mélodieuse. Un disque qui contient 10 morceaux excellents mais si on devait faire un choix on choisira le morceau-titre aujourd'hui encore joué sur scène par Richard ; Has he got a Friend for me, chanté par Linda ; When I Got the Border qui est le morceau d'ouverture et the Calvary Cross.


Dans ces années la le couple participe aussi en tant que musiciens de sessions aux albums de Fairport Convention et de Sandy Denny, histoire de ne pas oublier les copains.


En 1975, le duo va sortir deux albums, mais nous y reviendrons car juste après l’enregistrement de I want to see the brights Light tonight, Richard & Linda Thompson découvrent la religion et se convertissent à l'Islam (je ne sais pas ce qu'il en est pour Linda mais Richard est toujours musulman aujourd'hui) ce qui va les amener à faire des choix radicaux dans les années suivantes.



Donc en 1975 sort tout d'abord Hokey Pokey, excellent album dans le lignée de son prédécesseur mais un peu moins bon, à leur décharge il est difficile de passer derrière un album tel que I Want to see the Bright Lights tonight. Cet album n'est pas marqué par la conversion du couple à l'Islam. Et comme pour son prédécesseur les paroles ont des thèmes assez sombres : la drogue, le sexe, la dureté de la vie, la perte et le chagrin comme le titre Never Again, peut être le sommet de l'album écrite en 1969 suite à l'accident du bus de la tournée de Fairport Convention qui avait coûté la vie à Martin Lamble le batteur du groupe alors âgé de 19 ans. Un morceau très émouvant.





L'album suivant toujours de 1975 sera un tournant dans la carrière du duo. L'album qui suit intitulé intitulé Poor Down Like Silver. C'est l'album le plus électrique du groupe, la pochette représente Richard Thompson enturbanné, mettant en avant leur foi. Il faut savoir que le couple, à l'époque de la sortie de l'album a tout laissé tombé et est partie vivre dans une communauté soufiste dans l'est de l'Angleterre. On est pas là pour faire un cours de religion, de toute manière j'y connais rien mais le soufisme est un courant de l'Islam qui prône un islam ésotérique et mystique. Pendant 3 ans, le couple ne va plus donner signe de vie ou quasiment pas, Richard va arrêter la musique, comme le fera Cat Stevens en 1977. Mais en 1978 le duo fait son retour avec son 4 ° album : First Light.



C'est leur album le plus marqué par la religion, les paroles des chansons sont des traductions directes du Coran ou de textes soufistes et on sent des influences plus orientales dans la musique, mais on reste dans un folk rock assez classique. La qualité a baissé d'un cran par rapport aux albums sortis avant leur retraite. Cet album arrive à la suite d'une invitation faite a Richard de venir jouer sur l'album de Julie Covington, il y rencontre Willie Weeks et Andy Newmark, musiciens de session très réputés et ayant joué avec une multitudes d'artistes. Impressionnés par le jeu de Richard, ils souhaitent collaborer avec lui ce qui lui les poussent, Linda et lui a sortir de leur retraite et à enregistrer un nouvel album. Sur ce disque on retient en priorité le morceau Pavanne.


En 1979 arrive le successeur de First Light: Sunnyvista, disque beaucoup moins religieux et qui est probablement le disque le plus rock du duo, comme le prouve Civilisation, premier morceau du disque et sûrement le meilleur aussi. Ce disque est pour moi le plus faible mais il reste tout à fait honnête. Il faut savoir que depuis le début de leur carrière le succès n'a jamais été vraiment au rendez-vous et ce disque se vendra vraiment mal.



En 1980 le couple se retrouve sans maison de disques, Chrysalis les ayant laissé tombé après deux albums (pour leurs 3 premiers albums ils étaient chez Island). En 1980 ils tournent en première partie de Gerry Rafferty, qui avait participé à leur dernier album. Rafferty leur propose de produite et de financer leur prochain album. Ils se retrouvent tous en studio mais le perfectionnisme de Gerry Rafferty se heurte à l'approche plus spontanée de Richard Thompson. Le courant ne passe plus et malgré le fait que l'album soit terminé, Rafferty n'arrive a convaincre personne de sortir l'album, il perdra plus de 30 000 dollars dans l'opération. Les bandes sont mises au placard et sortiront en bootleg.

Finalement en 1981, Joe Boyd, producteur des meilleurs albums de Fairport Convention, signe le duo sur son petit label, Hannibal Records. Suite à ca, ils vont frapper un grand coup avec la sortie de Shoot Out the Lights. Ca sera malheureusement leur dernier album, leur couple étant en train de se désagréger petit à petit. L'album va être un succès et va relancer leur carrière et va restaurer la réputation de guitariste de Richard Thompson. C'est la qu'il livre probablement ses meilleurs envolées guitaristes comme le solo sur le morceau qui donne son titre à l'album. Le disque est enregistré avec moins de musiciens que les précédents albums, on retrouve sur ce disques ses vieux copains de Fairport Convention : Simon Nicol, Dave Pegg et Dave Mattacks ainsi que Peter Zorn de Steeleye Span.





Le disque marche tellement qu'une tournée américaine est programmée, on retrouve d'ailleurs dans l'edition deluxe de l'album sortie en 2010 un CD qui Live bonus de cette tournée américaine, A cette époque Richard et Linda ne se parlent presque plus bien que Linda soit enceinte de leur fille Kamila qui naîtra en 1983. Ils divorcent en 1982 à la fin de la tournée, mettant fin au duo à la fois personnellement et professionnellement. Un best of sort en 2000, puis un Live de 1975 est édité en 2007. 2020 a vu la sortie d'un coffret qui regroupe les albums du duo, plus des inédits et des Lives.


En 2014, alors que chacun fait carrière solo de son coté et que Richard continue sa carrière de session man en même temps, Teddy Thompson leur fils les réunit sur son album Family, en compagnie de Kamila, leur fille, son mari, un neveu et son demi frère né du deuxième mariage de Richard. Ils s'étaient déjà retrouvé sur l'album de Linda sorti en 2013 ou Richard vient jouer de la guitare.


Totalement ignoré du temps de leur carrière en commun à part au moment de leur séparation et ayant vendu très peu de disques, ils sont aujourd'hui reconnu comme l'un des combo de folk rock les plus importants de l'histoire; Richard est considéré comme le guitariste le plus important du genre. Shout Out the Lights est aujourd'hui reconnu comme un des meilleurs disques de la décennie 80 et I Want to see the Bright Lights Tonight comme l'une des pierre angulaires du folk rock. En 2011 Richard est fait Officier de l'Empire Britannique pour services rendus à la musique et leurs morceaux que ca soit en solo et en duo ont été repris par une multitude d'artistes comme Elvis Costello, David Gilmour Maria McKee