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lundi 2 août 2021

Neil Young : Greendale

 


Après un échec tel que Are you passionate , Neil Young se rassure auprès de son fidèle Crazy horse. Le projet qu’il lui propose, en cette année 2003, n’est autre qu’un album concept racontant l’histoire d’une petite ville secouée par le meurtre d’un de ses habitants. Avec une telle ambition, l’auditeur pouvait s’attendre à une musique plus soignée et spectaculaire, mais Neil Young n’est pas Pete Townshend. Dans le studio , le Crazy horse laisse tourner les bandes pendant qu’il construit le décor de sa grande pièce de théâtre musicale. Les riffs sont gras, les mélodies épiques , le boogie blues et le folk rock célèbrent leur retrouvailles dans un décor rustique. Les titres ne sont presque pas retravaillés , Neil privilégiant une nouvelle fois la spontanéité au détriment de la technique.

Sa capricieuse muse l’ayant de nouveau visité, ce qui fit l’échec de Broken arrow fonctionne parfaitement sur ce Greendale. Plus bluesy que jamais, le Crazy horse prend de nouveau le temps d’étirer son mojo lors de grandes joutes épiques. Un merveilleux contraste se crée entre la puissance crasseuse des riffs et le feeling classieux de ces musiciens, entre l’énergie primaire de ces rythmes et l’inventivité de ces grandes improvisations. Ce que Neil Young exprime ici, c’est sa mélancolie et sa colère face au déclin d’un monde dont il fut le porte-parole.

Ce monde, c’est celui des petites villes dévorées par les grandes métropoles, c’est un monde où l’on pouvait vivre en citadin tout en restant proche de la nature, celui où les hommes n’étaient pas indifférents au sort de leurs voisins. Citadin amoureux des campagnes, rocker nourri aux mamelles du folk et de la country , Neil exprime avec ses notes ce que Steinbeck racontait avec ses mots , les joies et les peines d’une Amérique profonde de plus en plus marginalisée.

Neil met juste assez d’empathie dans son chant pour que l’auditeur s’attache à ses personnages, prend soin de prendre assez de recul pour ne pas tomber dans un pathos ridicule. On ressent la colère de cet ouvrier pestant contre une société injuste, on est touché par le désespoir de ce père harcelé par une meute de journalistes. L’histoire que nous conte le loner ici est la métaphore d’une humanité qui se déshumanise, d’un monde qui se meurt.

Dans ce cadre, les instrumentaux du Crazy horse apportent un peu de chaleur à ce constat glacial. Tant qu’un tel groupe prendra ses instruments comme on prend les armes, tant qu’une énergie comme celle-ci ruera dans les brancards de l’époque, le combat culturel contre une modernité destructrice ne sera pas perdu. Avec Greendale , Neil Young se retrouve dans la situation de ces indiens d’Amérique dont il chanta le destin tragique. Il est un des derniers mohicans d’un rock refusant de devenir une musique purement récréative, le porte-parole d’une Amérique que l’on préfère ignorer. Seul Mellenchamp engagera un tel combat pour porter la parole de cette Amérique qui sue dans les usines ou souffre dans les campagnes. 

C’est à elle que le Crazy horse dédie ce qui restera parmi les plus beaux instrumentaux de sa grande carrière, c’est son courage qui est glorifié à travers ce folk rock lyrique. Mis au service d’une telle cause, le Crazy horse transcende l’énergie épique de Ragged glory, la plonge dans le bain vivifiant du blues. Artiste que les caprices du temps ne parviennent pas à enterrer, Neil sort le grand album que plus personne n’attendait, montre que son éternelle jeunesse n’a pas disparu.

