Rubriques

vendredi 10 avril 2020

THE GATHERING : MANDYLION 1995


Formation :
Anneke van Giersbergen : chant
Frank Boeijen : claviers
René Rutten : guitare
Jelmer Wiersma : guitare
Hans Rutten : batterie
Hugo Prinsen Geerligs : basse






Formé en 1989 et après deux albums moyens voire même médiocres (« Always »-1992 et « Almost a dance »-1993), The Gathering groupe de death/doom mélodique néerlandais est moribond. « Almost a dance » est particulièrement raté et plus personne ne miserait un centime sur le groupe.
Alors les frères Rutten et Frank Boeijen ont une idée de génie : recruter Anneke Van Giersbergen une jeune chanteuse inconnue, respirant la joie de vivre et dont le sourire peut à lui seul captiver les fans, et qui se révèlera comme étant l’une des plus belles voix de l’Histoire du métal. Et The Gathering, métamorphosé, tel le phénix, renaît de ses cendres.
Troisième et meilleur album du groupe (ex aequo avec « Nightimes birds » qui suivra en 1997, « How to mesure a planet », le double album étant selon moi un niveau juste en dessous), The Gathering est alors en plein dans son âge d'or et affine son style. « Mandylion » demeure le sommet du métal planant et atmosphérique, un album splendide qui pose les bases, à jamais un chef d'œuvre du genre. 


Deux morceaux somptueux représentent deux facettes différentes mais pas antagonistes de The Gathering : « Stranges machines » (avec son riff efficace en diable, plus mécanique et hypnotique) et « Eleanor » (plus de chaleur et d’émotions, plus de douceur dans la voix) mais la petite perle du disque demeure pour moi « Sand and mercury » dont la partie instrumentale (75% du morceau) est une merveille, neuf minutes de bonheur mais dans l'ensemble toutes les compositions sont réussies. « Leaves » est également d’une grande beauté.
Quant à « Fear the sea » c’est un titre archétype de The Gathering : voix somptueuse et envoûtante d'Anneke van Giersbergen qui est en parfaite osmose avec la musique, lente, limpide, majestueuse où riffs de guitares se mêlent aux nappes de synthé que n'auraient pas renier Pink Floyd : du grand art et soudain une nostalgie vous envahit devant tant de beauté auditive, la magie opère il n'y a qu'à fermer les yeux. Musicalement ça reste du métal avec une rythmique en béton et des grosses guitares (bien sur ce n'est pas du thrash métal et on est parfois plus proche de Pink Floyd époque « Wish you were here » que de Slayer).

Les compositions sont d'une grande beauté, c'est fin, avec toujours un petit côté mélancolique, notamment grâce à la voix toujours magnifique d'Anneke.
On se laisse emporter et on tombe sous le charme des mélodies qu'on écoute, ce côté planant et métal à la fois, cet équilibre parfait.
Les tempos sont en général moyens (ni rapides ni doom), un côté heavy d'un côté et un côté planant  et mélodique de l'autre, un excellent dosage qui fait la force du groupe néerlandais.
Le groupe est également un pionnier car c’est l’un des tous premiers groupes de « doom gothico atmosphérique » à chanteuse, groupes qui vont foisonner à la fin des années 90s, certains très bons (Theatre of Tragedy est l'autre groupe incontournable pour moi, mais on peut également citer After Forever, Tristania, Within Temptation, Lacuna Coil, Epica, The Sins of thy Beloved, On Thorns I lay, Darkwell...). 

Mais de tous les groupes de métal à chanteuse sortis à cette époque The Gathering est celui qui m'a le plus marqué, le plus intéressant, le plus envoûtant et le plus original (avec Theatre of tragedy), celui qui nous entraîne vers des univers grandioses et féeriques.
Après cet âge d’or The Gathering va ensuite un peu décliner et produire des disques moins bons, plus pop « If_then_else » et « Souvenirs » jusqu’au départ de sa chanteuse en 2007.
Mais les trois albums sortis entre 1995 et 2000 restent à jamais incontournables.
Ecouter « Mandylion » c'est la garantie de passer un bon moment et de se laisser transporter par l'harmonie des compositions et encore une fois par la voix qui donne des frissons.



mercredi 8 avril 2020

Lou Reed : The image of the poet in the breaze partie 8


The Blue Mask" - Lou Reed - Rock Fever

Quelques jours après le succès de street hassle, Lou est devenu un habitué de CBGB. Ancien haut lieu du blues, le bar a vu défiler Patti Smith , television , les stooges , tous ces musiciens qui ne seraient rien si le premier velvet n’était pas sorti. Lou est surtout impressionné par les voidoid , seul groupe qui semble capable de se réapproprier la classe minimaliste de son premier groupe.