Tant qu’il restera des hommes capables de frissonner à l’écoute d’une grande mélodie transcendée par de tels poètes sauvages , Greendale restera un grand album que l’on se passera de génération en génération.      

mercredi 28 juillet 2021

Neil Young : Mirror Ball

 


C’est un temple sacré, un lieu de mémoire où l’on célèbre le génie du rock. Le rock n roll hall of fame permet de raconter la légende du rock , de préserver cette culture frôlant le demi siècle. Ses cérémonies d’introduction sont aussi le théâtre du passage de témoin entre une arrière garde honorée et la jeune génération. Green day vint rendre hommage aux Ramones , Steven Tyler reprit un tube de Paul Mccartney , alors que Pearl Jam introduisit Neil Young dans ce grand mausolée.  Lors de son discours , Neil rendit bien sûr hommage à Kurt Cobain , qu’il considérait comme un des plus grands artistes de tous les temps. Alors qu’il prévoyait de commencer l’enregistrement d’un nouvel album avec REM , Neil changea totalement ses plans.   

Eddie Vedder lui a proposé de jouer avec son groupe dans le cadre d’un concert en faveur de l’avortement. Pour l’occasion , Neil composa le titre Act of love , qu’il joue avec l’un des derniers survivants de l’ère grunge. Poussé par la puissance abrasive d’un Pearl Jam au sommet de sa forme, le loner redevient la brute fascinante de l’album Weld , le vieux lion imposant le respect à une jeunesse agitée. Galvanisé par cette prestation , Neil embarque Pearl Jam en studio pour graver Act of love. La force des jeunes loups qui l’accompagnent réveille sa muse , il est comme un prophète possédé écrivant les nouvelles tables de la loi. En quatre jours, Neil et son backing band de luxe enregistrent ce qui devient l’album Mirror Ball. Si cet album est un des meilleurs auquel le groupe d’Eddie Vedder ait participé , c’est en grande partie parce qu’il se contenta d’être le serviteur appliqué de son prestigieux leader.

Contrairement à son prédécesseur, Mirror ball ne révolutionne pas la musique de Neil , il permet juste de retrouver une énergie digne des premières heures. Trop enraciné dans sa tradition musicale pour jouer les sauveur du grunge, Neil Young se nourrit de l’agressivité de ses derniers survivants , la galvanise dans de grandes chevauchées épiques , la sublime dans des power ballades envoutantes. Mirror Ball est l’album d’un vieux rocker bien décider à faire trembler les murs tant qu’il le peut encore. Alors il ouvre le bal en s’amusant à chanter une chanson de marin plongée dans un déluge de guitares sursaturées. Placé derrière cette ouverture impressionnante , Act of love fait le lien entre la légèreté du boogie blues et la puissance du grunge. Ce riff sautillant comme un gnome obèse annonce une partie de l’œuvre de Ty Segall , dernier génie solitaire que le rock ait connu. 

La puissance de ces riffs gras montrent que , si le grunge est bien mort , son fantome n’a pas fini de hanter le rock. Malgré leur relative discrétion , les musiciens de Pearl Jam décuplent la puissance de chaque titre à grands coups de riffs sursaturés. Plus bruitiste que le Crazy horse , Pearl Jam fait gronder ses solos comme des orages au dessus des montagnes que Neil élève à chaque à chaque mélodie.

Au bout du compte, même si ce Mirror ball n’invente pas la poudre , c’est un sympatique festival de boogie destroy, un brasier post grunge rajeunissant la puissance épique inventée par le Crazy horse. La jeunesse , attirée par l’agressivité bruitiste du gang d’Eddie Vedder , propulsa rapidement l’album au sommet des charts. Mirror n’est pas un grand album , juste un disque honnête joué par des musiciens à l’enthousiasme communicatif.

En prenant ainsi son pied, Neil Young redevient le gamin jammant dans son garage de Winnipeg. A plus de cinquante ans , il a toujours le même enthousiasme , la même énergie. Continuer à envoyer la purée malgré les stigmates du temps, dire merde à la vieillesse le temps d’un accord, d’un riff, d’une improvisation , c’est exactement la définition de ce que le rock doit être.

A son âge , Neil n’a plus rien à prouver et l’on peut se réjouir qu’il parvienne encore à sortir un tel album.

mardi 27 juillet 2021

Neil Young : Broken Arrow

 


Johnny Depp est assis dans le train qui le mène dans une petite ville de l’ouest. Dans le wagon, aucun mot n’est échangé, pourtant le spectateur comprend. Il comprend la gêne de cet homme ayant toujours vécu en ville, le mépris instinctif de passagers reconnaissant un homme qui n’est pas de leur monde. Dead man fait partie de ces films qu’il faut avoir vu une fois dans sa vie. Habité par son personnage, Johnny Depp y joue le plus grand rôle de sa carrière. Les images superbes participent largement au charme de ce western mystique, alors que Robert Mitchum joue un de ses derniers rôles.

Pour la bande son de son chef d’œuvre, Jim Jarmush sélectionna quelques titres de Neil Young, qu’il contacta pour obtenir les droits. Ravi que son nom apparaisse au générique d’un tel film, il propose au réalisateur de lui préparer une bande son inédite. Le loner s’enferme donc dans une pièce où défilent les images du film, et improvise à partir de ces scènes fabuleuses. Il connaît bien ce monde de hors la loi et de derniers indiens perdus au milieu de colonisateurs cherchant à les exterminer. Il a souvent rêvé de ces villes et forêts où il vaut mieux ne pas trop s’attarder. Une bonne partie de son œuvre ressemble à un grand western, certaines de ces plus belles chansons trouvent leurs racines dans les temps troublés des pionniers et des derniers indiens d’Amérique.

Devant ces images , il produit une bande son rêveuse et puissante , un univers fascinant fait de distorsions et d’accords rêveurs. Ravi de ce travail d’orfèvre, Jim Jarmush remercie son bienfaiteur en s’occupant du clip de « Big time », le premier titre extrait du prochain album du Crazy horse. Sorti en 1996 , Broken arrow fut enregistré en quelques jours dans le ranch qui lui donne son nom. Ce qui faisait le charme de Mirror ball montre ici ses limites, la vitesse est devenue précipitation.

Succession de thèmes bâclés et de riffs un peu lourdauds, Broken arrow semble assurer le service minimum. Neil Young l’affirma lui-même, les instants qu’il peut encore passer en compagnie de son fidèle Crazy horse sont précieux, trop précieux pour passer des heures enfermé en studio. Heureusement pour lui, c’est aussi cette urgence qui sauve un album globalement moyen de la débâcle. Vexé par son aventure avec Pearl jam , le Crazy horse met le paquet pour rappeler à son leader où est sa place. A travers les riffs agressifs de Big time ou Loose change , le Crazy horse crie sa joie de pouvoir encore galoper en compagnie d’un si fier cavalier. Alors oui, les titres sont trop limités pour rivaliser avec la puissance rêveuse de Zuma , ce cheval fou galope comme un canasson ivre de sa liberté retrouvée , le dernier titre du disque est aussi mal enregistré qu’un mauvais bootleg.

Mais l’important n’est pas là, c’est Jim Jarmush qui montra magnifiquement pourquoi ce disque est une bénédiction. Dans le documentaire Years of the horse , il suivit le groupe et son leader de l’enregistrement de Broken arrow à la fin de sa tournée de promotion. Le film montre que le Crazy horse est une unité indivisible, pas une réunion de musiciens interchangeables. Avec eux, Neil Young n’est plus le légendaire barde, le génial songwritter changeant de groupe comme de chemise à carreaux, il est l’humble membre du seul groupe où il se sente réellement à sa place.     

Malgré les limites techniques de ses musiciens, le swing du Crazy horse a forgé une des plus grandes œuvres de l’histoire du folk rock , un son puissant et rêveur qui n’a pas d’équivalent. Alors oui, Broken arrow est un peu un album de Jean Foutre , mais on ne peut que se réjouir que ces fringants quinquagénaires soient encore capables de faire trembler les murs, que leur musique n’ait pas l’âge de leurs artères. L’album ne fut pas un classique, mais le public fut encore nombreux à chaque concert de la tournée qui suivit. Alors que le monde du rock mainstream s’effondre rapidement, Neil Young fait partie de ces derniers combattants s’agitant pour sauver ce qui peut encore l’être.