A la guitare, Bob Quine est un digne descendant de Wilco Johnson , dont il a récupéré le jeu tranchant. Quand Quine et Reed se retrouvent, en 1981, Lou est devenu un has been en quête d’un second souffle.

Nous sommes le 30 mars, Reagan a failli finir comme Kennedy, et Lou prépare sa résurrection. Lui et Quine ont les mêmes références, la même vision de ce que doit être le rock. Lou annonce vite son souhait de créer un nouveau groupe.

« J’ai laissé tomber la guitare sur mes deux derniers albums, c’était une erreur. »

Quine n’ose pas l’interrompre, il se doute de ce qui va suivre, et ne voudrait pas gâcher cette consécration.

«  Le disque que je prépare va montrer aux poseurs actuels ce qu’est la guitare rock. Mais il me manque une seconde gâchette, ce sera donc toi. »

Ce n’était pas une demande, c’était la concrétisation de la symbiose qui est née quand les deux hommes ont commencé à jammer ensemble. A l’époque, Bob Quine accordait sa guitare un ton plus bas, ce qui lui permettait de développer un toucher très différent de celui de Lou, sans empiéter sur son jeu. C’était comme si leurs accords se complétaient naturellement, chacun développant sa virtuosité dans les espaces laissés par l’autre. 

Cette symbiose booste la créativité de Lou Reed, et lui permet de retrouver la finesse mélodique qu’il avait sur les deux derniers albums du Velvet. The blue mask est enregistré en quelques jours et, pour annoncer sa résurrection, sa pochette est celle de transformer teinte en bleu. 

Le poète décadent et nihiliste est devenu un observateur attristé par la violence de son époque (the day john kennedy die) , un réveur romantique ( women, my house) , et un rebel à la plume acerbe (average guy). Sa guitare n’a jamais si bien sonné que sur ce disque. Elle illumine les rêveries de my house et heavenly arms, et redonne au rock ses lettres de noblesse sur average guy.

Alors que les disques du Velvet commençaient à bien se vendre, Lou Reed prouvait qu’il avait encore de belles choses à dire. On regrettera juste que son narcissisme l’ait poussé à masquer les parties de guitares de Quin derrière les siennes, nous laissant ainsi fantasmer les fantastiques duels rythmiques qu’auraient pu être les titres les plus rock. 

Ce bricolage n’empêchera pas le guitariste des Voidoids d’apparaitre sur l’album suivant. Issu du même moule, legendary heart développe ce groove rêveur avec la même classe. Les deux disques sont les derniers chefs d’œuvre de Lou avant un nouveau passage aux oubliettes. Censé clore ce chapitre flamboyant, le live en Italie est un fiasco. Obligé de jouer sur des guitares mal accordées, le groupe y massacre tous ses titres. Ce fiasco annonce une décennie artistique calamiteuse. 

Les années 80 le voient incarner le rock n roll avec classe sur "New Sensation" , mais l'album confirme aussi le fait qu'il fait désormais partie du passé. Les boîtes à rythme ont beau faire leurs apparitions sur plusieurs titres , ce groove est celui de Chuck Berry , Eddie Cochran , tous ces pionniers ayant guidé ses premiers tâtonnements.

Les années 80 avaient délaissé le rock , et Lou restait là pour garder le temple. Il se paiera tout de même deux derniers barouds d'honneur, Song for Drella et magic and loss. Le premier est une véritable biographie musicale de Warhol , un requiem dédié à son Pygmalion disparu. 