Après la mort du grunge, le rock se fera de plus en plus conservateur. Dans ce cadre, Broken arrow est la première œuvre d’une époque où le loner va régulièrement entretenir ses vieux totems.       

DAVY JONES LOCKER : Davy Jones Locker (1991)



Davy Jones Locker, groupe de Thionville, est une sorte d’OVNI dans la scène rock française des années 90, mais avec toutefois plusieurs bons disques à son actif, dont ce mini album (26 minutes tout de même) sorti en 1991 sur le label Go Get Organized, à la pochette assez géniale et reflétant bien le délire du groupe.

Attention ce disque est réservé à ceux qui aiment un son « garage », primaire, brut. Pas de finesse ou de mélodies veloutées ni de démonstrations instrumentales ou d’arrangements feutrés. Non rien de tout cela ici !!

Ni vraiment grunge, ni vraiment noise, ni vraiment rock industriel, ni vraiment psychédélique, pas complètement garage dans le sens traditionnel du terme…un peu tout à la fois, sorte de croisement sonique entre les Stooges et Mudhoney. Un son bien crade, bien gras qui amplifie encore la lourdeur et le côté poisseux.

Le chant est quasi hurlé, saturé (malheureusement comme pour Mudhoney la voix est le point faible, pas toujours bien en place, pas toujours très juste et même si cela peut paraître secondaire ça reste assez dommage), musique fuzz, guitares dissonantes du début à la fin du disque, distorsions garanties, batterie primaire, basse assourdissante, on navigue à vue dans un bruitisme sonore, un magma électrique qui finalement s’avère agréable et jouissif si on arrive à le dompter (mais qui ne sera que souffrance pour les autres !!). Chaotique, bordélique, un son bien « pourri », mais finalement on en revient aux bases du rock de la fin des sixties et du début des seventies remis à la sauce des 90’s.

Car le groupe s'inscrit assurément dans le revival "garage" qui commence doucement à apparaître ces années là, mais y rajoute des ingrédients typiques des 90's, à savoir du grunge et du noise rock notamment.

Le son annonce déjà ce que proposeront des groupes comme Fuzz, Boris ou Oh Sees dans les années 2000/2010, même si loin de moi l'idée de comparer cet album avec ceux des groupes précédemment cités.

Mais Davy Jones Locker nous balance quelque chose de déjà bien rugueux, râpeux, agressif, sans concession, sans limite, aucune velléité mélodique ; d’ailleurs les titres avec un semblant de refrain sont quasiment les moins bons (par exemple « Power » qui débute l’album), le groupe est plus à l’aise quand ça arrache et quand les guitares se lâchent complètement.

Difficile de sortir des titres « phare » plus que d’autres sur cet album, citons néanmoins « Slide », « White » et bien sûr « Untitled » qui clôture le disque en un feu d’artifice sonique.

Ce qui est assez jouissif c’est de savoir que ce type de rock crade, déglingué et atypique ne pourra jamais être récupéré, à l’inverse du grunge quand celui-ci se fait plus lisse, par des majors mainstream car Davy Jones Locker fait partie de ces dinosaures qui ne rentreront jamais dans les normes imposées par un certain rock aseptisé.

Le groupe sortira ensuite deux autres albums, le « green album » avec sa pochette bleue (!!) puis « Palpable », beaucoup plus expérimental et lorgnant plus vers une musique industrielle, mais un peu trop austère à mon goût.