"Song for drella" était surtout le dernier chef d'oeuvre du duo Reed Cale, union au génie intemporel. 

"Magic and loss" réussit l'exploit d'atteindre la même splendeur nostalgique. Beaucoup le trouvèrent déprimant à sa sortie , mais cette nouvelle fresque baroque était au contraire pleine d'espoir. Après avoir rendu hommage à ceux qui sont partis , Lou abordait la mort avec la sérénité de celui qui a accompli sa mission. 


Now the coal black sea waits for me, me, me

The coal black sea waits forever

When I leave this joint

At some further point
The same coal black sea will it be waiting  
   
Après quelques albums anecdotique , la froide mer noire finira par l'emporter en 2013. Il laisse derrière lui une oeuvre monumentale et mal connue qu'il est urgent de redécouvrir. 

lundi 6 avril 2020

Lou Reed : The image of the poet in the breaze partie 7

Lou Reed : Street Hassle - Panic à dandy parc | Culturesco

En 1977 , Lou est enfin le maître du monde. Les disques du velvet sont ressortis, et ont donné leurs vocations à une meute de musiciens à crêtes. Mais leur leader n’était plus là pour mener la charge , il était trop occupé à récolter les fruits de son rock gentillet.

Pourtant, Lou n’a pas changé, il picole toujours dangereusement, et nourrit sa muse en visitant les clubs sado maso. Ces virées nourrissent une prose plus acerbe, un humour maladif qui explose enfin sur Street Hassle. Aussi radical qu’il soit, le disque ravit son nouveau label.

Même les producteurs ont compris que l’époque n’était plus au romantisme doucereux si bien mis en musique sur cosney island babie. Incarnée par les sex pistols , l’époque était au cynisme , et il était temps que le maître renvoie les jeunes loups à leurs disques du velvet. 

Reed dit lui-même que Street Hassle est son meilleur album, celui qui est le plus proche du vrai Lou Reed. Dès l’intro, il semble défigurer son héritage, donnant au riff de sweet jane un riff tranchant soutenant un titre chargé de perversion libidineuse. Cynisme et rancune sont les deux piliers de ce disque, et c’est évidemment les journalistes qui sont les premiers visés. 

C’est plus précisément «  les gens comme eux, qui mangeraient de la merde si on leur disait que c’était bon », qui lui inspire une relecture toxique du « i fought the law » de Bobby Fuller.

Puis vient le point d’orgue du disque, la splendeur de la poésie Reedienne compilée dans un grand requiem subversif. Véritable pièce en trois actes, « street hassle » fait revivre la noirceur de Berlin, sur un crescendo orchestral poignant. Lou Reed montre une nouvelle fois la triste mentalité des salopards peuplant les bas-fonds New Yorkais. 

Mais il semble se sentir coupable de livrer un récit aussi cru, comme si il ressentait de la sympathie pour cette pauvre fille entrainée dans un enfer sans issue. Son parcours lui inspire une conclusion pleine d’empathie, qui ne fait que renforcer la puissance de sa fresque symphonique. 

« You know some people got no choice
And they can never find a voice
To talk with
That they even call there own
So the first thing that they see
That they allow them to be
Why they follow it
You know it’s called bad luck »

Après ce choc, Lou revient au rock n roll. « I wanna be black » fera scandale, une partie du public ne comprenant pas le second degré de ce rock cadencé, qui se moque des clichés entourant les afros américains. *

Le bal des rancunes se termine sur le riff lourd et agressif de « leave me alone » , avant que wait ne ferme le rideau sur une note plus légère. Les punks peuvent disparaitre, Lou a lui-même produit l’aboutissement de ce qu’il a entamé quelques années plus tôt.
Après une tournée magnifique, immortalisée sur le grandiose « take no prisonner », Lou entre dans une période plus compliquée.

Sorti en 1979 , the bells était déjà critiqué par ses musiciens lors de son enregistrement. Le disque semble abandonner toutes les composantes de sa musique, pour produire une espèce de be bop synthétique bancal. Au milieu d’une musique brillamment jouée malgré sa platitude , Lou semble chercher sa voie. Il a travaillé un chant plus intense, et pousse sans cesse sa voie pour donner un effet de grandeur à une musique manquant de souffle.