Davy Jones Locker reste néanmoins l’un des groupes hexagonaux les plus intéressants des années 90, qui sans réellement révolutionner quoique ce soit, a apporté sa petite contribution pour montrer qu’il y avait de bons groupes français dans les nineties. Mais les lorrains ont peut-être eu le tort de ne pas apparaître au bon moment.


lundi 26 juillet 2021

Neil Young : Sleeps with angels

 


Ils sont tous là pour rendre hommage au plus grand poète du rock. Dans les coulisses du Madison Square Garden, on croise ce qu’il reste du Band, Tom Petty , Lou Reed , Eric Clapton et autres gloires des sixties seventies. Le temps a quelques peu terni leurs légendes. Roger Mcguin ne s’est jamais remis de la fin des Byrds , alors que Clapton s’est définitivement enfermé dans son traditionalisme blues. Lou Reed a encore quelques fulgurances , comme les grandioses New York et Song for Drella , mais il n’est plus cet animal rock n roll qui fit rougir les soldats du heavy blues.

Parmi cette assemblée venue rendre hommage au grand Bob, seul Neil Young semble avoir gardé l’enthousiasme de ses jeunes années. Une bonne partie du public s’est d’ailleurs déplacé pour saluer « le père spirituel de Kurt Cobain ». Dernière grande icône du rock, Kurt Cobain n’a jamais caché son admiration pour le loner. Le blondinet est le John Lennon de la nouvelle génération, celui qui réunit toute une jeunesse autour de ses hurlements désespérés. Si Smell like teen spirit fut le titre à travers lequel toute une jeunesse exorcisa son mal être, c’est aussi le tube qui poussa son auteur vers l’abime.

Plaçant son intégrité artistique au-dessus de tout, Kurt Cobain supportait mal cette notoriété démesurée. Il tenait à sa liberté d’artiste maudit, il se sentait plus proche des Melvins que des grandes machines commerciales de son époque. Pour retrouver sa tranquillité, il enregistra le très rugueux In utero. Malheureusement pour lui, son génie permettait à certains de ces titres agressifs de devenir des tubes, et ce qui devait éloigner de lui ce grand public qu’il ne supportait plus ne fit que le rendre encore plus accro.

Alors que Cobain s’enfonçait dans une dépression de plus en plus profonde, la popularité de son groupe ruisselait sur son modèle. Les enfants du grunge ne regrettèrent pas leur passage au Madison Square Garden, Neil leur montrant d’où venait la puissance de leur musique torturée. Dans ce contexte, sa version de All Along the watchtower devint la célébration de la rencontre entre deux générations , un moment aussi historique que la reprise du grand Hendrix.

Pendant quelques mois, on crut encore que le rock venait enfin de renaitre de ses cendres, que le grunge n’était que la première vague d’une déferlante durable et mondiale. Des groupes aussi prometteurs que Stone temple pilot ou Pearl Jam s’engouffrèrent dans la brèche ouverte par Nirvana. Neil Young ne manqua pas de soutenir ce renouveau en invitant ces deux groupes à faire sa première partie, la fête fut malheureusement de courte durée. Il a suffit d’un tir de carabine pour éteindre une flamme que l’on croyait déjà immortelle. En se suicidant, Kurt Cobain mit fin au grunge, le mouvement ne pouvait survivre à la mort d’un leader aussi emblématique.

Bizarrement, ce furent d’abord les vieux briscards qui se pressèrent pour rendre hommage à l’ange blond du grunge. Iggy Pop avoua son admiration pour celui qui s’est tant inspiré de la fureur stoogieene, Patti Smith l’intégra aux fantômes habitant les titres de son excellent Gone again , alors que Neil Young immortalisa le deuil de son fils spirituel sur l’album Sleep with angel. Comme Tonight the night avant lui, Sleep with angel est un album sombre, une œuvre où la nostalgie partage le devant de la scène avec la culpabilité. Neil tenta de contacter Kurt Cobain quelques jours avant sa mort, il était persuadé de pouvoir le sauver de ses démons.

Si la tristesse se fait largement entendre à travers ses mélodies, Sleep with angel est tout de même un album moins étouffant que Tonight the night. Ce qui émerveille, sur des ballades comme my heart , c’est cet équilibre entre l’acoustique et l’électrique , la nostalgie vis-à-vis de ce qui fut et la tristesse vis-à-vis de ce qui n’est plus. Alors le loner hurle comme un vieux loup un soir de pleine lune, chuchote presque sous une pluie d’accords cristallins. Vient ensuite le superbe blues Appache dream of life , son riff tout en retenu portant un mojo à mi-chemin entre Redbones et les Stones.

Cette mélancolie tendre, ce feeling nonchalant sans être apathique, tout cela annonce les ballades engagées qu’il écrira bientôt en compagnie du groupe Promise of the real. Driveby poursuit cette promenade mélancolique sur une mélodie plus folk. Dylan fut le barde posant ses mots sur les troubles des sixties, Neil Young donne un son à cette époque de mort du rock. La guitare gémit timidement derrière un piano majestueux, les chœurs rappellent la beauté éternelle de « Déjà vu ».

Après la tristesse vient la colère contre la violence du destin , Neil ressortant sa bonne vieille old black pour raviver la puissance d’un grunge déjà condamné à mort. La batterie résonne comme le gargouillement d’une machine infernale, la guitare gronde comme un monstre en pleine agonie. Dans ce décor Dantesque, les chœurs rappellent le refrain de Smell like teen spirit, tube qui fit naître un espoir trop vite disparu. Sur Western hero , ce qui était un grondement colérique devient un gémissement au milieu d’un requiem country.

Les grands hommes comme les grandes œuvres sont souvent le produit de circonstances tragiques, c’est l’époque qui les façonne comme une lueur d’espoir au milieu des ténèbres. Avec Sleep with angel , Neil Young n’a pas seulement enregistré un  de ses plus grands albums , il a pansé les plaies d’une génération meurtrie.

Après la mort de Kurt Cobain, la presse ne cessera de se demander s’il fut « le dernier rocker ». Il y aura encore quelques gloires éphémères comme Jack White, Green Day ou les Libertines. Mais aucun ne parviendra à inventer un nouveau son entrainant toute une scène derrière lui , une musique fascinant toute une génération.

Neil Young ne retrouvera d’ailleurs que rarement le génie de ce Sleep with angel, le rock entre dans l’underground et il se terre progressivement dans le même trou.        

Neil Young : Harvest Moon

 


Dans un immense stade, la foule crie sa reconnaissance, les amplis inondent le public sous un torrent électrique. Neil Young est plus vivant que jamais, il déclenche des séismes à chaque accord. Nous sommes encore dans une époque où personne n’eut l’idée stupide de limiter le volume d’un concert de rock. Ces évènements furent donc encore de grandes cérémonies sauvages, des séismes assourdissants faisant vaciller les murs. Alors oui, le rocker pouvait sans doute se retrouver sourd après quelques années de ce traitement de choc, mais qu’importe l’hygiénisme quand ce risque permet de se remplir la tête de splendeurs sonores. Le rocker à qui on limiterait la puissance sonore est comme un boxer auquel on interdirait de mettre son adversaire KO, c’est une aberration comme seul ce foutu 21e siècle peut en imaginer.

Mais, aussi fringuant soit-il, Neil Young a l’âge de ses artères, ses précieux tympans n’échappant pas aux vicissitudes du temps. Lors des derniers concerts de la tournée raged glory, il subit un bourdonnement de plus en plus gênant, comme si un énorme bourdon avait élu domicile dans son canal auditif. Le verdict de son médecin fut sans appel : s'il continuait à martyriser ainsi ses escalopes, il risquait la surdité à vie. Neil Young mit donc sa bonne vieille old black de côté pour retrouver son costume de troubadour country folk. Après quelques concerts acoustiques, le loner contacta les Stray gator pour enregistrer l’album que tant de fans attendent depuis de nombreuses années. Le public savait depuis sa sortie que Harvest ne pouvait être reproduit à l’identique, ses mélodies étaient bien trop personnelles pour que la copie soit trop proche de l’original. Cependant, il espérait retrouver un peu de cette chaleur réconfortante, apercevoir quelques ombres familières à travers de nouvelles mélodies.