Le constat est encore plus cruel sur l’album suivant, « growin up in public » , où Lou semble essayer de s’approcher de la ferveur d’un Bruce Springsteen. Il ne réussit qu’a la caricaturer, et donne l’image d’un musicien perdu dans une époque qui n’est plus la sienne.

Il a compris qu’il n’est plus le héros de son temps, il ne sera plus jamais un jeune avant gardiste non plus. Il lui faut trouver une nouvelle voie.
  

samedi 4 avril 2020

Lou Reed : The image of the poet in the breaze partie 6

Coney Island Baby - Lou Reed Foto (22266260) - Fanpop

Sally can’t dance est enregistré rapidement, et représente le premier fourvoiement de Lou Reed. Bien conscient qu’il vient de publier son plus gros navet musical, il s’empresse de le descendre à chaque interview.

Selon-lui, le disque n’a été produit que pour inciter MGM à ressortir les disques du velvet underground. De ce point de vue, « sally can’t dance » remplit parfaitement son rôle, et la maison de disque s’empresse de ressortir l’œuvre du velvet. En bonus, un double live du groupe sort sous le titre de « live 1969 », il sera réédité plus tard sur deux cd hautement recommandables.

Sally can’t dance est vite devenu le disque le plus vendu du répertoire Reedien , déclenchant une avalanche de sarcasmes de la part de son auteur. « Plus je suis mauvais , plus ça se vend » déclare t’il. On ne peut pas lui donner tort, tant sally can’t dance est un disque plat et sans personnalité , comme si Lou avait laissé quelqu’un d’autre confectionner la musique capable de soutenir sa prose.

Alors sa rage renaît, son succès n’est dû qu’au conformisme béat de moutons abrutis. Il entre alors en studio pour préparer sa riposte, une compile des improvisations stridentes qu’il s’amuse à produire pour passer le temps. Il en tire un double album volontairement insipide, qu’il s’empresse de faire écouter à ses producteurs.

Dès les premières notes, les dirigeants de RCA deviennent aussi blancs que leur poulain héroïnomane. Ils prennent tout de même leur mal en patience, une mélodie finira peut-être par sortir de ce capharnaüm métallique. Leurs espoirs sont vite déçus et , amusé par son coup d’éclat , Lou sort de la pièce pour éclater de rire.

Il a réussi son coup , sa maison de disque est prise à son propre jeu. Le contrat qu’elle avait signée obligeait MGM à sortir ce suicide commercial. Alors les producteurs tentèrent de bricoler, pour limiter les pertes. « metal machine music » est illustré par une photo de concert de Lou, laissant ainsi penser qu’il s’agit d’un petit frère de « rock n roll animal ».

Lester Bang aura beau qualifier l’album de « chef d’œuvre », voir metal machine music comme autre chose qu’une mauvaise blague est une aberration absolue. Ne souhaitant pas justifier cette horreur, son auteur se contente d’en rajouter une couche.
                                               
« Quand vous allez voir un film d’horreur , vous y allez pour être agressé toutes les 15 minutes . Et bien metal machine music ne vous laisse même pas ces 15 minutes de répit. » Voilà ce qu’est metal machine music , l’agression d’un artiste en guerre contre son public. Avec ce disque, Lou semblait vouloir dire « Puis ce que vous ne comprenez rien, je vais tout détruire. » Et il a bien failli y parvenir. 

Devenu paranoïaque à cause de sa consommation de drogues, Lou ne parvient plus à monter sur scène. Pour éviter de trop lourdes pertes, Doug Yule le remplace sur les concerts suivants. Mais Lou ne veut pas de nouveau perdre le contrôle de sa carrière, et met rapidement fin à sa tournée. 

Bien décider à récupérer son investissement, RCA lui rappelle qu’il a une dette de 600 000 dollars envers le label, et qu’ils ne le produiront plus tant que cette somme n’a pas été remboursée. Au pied du mur, Lou parvient à trouver un arrangement avec le patron du label.