Harvest fut l’album d’un jeune homme ayant trouvé sa voie, il exprimait l’insouciance d’un âge où la vie ressemble à une fête sans fin. Sorti en 1992, Harvest moon est plutôt le disque d’un père de famille épanoui, d’un homme regardant ce qu’il a accompli avec fierté et émerveillement. Du côté de la presse, tout le monde est ravi par ce virage radical, même si le loner s’obstine à affirmer que ses virages sont « prévisibles comme le lever et le coucher du soleil ». Si cette déclaration semble exprimer une nouvelle volonté de brouiller les pistes, Harvest Moon montre bien un tiraillement qui le poursuit depuis le début de sa carrière.

Tel un paysan dans la ville , Neil lance ses berceuses bucoliques sur des rythmes binaires dignes des grands bluesmen de Chicago. Le bluegrass de Old king est ainsi propulsé par un batteur bucheron, pendant que la guitare développe un feeling que n’aurait pas renié les pionniers du blues acoustique. Par-dessus cette symphonie bucolique et urbaine, les chœurs s’élèvent comme ceux d’une fête paysanne. Un peu plus loin, une guitare slide familière dessine des mélodies nuageuses, rehaussées par un chant qui se fait presque chuchotement. Cet album convoque les grandes heures de la carrière de son auteur, renoue avec ses grands éclats acoustiques.

La mélodie de Natural beauty rappelle d’ailleurs la sérénité rêveuse de Hitchiker , disque qui serait devenu un classique si il n’avait pas été publié aussi tard. Comme à l’époque où il enregistra cet album, Harvest moon exprime le besoin de quitter un peu le bruit assourdissant du monde pour retrouver un peu de sérénité. Chacune de ces mélodies se savoure comme un souvenir que l’on croyait perdu. Revenu à la production, Jack Nietzsh ne reproduit pas l’erreur qu’il commit sur le premier album de son protégé. Le son qu’il offre au canadien est clair comme l’eau d’une rivière, léger comme les mélodies doucereuses composant l’album. Notre ex producteur de pop anglaise aura tout de même droit à son passage symphonique avec Such a woman.

Il ne s’agira pourtant pas d’un crescendo aussi intense que A man need a maid , mais plutôt d’une berceuse de Paul Mccartney de la folk. La grandiloquence dramatique des violons côtoie une voix qui semble presque chuchoter , un harmonica nostagique ramène cette symphonie dans les grandes prairies américaine. En dehors de cette splendide exception, Harvest moon est fait de mélodies légères et pures comme Unknow legend ou Harvest moon. Harvest moon se permet même de faire un clin d’œil à Lay lady lay de Bob Dylan, le temps d’une introduction douce comme un coucher de soleil.

Comme Bob Dylan , Neil Young fait déjà partie de ces figures dont le génie éternel est comme un décor immuable. Il est vrai que la jeunesse est désormais plus intéressée par ses fils spirituels que par la monumentale carrière du loner. Mais les gloires des nineties s’éteindront bien vite et Harvest Moon brille comme un phare au milieu de cette époque incertaine. Les modes vont et viennent, les héros d’une époque s’éteignent aussi vite qu’ils sont venus mais Harvest moon montre qu’il existe des monuments que le temps ne peut renverser.                 