Il s’engage à produire un nouvel album plus commercial, et le label le loge en le payant 15 dollars par jours. Pressé de sauver sa peau, Lou entre immédiatement en studio, et reprend la méthode qui a fait les grandes heures du Velvet.

Les musiciens jament librement pendant que les bandes tournent , et le producteur se contente de sélectionner les meilleurs moments. Les paroles sont elles aussi écrites dans le feu de l’action, et le disque est bouclé en quelques jours.

S’il est difficile d’extraire un disque de la grande œuvre Reedienne, « cosney island baby » est sans doute un de ses plus grands albums. C’est le disque de l’apaisement, celui où la violence de « kicks » cohabite harmonieusement avec la douceur nostalgique de cosney island baby. 

Le son moelleux et voluptueux de l’album enrobe les riffs d’un Lou Reed au sommet de son swing. On ne saura d’ailleurs trop recommander l’écoute du vinyle, qui restitue bien mieux le feeling de ce grand guitariste que la version CD bien trop lisse.

Lou a réussi à produire un album personnel, tout en tricotant des mélodies classieuses aptes à séduire le grand public. Le succès est tel que Lou sortira un second disque dans la même veine, « rock n roll heart ».

Les cosney island baby et rock n roll heart sont, avec Berlin, les plus grands aboutissements de Lou Reed . Il n’ont pas la maladresse du premier album, ni la superficialité glam de transformer, ce sont des œuvres pures et sincères.

Malheureusement, l’époque a déjà changé, et « rock n roll heart » sort en pleine invasion punk. Tous ces jeunes eurent leur révélation en suivant les débuts du dandy de new York , et ne comprennent pas qu’il ait abandonné sa verve nihiliste. Qu’ils se rassurent, tonton Lou ne va pas tarder à déterrer la hache de guerre.
   
 
                                

jeudi 2 avril 2020

Lou Reed : The image of the poet in the breaze partie 5

Berlin - Lou Reed - SensCritique

Mais Lou Reed ne veut pas devenir un chanteur pop, il a conservé l’ambition artistique que le Velvet a perdue après son départ. Bénéficiant d’une totale liberté suite au succès de transformer, il pense qu’il est temps d’enregistrer sa grande œuvre.

Sa notoriété lui permet de réunir une équipe d’élite composée de Steve Winwood de traffic , Jack Bruce de cream , et Aynley Dubar du grand wazoo de Zappa. Pour les guitares, il dégotte une paire de fines lames qui fera les beaux jours d’Alice Cooper , Steve Hunter et Dick Wagner.

Le projet Berlin est largement inspiré de la vie chaotique de Lou. En plein milieu des enregistrements, il apprend que sa première femme a fait une tentative de suicide . Quelques jours plus tard, quand un journaliste évoque l’événement, il lâche d’un ton méprisant :
« Pendant l’enregistrement, ma nana- qui était un vrai trou du cul, mais j’avais besoin d’un trou du cul de femme pour me donner la pêche, j’avais besoin d’une flagorneuse de femme dont je puisse abuser, et elle répondait à ces critères.- Elle a essayé de se suicider dans le bain de l’hotel. Elle s’est tailladée les poignets. Elle a survécu. »

Sa femme n’est pas la seule à subir la pression destructrice de Lou. Dans le studio, tous les musiciens sont accros à l’héroïne, et Erzin se souviendra longtemps du tempérament insupportable de l’ex velvet.

Ce qui rend Berlin si poignant, c’est que l’histoire de couple en plein naufrage contée dans ce « film pour les oreilles » est celle de son auteur. Quand RCA entend ce qui devait être un double album, elle ordonne à Erzin d’en faire un simple pour limiter les dégâts. 

Heureusement, le producteur sera assez respectueux du matériel originel pour que le disque ne perde rien de sa fascinante cohérence. Ce qui frappe d’abord, c’est la beauté glaciale de ces mélodies. Placé en ouverture, le morceau titre annonce le début de la chute. 

Déjà présent sur le premier disque, « berlin » exprimait à l’époque le souvenir nostalgique d’un couple en pleine harmonie. Sur cette dernière version, les arrangements font vite comprendre que le rêve a tourné au cauchemar, et le titre a des allures de lendemain de cuite.