Neil Young : Reactor

 


C’est fini ! Terminé ! Mort !a

C’était trop beau, vingt années de feu d’artifice permanent, un bombardement de merveilles. La seule faute du rock des années 60-70 , c’est d’avoir tué le jazz. A partir du moment où le rock se mit à vampiriser ses ainés et ses contemporains, il devint trop énorme pour permettre aux jazzmen de survivre. Pour survivre, le grand Miles inventa le rock fusion, sorte de free jazz funky et électrique qui culmine sur le bouillant Dark magus. Le public des années 60-70 eut une telle ouverture que Zappa et Beefheart purent s’épanouir en même temps que Miles Davis , que John Coltrane put innover autant que les Beatles. Innover, voilà la règle d’or de cette époque. Il fallait trouver le coin musical le plus désertique, le pic qu’aucun autre ne pourra atteindre.

En ce début d’eighties , tout cela est bel et bien terminé. Certains placeront le début de la décadence à la sortie d’Easter , disque qui popularisa la production très pop de Jimmy Lovine. Il est vrai que la production soignée de Lovine a quelque peu gommé la révolte agressive de la papesse du punk, mais elle parvint tout de même à garder son énergie révoltée. Cette façon d’arrondir les angles marquait le début d’une nouvelle vision de l’album rock. Energique sans être agressif , rapide sans être trop puissant , cette nouvelle version du rock va s’affirmer avec les blockbusters radiophoniques de Tom Petty. Oui Petty est l’enfant des Byrds et du garage rock, c’est flagrant sur son premier album. Mais Damn the torpedoes canalise cette fougue, la nappe d’un vernis séduisant. 

Plus tard , cette aseptisation du rock se radicalisera , au point que des disques comme Let’s dance , Born in the Usa , ou Brother in arms semblent tous sortis du même moule sirupeux. Bowie mettra des années à retrouver ses dons d’explorateur pop, Springsteen ne s’en relèvera jamais totalement, mais entre-temps ils seront devenus riches et adulés. C’est bien le paradoxe des eighties, la musique se vidait de sa substance et pourtant on n’a jamais vendu autant d’albums. Face à cette pop aseptisée, une partie de la jeunesse se réfugie dans la violence vulgaire du heavy metal. Les eighties représentent l’âge d’or d’Iron maiden , la naissance du thrash metal avec l’horripilant Kill em all. Le metal tuait le rock comme le rock tua le jazz.                                                

La musique fut donc ballottée entre ces deux extrêmes stériles, deux bourbiers sonores sans consistance. Cette catastrophe couve lorsque, en 1981, Neil Young se met lui aussi à standardiser ses méthodes de travail. Son fils handicapé subit alors de lourdes séances de rééducation, qui oblige son père à programmer son temps d’enregistrement pour être avec lui. Les séances commencent donc à 10 heures , et le loner ne reste que quelques minutes. Enregistré à la va vite, Reactor est mis en boite en quelques jours. A défaut d’être un grand disque, Reactor est tout de même un album intéressant.

Plus de dix ans après avoir accouplé le hard rock et le folk rock , le canadien et son fidèle cheval fou essaie une nouvelle fois de décupler la puissance de la musique de Bob Dylan. Ce qui frappe d’abord sur Reactor , c’est ce son puissant , massif , mais trop propre. En nettoyant les riffs crasseux de son fier destrier, Neil Young tente d’accorder deux camps qui ne peuvent que s’éloigner. La puissance d’un Crazy horse lourd comme un hippopotame ivre fait du pied au barbare chevelu du heavy metal , les sifflements de synthé tentant de transformer cette puissance balourde en tube power pop. Mais les riffs binaires sont trop simplets, la production proprette ne faisant que souligner le manque d’inspiration des musiciens. Dans les meilleurs moments, cette hargne juvénile rappelle presque les décharges heavy blues de Blackfoot un peu fatigué.

On perd ici la poésie de Zuma sans retrouver la spontanéité de Rust never sleep , la modernité des synthés ne parvenant pas à masquer le manque de personnalité de ces instrumentaux. Moins intéressé par son œuvre, le loner ne parvient qu’à reproduire les travers d’une époque maudite. Si , jusque-là , il était l’artiste de sa génération ayant le mieux survécu aux caprices du temps , Reactor annonce le début d’une longue traversée du désert artistique.