Vient ensuite « lady day » , qui trouvera sa version définitive sur le live rock n roll animal. Plus apaisée, la version studio montre déjà la finesse du duo Hunter/ Wagner. Folk cynique, glam rock baroque, la musique illustre à merveille l’insensibilité effrayante du narrateur. 

Celui-ci développe une lucidité dénuée de sentiment, résumée à merveille dans les paroles de « men of good fortune ».

« Men of good fortune , often cause empire to fall
While men of poor beginnings , often can do anything at all
The rich wait for his father to die
The poor just drink and cry
And me , I just don’t care at all »
Le superbe riff monte progressivement, comme pour montrer la violence de ce constat social, puis retombe sur la conclusion désabusée qui en découle. Tout le disque se déroulera dans ce registre glacial. Le personnage joué par Lou Reed s’approche ainsi de l’étranger de Camus, le cynisme en plus. 

Berlin dépasse le cadre de la pop, il dépasse même les plus grandes œuvres du Velvet. Mais ce requiem était bien trop sombre pour le grand public. Celui-ci attendait un disque proche de la légèreté apparente de transformer, et voilà qu’on lui offrait le contraire. Si la critique fut aussi agressive lors de la sortie du disque, c’est qu’elle ne comprenait pas cette noirceur étouffante.

Elu « disque le plus déprimant de l’année » par Lester Bang, Berlin est unanimement rejeté. Celui qui avait, au terme d’une lutte acharnée, atteint les sommets des ventes, tombait en disgrâce à cause de son œuvre la plus ambitieuse. 
                                                                                     
Affolé par ses ventes ridicules, RCA l’oblige à enregistrer un live censé renflouer ses caisses. Heureusement, le Berlin tour fait un tabac. Inspiré des discours d’Hitler, les éclairages blancs sur fond noir accentuent le teint blafard du chanteur. *

Pourtant, Lou ne vient pas pour répéter les mêmes airs dépressifs que sur son dernier disque. Si les débuts de concert sont parfois pathétiques , le rock n roll animal devant être soutenu par ses musiciens pour atteindre la scène, la suite est fulgurante.

Les riffs du duo Wagner/Hunter sont de véritables éclairs animant le frankenstein rock qui leur sert de chanteur. Les guitaristes s’en donnent à cœur joie, transformant le déprimant lady day en hymne de stade. Ces riffs semblent fait pour trucider les poseurs du hard rock, ils sont l’union parfaite de la violence des enfants de led zeppelin et de la classe lumineuse des glam rockers.

Les amateurs de Deep Purple et autres Rainbow ne s’y trompèrent pas, et propulsèrent « rock n roll animal » au sommet des ventes. Lou était remis en selle jusqu’au prochain suicide commercial.



mardi 31 mars 2020

Lou Reed : The image of the poet in the breaze partie 4


The Story of Lou Reed 'Transformer' | Classic Album Sundays

Parachuté d’urgence à Londres , Lou Reed enregistre en rapidement son premier album solo, qui sort en 1972. La vague glam est en pleine explosion, t rex vient de sortir electric warrior , et toute une génération ne va pas tarder à suivre son exemple. Slayed , all the young dudes , the rise and fall of ziggy stardust and the spiders from mars , tous ces disques sortirent en 1972.

Leurs auteurs reprenaient la simplicité classieuse du premier Velvet , et Bowie ne cessait de crier son admiration pour l’album à la banane. Sorti à la va-vite et privé de promotion sérieuse, le premier album de Lou rejoint vite les bacs à solde.

Aujourd’hui encore, on sous-estime ce disque, et beaucoup le résume comme un simple nanard stonien. Enregistré en compagnie d’ex membres de tomorrow et autres musiciens de yes ,  le disque représente pourtant un basculement historique. C’est le triomphe de la simplicité Reedienne sur le pompiérisme pop.

Seule sa version de « i can’t stand it » , titre déjà joué avec le velvet , est doté d’un riff qui semble sortie de sticky fingers. Pour le reste, Lou pose ici les bases de ce que sera son œuvre solo. Les ballades acoustiques renouent avec cette noirceur séduisante, qui fascinait Bowie lorsqu’il découvrit le Velvet. 
                                             
Si il manque d’unité pour rivaliser avec « the rise and fall of ziggy stardust and the spiders from mars », les rocks de ce disque n’ont d’équivalents que chez les fous de rythm n blues que sont mott the hoople.

Manquant de tubes et de promotion, Lou Reed rate encore le coche, l’époque paraissait faite pour lui mais le succès continue de le fuir. Après cet échec cuisant, il est invité à diner avec Bowie.

Les deux hommes se sont rencontrés lors d’une de ces soirées qui attire le gotha du rock contemporain. A l’époque, Bowie trainait avec un excité partageant la même admiration vis-à-vis de l’œuvre Reedienne. Lou avait déjà vu cet Iggy Pop en concert et, si son groupe manquait de finesse, il faut avouer que sa musique donnait au rock une dose d’énergie salutaire.  
                                                       
La photo réunissant ce trio culte devint vite légendaire, elle représentait la sainte trinité du rock seventies. Pendant que Lou se remémore cet épisode, Bowie arrive enfin à la table qu’il a réservé. 

Comme il le chante sur Ziggy Stardust , « le personnage a tué l’homme » , et Bowie est Ziggy sur et en dehors de la scène. Celui qui se décrit comme un glaçon entame la conversation avec le sourire radieux des vrais écorchés vifs.

DB :Salut Lou , j’ai une chose importante à te proposer
LR : Ton dernier album est pas mauvais, félicitations. Je t’écoute.
DB : Justement. Tu sais, j’ai produit ce disque moi-même.
LR : Ouaip, tous les pisseurs d’encre ne cesse de te porter aux nues pour ça. Il parait que tu as inventé la pop moderne.
Il y’avait dans cette réponse une pointe de jalousie méprisante, mais Bowie n’en tient pas compte.

DB : Je vais appliquer cette production à Mott The Hoople. J’espère aussi qu’Iggy acceptera que je m’occupe de son dernier disque. 

Bowie parait de plus en plus tendu, et Lou semble apprécier cette crainte. C’est la preuve d’admiration de son ami pour son père spirituel.

DB : Alors voilà, j’aimerais produire ton prochain album, je pense que je peux lui donner le vernis qui permettra à ton talent d’être reconnu. 

Lou prit cette déclaration comme une décharge, le fait que ce gamin lui propose son aide lui paraissait être une insulte inacceptable. Le coup qu’il envoya au visage de Bowie fut si violent, que plusieurs autres clients se précipitèrent pour l’immobiliser.

Lou était animé par une rage d’animal blessé, et cinq personnes furent nécessaires pour l’empêcher de tuer la cause de sa rage. Solidement ceinturé, le forcené continuait de hurler «  Ne répète jamais ça ! »

Malgré cet incident , Lou finit par accepter l’aide de Bowie, une aide qui allait lui permettre de produire son plus grand succès. En apparence, « transformer » est une trahison, l’acte de soumission par lequel le poète décadent demande la grâce du grand public.

La production, luxuriante et léchée, entrait parfaitement dans le moule de la pop moderne. Ces mélodies enjouées n’étaient pourtant qu’un leurre, un piège sensé attiré le chaland dans les récits décadents du dandy électrique.

Symbole de ce tour de force, « walk on the wild side » tournait en boucle sur des radios incapables de comprendre ses paroles.

« Andy came from Miami FLA
Hitchiked her way accros the USA
Plucked her everyhow on the way
Shaved her leg and he was a she
She say , hey babe , take a walk on the wild side »

Le plus grand tube de Lou Reed était aussi un de ses titres les plus osés. Inspiré par le livre du même nom, écrit par Nelson Algreen, « walk on the wild side rend le new york décadent irrésistible.

Et c’est là le génie de Bowie, il a offert l’écrin capable de rendre le rock toxique de Lou accessible au grand public. « perfect day » et satellite of love font partie de ses plus belles mélodies, alors que ses rocks acquièrent la luminosité du glam rock.
                   
Transformer fait partie de ces disques irréprochables, une beauté universelle au service de la  prose la plus subversive.